République et canton de Genève

Grand Conseil

Chargement en cours ...

M 2411
Proposition de motion de Mmes et MM. Guy Mettan, Anne Marie von Arx-Vernon, Jean-Luc Forni, Jean-Marc Guinchard, Bertrand Buchs, Salika Wenger, Magali Orsini, Christian Frey, François Lance, Pierre Vanek, Nicole Valiquer Grecuccio pour une presse locale forte et indépendante
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VI des 21 et 22 septembre 2017.

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs, nous abordons... Monsieur Lefort ?

M. François Lefort. Je m'inscris pour cet objet, Monsieur le président !

Le président. Vous êtes tellement rapide que j'ai été surpris. Je n'ai même pas dit quel était ce point, vous ne savez pas lequel c'est, en fin de compte ! Ça pourrait être un autre ! (Le président rit.) Nous sommes donc en catégorie II, trente minutes, pour... suspense... le point 111 de notre ordre du jour, la proposition de motion 2411. Monsieur Mettan, je vous passe la parole.

M. Guy Mettan (PDC). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, c'est un sujet assez difficile que nous abordons, parce que comme politiques, nous avons souvent à nous plaindre des journaux, en particulier de la «Tribune de Genève»: on trouve toujours que les journaux sont trop critiques à notre égard ou ne parlent pas assez de nos partis, de ce que nous faisons, etc. On a donc toujours des reproches à leur faire, et peut-être que certains parmi vous peuvent penser que puisqu'on est mal servi, il vaudrait mieux que les journaux crèvent à petit feu ou alors rapidement, comme cela est proposé avec le démantèlement de la «Tribune» actuellement en cours. C'est aussi un problème difficile parce que les éditeurs tendent à justifier leurs opérations de restructuration, de licenciements, de réduction des rédactions ou de transfert - à Lausanne comme c'est ici le cas - au nom de la rationalité économique, des bénéfices à faire pour pérenniser leur activité; mais ceci est faux, tout simplement faux ! Pourquoi ? Parce que le groupe Tamedia, actuellement propriétaire de la «Tribune de Genève», a fait 37% de bénéfice au premier semestre 2017, soit 77 millions de francs: les bénéfices sont bien là. On ne peut donc pas justifier les licenciements par le prétexte de faire des bénéfices alors que ces bénéfices ne font que croître.

En fait, la vraie question qui nous est posée ce soir est celle de l'avenir de notre canton. Ce n'est même pas l'avenir de la «Tribune de Genève», c'est l'avenir de notre canton. La question est de savoir si, après avoir accepté la disparition de «La Suisse» sans réagir, après avoir accepté la disparition du «Journal de Genève» sans réagir, on va accepter la disparition à petit feu de la «Tribune de Genève» sans réagir non plus. C'est ça, la vraie question ! Ce qui est en jeu - et je pense à ceux qui se soucient de l'économie de notre canton - c'est précisément cette économie: s'il n'y a plus de journal pour défendre notre économie... (Rire.) ...qui va le faire ? C'est ça, la vraie question ! Monsieur Cuendet rigole. Mais pour défendre la place financière genevoise, on ne peut pas compter sur la place financière zurichoise... (Remarque.) ...qui, elle, édite le journal qui s'appelle Tamedia ! Pour défendre notre place financière, il faut avoir des journaux qui soient sur place, qui comprennent les enjeux de notre canton, de notre économie, et cela, jusqu'à nouvel ordre, c'est la «Tribune de Genève» qui le fait le mieux.

Cela a probablement échappé à ceux qui trouvent cette proposition de motion non justifiée, mais ce qui est en cours, ce qui est proposé, c'est un démantèlement de la «Tribune», c'est le transfert à Lausanne de quatre des rubriques les plus importantes. Mais ce n'est pas là encore le vrai problème: il s'agit du transfert du pouvoir de décision, puisque la rédaction en chef finale sera à Lausanne ! Ce sera depuis le canton de Vaud qu'on pourra décider quels articles pourront être publiés ! C'est ça qui est en cause. Ça veut dire qu'il n'y a plus du tout d'autonomie quant aux décisions finales à Genève, mais que tout se passera à Lausanne puisqu'il y aura là-bas des super rédacteurs en chef qui vont coiffer la rédaction en chef genevoise, à laquelle on continuera de décerner ce nom mais qui n'aura plus aucun pouvoir de décision si on accepte ce démantèlement sans réagir.

