République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 février 2018 à 18h35
1re législature - 4e année - 12e session - 67e séance
PL 12127-A
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs, nous poursuivons nos urgences avec le PL 12127-A qui est classé en catégorie II, cinquante minutes. La parole revient au rapporteur de majorité, M. Zacharias.
M. Ronald Zacharias (HP), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Avant de présenter mes conclusions, j'aimerais en revenir aux fondamentaux. Pour justifier une modification de zone, en l'occurrence le passage d'une zone villas vers une zone de développement, il faut un motif d'intérêt général prépondérant qui fasse pencher la balance du côté de la collectivité. Alors on connaît ce motif, c'est la prétendue pénurie de logements. Je parle intentionnellement de pénurie alléguée, parce que malheureusement, chaque fois qu'on essaie de mettre la main sur une évaluation plus précise ou quantitative de la situation, on n'y arrive pas. Or pour légitimer une modification de zone qui porte atteinte aux droits de propriété, il faut établir des faits concernant cette pénurie. En réalité, il y a environ quatre ou huit mille personnes inscrites à l'office cantonal du logement, donc quatre mille personnes qui cherchent simplement un logement un peu moins cher ou qui leur convienne mieux. Ça, c'est la première chose que je voulais souligner.
Ensuite, en me baladant hier soir dans le quartier de la Gradelle, j'ai vu dans certains immeubles où les loyers sont contrôlés que deux ou trois étages étaient totalement plongés dans l'obscurité, ce qui est extrêmement étonnant. En d'autres termes, ils ne sont pas habités, ils n'ont pas trouvé preneurs, tout comme les trois quarts des parkings. Ce sont pourtant des HM et des ZDLOC ! Afin de connaître la quantité de demandes de logements à Genève, j'avais déposé à l'époque la motion 2383, à laquelle il n'a pas réellement été répondu, on nous a simplement fait comprendre qu'il était très compliqué d'établir des chiffres précis. Pour l'instant, la pénurie de logements demeure donc alléguée.
En revanche, il y en a une autre qui n'est pas contestée: celle d'appartements de quatre pièces à 760 F par mois, qui correspondent aux loyers les plus bas et qu'on retrouve parfois dans les HBM. Il est vrai que cette demande de logements n'est pas satisfaite, mais elle ne justifie en aucun cas une modification vers de la zone de développement, parce que les plans financiers ne tiendraient tout simplement pas. Voilà pour la partie justificative d'une modification de zone.
Dans le cas d'espèce, pour revenir à l'intérêt général, nous n'avons évoqué que la prétendue pénurie de logements qu'il convient d'établir de manière plus précise, mais il y a encore les risques OPAM. Je ne m'y attarderai pas, il s'agit tout bonnement d'un périmètre situé à proximité de dangers potentiels.
J'aimerais qu'on s'arrête quelques secondes sur un dernier élément. Il convient de faire une pesée d'intérêts, non pas entre les arguments en faveur ou non d'une modification de zone, mais en regard du coût. Il faut en effet déterminer les frais non pas de construction, mais en termes d'habitants, de personnes qui coûtent fiscalement parlant. Ce n'est pas juste du soutien au logement, de l'aide sociale; plus globalement, nous mettons en place un périmètre qui coûte, alors que, vu l'état des finances publiques, on devrait plutôt s'intéresser à des constructions pour des occupants qui rapportent.
Si par impossible, Mesdames et Messieurs, on devait néanmoins considérer que l'intérêt général l'emporte, je me permettrais à ce moment-là d'attirer votre attention sur le fait que ce Grand Conseil doit déterminer jusqu'où il veut aller dans l'atteinte aux droits de propriété. La LGZD contient des catégories de logements, donc on connaît cette atteinte, mais dans son projet de loi 12093 actuellement en commission, le Conseil d'Etat dit de droite a établi, à l'article 4A, de nouvelles catégories qui ne conviennent à personne, et ce n'est pas trop de le dire, en tout cas pas aux milieux de la construction ni aux investisseurs immobiliers. Ce texte ne convient réellement à personne ! Ne parlons même pas des initiatives 161 et 162... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...qui ne prévoient ni plus ni moins que la nationalisation du sol. Tout ça pour vous dire qu'on ignore jusqu'où porte l'atteinte, parce que la situation législative future est encore inconnue. Alors je vous le demande, Mesdames et Messieurs les députés: comment effectuer une pesée d'intérêts si on ne connaît pas de manière précise d'une part l'ampleur de la pénurie alléguée...
Le président. Monsieur Zacharias, en tant qu'indépendant, vous avez encore droit à deux minutes trente.
M. Ronald Zacharias. Merci, Monsieur le président. ...d'autre part l'étendue de l'atteinte à la propriété ? Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, je vous propose de rejeter ce projet de loi. Merci.
Le président. Merci, Monsieur. Les rapporteurs de minorité ne souhaitent pas prendre la parole ? (Remarque.) Si ? Alors appuyez sur votre bouton ! Voilà, c'est bon. Madame Marti, c'est à vous.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Merci, Monsieur le président, vous avez tout à fait raison. Mesdames et Messieurs, ce projet de loi propose un déclassement de zone sur le territoire de la commune de Vernier qui présente plusieurs avantages. En effet, il permettrait la construction de 400 logements dans un périmètre proche à la fois du centre-ville et de nombreuses infrastructures, comme le futur pôle de transports publics de Châtelaine. Aujourd'hui, cette zone est très faiblement densifiée, et son indice d'utilisation du sol de 0,3 pourrait être augmenté à 1,5. Cette densification n'attend que la modification de zone pour démarrer: le plan localisé de quartier est finalisé, les demandes d'autorisation de construire pourraient être déposées dans les mois qui viennent. Les deux principaux acteurs concernés, soit la fondation HBM Emile Dupont et l'entreprise Losinger, sont non seulement favorables au déclassement, mais attendent impatiemment la décision du Grand Conseil pour amorcer la valorisation de leur terrain. Enfin, il s'agirait de remplacer des logements propriétés de la fondation Emile Dupont qui sont particulièrement vétustes. La fondation a monté un projet pour les réhabiliter et en produire d'autres à destination de personnes recherchant des HBM.
