République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 12 octobre 2017 à 20h30
1re législature - 4e année - 7e session - 37e séance
M 2393-A
Débat
Le président. Nous abordons le dernier point du jour, soit la M 2393-A. Ce texte est classé en catégorie II, trente minutes. Tout à l'heure, la lecture du courrier 3698 a été sollicitée; aussi, je laisse le micro à Mme Moyard afin qu'elle puisse y procéder.
Le président. Merci, Madame. La parole est à M. Raymond Wicky.
M. Raymond Wicky (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, il convient de préciser en préambule qu'à aucun moment, la majorité de la commission n'a voulu stigmatiser les collectionneurs d'armes ou les tireurs sportifs, ainsi que cela a été sous-entendu - et même dit ouvertement - lors des travaux. Par contre, cette motion n'a pas trouvé grâce à ses yeux.
Premièrement, quand on lit le titre - «Non à la discrimination: pour une pratique conforme au droit fédéral en matière d'acquisition d'armes par les particuliers !» - on a beaucoup de peine à suivre, pour la simple et bonne raison que l'ordonnance sur les armes, les accessoires d'armes et les munitions stipule clairement, à son article 16: «L'autorité cantonale compétente peut délivrer un permis donnant droit à l'acquisition de trois armes ou éléments essentiels d'armes au plus, si ceux-ci sont acquis simultanément et auprès du même aliénateur.» Affirmer que la pratique genevoise n'est pas conforme à la législation fédérale est donc absolument faux. Deuxièmement, le motionnaire nous a expliqué qu'une procédure juridique initiée par Pro Tell était en cours, et nous lui avons donc proposé de suspendre les travaux sur ce texte en attendant d'obtenir une réponse du tribunal compétent qui nous permettrait d'y voir plus clair. Au final, la majorité de la commission n'a pas suivi cette motion - sans doute pour des motifs différents en fonction des partis - c'est pourquoi elle vous demande de la rejeter sur le siège aujourd'hui. J'en ai terminé et vous remercie.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de minorité. L'objectif de cette motion est de supprimer une restriction de la loi fédérale qui n'existe qu'à Genève. Le droit supérieur permet d'acquérir jusqu'à trois armes moyennant une seule et unique autorisation, un seul et unique émolument, mais ce n'est pas le cas à Genève, où il en faut une par arme. Lors d'un entretien, M. Maudet a lui-même reconnu que cette pratique pouvait provoquer un surcroît de travail administratif, sans pour autant améliorer la sécurité de la population. On parle là d'armes enregistrées, souvent de collection, de personnes qui remplissent tous les prérequis pour obtenir un permis d'achat d'armes... (Remarque.) ...et celles-ci sont connues, commercialisées par un vendeur au bénéfice de toutes les autorisations adéquates. Il ne s'agit pas de trafic d'armes, de marché noir ou d'acquisition à des fins illicites.
La restriction genevoise, comme le mentionne l'association Pro Tell, forte de 10 000 membres - oui, forte de 10 000 membres ! - oblige les collectionneurs d'armes à payer inutilement trois émoluments. Elle est appliquée uniquement dans notre canton et n'apporte ni avantage ni amélioration. Pourtant, une telle tracasserie administrative concerne beaucoup de monde: 20 000 tireurs sportifs sont inscrits dans une société ! Après le football, c'est l'activité sportive qui bénéficie du plus grand nombre de pratiquants à Genève. Si on ajoute à cela les multiples collectionneurs, on réalise que le tir et la collection d'armes sont très populaires à Genève. Or, les faits le prouvent, ces deux types d'adeptes ne créent aucun problème de sécurité.
Je le répète: notre canton est le seul à appliquer cette restriction. Pour ces raisons, je vous recommande d'accepter cette motion. Merci de votre attention.
