République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 25 janvier 2018 à 17h
1re législature - 4e année - 11e session - 58e séance
PL 12226
Premier débat
Le président. Nous passons au point suivant de notre ordre du jour, le PL 12226. Nous le traiterons en catégorie II, trente minutes. La parole est à M. de Sainte Marie.
M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous venez de l'entendre dans l'intitulé de ce projet de loi: nous connaissons aujourd'hui une situation budgétaire exceptionnelle. Depuis deux ans, le Grand Conseil a voté des budgets déficitaires, non pas parce que la majorité souhaite voter des budgets déficitaires, mais pour assurer des prestations à la population. Sans la création d'une seule nouvelle prestation à la population ! Ces budgets déficitaires sont en l'occurrence le reflet de charges qui augmentent parce que la population s'appauvrit et vieillit, ses besoins sont donc croissants. Par conséquent, nous connaissons bel et bien aujourd'hui non pas une crise des charges mais une crise des recettes fiscales qui, à cause des baisses successives d'imposition que nous avons connues ces quinze dernières années, amène à une dette croissante et à un déficit structurel quand nous souhaitons maintenir les prestations.
C'était le même cas de figure en 2011 lorsque le Conseil d'Etat, à l'époque également à majorité de droite, avait déposé un projet de loi exactement semblable à celui-ci, qui visait la suspension du bouclier fiscal pendant deux ans pour renforcer le principe de solidarité et garantir les prestations à la population. Il demandait aux plus nantis de ce canton de contribuer, comme il se doit, en fonction de leurs moyens. Le groupe socialiste reprend ce projet de loi, car la situation est malheureusement à nouveau exceptionnelle - on pourra bientôt se passer de ce qualificatif puisque le déficit devient structurel. Il s'agit donc de faire preuve de solidarité à travers une véritable redistribution des richesses. Lorsque notre canton connaît une situation où nous devons assurer les prestations à la population, eh bien, chacun doit contribuer en fonction de ses moyens.
Le manque à gagner imputable au bouclier fiscal correspondait à 43 millions de francs environ en 2011; il correspond aujourd'hui à 113 millions de francs. D'année en année, Mesdames et Messieurs, le canton de Genève attire plus de grandes fortunes: tant mieux, le groupe socialiste s'en réjouit. Les chiffres fournis par l'administration fiscale montrent que le nombre de millionnaires, de doubles millionnaires, de quintuples millionnaires augmente - tant mieux - mais il est indispensable que les richesses soient redistribuées pour garantir une certaine cohésion sociale. On peut s'apercevoir que si ces grandes fortunes et leur potentiel imposable augmentent dans notre canton, nous avons de l'autre côté une population qui malheureusement s'appauvrit d'année en année: aujourd'hui, plus de 34% de la population ne peut pas payer d'impôts parce qu'elle n'en a pas les moyens ! Le combat contre ces inégalités sociales passe par les prestations publiques, et des prestations publiques de qualité et octroyées à l'ensemble de la population ont un coût. Aujourd'hui, chacune et chacun dans notre canton doit contribuer en fonction de ses moyens. C'est pourquoi nous demandons le renvoi en commission de ce projet de loi: pour que la démocratie fonctionne et que nous puissions enfin étudier correctement, à la commission fiscale, la suspension du bouclier fiscal. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur. Il est pris note de votre demande de renvoi en commission, sur laquelle nous voterons à la fin des discussions. La parole est à M. Sormanni.
M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, non, ce projet de loi n'est pas bon. Nous n'en voulons pas ! Je pense que vous faites une erreur en demandant cette suspension. C'est vrai qu'il y a plus de millionnaires à Genève depuis quelques années; sauf erreur, on a encore vu aujourd'hui les statistiques dans la «Tribune de Genève». Si par contre vous suspendez ce bouclier fiscal, il n'y aura pas une augmentation du nombre de millionnaires mais une diminution: ils vont partir. C'est donc à mon sens une fausse solution. Depuis cet automne, ce Grand Conseil est saisi de ce projet de loi à peu près toutes les trois semaines: nous sommes un peu fatigués de vous entendre. C'est une mauvaise façon de voir les choses ! Renvoyons cet objet en commission et enterrons-le ! (Commentaires.)