J'aimerais en outre souligner que Genève, c'est aussi la Genève internationale. Mais comment imaginer que ce seront des Vaudois... (Remarque.) ...ou des personnes qui iront à Lausanne, avec des éditeurs zurichois, qui vont prendre la défense de la Genève internationale et décider quels articles il faut publier ? C'est aussi ça qui est en cause !

Le président. Vous prenez sur le temps de votre groupe.

M. Guy Mettan. Je prends sur mon groupe, oui ! Si on veut brader tout ça, il n'y a pas de problème, il faut accepter le démantèlement et ne pas discuter, point final. Si on veut accepter que la place financière ne soit plus défendue, il faut aussi accepter ce genre de transfert sans discuter. On parle aussi là de toutes nos PME: qui va les défendre ? Qui va défendre le tissu économique, ainsi que les ONG, les associations, si quelqu'un décide depuis Lausanne ou Zurich ce qu'il faut mettre dans ce journal ? C'est tout ça qui est en cause et que peut-être certains parmi nous n'ont pas encore compris par rapport à tout ce qui va se passer.

J'aimerais souligner par ailleurs que les Fribourgeois, Fribourg, un canton trois fois plus petit, en termes économiques, que Genève... (Remarque.) Justement, les Fribourgeois ont très bien compris qu'il était vital de défendre leur propre presse, et qui investit dans «La Liberté» ? Une banque et une société, celle des services industriels de Fribourg. Ils ont compris que si on voulait défendre Fribourg sur la scène suisse, il faut un journal fort. Qui va défendre M. Maudet contre Mme Moret si ce sont des Vaudois qui décident pour quel candidat au Conseil fédéral il faut travailler ? (Commentaires.) C'est ça qui est en jeu, et que vous n'avez pas compris ! Puisque le centre de décision sera là-bas ! Il faut bien se rendre compte de ce à quoi on assiste, ce n'est pas du tout de la rigolade qu'on peut prendre à la légère, Monsieur Cuendet - je suis désolé, je vous entends rire jusqu'ici.

Les Valaisans - une économie cinq fois inférieure à la nôtre - ont un journal qui s'appelle «Le Nouvelliste», qui marche très bien, qui gagne de l'argent. Pourquoi ? Parce qu'ils n'ont pas d'éditeurs qui ont tout taillé, qui ont mis dans des sociétés séparées tout ce qui rapportait de l'argent pour isoler le seul journal. C'est exactement ce qui est en train de se passer avec la «Tribune» au sein du groupe Tamedia - c'est la même chose d'ailleurs pour Ringier. Une économie cinq fois inférieure à la nôtre peut soutenir un journal qui marche très bien, pourquoi nous, les Genevois, nous serions les seuls à devoir brader notre presse, brader les derniers instruments qui servent à nous défendre, à nous faire exister sur la scène nationale et régionale... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...parce qu'on manque totalement de vision, on manque de sens des responsabilités, on manque au soutien à notre propre économie ? C'est de cela qu'il s'agit. Je vous recommande donc d'accepter cette motion telle quelle, sans amendement, parce que nous devons montrer un geste fort, une certaine détermination; c'est aussi à nous, politiques, de prendre le relais quand l'économie fait défaut. Je rappelle que quand l'UBS était au bord de la faillite...

Le président. C'est terminé !

M. Guy Mettan. ...c'est M. Couchepin, libéral, qui a volé à son secours, donc... (Le micro de l'orateur est coupé. Applaudissements.)

Le président. Eh bien maintenant, c'est M. Lefort qui va prendre la parole.

