République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 31 mai 2018 à 17h
2e législature - 1re année - 1re session - 7e séance
Discours de Saint-Pierre
Discours de Saint-Pierre
Discours du président du Conseil d'Etat
M. Pierre Maudet, président du Conseil d'Etat. Depuis plus de sept siècles, le gouvernement de Genève prête serment sous les voûtes tutélaires de cet édifice majestueux. Le Conseil d'Etat connaît la valeur de l'histoire. Il n'ignore pas les combats pour la foi, pour les franchises, pour la liberté et pour l'indépendance. Il sait les vertus de l'alliance fédérale. L'union est rassurante. Elle procure la sécurité. Elle projette vers l'avenir. Elle suscite autant la force que l'espoir.
En ce jour de cérémonie républicaine, le gouvernement appelle à une alliance renouvelée. Entre le peuple et les autorités. Entre les trois pouvoirs. Entre tous les échelons institutionnels; les communes, le canton, la Confédération. Avec, aussi, la région. Et entre les partis, qui doivent gouverner en coalition. Nous rechercherons cette alliance, pour le bien de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Nous nous engageons à perpétuer les valeurs inscrites dans la constitution. Avec elles, nous proclamons que le peuple de Genève reconnaît son héritage humaniste, spirituel, culturel et scientifique, ainsi que son appartenance à la Confédération suisse. Ce propos éclaire la souveraineté du peuple, ce qui rend humble. Il souligne la valeur de l'héritage, ce qui rend redevable. Il oblige aussi à voir loin.
Mesdames et Messieurs, oui, nous avons la charge d'un héritage puissant. L'héritage, c'est ce que l'on reçoit et c'est ce que l'on transmet. Le détenteur a charge de faire fructifier le bien, de le développer et de l'améliorer. Cela permet de bâtir l'avenir. Un jour, les générations suivantes le recevront à leur tour. Au sens propre, elles devront en bénéficier. Dans «bénéfice», il y a «bienfait». Agir pour le bien: la métaphore illustre l'art et le devoir de la bonne gouvernance.
Cet héritage, c'est par exemple la concrétisation du Léman Express, ses nouvelles gares et ses nouveaux quartiers qui sortiront de terre. Dans moins de deux ans, Genève aura changé d'échelle. Une nouvelle artère irriguera le coeur de l'agglomération. Il nous reviendra d'accompagner cette réussite d'une politique des transports forte, qui donne un élan durable aux déplacements non polluants. Il nous reviendra de convaincre la Confédération de l'importance et de l'urgence de compléter le Léman Express d'un réseau de lignes de tram enrichi. Celui des Nations d'abord, mais aussi les lignes transfrontalières. C'est avec nos partenaires de la région que nous avons obtenu le Léman Express, l'élargissement de l'autoroute de contournement, la future route des Nations. C'est à leurs côtés que nous entendons nous battre pour renforcer encore la mobilité dans toute l'agglomération.
Les bornes aujourd'hui ne sont plus des barrages. Elles sont des témoins. Le Grand Genève se concevra comme une géographie de l'esprit qu'il s'agira de réinvestir. Ce qu'il convient de déplacer, ce sont les limites mentales. Pour que la frontière, pour que l'aéroport aussi qui la jouxte, cesse d'être une coupure, pour devenir une couture.
Notre héritage, ce sera, dans le même délai, l'ouverture de la Nouvelle Comédie et du nouveau Théâtre de Carouge, ainsi que le retour en ses murs restaurés du Grand Théâtre de Genève. La cité doit s'enorgueillir d'avoir placé tant d'ambitions dans ses lieux de culture. Il appartiendra aux autorités, municipales ou cantonales, de leur offrir le cadre législatif et budgétaire qui leur permettra d'enrichir le dialogue et la réflexion sur le vivre-ensemble. Il en ira de même pour la Cité de la musique, que de généreux mécènes offrent, sur la rive droite. Elle ajoutera au rayonnement culturel de Genève et de toute la Suisse romande. On ne peut pas évoquer Genève sans saluer la richesse de ses scènes et de ses créateurs, nourris de toutes les influences.