Une voix. Bravo !
M. Yvan Zweifel (PLR). Nous traitons, une fois n'est pas coutume, du bouclier fiscal. Encore et toujours le bouclier fiscal ! Le parti socialiste doit finalement être content, lui qui prétend à longueur de session que l'on ne traite jamais de ces projets; on ne fait que cela ! Ce projet de loi - et je rejoins M. Sormanni - rejoindra les neuf autres proposés par le parti socialiste sur ce même sujet. Le parti socialiste a d'ailleurs un peu manqué d'imagination avec ses neuf projets de lois; il aurait pu en déposer beaucoup d'autres. Il aurait pu créer «le bouclier fiscal se fait la malle», «le bouclier fiscal déménage à Nyon», «le bouclier fiscal préfère la plage à la montagne» et que sais-je encore. Ça nous aurait rappelé, vous l'aurez compris, une bande dessinée de notre enfance !
Cela étant dit, il convient de rappeler quelques chiffres pour cadrer le débat. Quels sont ces chiffres, Mesdames et Messieurs ? A Genève, 1% des contribuables paient 40% des impôts sur le revenu, ce qui signifie concrètement que 3500 contribuables paient 1,2 milliard d'impôts sur le revenu ! Il y a également 1% des contribuables qui paient 70% de l'impôt sur la fortune ! Ça veut dire que 3150 contribuables paient 477 millions de francs d'impôt sur la fortune. Parallèlement, 2663 personnes - selon les chiffres de 2014 - profitent du bouclier fiscal, ce qui, comme l'a évoqué M. de Sainte Marie, a un coût statique de 113 millions.
Mesdames et Messieurs, faisons un petit peu de politique fiction ! Admettons que le parti socialiste ait raison et qu'aucun de ces 2663 contribuables ne parte si nous suspendons ou même supprimons ce bouclier fiscal. Eh bien, l'Etat aura gagné 113 millions par année. Considérons maintenant que le parti socialiste ait tort et que ces contribuables s'en aillent - pas très loin d'ailleurs, ils n'ont qu'à traverser la Versoix: cela coûtera, au titre de l'impôt sur le revenu, 1,2 milliard, moins 113 millions, plus 477 millions d'impôt sur la fortune. On arrive en tout à 1,5 milliard, soit 18% du budget. Le même parti socialiste qui se plaint à longueur de journée lorsqu'on baisse de manière linéaire le budget de 1% verrait ici une perte de 18% si nous avons malheureusement raison. On croit rêver !
Mesdames et Messieurs, à quoi sert un bouclier ? A se protéger ! A protéger, certes, ces 2663 contribuables d'un impôt confiscatoire - parce qu'à 60%, à 80%, voire à plus de 100%, c'est confiscatoire. Mais ce bouclier sert aussi à protéger Genève de la bêtise socialiste, du départ de ces personnes et d'un enfer social créé par le départ de ses meilleurs contribuables. Le PLR refusera évidemment ce projet de loi, qui sera renvoyé en commission avec les neuf autres objets concernant le même sujet ! Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Jean Batou (EAG). Il est tout à fait évident que c'est à cause du bouclier fiscal qu'il manque aujourd'hui ces 115 ou 113 millions aux recettes publiques; c'est une mesure totalement justifiée que de le suspendre ! L'adoption du PL 12226 permettrait d'ailleurs de faire l'expérience grandeur nature, et je ne crois pas une seule seconde que les contribuables les plus fortunés quitteraient notre canton en raison d'une suspension du bouclier fiscal. Regardez les chiffres ! Osez regarder les chiffres ! Le nombre de contribuables qui déclarent 10 millions et plus connaît une augmentation régulière de 6% par an sur ces dix dernières années ! Mon ami Ronald Zacharias m'a expliqué que les millionnaires en dessous de 20 millions ne comptent pas - c'est du menu fretin - mais j'ai quant à moi considéré que c'était un peu significatif à partir de 10 millions. Eh bien, ces millionnaires augmentent de 6% par an ! Et vous nous racontez qu'à Genève la fiscalité de la fortune est infernale ? C'est totalement ridicule ! C'est du bourrage de crâne, de l'enfumage, et je pense que le parti socialiste devrait lancer une initiative populaire; nous le soutiendrions, dans cette hypothèse. Ce Grand Conseil est au service des plus riches, il le montre à chaque fois dans ses votes, et il est temps que la population en élise un autre ! Merci. (Applaudissements.)
