République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 20 septembre 2018 à 20h30
2e législature - 1re année - 3e session - 19e séance
IN 165-B
Débat
Le président. Nous abordons l'IN 165-B en catégorie II, nonante minutes. Le rapport est de M. Sylvain Thévoz, qui a pris son badge et va nous rejoindre sur l'estrade. Monsieur le député, je vous donne la parole.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur. Merci, Monsieur le président. La commission des affaires sociales s'est réunie à deux reprises pour traiter de l'initiative 165. Pour rappel, cette initiative a été signée par plus de 14 000 Genevois et Genevoises. Dans un premier temps, j'exposerai brièvement la volonté des initiants telle qu'ils nous l'ont expliquée en commission. Dans un deuxième temps, je vous ferai part de la position de ladite commission.
Pour les initiants, il faut tout d'abord rappeler que la LAMal avait été proposée pour régler les problèmes posés par les caisses d'assurance-maladie. Cette solution consistait à assurer tout le monde et à laisser le choix aux assurés de changer de caisse au bout d'un an, avec un délai de trois mois pour la résiliation du contrat. Dix ans après l'adoption de ce système, la situation avait empiré: impossible de maîtriser les coûts des primes d'assurance-maladie. Selon les initiants, un projet de caisse unique et publique pourrait aujourd'hui remporter l'adhésion des électeurs. En 2002, une initiative proposant l'établissement d'une assurance cantonale de service public avait été déposée, mais celle-ci a malheureusement été refusée pour cause de non-respect du principe de l'unité de la matière. Le peuple n'a donc pas pu se prononcer sur la question d'une caisse unique cantonale à but social et l'IN 165, lancée par le parti du Travail seul, a été déposée en 2017 pour pallier ce manque.
Pour rappel, voici en quelques mots les éléments qui ont fondé le lancement de cette initiative. Trop de gens refusent de se soigner en raison de franchises trop élevées: ils économisent sur le court terme, repoussant les visites chez le médecin. Laisser le temps à la maladie de se développer plutôt que de la traiter le plus tôt possible engendre, à terme, des frais. Les frais liés aux assurances-maladie coûtent énormément d'argent au canton.
Il faut aussi rappeler que d'autres initiatives sont actuellement sur la table, en parallèle. A Genève, celle de l'Alternative demande un plafonnement des primes à 10% des revenus d'un ménage. Au niveau fédéral, il y a deux initiatives populaires: «Assurance-maladie. Pour une liberté d'organisation des cantons» et «Pour un Parlement indépendant des caisses-maladie». Vous voyez donc qu'il y a plusieurs enjeux. L'initiative 165 visait avant tout à participer à ce débat général et à l'alimenter.
Quels seraient les avantages, selon les initiants, d'une caisse cantonale ? Tout d'abord, une caisse publique cantonale permettrait une alternative aux caisses privées, qui ne sont pas transparentes quant à l'utilisation de l'argent des assurés. Cette caisse publique cantonale n'aurait pas besoin de faire beaucoup de publicité pour attirer des assurés. Le but de l'initiative et des assurances-maladie est avant tout que les gens puissent se soigner et aller chez le médecin. La visée vertueuse des initiants repose sur l'idée qu'avec une assurance cantonale à portée sociale, les gens seraient bien assurés, avec des primes accessibles, et le canton ferait donc des économies, par exemple sur les mises en poursuite. Actuellement, pour rappel, l'Etat paie pour les mauvais risques: lorsqu'un assuré ne peut plus régler ses cotisations, l'Etat, à terme, s'en charge. Et les mauvais risques sont, on le sait, les personnes âgées. Dans son principe, cette caisse d'assurance-maladie serait avant tout une assurance sociale ouverte à tous. Il faut agir contre la chasse aux bons risques.
L'initiative 165 ne propose pas de changer le système de la LAMal - elle n'en a pas le pouvoir: la LAMal est un système fédéral. Mais beaucoup de progrès sociaux ont été réalisés suite à des initiatives cantonales dont la mise en oeuvre a ensuite été généralisée à l'ensemble de la Suisse. On voit là l'effet volontairement innovant, je dirais, de cet objet: pousser, à partir de Genève, à un changement plus général. Cette caisse publique cantonale que souhaite établir l'IN 165 pourrait donc représenter une brèche - c'est comme ça que les initiants la présentent - dans le système en vigueur. D'autres cantons où les primes sont également exorbitantes pourraient ensuite imiter cette pratique genevoise; à terme, l'idéal serait d'avoir une caisse publique à l'échelle du pays. De la manière dont nous l'ont présentée les initiants, il faut donc résolument envisager l'initiative 165 comme un premier pas. Une caisse transparente, sans intérêts privés et à but social aurait un impact sur le coût des primes et amènerait, à terme, une plus grande transparence dans la gestion des caisses maladie. Pour les initiants, elle aiderait à mieux connaître le coût de la santé face à l'opacité des caisses - faisant en quelque sorte office d'agent infiltré dans ce monde opaque - et permettrait ainsi de rendre le système plus vertueux.
