République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 avril 2018 à 14h
1re législature - 4e année - 14e session - 80e séance
P 2025-A
Débat
Le président. Nous traitons maintenant la P 2025-A. M. Norbert Maendly, rapporteur, ne souhaite pas s'exprimer. La parole est demandée par M. Riedweg à qui je la passe.
M. Bernhard Riedweg (UDC). Merci, Monsieur le premier vice-président. Il est étonnant d'apprendre que 2285 personnes ont signé cette pétition: celle-ci concerne essentiellement le village de Puplinge qui comptait 2401 habitants en 2017. Il faut savoir que les propos ressortant de cette pétition sont largement exagérés; habitant depuis trente-deux ans dans le village de Puplinge - dont dix-sept ans passés au sein du Conseil municipal - je ne m'identifie pas à ce texte. Bien évidemment que si la prison avait été construite ailleurs dans les années septante, les Puplingeois et l'image de leur village en seraient quelque peu rehaussés.
Les demandes des signataires aux autorités cantonales et nationales ont déjà été traitées par le biais de nombreuses pétitions et motions. Les nuisances sonores ont été bien atténuées par le remplacement des fenêtres et les détenus ne peuvent plus se faire entendre par la population et les promeneurs. Les nuisances lumineuses ne dépassent plus celles du village de Puplinge, qui dispose de réverbères standards. Contrairement à ce que mentionne la pétition, la rivière de la Seymaz n'a jamais été une poubelle alimentée par les détenus qui sont libérés, étant donné que ceux-ci ressortent de l'établissement pénitentiaire avec le strict nécessaire et après s'être restaurés. Les annexes de la pétition montrent des photos de divers animaux sauvages et d'oiseaux, que l'on aperçoit plutôt au zoo du bois de la Bâtie que sur les terrains des communes de Choulex - qui abrite un cinquième de la prison - et de Puplinge. Pour construire Les Dardelles, il faudra effectivement démolir certaines cahutes érigées avec les moyens du bord, ce qui dérange les quelques résidents occasionnels qui vivent là dans un confort précaire. Le dépôt de cette pétition est recommandé par les membres de la commission. Merci, Monsieur le premier vice-président.
M. François Lefort (Ve). Pour être précis, le dépôt est demandé par une majorité de cette commission puisque c'est ce qui a été majoritairement accepté lors du vote, alors que le renvoi au Conseil d'Etat s'est soldé par une égalité des voix, ce pour quoi il a été refusé. C'est pour cela que je prends la parole, Mesdames et Messieurs les députés: pour vous demander, ici, de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Je remercie mon préopinant, M. Riedweg, d'avoir fait un aimable complément au rapport par ailleurs particulièrement fin sur cette pétition, témoignage d'une séance extrêmement courte consacrée au traitement de cet objet. Un traitement un peu court et un peu méprisant, disons, pour les 2285 signatures réelles qui - forcément, Monsieur Riedweg - n'émanent bien sûr pas que d'habitants de Puplinge !
Ensuite, j'ai noté qu'un commissaire PLR déclarait que ce sujet - Les Dardelles, puisque c'est en fait de la prison des Dardelles que l'on parle - a été évoqué un grand nombre de fois à travers l'analyse des besoins, le traitement des projets, etc., à la commission des visiteurs officiels du Grand Conseil et à la commission des travaux. Eh bien non, il a été évoqué grâce à une motion que les Verts, le PDC, l'UDC et les socialistes ont déposée dans le cadre d'un projet de loi du parti socialiste qui se trouve à la commission des travaux. Nous allons par contre le traiter bientôt puisque le projet de loi ouvrant un crédit d'investissement pour Les Dardelles a été déposé lors de cette session et renvoyé hier à la commission des travaux.
Maintenant, de quoi parle-t-on ? J'ai entendu M. Riedweg se référer à la pétition. La pétition dit tout simplement: «Tous ensemble protégeons notre nature et sa biodiversité. Dans le cadre d'un projet carcéral gigantesque, une zone agricole de 107 934 m2, longeant la Seymaz, va être anéantie pour laisser place à la plus grande infrastructure pénitentiaire d'exécution de peine en Suisse. Cette zone composée de champs, de cultures et de jardins, riche en arbres, dont certains centenaires (chênes, arbres têtards, hêtres rouges, conifères, fruitiers, etc.), abrite une incroyable faune (blaireaux, chevreuils, renards, lièvres, hérissons, chauves-souris, etc.), sans oublier la grande variété d'oiseaux, de batraciens, d'amphibiens et de serpents. Protégeons notre nature, refusons de la sacrifier, elle le mérite. C'est notre oxygène et celui de nos enfants.» Ça, c'est le premier paragraphe de la pétition, que je vais vous lire intégralement.