M. Vincent Maitre (PDC). Romain de Sainte Marie nous disait: «Il y a de plus en plus de millionnaires dans ce canton, et c'est tant mieux !» Je partage sa conclusion. Malgré cela, pour la quatrième fois en quatre sessions, lui et son parti s'ingénient à déposer un projet de loi identique qui est systématiquement balayé par près de 60% de ce parlement. Face à cette forme de harcèlement parlementaire que nous subissons session après session, je rebondis sur les propos de M. Batou tout en précisant préalablement que ce bouclier fiscal a une utilité, ne serait-ce que légale: il nous sert tout simplement à respecter la jurisprudence constante du Tribunal fédéral qui fixe la définition du seuil, du taux à partir duquel un impôt devient confiscatoire. Rien de plus, rien de moins. M. Batou nous dit donc: «Osez regarder les chiffres: le nombre de millionnaires augmente chaque année de 6% à Genève.» Monsieur Batou, osez, dans ces conditions, écouter les praticiens de la fiscalité de ce canton. Tous vous diront la même chose: des contribuables - jusqu'à présent étrangers, mais à l'heure actuelle genevois aussi, issus de familles genevoises - ont déjà quitté le canton pour Singapour, Londres ou d'autres contrées que je qualifiais tout à l'heure de fiscalement plus clémentes. Osez aussi écouter ces praticiens-là, parce qu'avec les chiffres que vous articulez, vous n'êtes pas détenteurs de la vérité absolue; il y a aussi des gens dont le métier est la fiscalité, et tous ont le même discours: à force de jouer avec le feu, on finit par se brûler. Je vous encourage évidemment, comme d'autres avant moi, à renvoyer ce projet de loi fiscale en commission. Le parti socialiste aura gagné, mais nous réserverons à cet objet un enterrement de première classe. (Quelques applaudissements.)
M. Christo Ivanov (UDC). Beaucoup de choses ont été dites. En effet, ce projet de loi, c'est véritablement l'Arlésienne ! On revient pour la quatrième fois en quatre sessions du Grand Conseil avec le même projet de loi; on se moque véritablement du monde !
Au parti socialiste, vous êtes vraiment les fossoyeurs de notre économie ! Effectivement, 1% des contribuables paient environ 1,5 milliard de francs, soit 18% des revenus de notre Etat, ce qui paraît considérable. Lisez la «Feuille d'avis officielle», Mesdames et Messieurs des bancs de gauche et surtout du parti socialiste, et regardez les entreprises qui partent déjà dans le canton de Vaud parce que les Vaudois ont en préparation un taux à 13,79%. Les gens ont besoin de sécurité et de calme, et ce n'est pas avec vos projets de lois à répétition que nous allons trouver une solution ! Je rappelle que, grâce à ces gens, 35% de la population ne paie pas d'impôts et plus de cent mille personnes touchent les subsides pour l'assurance-maladie. Alors arrêtez de faire fuir les gens qui paient pour le social, car il faut des gens avec de gros moyens pour nous permettre de financer notre Etat social. Le groupe UDC renverra ce projet de loi à la commission fiscale, Monsieur le président. Je vous remercie.
M. Roger Deneys (S). J'entends sur les bancs de la droite élargie que le fait de déposer une fois de plus ce projet de loi devant ce Grand Conseil serait un déni de démocratie, un scandale. Mais le déni de démocratie, Mesdames et Messieurs les députés de droite, c'est d'avoir refusé le renvoi en commission lors des précédentes sessions, comme cela se fait traditionnellement dans ce Grand Conseil quand nous déposons des projets de lois: ils sont renvoyés en commission et étudiés sérieusement - quand les députés sont sérieux - puis ils reviennent avec un avis positif ou négatif, mais, au moins, argumenté ! Mesdames et Messieurs les députés, votre façon de procéder est tout simplement honteuse ! Et c'est bien ce qui nous a poussés à déposer encore une fois ce projet de loi ainsi que les neuf autres qui l'accompagnent aujourd'hui. Ayez le courage d'assumer vos choix, Mesdames et Messieurs les députés de droite ! Ayez le courage d'expliquer les chiffres en commission; ne venez pas donner des leçons à trente centimes ici, en séance plénière ! Les chiffres doivent être argumentés !
