République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 septembre 2018 à 18h05
2e législature - 1re année - 3e session - 22e séance
PL 12189-A
Premier débat
Le président. Nous passons au PL 12189-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité est de M. Sandro Pistis, à qui je cède la parole. Et je demande au rapporteur de majorité, M. Romain de Sainte Marie, de bien vouloir insérer sa carte dans le lecteur.
M. Romain de Sainte Marie. J'insère ma carte.
M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi vise à corriger une incohérence: lorsque nous avons des enfants à charge et qu'ils terminent leur scolarité ou leur apprentissage au mois de juin, c'est-à-dire à la moitié de l'année fiscale, les déductions sociales dont pourraient bénéficier les parents ne sont pas prises en compte, ce qui génère bien sûr une augmentation des impôts. Pour pallier ce problème, nous proposons que la déduction fiscale sociale pour des charges d'enfants soit prise en considération jusqu'au 31 décembre. Je pense avoir fait le tour pour l'instant. Merci.
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi vise à corriger une incohérence, certes, mais en la remplaçant par une autre. C'est pourquoi la minorité lui ajoute un amendement que vous trouverez à la fin du rapport, page 26. Tout d'abord, pour resituer le contexte, ce projet de loi s'inscrit dans le cadre des déductions fiscales pour enfants majeurs en formation. Les conditions d'octroi de ces déductions sont doubles: le jeune doit avoir jusqu'à 25 ans maximum et suivre une formation. Ces déductions se font au moment d'établir la déclaration fiscale, c'est-à-dire au 31 décembre de l'année civile. Dans la loi actuelle, on peut déduire les charges d'un enfant si, au 31 décembre, celui-ci est en formation.
Ce texte, on ne peut pas l'ignorer, aurait un impact financier important. Le département a eu certaines difficultés pour l'estimer; il a évoqué 30 millions de pertes fiscales au maximum, mais ce serait invraisemblable, on parle plutôt d'un chiffre avoisinant les 12 millions. Le problème soulevé, on peut le comprendre, c'est vrai qu'il y a une certaine incohérence aujourd'hui: la plupart des jeunes entre 18 et 25 ans finissent en juin - quoiqu'il faille encore le prouver - et au moment de la déclaration fiscale, il est impossible pour les parents de déduire les six mois de formation.
Cependant, la proposition de ce projet de loi est encore pire. Prenons l'exemple d'un étudiant qui achèverait ses études en janvier - c'est le cas à l'université, certains masters se terminent en début d'année: dans ce cas, la famille bénéficierait de déductions fiscales pendant onze mois alors que le jeune n'a été en formation que durant un mois ! Le projet de loi remplace donc une incohérence par une autre et renforce l'iniquité.
L'amendement que vous trouvez à la dernière page du rapport vise à rétablir le principe d'équité en ajoutant la phrase suivante à la fin de la disposition: «Cette charge est calculée au prorata du nombre de mois de formation durant l'année civile.» Si un élève termine sa formation au mois d'octobre, la déduction correspondra aux dix mois effectués, et non à la totalité de l'année fiscale. Notre amendement restaure une égalité de traitement; la minorité vous invite à l'adopter et, si tel est le cas, à approuver ce projet de loi.
M. Jean Batou (EAG). Je n'ai pas grand-chose à ajouter à l'intervention de mon collègue socialiste...
M. Romain de Sainte Marie. Merci !
M. Jean Batou. Dans l'esprit, l'initiative prise par les déposants de ce projet de loi était bonne. En effet, il est anormal que sous prétexte que les enfants finissent leurs études au milieu de l'année civile et pas à la fin, les parents en soient pénalisés dans leur déclaration fiscale.
Maintenant, ajouter six mois constitue une nouvelle incohérence, donc je trouve que l'amendement proposé par le rapporteur de minorité et que nous avons soutenu va dans le bon sens et devrait être accepté, parce qu'il résout le problème et ne pousse pas le bouchon trop loin. Parce qu'à force de pousser le bouchon toujours plus loin, on finit par vider les caisses publiques et mettre le feu à une situation où on n'arrive déjà pas à financer les besoins fondamentaux de la population. Il est juste d'être juste, mais pas de déformer dans l'autre sens la proposition initiale. Telle que corrigée par le rapporteur de minorité, il s'agit d'une idée de bon sens, donc je vous appelle à soutenir l'amendement.
M. Jean Rossiaud (Ve). Mesdames et Messieurs, j'ai beaucoup apprécié le discours de Mme Fontanet tout à l'heure, qui disait en substance que dans ces périodes difficiles, il ne faut pas continuer à opérer des déductions fiscales à tout prix avec des projets de type cadeau de Noël ou paquet surprise ! Je n'ajouterai pas grand-chose à ce qu'ont indiqué mes deux préopinants, MM. de Sainte Marie et Batou. Les Verts accepteront l'amendement qui rétablit une cohérence et, s'il est adopté, voteront également le projet de loi. Même si celui-ci n'est pas très satisfaisant, il ne va pas forcément dans le mauvais sens. Merci.