Notre héritage, ce sont des infrastructures hospitalières de pointe, qui garantissent à chacune et à chacun l'accès à des soins de qualité et qui attirent les meilleurs spécialistes et chercheurs. Cette qualité a un coût, mais celui-ci doit rester supportable pour notre collectivité. Sa maîtrise reste une priorité. Elle appelle une politique sanitaire non seulement repensée, mais créative.
Notre héritage, ce sont des hautes écoles parmi les plus performantes du globe, du campus de Battelle à celui de la HEAD, en passant par le CMU et la Maison de la paix qui préfigurent la rénovation du bâtiment historique de l'Université aux Bastions. Cet héritage nous fonde à penser une politique de recherche ambitieuse. Genève est déjà le laboratoire où le monde explore l'infiniment petit, au campus Biotech ou au CERN, qui en même temps atteint l'infiniment grand. Le CERN qui s'apprête à accueillir, d'ici une décennie, un nouvel accélérateur, un anneau de 100 kilomètres de circonférence.
Notre héritage, c'est une école capable de répondre aux défis du numérique, mais sans négliger pour autant la maîtrise des savoirs de base. C'est la voie vers l'autonomie. Il faut oser repenser ou renforcer le système, s'il ne répond pas aux besoins. Chaque enfant, chaque jeune doit trouver sa place. Un jeune, un diplôme, un avenir: voilà un autre défi. Nous l'assumerons. Dès la rentrée scolaire 2018, la formation sera obligatoire jusqu'à 18 ans. Il s'agit d'un changement constitutionnel historique et fondamental en matière d'instruction publique. La Suisse nous regarde. Notre canton refonde les pratiques; il fait bouger les lignes; il institue un nouveau pacte, à l'avant-garde de l'humanisme du XXIe siècle.
Mesdames et Messieurs, notre héritage, c'est une Genève internationale dont, il y a cinq ans encore, on annonçait l'érosion. Nous bénéficions d'un pacte renouvelé entre la Ville, le canton, la Confédération et l'ONU, grâce auquel nous verrons ces prochaines années la rénovation et l'extension des principaux bâtiments des organisations internationales. Il nous appartient de faire vivre cet héritage, aussi dans le sens du développement durable. Genève est la capitale mondiale des observations sur le climat, dont l'évolution menace la stabilité du monde entier. Nous développerons le potentiel né de ce statut. Durant cette législature, nous entendons placer Genève et la Suisse au coeur de l'action environnementale des Nations, au même titre que nous plaçons déjà l'environnement au coeur de nos préoccupations locales. La préservation de la qualité de vie de notre canton, si harmonieux avec son lac, ses forêts, ses villages et ses villes; cet équilibre et la préservation des ressources naturelles n'est plus seulement un objectif, c'est une exigence. Nous bâtissons beaucoup pour l'habitat, pour la vie sociale, mais dans le respect strict du territoire et de son équilibre d'autant plus délicat qu'il est restreint.
Notre héritage, grâce aux efforts de notre population et de nos prédécesseurs, c'est aussi une dette allégée d'un milliard de francs en quatre ans, malgré des investissements considérables. Cela reste fragile. Il nous faut une économie forte si l'on veut poursuivre. Une économie saine crée des emplois et génère de la richesse au profit de toute la Suisse.
Et pourtant, le chômage persiste. Notre responsabilité, c'est de refondre nos politiques de formation et d'emploi, pour que nos habitants, prioritairement, quel que soit leur âge, y trouvent leur place. Trop de personnes parviennent en fin de droit au chômage sans avoir retrouvé un emploi. Trop de temps s'écoule aussi avant la réinsertion des bénéficiaires de l'aide sociale. Trop peu de personnes relevant de l'asile ont trouvé à Genève un emploi et, avec cet emploi, la dignité de contribuer à la prospérité commune. La classe moyenne s'érode. Le rôle de l'économie ne se limite pas à générer de la croissance et des recettes fiscales. Il lui revient d'offrir à nos habitants, par le travail, la fierté, la dignité et le lien social.