En fait, le bouclier fiscal n'existait simplement pas à Genève avant 2010. C'est une création fiscale récente qui a peut-être eu un effet positif par rapport à nos voisins vaudois - je l'ai rappelé à plusieurs reprises, parce qu'ils ont eux aussi établi un bouclier fiscal. Il n'empêche que le problème, à Genève, c'est que ce n'est pas le bouclier fiscal qui est menacé si les recettes fiscales baissent de façon trop radicale, mais le bouclier social ! Le bouclier social préserve aujourd'hui une part croissante de la population qui doit vivre avec moins de 2000 F ou de 3000 F par mois, parfois avec moins de 1000 F, et payer le loyer, l'assurance-maladie, essayer de tourner, échapper aux poursuites ! C'est aussi une réalité à Genève ! Il n'y a pas seulement la réalité des multimillionnaires qui ne supportent pas de payer des impôts et que vous protégez parce que vous en récoltez quelques miettes par votre travail. Ce qui est une honte, Mesdames et Messieurs les députés, c'est la répartition toujours plus inégale des richesses ! Et il faut protéger le bouclier social; c'est une priorité pour notre république ! Nous devons simplement, de façon pragmatique, discuter des questions fiscales pour baisser peut-être les impôts dans certaines occasions, certes, mais aussi pour les augmenter si la situation n'est pas si bonne que ça. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Le problème, c'est qu'il y a aujourd'hui un véritable tabou et surtout l'absence d'autres projets au sein de la droite élargie; elle n'a aucun projet de société, à part baisser les impôts. Et vous pensez que vous allez créer une société meilleure ?
Le président. Il vous faut terminer, Monsieur.
M. Roger Deneys. Mesdames et Messieurs les députés de droite, vos propositions sont tout simplement honteuses pour notre république. Nous, socialistes, nous voulons conserver le bouclier social, et nous vous invitons à soutenir ces projets de lois. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, de toute évidence - mais on le savait déjà - la sérénité est rarement présente dans les débats à quelques semaines des élections; on en a la démonstration éclatante ce soir. Pourtant, le sujet est assurément de la plus haute importance. Je soutiens évidemment le renvoi en commission pour nous éviter les mêmes litanies, les mêmes arguments à chaque session, mais je voudrais quand même rappeler un certain nombre de chiffres fournis par mon département et qui sont d'ailleurs parus dans la presse aujourd'hui. Contrairement à ce que d'aucuns assènent et persistent à asséner avec une naïveté apparente mais surtout un manque de réalisme, notre canton est de moins en moins attractif. Vous avez pu voir qu'entre 2010 et 2015, les départs de résidents qui paient plus de 1 million de francs d'impôts étaient supérieurs aux arrivées: 46 personnes ont quitté le canton et une vingtaine s'y est installée. C'est une réalité ! C'est une réalité, et ce malgré le bouclier fiscal. Et vous proposez de supprimer ce dispositif ! Je peux vous garantir que le signal donné serait tout simplement dévastateur; je l'ai dit il y a quelques semaines et je continuerai à le dire. Monsieur Deneys, vous qui appelez de vos voeux la protection du bouclier social à Genève - et je partage votre aspiration - je vous prie vraiment de faire attention à préserver ce bouclier social. Je peux vous garantir, Mesdames et Messieurs, que vous le mettrez en péril précisément si vous allez dans le sens que vous proposez avec ce projet de loi; ce serait la pire des choses. Pour toutes ces raisons, je vous enjoins de voter le renvoi à la commission fiscale, où nous aurons évidemment l'occasion d'en discuter, d'en rediscuter; cette litanie qui fait finalement beaucoup de mal à Genève nous sera au moins épargnée au cours des prochaines sessions. Merci. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote.
Mis aux voix, le renvoi du projet de loi 12226 à la commission fiscale est adopté par 94 oui (unanimité des votants). (Applaudissement à l'annonce du résultat.)