M. François Lefort (Ve). Merci, Monsieur le président. Voilà donc une benoîte motion déposée par notre collègue Guy Mettan, directeur du Club suisse de la presse, club lourdement subventionné par le Grand Conseil, qui vient nous appeler à la révolte contre les ravages du libéralisme, à la levée de fourches contre les magnats de la presse suisses allemands, dans une aimable gesticulation qui ne leur fera pas peur et qui ne va pas les déranger dans leur maximisation des profits. D'ailleurs, on apprend juste maintenant que la «NZZ» vient de délocaliser ses services de relecture en Bosnie !

On invite donc le Conseil d'Etat «à condamner fermement ce démantèlement de la "Tribune de Genève"», Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, à obtenir des «garanties» de Tamedia «sur le maintien de l'autonomie rédactionnelle» et sur «le non-licenciement» des journalistes. Avouons que ces garanties ne pourront jamais être obtenues, parce que c'est exactement le contraire que vient de faire Tamedia. Enfin, on invite les partenaires économiques à soutenir les médias locaux et à créer un fonds de soutien en faveur de ces médias. Cela ne manque pas de piquant: les flibustiers de Tamedia maximisent les profits, annoncent 20% de bénéfice, liquident les journalistes, et la solution serait de financer Tamedia. Nous, les Verts, nous avons de la peine à comprendre le raisonnement et la méthode. Ce que nous comprenons, par contre, c'est le désarroi des professionnels des médias, de tous les médias, radio, télévision et journaux, face à ces injustices. Leur travail exemplaire est nécessaire à la diffusion d'une information diverse, libre et critique, et visiblement, le travail porte ses fruits, cela fonctionne aussi à satisfaction des propriétaires de ces médias; et pourtant, ces mêmes propriétaires licencient à tour de bras chez Tamedia et dans d'autres groupes.

La vraie question que devrait poser cette proposition de motion, finalement, c'est celle des conditions-cadre de la presse, une question principalement nationale, ainsi que celle du subventionnement public des médias pour la formation citoyenne; mais un subventionnement public inconditionnel et non mandaté, sinon on se retrouvera avec des publi-reportages politiques à la gloire de ceux qui tiennent les cordons de la bourse - généralement, ce ne sont pas les Verts ! Le problème des médias est le même partout en Europe: c'est la chute des recettes par le transfert des publicités sur les supports numériques. Cela peut et doit se traiter au niveau national. Pourquoi ? Pour relocaliser une partie de ces profits publicitaires en Suisse, à l'instar de ce que les pays européens étudient en ce moment. Cela signifie taxer les entreprises étrangères qui ont des activités numériques en Suisse, taxer la publicité en ligne, taxer les transactions numériques, c'est-à-dire l'e-commerce qui ravage notre économie de détail bien plus que les achats transfrontaliers. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

Voilà donc les pistes: un subventionnement public, mais inconditionnel, de tous les médias et pas seulement de certains, la taxation des entreprises étrangères qui ont des activités numériques en Suisse. Tout cela relève surtout des compétences de l'Assemblée fédérale, et pour une très faible marge, de notre compétence cantonale. Pour nous faire une idée de cette faible marge d'action cantonale, nous demandons le renvoi de ce texte à la commission de l'économie.

M. Bernhard Riedweg (UDC). Tamedia, qui est le plus grand groupe de médias privés de Suisse, et qui emploie 3400 collaborateurs dans huit pays, a enregistré un recul de 12% des recettes de la publicité imprimée, ce qui a une incidence directe sur son chiffre d'affaires de 475 millions, qui a baissé de 5,7%, pour un bénéfice de 76 millions. Tamedia est un groupe coté à la bourse suisse. Dans ce cadre, il a l'obligation de rendre des comptes à ses actionnaires et, sous la pression de la rentabilité de ses prestations, il décide ce qui peut être rationalisé. Les besoins et les services à la clientèle locale sont des paramètres que Tamedia analyse dans la durée sous leur aspect financier, et il est logique, du point de vue économique, que les charges couvrent les recettes pour chaque produit. Ces quatre dernières années, alors que le nombre de lecteurs des marques payantes imprimées et digitales de Tamedia était en augmentation, les journaux ont perdu un quart de leurs recettes publicitaires.