Avec ses atouts, Genève doit devenir le laboratoire où les technologies d'aujourd'hui fondent le bien-être de demain. L'économie et la société évoluent. L'intelligence artificielle, la blockchain, les monnaies numériques, le big data effraient. Mais il ne faut pas craindre le mouvement ! Il faut l'accompagner pour mieux le maîtriser. Genève doit en devenir un pôle mondial pour que la quatrième révolution industrielle, comme les précédentes, crée plus d'opportunités que de menaces. La gouvernance d'internet, la protection des données, la formation de toutes les générations aux enjeux numériques sont les clés d'un avenir où l'humain conserve la maîtrise de son destin. Genève, lieu des Digital Talks, doit être le lieu où ces enjeux se négocient. Il en va de la sécurité de notre société, au plan immatériel comme au plan matériel, que nos forces de l'ordre assurent avec dévouement, dans nos rues comme sur les réseaux numériques.
Et l'héritage bien sûr doit aux aînés. C'est une évidence. Il en est une autre que la vie s'allonge. La population vieillit. En 1900, la durée de vie moyenne restait inférieure à quarante ans. En 1947, elle ne dépassait pas septante ans. En un siècle, la durée de vie a été doublée. C'est une bonne nouvelle et c'est un héritage de plus d'un siècle de progrès médical. On jugera plus tard notre société à sa capacité à répondre au défi de cet allongement de nos vies.
Mesdames et Messieurs, en rendant sa confiance aux partis qui ont fait ce canton durant le siècle passé, le peuple nous demande de chercher l'entente et le dialogue. Il est fatigué des luttes stériles. Les illusionnistes ne font plus recette. Le peuple veut que ses autorités travaillent. Qu'elles négocient. Qu'elles s'entendent. Qu'elles dépassent les dogmes. Qu'elles adoptent, à l'image de notre Confédération, une unité de style de nature à transcender les différences.
L'abstentionnisme nous interpelle. Il témoigne à la fois de l'amertume, terreau des révoltes, et de l'indifférence, poison de la cohésion sociale. La démocratie s'entretient méthodiquement. La nôtre est une chance. Le rééquilibrage des forces politiques doit être compris comme l'expression d'une volonté de conjonction, et non de confrontation, que seule la qualité de notre réponse permettra de confirmer.
A nous de rétablir le pacte. James Fazy professait que passer d'un régime patricien à un régime démocratique exige de s'atteler à construire une conscience collective. La conscience collective naît du compromis, patiemment élaboré. Le peuple n'attend pas de son gouvernement qu'il reproduise les divergences qui fissurent la société. Il nous désigne au contraire pour les dépasser.
Nous sommes conscients de l'enjeu. Ce modèle de pacte, notre canton l'a testé avec Papyrus. Limité dans le temps et assorti de cautèles strictes, ce programme de régularisation de travailleurs et de travailleuses sans papiers a bénéficié de l'intelligence des syndicats et de la clairvoyance des employeurs. Cet acte de justice sociale doit à l'ouverture des frontières mentales et à l'abandon des postures de principe. Pour le fond, il faut voir là la genèse d'une nouvelle grammaire du bien commun. Pour la forme, il faut voir aussi et surtout une méthodologie qui dépasse les clivages et délivre à ce titre de précieux enseignements.
Le contrat social porte enfin sur le territoire et sur le logement, qui doit rester abordable. Depuis 1957, ce pacte fondateur repose sur l'attribution, dans les zones de développement, de droits à bâtir aux constructeurs privés en échange de leur engagement à construire pour toutes les catégories de la population. Le Conseil d'Etat entend préserver cet équilibre et le concrétiser prochainement encore dans le secteur Praille-Acacias-Vernets, le PAV, ce nouveau centre de la cité que nous laisserons à nos enfants comme la preuve de la vision claire de leurs parents. Ce projet, parmi les plus ambitieux d'Europe, va remodeler Genève.