Mme Françoise Sapin (MCG). Il est de notoriété publique qu'un enfant coûte cher - cela a d'ailleurs été relevé dans le cadre de la discussion sur le texte que nous avons voté juste avant la pause; un enfant aux études, encore plus. La loi actuelle prend en compte la situation fiscale au 31 décembre, ce qui fait que pour les parents dont les enfants terminent des études ou un apprentissage en cours d'année civile, il n'y a aucune déduction possible pour les mois durant lesquels ils étaient en formation. Il s'agit là d'une incohérence que nous souhaitions corriger, et c'est la raison pour laquelle nous avons présenté ce projet de loi.
A la commission fiscale, nous avons eu toute une discussion sur le fait qu'on pourrait procéder à la déduction au prorata des mois passés en formation. Or l'administration fiscale nous a indiqué qu'un tel procédé serait très difficile à mettre en place, que cela exigerait beaucoup de manipulations et de calculs, que ce n'était pas applicable en l'état. Voilà pourquoi la commission a finalement décidé de laisser la déduction complète pour l'année précédente, même si l'enfant n'est pas aux études pendant les douze mois. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, le MCG vous demande de bien vouloir soutenir son projet de loi 12189. Merci.
M. Yvan Zweifel (PLR). Le groupe PLR soutiendra le projet de loi tel qu'il nous est présenté. Les deux rapporteurs ont assez bien expliqué le fond du sujet: il s'agit tout simplement de corriger une inégalité de traitement patente et, à ce titre-là, nous ne pouvons que soutenir ce texte. Comme pour le sujet précédent, il s'agit d'aider les familles en leur offrant un bol d'air fiscal et, encore une fois, le PLR ne peut que s'associer à la bonne idée que ce projet de loi concrétise.
Concernant l'amendement, le groupe PLR ne le votera pas pour trois raisons. La première, Mesdames et Messieurs, c'est que les charges liées aux études ou à l'apprentissage sont souvent plus élevées la dernière année. Pourquoi ? Parce que c'est là qu'il y a des examens, ce qui génère un certain nombre de coûts supplémentaires pour l'enfant, donc pour les parents. Puisque c'est l'année où ça coûte le plus cher, il est logique que les familles bénéficient de la déduction la plus importante.
La deuxième raison, c'est que bien souvent, à la fin des études ou de l'apprentissage, l'enfant ne trouve pas directement un emploi. Généralement, on incite un apprenti à faire une expérience dans une autre entreprise, donc il ne trouve pas forcément un travail immédiatement, ce qui fait qu'il reste à la charge de ses parents pendant ce laps de temps. Là encore, il serait logique d'appliquer la déduction complète.
Enfin, la troisième raison concerne les allocations familiales: quand les études sont terminées, les éventuelles allocations familiales dont les parents bénéficiaient ne sont plus d'actualité. Encore une fois, il nous semble logique de donner un coup de pouce aux foyers durant cette petite période entre la fin des études ou de l'apprentissage et le 31 décembre de l'année civile. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, le PLR vous appelle à rejeter l'amendement proposé par le rapporteur de minorité et à voter le projet de loi initial.
Puisque j'ai la parole, Monsieur le président, permettez-moi de répondre à quelques esprits chagrins qui considèrent que nous faisons face à une crise des recettes et qu'à force de vider les caisses, il n'y aura plus d'argent, en prenant pour exemple certains événements historiques. Eh bien revenons sur l'histoire, Mesdames et Messieurs - ce n'est peut-être pas une base scientifique, comme le souhaiterait M. Burgermeister, mais c'est néanmoins une base réelle, celle-là: de 1998 à 2016, la population de ce canton a augmenté de 23% tandis que les recettes fiscales ont crû de 83%, soit 3,6 fois plus que la hausse de la population, et ce alors que le peuple a eu l'intelligence de voter deux baisses d'impôts. Celles-ci ont donc rempli les caisses, elles ne les ont pas vidées. Voilà la réalité statistique, mathématique, comptable.
Enfin, pour répondre à M. Pagani, entre 2010 et 2016 - c'est la période qui l'intéressait - on a assisté à une croissance des recettes fiscales de 20% pour 6% d'augmentation de la population. A moins de souffrir d'aveuglement idéologique ou d'une allergie totale aux mathématiques - je subodore que de l'autre côté de la salle, il y a un peu des deux - il n'y a pas de crise des recettes, mais une crise des dépenses. Mesdames et Messieurs, il faut voter ce projet de loi, c'est un bol d'air pour les citoyens. (Applaudissements.)
Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, le rapporteur de minorité a parlé d'incohérence, j'irais plus loin: c'est une inégalité. Certes, la situation actuelle est injuste, dans la mesure où les parents ayant des enfants en formation pendant une partie de l'année ne peuvent déduire aucune charge sociale. Mais ce que propose le projet de loi, c'est de remplacer une situation inégalitaire par une autre. Ainsi, les familles dont les enfants n'ont été en études qu'un seul mois de l'année - c'est souvent le cas, puisque les cursus de formation se divisent en semestres, le premier semestre se terminant en janvier, le second en août - pourront déduire exactement les mêmes charges que celles dont les enfants ont effectivement été en formation toute l'année !