Pour résumer, la volonté des initiants est de créer une nouvelle caisse maladie, qui s'ajouterait aux quarante assureurs déjà admis dans notre canton à exercer dans le cadre de la LAMal, et de lutter contre l'augmentation déraisonnable des primes. Les initiants constatent que la situation empire: le montant des primes continue d'augmenter alors que ce n'est pas le cas des rentes. Les coûts liés à la maladie ne sont pas maîtrisés, et la situation profite uniquement aux assureurs. Pour les initiants - je l'ai dit - il y a un problème évident de manque de transparence des caisses; on n'arrive pas à obtenir les informations pertinentes pour établir le lien entre l'augmentation des primes d'assurance-maladie et celle des coûts de la santé. Les assurances, on le sait aussi, n'ont en principe pas le droit de faire des bénéfices sur l'assurance-maladie; pourtant, elles en font tout de même et ils sont conséquents. Les réserves constituées sur le montant des primes payées par les citoyens étaient déplacées d'un canton à l'autre - on l'a vu, c'était un scandale.
Les dépenses des caisses privées en matière de personnel ou d'immobilier sont par ailleurs fastueuses; ce n'est pas acceptable alors que les Genevois doivent, eux, se serrer la ceinture pour payer les primes. Cela détériore la qualité de vie de la population, et s'il est théoriquement possible de choisir sa caisse librement, en réalité, il n'est pas facile pour les assurés de le faire. Pour résumer cette position des initiants qui est, je pense, assez largement partagée: en établissant une caisse d'assurance-maladie cantonale à but social, ils ne veulent pas mettre en place une caisse unique - ce qui n'est pas possible puisque la législation fédérale l'interdit. Mais si elle est performante, cette nouvelle caisse cantonale pourrait faire pression sur l'offre des caisses privées pour faire baisser les primes, simplement en s'insérant dans le système existant de la LAMal et en entrant directement en concurrence avec elles. Voilà les objectifs vertueux, je dirais, des initiants.
Je vais maintenant vous donner en quelques mots la position de la commission, qui s'est grandement ralliée à la position du Conseil d'Etat. En gros, celui-ci estime que l'initiative 165 ne respecte pas, pour une partie du texte, les critères de validité d'une initiative populaire cantonale, à savoir la conformité au droit supérieur. Il l'a donc d'abord partiellement invalidée pour supprimer les termes «aux personnes domiciliées dans le canton». Pour la commission, la nouvelle caisse maladie de droit public que demande l'initiative 165 serait soumise aux mêmes contraintes légales et économiques que les quarante autres assurances-maladie reconnues sur le territoire genevois. C'est peut-être là le noeud du problème, car, en l'état actuel du droit fédéral, ladite caisse ne pourrait pratiquer l'assurance-maladie sociale qu'en concurrence avec les autres assurances-maladie. Cela reviendrait quelque part à mettre un poisson rouge, ou tout autre petit poisson, dans un banc de requins.
De plus, les conditions à remplir pour être autorisé à pratiquer l'assurance-maladie sociale sont les mêmes pour tous les assureurs, quelle que soit leur forme juridique - ou leur statut, privé ou public. Cette nouvelle caisse qui verrait le jour serait donc soumise, comme les autres caisses, à l'obligation de disposer de réserves suffisantes lors du dépôt de la demande d'autorisation de pratiquer. Il faudrait donc commencer par déposer 8 millions de francs sur la table. Dans ce contexte, il n'était guère pensable pour la commission que cette nouvelle caisse maladie puisse pratiquer des primes inférieures, ses tarifs étant soumis à l'approbation de l'autorité de surveillance à l'instar de ce qui est pratiqué pour les autres assureurs. Elle aurait des difficultés à attirer les bons risques précisément parce qu'elle serait exposée à la concurrence des autres caisses. Il lui serait difficile d'attirer autre chose que les mauvais risques, ce qui conduirait à des montants importants à payer au titre des prestations. Elle se retrouverait donc à devoir augmenter ses réserves et, par voie de conséquence, ses primes - vous voyez le cercle vicieux. Pour être crédible en tant que caisse cantonale d'assurance-maladie, elle ne pourrait pas non plus, comme le font certains autres assureurs, adopter des pratiques telles que celle du tiers garant pour l'achat des médicaments, système selon lequel les médicaments sont payés par les assurés puis l'assureur les rembourse. Bien qu'une telle caisse publique présente certainement la garantie d'une plus grande transparence, dans le cadre du droit fédéral actuel, il a semblé peu envisageable à la commission qu'elle puisse se soustraire à la spirale de l'augmentation constante des primes pour pouvoir pratiquer des primes inférieures à celles des autres assureurs du marché - c'est la volonté des initiants - et atteindre ainsi son but. Dans le contexte actuel, qui admet la coexistence d'une multitude de caisses qui se font concurrence et fixent leurs primes sur la base de leur propre intérêt, une seule caisse, aussi bien gérée et transparente soit-elle, n'est pas en mesure de lutter toute seule contre l'augmentation des primes.