Certes, ce nouvel aménagement comporte quelques désavantages; le rapporteur de majorité en a évoqué un, à savoir les risques OPAM. De très sérieuses solutions ont toutefois été proposées pour les limiter, notamment une réflexion sur les formes urbaines ainsi que la limitation à 40 km/h de la vitesse des convois de chlore passant à proximité du périmètre, ce qui réduit considérablement le danger.
Relevons également une préoccupation légitime de la commune de Vernier en ce qui concerne les flux de circulation, extrêmement importants dans ce quartier déjà très engorgé. Plusieurs réponses ont été apportées afin de lever les réticences de la municipalité, par exemple la création d'une ligne de bus en site propre et à haute fréquentation reliant Vernier-Village et la gare de Cornavin, tout comme une liaison tangentielle entre l'aéroport et la ZIPLO.
On se retrouve dans une situation où il s'agit d'opérer une pesée des intérêts. Aux yeux de la minorité, il faut clairement trancher en faveur du déclassement, car ces 400 nouveaux logements sont prêts à être concrétisés très rapidement. Malheureusement, le vote en commission a été effectué dans une relative précipitation, et j'invite par conséquent la majorité de ce Grand Conseil à revoir sa position, à se montrer pragmatique et raisonnable afin de permettre à ce projet de se réaliser dans les plus brefs délais. Je vous remercie.
M. François Lefort (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, la situation est ici limpide, mais une majorité de circonstance n'en a pas jugé ainsi un soir de commission et a donc refusé le présent projet de loi. Pourtant, cette modification de zone est tout à fait conforme au plan directeur cantonal 2030: d'une part elle concerne une zone très favorable à la densification - qui avait d'ailleurs été identifiée à l'époque par le projet GVAcube de la Chambre de commerce, d'industrie et des services de Genève - d'autre part elle figure comme telle au plan directeur communal de Vernier. Actuellement, le terrain en question comprend quelques villas et surtout des bâtiments de la fondation HBM Emile Dupont. Le but est de densifier ce secteur actuellement en zone 5 pour y construire 400 logements en zone de développement 2, principalement pour la fondation.
Une enquête publique a été menée en 2012, qui n'a collecté qu'une seule observation de la part de voisins, et non de propriétaires. En 2015, le Conseil administratif de Vernier a rendu un préavis favorable suite à des études complémentaires sur les questions de mobilité et l'ajustement aux modifications de 2013 de l'ordonnance sur la protection contre les accidents majeurs. Quant au Conseil municipal, il avait d'abord exprimé un préavis défavorable en 2016 mais, après avoir obtenu davantage de garanties s'agissant de la mobilité et des convois de chlore sur les voies ferrées, il a finalement voté le PLQ. Une seule opposition a été enregistrée, celle du Groupement des habitants du chemin de l'Etang et environs, mais il ne s'agit pas des propriétaires concernés.
Ce projet de densification permettra de détruire des immeubles vieux de près de septante ans, qui sont vétustes et constituent un véritable gouffre énergétique et financier pour la fondation Emile Dupont, afin de les remplacer par des bâtiments neufs. Concernant le foncier, ainsi que Mme Marti l'a dit, il est maîtrisé à 74% par deux propriétaires, à savoir la société Losinger et la fondation Emile Dupont, ce qui fait que la situation est beaucoup plus simple que dans d'autres quartiers. Enfin, des garanties solides ont été apportées pour protéger la population contre les risques OPAM.
Pour les Verts, il s'agit d'un bon projet, parce que le périmètre est situé en zone urbaine, proche d'infrastructures publiques existantes ou futures: de nombreuses écoles, bientôt un nouveau cycle d'orientation, une gare RER à venir. Il faut bien comprendre que le refuser, c'est retarder une fois encore la construction de logements pour la collectivité, dans un contexte rare, voire étrange: il n'y a pas d'opposition des propriétaires concernés, le plan localisé de quartier est en vigueur, la commune est d'accord. Or, vous vous apprêtez à le rejeter, Mesdames et Messieurs, ceci en totale contradiction avec un plan directeur cantonal révisé sous la pression de la Confédération, qui nous demande de construire densément pour éviter l'étalement urbain et protéger la zone agricole !
Ce projet de loi représente 400 logements supplémentaires principalement pour une fondation HBM, c'est construire la ville en ville, et nous risquons de le détruire définitivement, de laisser la fondation HBM dans son gouffre énergétique et financier pour longtemps ! Je pense qu'il faut que les discussions reprennent sur ce texte, quitte à ce que nous y apportions des modifications. Aussi, plutôt que de le refuser, je vous propose que nous le renvoyions en commission. Monsieur le président, je demande formellement le renvoi de ce projet de loi à la commission d'aménagement.
Le président. Très bien, Monsieur, j'en prends bonne note. Les autres rapporteurs ou le conseiller d'Etat souhaitent-ils s'exprimer sur cette proposition ? (Un instant s'écoule.) Non, alors j'ouvre la procédure de vote sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12127 à la commission d'aménagement du canton est adopté par 91 oui contre 1 non et 2 abstentions.