M. François Lefort (Ve). Cette motion demande la modification d'une pratique cantonale sous prétexte qu'elle constituerait une infraction à la loi fédérale sur les armes. A Genève, en effet, on est limité à une seule arme par acte d'achat, alors que la législation fédérale en autorise jusqu'à trois simultanément. En regard d'actualités récentes, cette restriction - qui n'est pas appliquée dans les autres cantons - laisserait à penser qu'il n'est pas complètement stupide de réguler l'acquisition compulsive et massive d'armes à feu.
Comme cela a été rappelé par le rapporteur de majorité, l'article 16 de l'ordonnance sur les armes, les accessoires d'armes et les munitions, intitulé «Acquisition exceptionnelle de plusieurs armes ou de plusieurs éléments essentiels d'armes au moyen d'un permis d'acquisition d'armes», stipule que l'autorité cantonale compétente peut délivrer un permis donnant droit à l'achat de trois armes. Elle peut le faire, elle n'y est en rien obligée, voilà ce que dit le droit fédéral ! Il n'est pas obligatoire de souscrire au maximum, c'est-à-dire à trois armes simultanément, donc la pratique genevoise n'enfreint pas du tout la législation fédérale, ainsi que voudraient nous le faire penser les motionnaires. Le droit supérieur n'oblige personne à vendre simultanément trois armes si un citoyen veut s'en procurer une seule ! Voilà ce que je souhaitais, dans un premier temps, répondre aux allégations des motionnaires.
Quant à leurs revendications, à savoir que cette application mesurée de l'ordonnance fédérale sur les armes à Genève nuirait aux tireurs sportifs ou aux collectionneurs, eh bien nous en restons pantois, nous n'imaginions pas qu'il existait, parmi les 20 000 tireurs sportifs ou parmi les collectionneurs, des gens désireux d'acheter souvent et simultanément trois armes à feu ! Nous en restons pantois et même un peu inquiets, parce que si cette population était si nombreuse qu'il en faille modifier la pratique genevoise, alors ce serait peut-être le chemin vers ces faits divers qui nous ont récemment glacé le sang, ces massacres survenus pour la bonne raison qu'il était possible et légal d'acheter des armes en masse.
En effet, il est des pays où on peut acheter beaucoup plus que trois armes en même temps - c'est justement le cas des Etats-Unis, où a eu lieu la tuerie de Las Vegas - et c'est bien ça, le problème ! Ce n'est pas le trafic d'armes, c'est le fait qu'on puisse, dans certains endroits, se procurer un très grand nombre d'armes à la fois. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Or ce n'est pas le cas à Genève, ce n'est pas le cas en Suisse non plus, d'ailleurs.
Revenons à la raison: la pratique genevoise est non seulement en tout point légale et conforme au droit supérieur - c'est une chose qu'il faut répéter - mais elle nous protège, Mesdames et Messieurs les députés. Nul doute que les très nombreux tireurs sportifs - on nous dit qu'ils seraient 20 000 dans notre canton - et collectionneurs s'en accommodent fort bien, nous ne pensons pas qu'ils aient vraiment envie d'acheter trois armes en même temps. Non, cette application mesurée nous convient, et nous refuserons évidemment cette motion qui est un peu... Comment dirais-je ?
Une voix. Stupide !
M. Bernhard Riedweg (UDC). A Genève, 129 000 armes à feu privées sont enregistrées, qui se trouvent dans des maisons et des coffres-forts, et appartiennent essentiellement à des collectionneurs. Celles à disposition dans les clubs de tir et dans les fourreaux des quelque 1770 agents de sécurité armés viennent compléter cette statistique. Qu'il s'agisse de pistolets et de revolvers, de fusils et de carabines, on recense une arme pour quatre résidents, ce qui fait quatre fois plus d'armes privées que de chiens de compagnie ! (Exclamations.) Comme le prouvent les faits, ces armes ne posent pas de problème pour la sécurité.
