République et canton de Genève

Grand Conseil

Chargement en cours ...

R 864
Proposition de résolution de Mmes et MM. Helena Verissimo de Freitas, Jocelyne Haller, Diego Esteban, Marion Sobanek, Grégoire Carasso, Amanda Gavilanes, Caroline Marti, Christian Dandrès, Jean-Charles Rielle, Sylvain Thévoz, Nicole Valiquer Grecuccio, Salima Moyard, Léna Strasser, Thomas Wenger, Pierre Bayenet, Olivier Baud, Pierre Eckert, Alessandra Oriolo, François Lefort, Marjorie de Chastonay, Frédérique Perler, Claude Bocquet, Paloma Tschudi, Adrienne Sordet, Delphine Klopfenstein Broggini, Jean Rossiaud contre les délocalisations de la Loterie romande
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 20 et 21 septembre 2018.

Débat

Le président. Nous abordons la proposition de résolution 864, Mesdames et Messieurs, et je passe immédiatement la parole à M. le député Thomas Wenger.

M. Thomas Wenger (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la Loterie romande est une association d'utilité publique, vous le savez, qui bénéficie du monopole des grandes loteries dans les six cantons romands. Elle reverse l'ensemble de ses bénéfices à des organisations qui poursuivent des buts d'utilité publique et de bienfaisance dans les domaines social, culturel et sportif.

Fin juin, la Loterie romande a annoncé la délocalisation de 20% de ses activités informatiques en Pologne, ce qui conduit à la suppression de sept postes de travail en Suisse. Cette délocalisation n'est pas la première: en 2005, la gestion du PMU romand a été externalisée en France et, en 2015, l'impression des tickets à gratter exportée en Amérique du Nord. Cette nouvelle annonce est intervenue quelques semaines seulement après l'acceptation, le 10 juin 2018 - vous vous en souvenez, Monsieur le président - de la loi sur les jeux d'argent en votation populaire, alors que les représentants des cantons, notamment romands, s'étaient fortement impliqués pour expliquer l'utilité publique de la Loterie romande ainsi que l'importance de ne pas la soumettre à la concurrence étrangère.

Cette suppression d'emplois en Suisse - sept postes, je le rappelle - est en totale contradiction avec les buts de cette société et l'image qu'elle devrait donner, et c'est parce que l'emploi ne doit justement pas être une loterie, Monsieur le président, que le parti socialiste demande au Conseil d'Etat d'intervenir via son représentant au sein du conseil d'administration pour que la Loterie romande renonce à la délocalisation de ces sept postes et maintienne l'emploi en Suisse. Merci beaucoup. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La présidence est très sensible à votre jeu de mots ! Je passe la parole à M. le député Jean-Marc Guinchard.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Merci, Monsieur le président. En tant que Grand Conseil, nous avons le droit, voire le devoir, de nous poser des questions quant à la voie choisie par la Loterie romande, étant toutefois rappelé que cette institution joue un rôle essentiel - cela a été dit, mais je tiens à le répéter - dans les domaines social, culturel et sportif grâce à l'aide et aux subventions qu'elle octroie. Voilà la question de fond.

Sur la forme, le Conseil d'Etat n'a pas à donner d'instructions au représentant genevois au conseil d'administration. Conformément aux dispositions du code des obligations, l'exercice de la haute direction de la société, l'établissement des directives nécessaires ainsi que la fixation de l'organisation de la société font partie des attributions du conseil d'administration. Ainsi, une résolution ne saurait contraindre le Conseil d'Etat à donner des instructions à son administrateur, ce serait contraire aux dispositions du code des obligations. C'est d'autant plus le cas que la Loterie romande a statut d'association au sens des articles 60 et suivants du code civil et qu'elle fonctionne comme un établissement autonome. Il n'est pas de bonne gouvernance que le parlement s'immisce dans sa gestion opérationnelle.

En revanche, l'autorité politique peut manifester sa désapprobation en adressant un courrier directement au conseil d'administration, et il faudrait le faire en concertation avec les autres Conseils d'Etat romands afin que cela ait plus de chance d'aboutir. Il aurait mieux valu que la résolution demande au gouvernement de manifester sa position et son questionnement au sein de la Conférence romande de la loterie et des jeux, afin que celle-ci s'adresse à la Loterie romande. Cela aurait permis un traitement plus rapide, plus efficace et certainement plus crédible. Cela étant, en raison du fond, le groupe démocrate-chrétien votera cette résolution. Je vous remercie.