Pour conclure, la commission a renoncé à formuler un contreprojet viable et pertinent. Pour une large majorité de la commission, le problème de cette initiative réside dans sa soumission au droit fédéral strict; elle ne laisse pas de marge de manoeuvre. Certes, ce texte est une initiative populaire importante; il participe au débat général sur les primes d'assurance-maladie et leur coût, mais la commission a dû constater qu'elle n'arrivait pas à proposer un contreprojet solide. Je l'ai dit et je le répète, cet enjeu, tel que la commission l'a pensé, doit se discuter à Berne et non au niveau genevois. Je vous remercie pour votre attention.
M. Bertrand Buchs (PDC). Le parti démocrate-chrétien ne va pas voter pour cette initiative ni pour un contreprojet. Il part du principe qu'il faut réfléchir à une manière de sortir enfin du système actuel; on sait que celui-ci ne fonctionne pas, et il faut trouver une autre solution. S'agissant de l'assurance-maladie, il faut changer de paradigme. Rester dans le même système, créer une assurance-maladie dans le même système, le rapporteur l'a très clairement dit, ça n'apportera strictement rien de plus par rapport à la situation que nous connaissons actuellement ! Que va-t-il se passer ? Les médecins, les physiothérapeutes, les pharmaciens, nous avions fondé une assurance-maladie à la création de la LAMal en 1996; nous avions décidé de lancer une caisse d'assurance-maladie. Nous nous sommes rendu compte que nous nous sommes fait avoir en long, en large et en travers par les autres caisses, et M. Couchepin a fermé la nôtre du jour au lendemain ! Sans raison valable, nous n'avons plus eu de caisse maladie. Pourquoi ? Parce qu'en participant au système, nous commencions à comprendre comment il marchait et nous commencions à avoir quelques doutes sur le système des caisses maladie.
Comme l'a très bien dit le rapporteur, si vous créez une caisse maladie publique genevoise, elle va recueillir tous les mauvais risques. Que va-t-il se passer si vous fixez des primes trop basses ? Les gens vont aller dans votre assurance parce que les primes y seront très basses, mais ils y iront sans réserve. Ce qui fait que vous devrez constituer des réserves en fonction des dizaines et des dizaines de milliers de personnes qui vont s'affilier à votre caisse, et l'année suivante vos primes vont augmenter. Garder des primes basses, c'est donc illusoire. La Confédération décide quelles sont les primes que vous devez pratiquer, et si vos primes sont trop basses, elle va vous demander de les augmenter. Dans le système actuel, il est donc illusoire de penser que créer une caisse maladie unique permettra aux Genevois de se faire soigner tout en ayant des primes d'assurance basses.
Le rapporteur vous a dit qu'il y a trois initiatives qui sont en discussion - deux fédérales et une cantonale - et je pense que c'est là que réside peut-être la solution, surtout dans l'initiative relative à la caisse de compensation. Elle permettrait d'obtenir de Berne le droit d'essayer d'abord de gérer les réserves au niveau cantonal, de gérer l'ensemble des primes d'assurance-maladie et de décider une prime unique pour toutes les caisses maladie en fonction du système que le patient - l'assuré - décide d'adopter.