Les plateformes digitales, les quotidiens, les hebdomadaires et les magazines de Tamedia offrent une vue d'ensemble rationnelle et sélective de l'actualité. Tamedia a décidé une nouvelle organisation des rédactions de journaux pour atteindre une meilleure croissance dans le journalisme digital. Le but de la réorganisation est de garantir l'indépendance économique et rédactionnelle des douze quotidiens et des deux journaux dominicaux payants en Suisse. Dès le 1er janvier 2018, deux nouvelles rédactions - soit une en Suisse romande et une en Suisse alémanique - produiront les contenus des rubriques Suisse, monde, économie et sport, et des centres de compétences sont prévus à Lausanne, Berne et Zurich. Regrouper les ressources permet - contrairement à ce qui est le cas avec plusieurs petites rédactions - de constituer des équipes performantes plus compétentes.

Le nombre de licenciements prévus initialement à la «Tribune de Genève» et à «24 heures» a été diminué de moitié, soit de vingt personnes, puis, dans un deuxième temps, a encore été réduit à douze personnes; cela a été possible suite à des départs volontaires et à des réductions de temps de travail, grâce à un dialogue social appuyé.

La nostalgie va-t-elle triompher de la réalité économique ? Le futur proche nous le dira ! Le canton peut toujours essayer de raisonner la direction de Tamedia, qui est une société privée sur laquelle le système politique n'a qu'une influence limitée. Une solution de maintien des médias dans le giron genevois serait d'adapter les prix des produits aux coûts qu'ils engendrent - ce qui devrait déplaire aux consommateurs - mais cette décision appartient à Tamedia. Merci, Monsieur le président.

Mme Salika Wenger (EAG). Chers collègues, j'ai un copain américain qui est venu passer le week-end à la maison. Il se baladait en Europe. Nous avons eu une discussion très amusante. Il m'a dit: «Est-ce que tu te rends compte que nous avons 250 marques de dentifrice et que nous n'avons que deux partis ?» Je lui ai dit que c'était en effet intéressant, mais qu'ici aussi, il y avait quelque chose d'intéressant: nous n'avons qu'un seul journal et sept partis. Un seul journal, pourquoi ? Parce que «20 minutes», c'est celui des frontaliers; «Le Matin», c'est celui des travailleurs dans les bistrots; la «Tribune de Genève», c'est celui des classes moyennes. La «Tribune» avait cet avantage d'être un journal rédigé un minimum, ce qui n'est pas le cas, nous le savons, pour quelque chose comme «20 minutes». Aujourd'hui, tout à coup, on nous prive d'une chose plus importante que les bénéfices de Tamedia: on nous prive d'informations ! J'aurais adoré que l'information soit multiple à Genève, mais ce n'est pas le cas. Néanmoins, la «Tribune» a un rôle extrêmement important, en tout cas pour les classes moyennes - «Le Temps» est un journal que ne lisent pas les gens que je défends. La «Tribune» a cet avantage que les articles y sont un minimum rédigés. Je ne suis pas certaine qu'elle soit complètement neutre, mais ce n'est pas ce qu'on lui demande. Donc aujourd'hui, le droit à l'information est bafoué; la diversité des points de vue est bafouée. Que Tamedia fasse ou non des bénéfices, qu'ils s'occupent de l'économie ou de je ne sais quoi d'autre, c'est comme pour les 250 marques de dentifrice: au bout d'un moment, on n'en achète qu'une seule. Nous resterons sept partis avec un seul journal, et celui-là sera plus pauvre que ce qu'il est aujourd'hui, c'est pourquoi je vous invite à voter cette motion d'urgence en disant que nous ne voulons pas être prisonniers des bénéfices de Tamedia.