M. Pierre Vanek (EAG). Je ne m'arrêterai pas aux questions de forme évoquées par mon préopinant, elles sont tout à fait secondaires. En effet, on peut parfaitement inviter le Conseil d'Etat à intervenir auprès de la Loterie romande via son représentant; il ne s'agit pas de lui donner des instructions formelles, ce qui serait malvenu, mais il faut et on doit intervenir. D'ailleurs, en préparant ma prise de parole, j'ai constaté qu'après le report d'un mois ou de quelques semaines de ce débat, les cantons respectifs de Fribourg, du Valais et du Jura sont entre-temps intervenus dans le même sens à travers leurs parlements et leurs Conseils d'Etat, donc nous ne faisons rien de bien révolutionnaire en sollicitant une action du gouvernement auprès de la Loterie romande.

J'ai été effaré en écoutant une interview à la RTS - c'était le 4 août, il me semble - du directeur de la Loterie romande qui faisait preuve d'une insensibilité affligeante quant à la problématique qui nous occupe. Il disait que dix postes allaient être supprimés au bénéfice de la restructuration d'une partie de l'activité informatique de la Loterie romande, que cinq de ces postes seraient reclassés à l'interne, qu'un employé prendrait sa retraite et que quatre personnes seulement avaient tiré le mauvais numéro, mais bénéficiaient d'un plan social mirifique, selon ses dires. Il déclarait en outre qu'il lui était parfaitement indifférent, ce sont à peu près ses termes, que l'activité informatique se fasse en Suisse ou en Pologne.

Ce discours managérial d'une banalité crasse, on l'entend régulièrement dans différents domaines: des directeurs d'entreprise expliquent ou tentent de justifier des mesures de délocalisation, de restructuration, de suppression d'emplois au nom de la rationalité et du profit. Eh bien dans le cas de la Loterie romande, ce type de discours n'est pas admissible pour toutes les raisons qui ont été développées par mes préopinants, et c'est pourquoi notre groupe votera cette résolution des deux mains. Merci.

M. Jean Rossiaud (Ve). Mesdames et Messieurs, les Verts ont signé et accepteront cette résolution. Le Conseil d'Etat doit évidemment intervenir pour éviter les délocalisations. L'importance de la Loterie romande a été soulignée et n'est plus à démontrer, je ne vais pas revenir sur le sujet.

Ce qui me préoccupe davantage, ce qui préoccupe davantage les Verts, c'est que la Loterie romande soit toujours plus autonome et donc toujours plus incontrôlable. Récemment, le Conseil d'Etat a donné son aval au projet de concordat intercantonal qui, à l'instar des autres concordats intercantonaux, est très antidémocratique. C'est une espèce d'aberration juridique, au fond, puisque aucun parlement cantonal ni même le Parlement fédéral ne s'autorise à intervenir dans le détail de ces accords. On l'a vu avec le concordat HES, par exemple: on explique aux parlements qu'ils doivent impérativement l'adopter afin de ne pas menacer une entreprise portée par tous les autres cantons, qu'ils ne peuvent rien changer sous peine que les acceptations par les autres cantons deviennent caduques. Il s'agit d'un déni de démocratie, et c'est ce qui me préoccupe le plus.

Naturellement, nous sommes très préoccupés par la délocalisation des emplois, mais aussi par le fait que des institutions d'intérêt public soient hors du contrôle démocratique et même d'un contrôle a posteriori. Les Verts vous demandent d'accepter cette résolution, et nous reviendrons sur la question du concordat à un autre moment. Je vous remercie.

M. Pierre Conne (PLR). Chères et chers collègues, le groupe libéral-radical votera la résolution pour rappeler que cette entreprise parapublique n'est justement pas une multinationale et qu'elle se présente elle-même comme un acteur important dans le développement socio-économique de Suisse romande. Pour le PLR, la Loterie romande doit faire preuve de cohérence entre ce qu'elle est et ce qu'elle fait, c'est-à-dire redistribuer l'intégralité de ses bénéfices à l'action publique.

S'agissant de la remarque de forme tout à fait pertinente émise tout à l'heure par notre collègue Jean-Marc Guinchard, il faut relever que la deuxième invite de cette résolution donne toute latitude au Conseil d'Etat pour intervenir également auprès des autres cantons romands, de manière à choisir la voie la plus efficace pour que ce texte aboutisse. Je vous remercie de votre attention.

M. Patrick Dimier (MCG). Monsieur le président, vous remercierez pour moi mon préopinant qui a exprimé l'essentiel de ce que je voulais dire. Je peux ainsi me concentrer sur un élément différent, l'histoire: la loterie a été créée par François Ier, et les Suisses devraient s'en souvenir, puisque c'était principalement pour financer ses guerres, notamment le mauvais épisode de Marignan. Il n'est pas question ici de refaire Marignan, il est au contraire question de l'éviter. Si, dans un premier temps, l'Europe craignait le plombier polonais, la preuve de la réussite à tout le moins économique de l'Europe, c'est qu'on n'a plus affaire au plombier polonais, mais à l'informaticien polonais; la question est désormais de savoir: à quand la roulette russe ?

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, je mets le texte aux voix.

Mise aux voix, la résolution 864 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 86 oui (unanimité des votants).

Résolution 864