Ce n'est pas en restant dans le système actuel qu'on va trouver une solution au problème des primes d'assurance-maladie. Il faut quand même dire aux 14 000 personnes qui ont signé cette initiative qu'elles n'obtiendront strictement rien avec ce système-là. Nous vous recommandons donc de rejeter ce texte, même s'il a un but vertueux. Il ne sert à rien de lui opposer un contreprojet puisqu'il y a d'autres possibilités, dont l'initiative de mon parti sur les coûts de la santé, et qu'elles seront soumises au peuple prochainement. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs, chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites, notamment par notre excellent rapporteur, et je ne vais donc pas les répéter. Une caisse publique cantonale, dans le cadre du système actuel, ne va pas résoudre quoi que ce soit. Elle ne va pas résoudre le problème des primes, qui resteront fixées comme à l'heure actuelle et donc soumises à cette spirale de l'augmentation des coûts; elle ne résoudra pas non plus le problème de la chasse aux bons risques ni le fait de vouloir se débarrasser des mauvais risques. Les prestations seront toujours celles fixées par la loi - là non plus, la caisse n'a pas de marge de manoeuvre.
Les socialistes veulent agir sur les primes avec le plafonnement à 10% du revenu que nous avons proposé au niveau cantonal, mais que nous allons également présenter au niveau fédéral. Et puis intervenir aussi sur le système - et sur cette espèce de fausse concurrence que l'on connaît actuellement - en permettant aux cantons d'opter pour un système différent basé notamment sur une mutualisation des réserves et une fixation d'un montant de prime unique, comme cela a été expliqué par le préopinant PDC. Les alternatives que nous proposons sont aussi une forme de réponse aux personnes qui ont signé ce texte: celui-ci ne permettrait pas d'apporter des solutions. C'est pourquoi nous rejetterons également cette initiative. Je vous remercie.
M. Patrick Saudan (PLR). Le groupe PLR fait siennes tant les conclusions du rapport du Conseil d'Etat que celles qui ont été énoncées par le rapporteur - et je souligne d'ailleurs l'excellence de son rapport. Le lancement de cette initiative est clairement le reflet de l'exaspération de la population genevoise face à l'augmentation constante des primes. Malheureusement, la solution proposée par ce texte est inadéquate pour les raisons rappelées par mes préopinants, c'est-à-dire le corset des obligations fédérales, qui font qu'une caisse publique cantonale serait totalement inopérante. Nous ne soutiendrons pas non plus un contreprojet.
Je finirai en vous disant que c'est quand même illusoire de penser que nous allons diminuer l'augmentation des coûts de la santé en changeant le système de financement. Parce que l'augmentation des primes d'assurance-maladie est quand même le reflet - même indirect, même s'il y a d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte - d'une augmentation des coûts de la santé qui est très multifactorielle. Plusieurs interventions seront donc nécessaires, à plusieurs niveaux, pour essayer de la juguler. N'agir que sur le système des primes d'assurance-maladie ne sera malheureusement pas suffisant. Je vous remercie.
M. François Baertschi (MCG). C'est l'exemple type de la fausse bonne idée ! C'est une fausse bonne idée parce que l'on crée une caisse publique au milieu d'acteurs privés, c'est-à-dire qu'on met un agneau au milieu des loups ! On ne laissera à cette caisse publique que le choix de se faire manger par le lobby des caisses maladie. J'en veux quelque part aux initiants d'avoir commis une erreur politique, c'est-à-dire d'avoir lancé ce texte pour un simulacre - un simulacre - de caisse publique, alors qu'il s'agit en fait d'une caisse privée déguisée en caisse publique puisqu'elle est soumise à la concurrence. Elle n'aura que les assurés coûteux et malades, et le plus grave, ce en quoi cette initiative est dangereuse, c'est qu'elle détourne l'attention du véritable combat: celui en faveur de l'initiative fédérale qui demande qu'on ait un système sous forme de caisse de compensation. Elle détourne aussi l'attention de l'autre initiative fédérale qui demande que les membres du conseil d'administration d'une caisse maladie ne puissent pas siéger au Parlement fédéral. Ce sont les deux axes importants qui nous permettront de changer le système. Le MCG s'oppose résolument à l'initiative 165 et déplore qu'environ 14 000 électeurs genevois aient été trompés. Nous vous demandons de véritablement vous opposer, de manière systématique et ferme, à cette initiative.
M. Marc Falquet (UDC). Cette initiative a au moins l'avantage de nourrir le débat sur le coût des primes, sur le coût de la santé et surtout sur la politique de la santé. C'est la politique préventive en matière de santé qui est à la base des augmentations régulières des coûts des soins - il ne faut pas parler des coûts de la santé mais des coûts des soins, puisque la santé n'engendre pas de coûts. Les initiants ont raison; ils ont soulevé des problèmes réels. Les gens modestes et la classe moyenne renoncent effectivement aux soins: des dizaines de milliers de personnes y renoncent car elles ont des franchises élevées.