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, nous assistons à une destruction de la presse à petit feu. Année après année, les deux grands groupes, Ringier et Tamedia, suppriment des emplois. C'est donc un secteur - qu'on pourrait qualifier de secteur économique en raison des emplois, même si, je le dirai ensuite, il ne l'est pas nécessairement, et ce n'est pas son but - qui subit un véritable massacre à petit feu. Aujourd'hui, il est essentiel de préserver la diversité de la presse. Il est essentiel de préserver une proximité avec les cantons, une approche fédérale, je dirais. Je suis un peu surpris du discours de l'UDC, parti qui me semblait défendre ces valeurs de notre pays, qui a une approche fédéraliste. En tant que cantons, nous devons garantir cette approche. Nous ne voulons pas assister à une destruction de la presse cantonale au profit d'un regroupement par grandes régions linguistiques; nous devons garder ces spécificités, non pas pour encourager M. Maudet face à Mme Moret dans une élection au Conseil fédéral, ce n'est pas ça le but de la presse; le but de la presse est de garantir l'information et le débat - à Genève, nous aimons le débat: on dit que nous avons des grandes gueules, et c'est vrai, on le sait; au Grand Conseil, nous aimons aussi ce débat. Nous devons le garantir dans la presse et nous ne pouvons pas laisser une telle uniformité s'installer à petit feu.

Mesdames et Messieurs, ce n'est pas un soutien à l'économie que de soutenir la presse, ce n'est pas pour soutenir les entreprises qu'il faut avoir une presse efficace et diversifiée. Non, c'est pour faire avancer les idées ! C'est la presse, de tout temps, qui a fait avancer les idées, c'est elle qui a apporté les débats, et c'est elle qui fait grandir le pays et la région, en l'occurrence le canton de Genève. Ici, la «Tribune de Genève», c'est symboliquement la goutte d'eau qui fait déborder le vase, puisque le transfert à Lausanne de rubriques telles que l'internationale est un non-sens absolu par rapport à une certaine proximité: la Genève internationale, c'est bien ici !

Mesdames et Messieurs, le groupe socialiste va évidemment soutenir ce texte. Il est partagé - vous le verrez dans son vote - entre un renvoi à la commission de l'économie et un soutien immédiat. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Les invites sont en effet justes quant à une action immédiate concernant le groupe Tamedia envers qui le Conseil d'Etat doit intervenir de façon active et forte pour éviter un maximum de licenciements et pour le maintien des rubriques au niveau local; mais il doit aussi y avoir une véritable réflexion sur la presse et le financement d'une presse qui ne soit pas à la recherche du profit, qui doit garantir l'information, qui, si elle est financée par des fonds publics comme les médias radio et télévisés, doit offrir la possibilité de débats. Cette réflexion ne peut pas se faire seulement par ce débat, aujourd'hui, dans l'enceinte du Grand Conseil...

Le président. C'est terminé, Monsieur.

M. Romain de Sainte Marie. ...mais doit avoir lieu en commission également. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur. La parole est à M. Vanek pour cinquante et une secondes.

M. Pierre Vanek (EAG). Merci, Monsieur le président. Je soutiendrai le renvoi en commission de cette proposition de motion que j'ai cosignée. Beaucoup d'insanités ont été dites par Guy Mettan; il a notamment dit qu'on a laissé partir «La Suisse» sans réagir: c'est faux ! C'est faux ! Dans cette salle, nous avons bataillé et défendu une initiative populaire cantonale législative déposée par l'Union des syndicats du canton de Genève... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...intitulée: «Initiative populaire dite "La Suisse" pour la pluralité de la presse et le soutien de l'emploi». Cette initiative demandait: «En application de l'article 8 de la constitution genevoise consacrant la liberté de la presse» - condition indispensable de la démocratie - «les autorités doivent prendre des mesures garantissant la diversité de la presse et veiller, conformément au droit fédéral, à ce que des situations de monopole ne se créent pas dans le secteur de la presse.» C'est nous, avec les syndicats derrière nous, qui avons défendu dans cette salle...

Le président. C'est terminé, cher Monsieur.

M. Pierre Vanek. ...cette initiative...

Le président. Merci, camarade !

M. Pierre Vanek. ...et ce sont vos bancs qui ont torpillé cette initiative populaire...

Le président. C'est terminé ! Merci beaucoup !

M. Pierre Vanek. ...dont on voit aujourd'hui...

Le président. Bravo, Monsieur ! (Le président rit.)