M. Zweifel a parlé de bol d'air fiscal; à notre sens, il s'agit véritablement d'un cadeau fiscal. Si, pour moitié, celui-ci peut sembler acceptable afin de mettre fin à une situation inégalitaire, pris dans sa totalité, il reproduit une autre forme d'inégalité et coûte extrêmement cher au canton de Genève. Son impact financier a en effet été évalué à 12 millions par année. Pour réduire cette facture et créer une situation qui soit la plus égalitaire possible pour l'ensemble des foyers de notre canton, nous vous invitons à voter l'amendement présenté par le rapporteur de minorité qui permet de calculer au plus près les charges que les familles peuvent déduire. Je vous remercie.
M. Christo Ivanov (UDC). Ce projet de loi vise à supprimer une inégalité fiscale évidente. Dans bien des cas, en effet, les contrats de travail sont signés aux mois d'août ou de septembre, et il y a un laps de temps de trois, quatre, parfois même six mois jusqu'à la fin de l'année fiscale où l'enfant est sans emploi. Je vais citer l'exemple des TPG: lorsque vous avez achevé votre formation, cet employeur vous oblige à partir une année minimum, c'est-à-dire qu'il ne garde pas directement ses apprentis comme employés, et vous devez redéposer votre candidature un an après. L'enfant reste ainsi à la charge de la famille au minimum une année, voire plus. Comme ça a été dit par mon préopinant Yvan Zweifel, plus les jeunes sont âgés...
Une voix. Moins ils sont jeunes !
M. Christo Ivanov. ...plus ils coûtent, il y a une corrélation évidente. Pour toutes ces raisons, le groupe UDC refusera l'amendement du parti socialiste et votera le projet de loi tel que déposé. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole échoit maintenant à M. Vincent Maitre.
M. Vincent Maitre. Je renonce, Monsieur le président.
Le président. Bien, alors elle revient au rapporteur de minorité, M. Romain de Sainte Marie.
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Je vais répondre brièvement à M. le député Zweifel - vous transmettrez, Monsieur le président: je comprends bien son argument selon lequel il faut donner un coup de pouce au jeune dans sa transition vers le monde professionnel, car cette phase coûte à la famille, mais avec ce projet de loi, l'inégalité demeure. En effet, la famille d'un étudiant qui terminerait sa formation en janvier percevrait l'avantage d'une déduction fiscale pour les onze mois suivants ! Voilà un coup de pouce fiscal bien plus conséquent que pour la plupart des jeunes qui finissent en septembre et pour qui il est simplement de trois mois. Alors je suis d'accord avec cette idée, mais nous avons un principe d'égalité à respecter. Ce projet de loi ne le garantit pas, tandis que l'amendement, si.
M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de majorité. Certains ont parlé de 12 millions de recettes fiscales perdues, on devrait plutôt parler de 12 millions de recettes prélevées de manière indue ! Quant aux études qui se terminent fin janvier ou fin février, ce sont des cas minoritaires et on n'a pas la certitude que l'élève trouve un emploi droit derrière, il reste la plupart du temps à la charge des parents.
Un dernier élément: aujourd'hui, les Suisses qui achèvent des études s'inscrivent à l'armée et restent donc une charge financière pour la famille jusqu'à la fin de l'année. Ce projet de loi permettra de prendre en considération ceux qui font le service militaire. Mesdames et Messieurs, je vous invite à corriger cette incohérence.
Je le répète: les étudiants qui terminent fin janvier ou fin février sont vraiment minoritaires, ce projet de loi vise la majorité des familles pour qu'elles ne soient pas pénalisées. Le rapporteur de minorité n'a pas pu avancer de chiffres indiquant combien de foyers seraient concernés par des jeunes terminant les études fin janvier ou fin février, sans parler du fait qu'il n'est pas certain que ceux-ci trouvent directement un travail.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Comme pour le projet de loi précédent, le Conseil d'Etat ne partage pas l'avis de certains députés qui prétendent qu'il s'agit de cadeaux de Noël. Non, c'est une réalité, les familles font face à des difficultés, et tant l'ancien projet de loi que celui-ci tentent d'y répondre. Seulement, comme déjà exprimé, le Conseil d'Etat se trouve dans une situation dans laquelle il n'est pas en mesure de soutenir ces projets. Merci, Monsieur le président.
Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote sur l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12189 est adopté en premier débat par 95 oui (unanimité des votants).
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.
Le président. Nous sommes saisis d'un amendement à l'article 39, alinéa 2, lettre b, que vous trouvez à la dernière page du rapport. Il consiste à ajouter à la fin du texte la phrase suivante: «Cette charge est calculée au prorata du nombre de mois de formation durant l'année civile.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 55 non contre 40 oui.
Mis aux voix, l'art. 39, al. 2, lettre b (nouvelle teneur), est adopté.
Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que l'art. 2 (souligné).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 12189 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 57 oui contre 41 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)