Je ne vais pas répéter tout ce qui a été dit. Une des solutions serait d'abroger la LAMal, et là on pourrait en effet proposer des solutions cantonales qui iraient dans le sens du bien-être de la population. Elles seraient associées à une politique globale de santé publique préventive, d'éducation à la santé dès le tout jeune âge, d'éducation des parents, comme on l'a déjà expliqué maintes fois. L'UDC, comme presque tous les partis, je crois, refusera malheureusement cette initiative: si elle découle d'une bonne idée, elle ne représente pas la bonne solution. Merci.
Mme Salika Wenger (EAG). A écouter les députés qui viennent d'intervenir, nous devrions attendre un miracle fédéral; tenter quelque chose, tenter d'infléchir la politique de la santé serait totalement téméraire. Aux 14 000 signataires, tout le parlement répond: «Vous vous êtes trompés, on ne peut pas faire ça: nous allons être en concurrence avec les caisses privées !» Je vais vous dire: ce discours, c'est celui qu'on entend depuis toujours ! Depuis toujours, on nous explique qu'une assurance-santé d'Etat serait en concurrence. Pas obligatoirement ! La situation est devenue totalement intolérable depuis la LAMal ! J'aimerais rappeler à mes camarades que la LAMal ne s'est pas votée toute seule. Elle a été proposée par certaines personnes affiliées aux mêmes groupes politiques qui aujourd'hui viennent nous expliquer que la LAMal n'est pas terrible et qu'elle fait du mal. Que depuis qu'on a la LAMal, les montants des... des...
M. Rémy Pagani. Des primes.
Mme Salika Wenger. Pardon ?
M. Rémy Pagani. Des primes !
Mme Salika Wenger. Oui, les montants des primes; merci, Monsieur Pagani ! (L'oratrice rit.) Les montants des primes sont devenus absolument intolérables ! La classe moyenne et la classe populaire ne peuvent plus faire face à ce genre de politique de la santé. Si cette assurance-maladie et accidents publique sans but lucratif existait, peut-être - peut-être - aurions-nous certains avantages. Comme l'a expliqué tout à l'heure le rapporteur, il n'y aurait pas de pub, ce qui permettrait effectivement de faire des économies. On ne ferait pas de publicité, c'est très bien, mais il ne s'agirait pas seulement de ça: cette assurance ne serait pas affiliée à un groupe - à un de ces énormes groupes ! - qui de fait se fichent totalement de la santé des citoyens. Pour eux, l'obligation de s'affilier est un prétexte pour attirer vers les assurances complémentaires, qui sont plus chères.
Cette assurance nous procurerait un autre avantage: nous pourrions par exemple y affilier les fonctionnaires. L'Etat paie tous les ans 300 millions pour les personnes qui ont des difficultés à payer leur assurance. Ces 300 millions pourraient revenir dans les poches de l'Etat plutôt que de finir dans celles des assurances privées. Le canton de Genève paie et ça va dans la poche des assurances privées ! Quand on a introduit la LAMal, l'idée était de créer une assurance sur le même modèle que l'AVS, un système relativement juste, social et efficace. Et la droite a réussi à nous mettre en place un système de marché ! Couverture obligatoire - très bien - mais auprès d'une assurance privée.
Il faudra m'expliquer où se trouve la... ou plutôt justifier la raison pour laquelle la prime peut passer du simple au double d'une caisse à une autre alors que pour l'assurance de base les obligations sont les mêmes pour toutes les caisses ! Personne ne nous l'explique, et comme le disait très bien le rapporteur, le mode de fonctionnement économique des assurances est un tout petit peu opaque - c'est un euphémisme. Ce système n'est ni social ni libéral: la population est captive et les assurances absolument toutes-puissantes ! Elles décident quand elles veulent augmenter les primes et ne pas les augmenter ! L'année dernière, nous avons eu 4% d'augmentation, cette année 3%. Le journal est là, je vous ai amené la «Tribune de Genève»: nous aurons 3% d'augmentation ! Une fois de plus ! Jusqu'à quand allons-nous supporter la situation actuelle ? Supporter - personne ne la supporte plus. Mais ouvrons la discussion ! Il faut exprimer ce que nous ne voulons pas, sans se contenter de dire: «Non, votre projet est un peu faible !»