«Tous ensemble refusons ce projet démesuré et dévastateur. Ce projet de prison, de plus de 10 hectares, s'étendrait dans le prolongement des prisons existantes, Champ-Dollon, Favra, La Brenaz (1 et 2) et Curabilis. Ces quatre lieux de détention ont déjà fait l'objet d'un intense défrichage et déboisement sur la commune de Puplinge. Cet imposant édifice transformerait notre commune en une véritable cité carcérale. Près de 2000 personnes vivraient au sein de ces établissements, soit autant que les habitants du village de Puplinge.
«Tous ensemble refusons le coût de 227 millions de francs pour la prison des Dardelles. Il ne faut pas omettre d'ajouter à ces 227 millions le coût de fonctionnement annuel de 64 millions ainsi que la rénovation prévue de la prison de Champ-Dollon pour un budget annoncé de 190 millions. Tout cela est absolument démesuré, tant en SUPERFICIE qu'en MILLIONS.
«Tous ensemble refusons que la campagne de Puplinge devienne une vaste cité de détention pénitentiaire et disons NON à une 5e prison sur le territoire genevois. Des terrains déclassés, libres de construction, existent dans d'autres cantons romands et pourraient accueillir ce projet pour la construction d'une prison INTERCANTONALE.
«En signant cette pétition, vous faites savoir au Grand Conseil de l'Etat de Genève que vous êtes en désaccord avec ce projet carcéral et que vous êtes pour la sauvegarde de notre environnement.»
Voilà donc le texte littéral de cette pétition que nous soutenons et que nous vous demandons de renvoyer au Conseil d'Etat. Peut-être que la majorité, en plénière, ne sera pas la même qu'en commission. Merci. (Applaudissements.)
M. Jean-François Girardet (MCG). Au cours des travaux de la commission des pétitions, le MCG s'est déterminé pour le renvoi de ce texte au Conseil d'Etat. Les arguments développés tout à l'heure par M. le député Lefort reprennent textuellement ceux qui ont été approuvés par presque une majorité de commissaires puisque le vote était de sept pour et sept contre. Après que le renvoi au Conseil d'Etat a été refusé, nous nous sommes abstenus pour éviter que cette pétition ne soit classée. Je vous encourage donc à suivre les arguments qui ont été développés, notamment pour protéger la nature et la biodiversité tous ensemble, pour également protéger la zone agricole et pour écouter les pétitionnaires qui sont sur place et tiennent à ce qu'on prenne en compte leur opinion quand on construira Les Dardelles. Pour ces raisons, nous vous enjoignons de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, je suis extrêmement choqué par les propos que j'ai entendus de la bouche du représentant de l'UDC. D'une part, cette pétition exprime un souhait des habitants d'un certain périmètre, évidemment aussi de personnes qui connaissent le périmètre ou qui connaissent des habitants de ce périmètre. L'UDC n'arrête pas de nous dire, durant cette campagne électorale, qu'il veut un canton de Genève bien dimensionné, qu'il faut arrêter la démesure, la croissance excessive. Et qu'est-ce que nous avons ici ? Une pétition qui demande de revenir sur un projet pénitentiaire pharaonique, démesuré. Tous les chiffres le prouvent: aujourd'hui, les besoins en matière d'exécution des peines pour les détenus genevois sont de maximum 250 places et pas de 450 !
En plus, Monsieur Riedweg, vous aimez bien nous dire, à l'UDC, qu'il faut faire des économies, compter les sous, faire attention, ne pas dépenser inutilement. Et là, que faites-vous ? Vous proposez de construire un établissement deux fois plus grand que ce qui est nécessaire. Est-ce que vous pensez que c'est une bonne utilisation des deniers publics ? Non, Monsieur le député, c'est du gaspillage ! Je croyais que l'UDC s'opposait au gaspillage - au gaspillage du sol et des moyens financiers ! Mesdames et Messieurs les députés, une prison concordataire constitue évidemment la possibilité de faire des économies, mais aussi d'éviter un risque pour notre population. Créer un quartier carcéral avec plus de mille places de détention au même endroit - comme ça va arriver à Champ-Dollon avec La Brenaz, Curabilis et Les Dardelles - avec tous les dangers d'émeutes et d'incidents possibles, eh bien, c'est un risque majeur. C'est un risque majeur que nous devons éviter, et ce projet doit se faire sur une base concordataire.