M. Pierre Vanek. ...qu'elle était in-dis-pen-sa-ble ! (Commentaires. Exclamations. Quelques applaudissements.)

M. Alexandre de Senarclens (PLR). Monsieur le président, chers collègues, ce texte traite un sujet très important, capital pour la démocratie, pour Genève. Le secteur de la presse écrite, on le sait, traverse une crise sans précédent. Si nous n'avons pas à juger ou à nous substituer au management d'une entreprise privée, il nous revient néanmoins, à nous élus, d'exprimer nos préoccupations quant à l'impact des décisions d'un groupe privé. Il en va ainsi de l'annonce récente de ce déménagement à Lausanne d'une grande partie de la rédaction de la «Tribune de Genève». Un journal doit évidemment être au contact de ses lecteurs et de celles et ceux qui composent le tissu politique, social et économique d'un lieu. Prétendre que ce lien privilégié pourra être maintenu à Lausanne relève d'un fantasme. La concentration des effectifs de la rubrique économique à soixante kilomètres de Genève traduit au mieux une méconnaissance totale du tissu économique genevois, au pire, un certain mépris pour le rayonnement de nos entreprises en Suisse et dans le monde entier. Il s'agit en outre d'un très mauvais signal vis-à-vis de la Genève internationale, de nos organisations internationales. Le rôle central de Genève sur la scène diplomatique et humanitaire mérite évidemment mieux qu'une équipe réduite au minimum et dont le champ d'action se limitera à la rubrique locale. Outre ce désintérêt manifeste pour la spécificité genevoise, le regroupement de l'ensemble des titres romands à Lausanne pose de sérieuses questions quant à la diversité de l'information, pilier fondamental de notre système démocratique. Pour ces motifs, le PLR est d'avis qu'il convient que le parlement fasse valoir ses inquiétudes, et invite Tamedia à reconsidérer sa décision. C'est la raison pour laquelle le PLR accepte les deux premières invites de cette proposition de motion. Cela étant, le PLR ne peut accepter l'intervention financière de l'Etat dans ce domaine, raison pour laquelle il refuse la troisième et la quatrième invites: ce n'est pas la solution, la presse papier doit se réinventer et créer les conditions de son succès et de son indépendance; l'ingérence de l'Etat sera néfaste précisément pour son indépendance. En l'état, le PLR ne pourra pas adopter ce texte, mais accepte le renvoi en commission. Merci, Monsieur le président.

M. François Baertschi (MCG). Je suis très surpris qu'aujourd'hui, exceptionnellement, nous ayons les caméras de la Télévision suisse romande. Je suis très surpris, parce que si nous avions parlé d'une entreprise ordinaire, de véritables employés ordinaires, nous n'aurions pas la Télévision suisse romande. Je trouve très déplaisant ce corporatisme. Je suis un ancien journaliste, mais je crois qu'il faut se placer en dehors de ces relations de copinage et de dépendance que le milieu politique peut avoir envers certains médias pour bénéficier de retours d'ascenseur, parce que d'un point de vue éthique, c'est inacceptable. Je pense à toutes les personnes licenciées à Genève, que l'on ignore, que l'on oublie, ce sont des gens qui ne sont pas intéressants. C'est quelque chose qui me choque profondément, et je vous le transmets, Monsieur le président.

Indépendamment de cela, c'est vrai qu'une bonne question est posée. Malheureusement, la question - et le premier signataire, M. Mettan, la connaît bien - remonte déjà aux années 1990, quand les vrais journaux genevois ont disparu, c'est-à-dire «La Suisse», le «Journal de Genève», ceux qui avaient une direction à Genève, avec laquelle on pouvait être d'accord ou pas. On s'est retrouvé avec la «Tribune», qui, déjà à cette époque, était une annexe du trust Edipresse; ce trust était bien géré, mais ce n'était déjà plus un journal genevois, il y avait déjà des synergies avec Lausanne. Il n'était plus vraiment à 100% genevois, hélas, parce que les Genevois n'ont pas su s'unir à ce moment-là, comme l'a dit M. Vanek, qui a essayé de faire, par la voie de gauche... Sur le fond, je suis d'accord avec ce qu'il a fait; mais je pense que ce n'aurait pas été la bonne manière d'agir, malheureusement. Il y avait sans doute d'autres manières de faire: des intérêts économiques auraient pu racheter ce titre, comme la place financière aurait pu défendre le «Journal de Genève», comme elle aurait dû le faire si elle avait vu un peu plus loin que le bout de son nez - malheureusement, ça n'a pas été le cas.