L'idée, avec cette initiative, était vraiment de dire que dans le canton de Genève, alors que nous payons un maximum, que nous avons payé des surplus - je vous le rappelle - qui ne nous ont jamais été remboursés... C'était trop compliqué de rembourser ! Par contre, ce n'est pas compliqué de venir prendre l'argent dans les poches des assurés ! Il se peut que ce texte ne soit pas compatible avec le droit supérieur, et patati et patata; ça, ce sont des discussions de techniciens ! Là, je parle de la base ! Et les gens de la base, des gens comme moi et comme plein d'autres, trouvent que les primes d'assurance que nous payons aujourd'hui ne correspondent en rien à la réalité de la santé. Ce n'est pas le coût de la santé qui est prohibitif, ce ne sont pas les coûts des médicaments, mais tout simplement le coût des primes d'assurance qui font qu'un citoyen normal ne peut pas se sentir normalement assuré aujourd'hui - travaillant ou pas, homme ou femme, peu importe. Ce système n'est plus valable, tout le monde le sait, et cet objet est un signal d'alerte pour dire que ce n'est plus acceptable.
L'initiative a été signée par 14 000 personnes et je pense que ce serait faire preuve d'un minimum de respect que de leur dire que nous soutenons leur révolte, que nous soutenons leur appréciation de la situation. Et que même si ce texte n'est pas vraiment compatible avec la loi, nous sommes d'accord avec cette lutte et avec cette discussion ! Or là, tout le monde a refusé ! Vous avez tous refusé ! Tout le monde recule et se met à plat ventre devant qui ? Devant les assurances privées ! (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Madame. Je rappelle aux députés que nous ne pouvons pas prendre de boissons à l'intérieur de la salle: c'est une exigence de ceux qui nous la prêtent. Pendant que vous réfléchissez à cela, je passe la parole à Mme la députée Frédérique Perler.
Mme Frédérique Perler (Ve). Merci, Monsieur le président. S'agissant de cette initiative, je relève qu'un certain nombre de citoyens - 14 400 personnes - se sont mobilisés pour proposer une solution. Je crois qu'on ne peut pas ignorer ce cri de colère de la population qui en a tout simplement assez de payer des primes beaucoup trop importantes, beaucoup trop chères, par rapport à son budget. Sans rappeler tout ce qui a été dit sur la non-conformité au droit fédéral, etc., le seul avantage que nous, les Verts, trouvions dans cette initiative, c'est qu'elle a le mérite d'offrir un peu plus de transparence quant aux coûts d'une caisse maladie. Ça, c'est important. Hélas, Mesdames et Messieurs les députés, bien que cet objet soit a priori assez séduisant, il faut bien constater qu'en l'appliquant, nous nous retrouverions finalement dans une impasse. Mais il s'agit tout de même de tenir compte du fait que 14 400 personnes ont signé l'initiative et qu'elles attendent une réponse de notre parlement - et même du Parlement fédéral. Cette initiative pose des questions cruciales, des questions très importantes, et on ne peut pas ignorer toutes ces personnes qui se sont mobilisées en sa faveur.
Ce que je relève maintenant, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, ce sont les paroles du MCG, que nous considérons comme irrecevables, à savoir que les initiants ont commis une erreur politique. Ça, c'est irrecevable ! Ils n'ont pas commis d'erreur politique; ils ont le mérite, en tant que citoyens, d'avoir fait une proposition. Même si elle n'est pas adéquate, même si elle n'est pas totalement réaliste, une proposition a été faite ! Dire que c'est une initiative dangereuse et qu'elle masque le véritable combat à mener est d'une hypocrisie crasse car l'on sait bien que nos députés au Parlement fédéral ne sont pas vraiment pressés d'agir à ce sujet. C'est outrageant, Monsieur le président, de dire que ces 14 400 électeurs ont été trompés; ces 14 400 électeurs ont les pieds sur terre et savent très bien ce qu'ils font. Quand ils signent un texte, ils se renseignent ! C'est outrageant pour eux ! Par conséquent, les Verts continueront à s'abstenir sur cette initiative, comme ils l'ont fait en commission. Car la refuser, c'est nier la mobilisation de tous les signataires, et l'accepter n'est vraisemblablement pas réaliste. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est de nouveau à M. le député Cyril Mizrahi, pour cinq minutes vingt au maximum.
M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, j'aimerais revenir sur un certain nombre de choses qui ont été dites; on a l'impression que la majorité de ce parlement est d'accord pour refuser ce texte, mais il y a quand même des désaccords politiques que j'aimerais souligner. Mon collègue Falquet - vous transmettrez, Monsieur le président - nous dit qu'il suffirait d'abroger la LAMal. Mais qu'y avait-il avant la LAMal, Mesdames et Messieurs, chers collègues ? Un système d'assurance privée qui n'était pas obligatoire, soit une logique comme celle des Etats-Unis, où des gens ne sont pas assurés et n'ont donc pas accès aux soins, même si c'est un peu moins le cas maintenant. Bien sûr que la LAMal est très imparfaite, bien sûr que la LAMal fait mal - on l'a dit - mais pas de LAMal pourrait faire plus mal encore, si vous me permettez la formule !