Je vais vous donner un dernier élément chiffré qui vient de la commission des visiteurs officiels du Grand Conseil. Est-ce que vous savez combien coûte un repas par détenu et par jour à la prison de Champ-Dollon ? Non ? Il coûte 10,50 F. Est-ce que vous savez combien coûte par jour le repas d'un détenu à la prison de La Brenaz ? Non ? Il coûte 21 F, le double. Vous savez pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de cuisine à La Brenaz ! A Champ-Dollon, il y a une cuisine et ce sont les détenus qui font... (Remarque.) ...la cuisine est faite par les détenus eux-mêmes, ce qui est possible grâce aux places d'atelier. Il n'est donc pas nécessaire que les HUG livrent les repas, comme à La Brenaz. Et vous savez ce qui se passe aux Etablissements de la plaine de l'Orbe... (Remarque.) ...qui ont un domaine agricole ? Eh bien, le coût des repas par jour est de 6 F à 7 F ! C'est ça, la différence !
Mesdames et Messieurs les députés, construire des prisons dans un espace aussi resserré, sans avoir le périmètre autour pour offrir des places de travail aux détenus, et avec une structure disproportionnée, ça multiplie les coûts inutiles. Vous dépensez chaque année des millions pour rien. Etudiez simplement ces éléments de bon sens évoqués dans la pétition: ils méritent d'être pris en compte. Je vous invite donc à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. (Quelques applaudissements.)
M. Murat Julian Alder (PLR). Je n'avais pas l'intention de prendre la parole, mais je me vois contraint de libérer le député Roger Deneys qui s'est emprisonné dans ses certitudes ! J'aimerais ici rappeler que pour qu'il y ait une prison concordataire, il faut un concordat. Et pour qu'il y ait un concordat, il faut un accord entre plusieurs cantons. Cependant, en l'état actuel des choses, aucun canton romand ne souhaite créer une prison concordataire avec Genève.
La deuxième chose, c'est que M. Deneys, expert autoproclamé en la matière, nous affirme sans cesse que deux cents places de prison suffisent amplement. Or, voilà exactement le genre d'analyse qui a conduit à la situation désastreuse dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui; nous payons encore le prix du manque d'anticipation en matière carcérale, au début des années 2000, alors que la gauche était majoritaire au Conseil d'Etat. Pour le PLR, Mesdames et Messieurs, c'est clair: c'est non, merci. Et nous voulons cette prison des Dardelles ! Je vous remercie de votre attention. (Remarque.)
M. Olivier Baud (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés... (Brouhaha.) ...Ensemble à Gauche a une position assez arrêtée en ce qui concerne... (Brouhaha.)
Le président. Monsieur Baud, une seconde. Un peu de silence, s'il vous plaît, de façon que notre collègue puisse s'exprimer normalement ! C'est à vous, Monsieur Baud.
M. Olivier Baud. La classe veut partir, ça fait du remous ! Je recommence. Mesdames et Messieurs les députés, Ensemble à Gauche a une position assez arrêtée en ce qui concerne la prison des Dardelles: notre groupe est farouchement opposé à cette prison démesurée et qui plus est inutile. Nous aurions cependant pu avoir le débat avant, mais il aura vraisemblablement lieu ultérieurement. Toutefois, j'aimerais quand même rappeler que cette pétition s'intitule «Menace sur la zone agricole de Puplinge» parce qu'il y a véritablement une menace ! Une minorité de la commission des pétitions a demandé le dépôt sur le bureau du Grand Conseil; aujourd'hui, il faut une majorité pour entendre cette demande des habitants - près de trois mille signataires, non seulement de Puplinge mais aussi de Chêne-Bourg et d'ailleurs - et pour que cette pétition soit renvoyée au Conseil d'Etat. Je pense que le bon sens va l'emporter et je vous en remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à vous prononcer sur les conclusions de la commission des pétitions, soit le dépôt sur le bureau du Grand Conseil.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 2025 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont rejetées par 49 non contre 28 oui et 2 abstentions.
Le président. Je vais vous faire voter maintenant sur la deuxième demande qui a été présentée, à savoir le renvoi au Conseil d'Etat. Si cette deuxième demande n'obtient pas la majorité, la pétition sera classée.
Mis aux voix, le renvoi de la pétition 2025 au Conseil d'Etat est adopté par 46 oui contre 29 non et 4 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)