La grande majorité des propriétaires d'armes disposent seulement d'un permis d'acquisition, pas d'un permis de port d'arme, celui-ci n'étant délivré que de manière parcimonieuse à ceux qui justifient d'une menace concrète, à l'instar des agents de sécurité privée. Le permis d'acquisition exige que l'arme soit transportée déchargée; parmi ses détenteurs figurent ceux qui ont conservé leur fusil à la libération de leurs obligations militaires, les collectionneurs et les tireurs sportifs.
Il faut savoir que notre relation aux armes provient en grande partie de notre armée de milice, qui est un élément constitutif de l'identité helvétique, puisque la Suisse, tout comme Genève, a toujours été une république. Dans le cadre de l'école de recrue, des tirs obligatoires et des cours de répétition, le soldat est amené à considérer l'arme non pas comme un objet, mais comme un prolongement de lui-même à entretenir avec soin. (Exclamations.) L'Union démocratique du centre... (Exclamations.) ...demande que lorsqu'un citoyen genevois souhaite acquérir des armes à feu, la législation fédérale soit appliquée par le département. Merci, Monsieur le président.
Une voix. Bravo ! (Exclamation.)
Le président. «Sur nos monts, quand le soleil...» ! Monsieur Bandler, c'est à vous.
M. Marko Bandler (S), député suppléant. Je vous remercie, Monsieur le président. (L'orateur rit.) Vous m'excuserez, je suis encore un peu sous le choc après les propos de mon préopinant...
Une voix. Mais non !
M. Marko Bandler. Etant moi-même un ancien grenadier de montagne volontaire, je n'ai jamais considéré mon fusil comme un quelconque prolongement de moi-même - vous lui transmettrez, Monsieur le président ! (Rires.)
Cela étant dit, je reviens sur les deux aspects qui nous intéressent s'agissant de cette motion. Le premier est d'ordre juridique, légal, et il me semble que les motionnaires n'ont toujours pas compris ce qu'il en était puisque - cela a déjà été rappelé à réitérées reprises, mais je le répète car plus on le dit, plus le message sera audible - l'article 16 n'autorise pas tout un chacun à se porter acquéreur de trois armes à la fois, il autorise le canton à délivrer, s'il le souhaite, un permis d'acquisition, et là réside toute la différence.
Deuxièmement, sur la nature politique de cette motion - je ne veux pas y revenir trop longuement, ma foi, on a les combats qu'on mérite - je suis personnellement heureux que notre canton fasse preuve de prudence et d'une politique plutôt restrictive quant aux procédures d'acquisition d'armes. Dans leur argumentaire, les motionnaires font comme si de rien n'était, considérant finalement les armes comme des produits de consommation courante. A les entendre, sous prétexte qu'il y a de nombreux tireurs sportifs dans notre canton - c'est vrai, visiblement, les chiffres sont là - il conviendrait de faciliter l'achat des armes à feu. Ce discours me choque quelque peu. Soulignons qu'il y a également un grand nombre d'amateurs de sport automobile ou encore de vin - c'est par exemple mon cas - et ce n'est pas forcément pour ça que M. Barthassat va supprimer les limitations de vitesse en ville ou qu'on doit mener une politique plus libérale en matière de vente d'alcool.
Il faut faire comprendre aux motionnaires et à l'UDC que dans une démocratie comme la nôtre - je les sais très attachés à ce terme - les libertés doivent parfois être limitées lorsqu'il existe un risque. Or je n'accepterais pas qu'on me dise que la prolifération des armes telle qu'elle peut se produire - j'entends qu'on dénombre une arme pour quatre résidents à Genève ! - constitue un risque zéro pour la sécurité de la population. Au contraire, j'estime - et je ne suis sûrement pas le seul - que plus on multipliera le nombre d'armes dans la nature, plus on augmentera les risques, quelle que soit la culture civique ou militaire, que mon préopinant a rappelée, que nous avons dans ce pays. La pratique genevoise est saine et réfléchie et, à l'instar du groupe socialiste, Mesdames et Messieurs, je vous propose de rejeter vigoureusement cette motion. Merci. (Quelques applaudissements.)