Reste un problème central dans cette LAMal, et je prends là le contrepied de ce qui a été dit par M. Saudan - vous transmettrez, Monsieur le président: selon lui, ce n'est pas seulement une question de montant des primes et de proportion par rapport au revenu, c'est aussi une question de coût des soins. Oui, c'est bien une question de coût des soins, mais la question des primes est néanmoins tout à fait centrale dans la LAMal puisque la fixation des primes se fait par tête. Cela signifie que, hors les aides de l'Etat, on paie exactement le même montant qu'on soit riche ou qu'on soit pauvre. L'augmentation du coût des soins a donc forcément un impact extrêmement différent selon le revenu. Je crois qu'il est maintenant démontré et admis que cette augmentation du coût des soins - mais aussi des primes, c'est pour ça qu'on parle en général de coûts de la santé même si, comme l'a dit mon collègue Falquet, le terme est impropre - a un impact fondamentalement différent selon le revenu. Les personnes à revenus bas à moyens renoncent aux soins, ce à quoi contribue le système des franchises et des quotes-parts. Ce système ne pousse pas à la responsabilisation parce que les personnes avec de hauts revenus ne sont évidemment que marginalement touchées, voire pas du tout. Les personnes à bas revenus sont par contre massivement touchées et renoncent à se soigner.
Certes, ce qui est arrivé récemment dans les Grisons et dont la presse s'est fait l'écho... Pour rappel, une personne atteinte du VIH n'a pas été soignée parce qu'elle était en défaut de paiement. Elle n'a pas du tout eu accès aux soins parce qu'on disait que ce n'étaient pas des soins d'urgence. Et cette personne a fini par mourir ! Certes, d'après les indications qu'on a eues à la commission des Droits de l'Homme - il y aura un rapport sur cette question - ce cas ne pourrait vraisemblablement pas se produire dans le cadre du système genevois. Mais c'est quand même un signal alarmant, qui doit nous préoccuper, par rapport à la question fondamentale de l'accès aux soins dans notre pays. C'est pourquoi on doit agir pour réformer le système; simplement, cette initiative n'est pas la bonne manière de faire. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Pour une minute dix-sept, je passe la parole à Mme la députée Jocelyne Haller.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je prends la parole pour insister sur un aspect: les 14 400 personnes qui ont signé cette initiative ont poussé un véritable cri de colère et d'exaspération à l'égard des caisses maladie ! Elles ont dit leur ras-le-bol à l'égard des caisses maladie, qui pompent littéralement le budget d'une grande partie des ménages de notre canton ! Elles ont en partie réitéré l'opinion exprimée par les électeurs, qui ont accepté la caisse unique dans notre canton ! Vous pouviez entendre dans le tram, à l'époque de la récolte des signatures, des gens qui disaient: «Tu as signé l'initiative sur la caisse maladie ?»
La population porte véritablement un grand intérêt à ces questions - c'est un point auquel nous devons être particulièrement sensibles. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) La mainmise des lobbies des caisses maladie sur cette problématique, le fait que la LAMal ne soit plus une assurance sociale puisqu'elle est soumise aux lois du marché, qui sont impitoyables, ne sont plus acceptables aujourd'hui. C'est cela que les signataires ont remis en question ! Pour ces raisons, nous pensons important, quelle que soit la fragilité du dispositif prévu, de donner un signal positif à ces 14 400 personnes. C'est pourquoi nous avions accepté ce projet en comité...
Le président. C'est fini, Madame la députée.
Mme Jocelyne Haller. Je vais terminer, si vous permettez !
Le président. Non, je ne permets pas: c'est fini, je suis désolé.
Mme Jocelyne Haller. Le groupe Ensemble à Gauche... (Le micro de l'oratrice est coupé. Remarque. Applaudissements.)
Le président. Merci, la parole est à M. le député Daniel Sormanni.
M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, Mme la députée Salika Wenger a raison sur le diagnostic - vous transmettrez, Monsieur le président: ces primes deviennent insupportables. Mais elle a tort sur la solution ! La solution n'est pas de créer une caisse cantonale qui sera confrontée aux mêmes problèmes que ceux que nous connaissons aujourd'hui avec les caisses privées. Elle fixera peut-être des primes sociales la première année, mais l'année d'après elle aura capté tous les mauvais risques - tout le monde voudra aller là où c'est le moins cher, c'est normal - ne pourra plus assumer ses obligations et va faire exploser ses cotisations. Ou bien alors il faudra faire payer ça par le budget de l'Etat; je vous laisse imaginer si c'est possible. Ce n'est pas possible ! Ce n'est pas raisonnable ! C'est une mauvaise initiative, et je pense que les 14 000 personnes qui l'ont signée n'ont pas compris les enjeux. Elles n'ont pas compris qu'une caisse cantonale soumise aux mêmes règles que les caisses privées nous mènerait dans une impasse !