C'est sur de telles bases - lever les barrières, briser les tabous et changer les codes - que le canton de Genève doit renouveler son contrat social. Ce modèle d'innovation politique vaut exemple, tant pour le contenu que pour la méthode.
Mesdames et Messieurs les députés, chers invités, en huit ans, les dépenses sociales ont crû trois fois plus vite que le rendement de l'impôt, qui a lui-même augmenté substantiellement. Il nous appartiendra de refonder la politique d'insertion sociale pour que personne ne se sente abandonné par la croissance.
La fiscalité doit refléter un développement économique régional durable qui sache maîtriser sa croissance. Notre idée centrale, c'est que l'économie privée constitue le pivot de toute action publique, parce qu'elle en garantit la viabilité. C'est pour cela que nous devons soutenir nos petites et moyennes entreprises et nos entreprises en général, dont la contribution finance les dépenses sociales. Le Projet fiscal 17 s'inscrit dans cette ligne. Cette réforme doit stimuler la création, l'emploi et la recherche. Comme le veut le droit international, les statuts fiscaux spéciaux seront abolis. Cela signifie enfin l'égalité de traitement entre toutes les entreprises.
En retour et comme le canton voisin l'a déjà fait, nous entendons adapter le taux d'imposition des entreprises. Le contrat social, c'est la conscience collective de notre responsabilité de trouver de nouveaux équilibres économiques. C'est peut-être l'oubli de cette réalité qui a conduit, à Berne, le projet initial dans une impasse. Un oubli que le Parlement fédéral semble vouloir corriger, au profit, là aussi, d'un pacte entre les partis.
La constitution suisse rappelle dans son préambule que «la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres». Il faut lire la formule entièrement. Dans la même phrase, l'auteur dit aussi que «seul est libre qui use de sa liberté».
Alors, soyons libres ! Libres de changer nos façons de faire ! Libres de relever autrement les défis qui nous font face ! Libres de travailler ensemble, en binômes, en délégation ou encore en collège, pour trouver en la résultante de nos forces l'esquisse de nouvelles solutions ! Nous posons aujourd'hui l'enjeu à travers ce discours; nous le confirmerons dans notre programme de législature et nous vous inviterons, Mesdames et Messieurs les députés, à le matérialiser dans un nouveau «contrat de législature», un contrat qui devra, à la fin de cette année déjà, sceller une vision commune de notre destinée immédiate.
Le contrat social dont nous parlons exige de ce gouvernement qu'il aille au-devant de la population. Un contrat social affirme la souveraineté du peuple. Celle-ci doit être reconquise. Dans les prochains mois, la population tout entière sera invitée à participer à une démarche prospective visant à définir la Genève que nous voulons en 2050.
La nature de Genève, et en même temps sa grandeur, c'est l'union de ses diverses appartenances, géographiques et culturelles, toutes combinée à l'expression raisonnée d'un projet politique incarnant une volonté commune. Cette volonté se fonde sur un système de valeurs intangibles qui entraîne un sentiment d'appartenance, de fierté et de confiance, dont la laïcité de l'Etat, récemment réaffirmée par le Grand Conseil, est la première garante.
Chers Confédérés, Genevois et étrangers, résidents ou de passage, de l'infiniment petit jaillit l'infiniment grand. De l'esprit vient l'audace et le discernement. De l'union naît la force et l'espoir. Débattons sereinement. Avançons conjointement. Agissons résolument. Vive Genève ! Vive la république ! Vive la Suisse ! (Applaudissements.)
(L'ensemble baroque Chiome d'Oro interprète Ciaccona de Tarquinio Merula.)