M. Christian Flury (MCG). Encore une Genferei administrative ! Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le tir, que ce soit au fusil ou au pistolet, constitue une discipline olympique. D'ailleurs, Heidi, une de nos tireuses suisses dont j'ai oublié le nom de famille, a remporté une médaille de bronze à Rio dans la catégorie «pistolet à 25 mètres». Pour obtenir de bons résultats, ce sport exige, en sus de la technique, une bonne condition physique, de la concentration et une maîtrise de soi.
Les collectionneurs d'armes, Mesdames et Messieurs, sont des gens comme vous et moi, bien dans leur peau, bien dans leur tête. Bon, c'est clair qu'on les trouvera plutôt de ce côté-ci ou au fond de l'hémicycle que sur les bancs d'en face, quoique... Si chaque soldat suisse possède chez lui son arme de service, souvent un fusil capable de tirer en rafale, les armes de collection se trouvent généralement dans des coffres-forts.
Celui ou celle qui désire acheter une arme ou un élément essentiel de cette dernière - le permis couvre également l'achat de canons, de détentes, etc. - doit s'adresser à la police genevoise, lui transmettre un extrait du casier judiciaire daté de moins de trois mois pour prouver que c'est un honnête citoyen sans problèmes avec la justice et demander un permis d'acquisition d'armes. La législation fédérale stipule clairement, à l'article 16 de l'ordonnance sur les armes: «L'autorité cantonale compétente peut délivrer un permis donnant droit à l'acquisition de trois armes ou éléments essentiels d'armes au plus, si ceux-ci sont acquis simultanément et auprès du même aliénateur.» Ce permis comprend trois copies: une pour le vendeur, une pour l'acheteur et une qui retourne au service des armes qui pourra procéder à l'enregistrement, l'essentiel étant que l'autorité compétente sache quelle arme se trouve chez qui.
Or le canton de Genève ne reconnaît pas la possibilité d'acquérir trois armes ou éléments essentiels d'armes auprès d'un privé, il la réserve aux seuls armuriers. Par exemple, je veux acheter un pistolet 9 millimètres Parabellum et j'ai besoin de deux éléments essentiels avec, soit un canon 7.65 et une culasse à un canon .22 Long Rifle; si je vais chez M. Baud, armurier, je peux les obtenir avec un seul permis, mais si je vais chez mon voisin collectionneur, eh bien je devrai payer pour trois permis différents. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Il s'agit là d'une tracasserie administrative inadmissible et discriminatoire, que seul le canton de Genève impose aux tireurs sportifs et collectionneurs.
Cette motion demande au Conseil d'Etat de faire en sorte que les pratiques cantonales soient en conformité avec le droit fédéral. Le Mouvement Citoyens Genevois sollicite d'abord un renvoi en commission afin que celle-ci puisse procéder aux auditions qui y ont été refusées et, si tel ne devait pas être le cas, nous soutiendrons le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président.
Une voix. Très bien !
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Au vu du caractère passionné des débats, Mesdames et Messieurs, j'indique à toutes fins utiles que ni le rejet ni l'adoption de la motion n'auront de quelconque incidence sur la sécurité. Je regrette de ne pas avoir été reçu en commission afin d'expliquer les tenants et aboutissants d'une pratique au demeurant conforme à la législation fédérale, donc si vous y renvoyez ce texte, ça ne me gêne absolument pas, ce sera l'occasion de faire une mise à jour s'agissant des dispositions Schengen qui vont toucher la Suisse l'année prochaine. Peut-être pourra-t-on poursuivre cet intéressant débat, démêler les tenants - qui ne sont pas des tracasseries administratives, je le précise - et aboutissants, et enfin pacifier quelque peu la situation !
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat, et lance le vote sur la demande de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2393 à la commission judiciaire et de la police est adopté par 55 oui contre 30 non.