La solution est ailleurs, et c'est là qu'il faut concentrer les efforts: en signant les initiatives fédérales. La première demande une liberté d'organisation des cantons de façon à leur donner du pouvoir pour créer ces caisses de compensation, ce qui permettra d'avoir de la transparence et de contrôler les coûts. Et puis la deuxième initiative veut dire stop à ces lobbyistes à Berne en interdisant à tous ceux qui de près ou de loin sont rémunérés par les caisses de siéger au Parlement fédéral. Et là, on pourra peut-être changer la LAMal et l'améliorer, et faire en sorte qu'on arrête cette course, cette spirale sans fin des coûts qui met à mal tous ceux qui ne parviennent plus, ou de moins en moins, à payer leur assurance-maladie. Le paiement des primes se fait d'ailleurs partiellement aux frais de la Confédération et des cantons qui aident une grande partie de nos contribuables, et toujours plus chaque année. Il y a donc bel et bien un problème et je pense que c'est là qu'il faut agir: il faut signer ces initiatives fédérales qui permettront de corriger le tir ! Parce que tant qu'on ne pourra pas changer ou améliorer la loi fédérale, on sera pris dans cette tourmente !
Votre caisse cantonale ne tiendra pas plus de deux ans et elle aura mis à mal les finances du canton, qui sont déjà bien mises à mal ! Je crois que vous faites fausse route, Mesdames ! (Remarque.) Oui, justement; joli jeu de mots ! C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de rejeter cette initiative, mais de soutenir les initiatives fédérales qui circulent, seules à même de résoudre ces problèmes. Je vous remercie de suivre les mots d'ordre du MCG. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je signale que le temps de parole est calculé sur cent vingt minutes au lieu des nonante prévues parce que l'ordinateur est configuré ainsi. Je vous interromps donc à la seconde près, mais il est vrai que ça ne correspond pas exactement à ce qui est affiché sur l'écran devant vous. Quoi qu'il en soit, je passe maintenant la parole à M. le député Marc Falquet.
M. Marc Falquet (UDC). Merci, Monsieur le président. Cette initiative a été signée par 14 400 personnes, mais ce sont 500 000 personnes qui, à Genève, sont vraiment fâchées de cette LAMal ! Toutes les solutions que vous allez proposer sont des emplâtres sur des jambes de bois. La seule solution, c'est l'abrogation de la loi sur l'assurance-maladie. Avant son adoption, il n'y avait effectivement pas d'obligation de s'assurer mais il y avait dix fois moins de gens qui ne payaient pas leurs primes ! (Remarque. Rires. Commentaires.) Exactement ! Les gens payaient leurs primes ! Maintenant, les gens ne paient plus leurs primes - si on continue comme ça, c'est clair que dans dix ans, elles s'élèveront à 1000 F par mois ! Aucune initiative, quelle qu'elle soit, ne va empêcher l'augmentation des primes, parce que c'est le système qui veut ça: abrogeons donc la LAMal et façonnons-en un nouveau qui puisse donner satisfaction à la population au niveau cantonal, avec une politique de santé globale. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. On va peut-être abroger la LAMal, mais faites attention à ne pas abroger le micro ! Merci de ne pas toucher les micros, s'il vous plaît: on n'est pas obligé de les gifler ! Je passe la parole à M. le député Patrick Saudan.
M. Patrick Saudan (PLR). Merci, Monsieur le président, ce sera très bref. Je vous prie de rappeler à M. Cyril Mizrahi que l'Etat de Genève a une politique relativement redistributive par rapport aux primes d'assurance-maladie: 40% des Genevois touchent des subsides. Ce poste est l'un des plus importants de notre politique sociale, il représente à peu près 340 millions. L'Etat genevois assure donc une politique redistributive dans la mesure de ses moyens. Merci.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, nous passons au vote sur la prise en considération de cette initiative.
Mise aux voix, l'initiative 165 est refusée par 60 non contre 9 oui et 19 abstentions.
Le président. Je mets maintenant aux voix le principe d'un contreprojet.
Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est refusé par 90 non et 2 abstentions.