Voilà, nous en sommes là. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Le groupe MCG va demander le renvoi en commission... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...en espérant qu'il soit voté, pour retravailler, parce que nous ne pouvons pas accepter des journalistes qui soient à la botte de régies publiques ou qui soient subventionnés par l'Etat de Genève - d'ailleurs, on n'en a même plus les moyens, avec une dette de 260 millions... (Commentaires.)

Des voix. Un déficit !

M. François Baertschi. Avec un déficit de 260 millions, excusez-moi. Lapsus révélateur !

Une voix. Si seulement !

M. François Baertschi. Si seulement, oui !

Le président. Il vous faut terminer, Monsieur.

M. François Baertschi. Alors ce que je vous demande...

Le président. C'est terminé, Monsieur !

M. François Baertschi. ...c'est de défendre véritablement une vraie presse genevoise... (Le micro de l'orateur est coupé.)

Le président. Merci, Monsieur, j'ai compris. Monsieur le député, au Bureau - où vous avez aussi un représentant - nous avons accepté la présence de caméras pour nous filmer; nous ne pouvions pas savoir quel objet serait traité à cinq heures. Monsieur Sormanni, le temps de votre groupe est épuisé; Monsieur Lathion, c'est aussi le cas pour le vôtre. La parole est à Mme Engelberts pour une minute trente.

Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). Merci, Monsieur le président. Je ne parlerai pas d'économie, mais de sentiment d'appartenance. Je regardais la «Tribune» que j'avais prise avec moi hier, alors que j'étais à l'étranger; je voulais voir ce qui s'était passé. Qui parlera, par exemple, de M. Pagani et de la justice pour la droite municipale de la Ville de Genève ? Qui parlera des femmes prêtes à conquérir le Conseil fédéral ? Et qui, surtout, parlera de la culture genevoise, avec toutes les activités qu'elle propose ? Tous les jours, on peut voir au moins dix spectacles différents et en faire l'analyse. Qui parlera à l'ensemble des personnes âgées de ce canton, qui représentent 30% de la population ? Si les jeunes vont sur des tablettes, je veux bien; mais il y a des personnes qui préfèrent encore toucher du papier, et quand je vais dans un pays étranger, je demande d'emblée quel est le journal ou quels sont les journaux du pays pour bénéficier d'une diversité et lire, en Italie par exemple, aussi bien «La Stampa» que le «Corriere della sera», ou encore un autre journal. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Cette non-diversification de la presse est inadmissible; ça devient inacceptable. On nous canalise, on nous contraint à ne lire dorénavant que ce qu'un groupe privé, effectivement, nous soumet. C'est inadmissible; je pense qu'on a très bien fait de présenter cette situation ce soir. Je soutiendrai le renvoi en commission.

M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat déplore ce qui est en train de se passer dans le groupe Tamedia, qui n'est ni plus ni moins que le démantèlement sournois d'un groupe de presse par des décisions structurelles parfaitement illisibles, parfaitement incompréhensibles, par des choix rédactionnels étonnants qui consistent, Mesdames et Messieurs, dans la ville internationale mondiale, à déplacer la rubrique internationale à soixante kilomètres de distance; dans une ville qui compte un pouvoir économique sans égal par rapport aux cantons voisins, à déplacer également la rubrique économique. Quand le groupe Tamedia envisagera-t-il de déplacer la rédaction sportive chargée du ski alpin à Genève, ou la rédaction de la rubrique culinaire chargée des articles sur la longeole en Argovie ? C'est un peu ce qui transparaît dans ces choix illisibles. Celui qui vous parle a eu le privilège de diriger il y a dix-sept ans la rubrique régionale du premier et du seul quotidien transcantonal romand, «Le Temps». On ne peut pas faire fonctionner une rédaction de cette manière, on ne peut pas imaginer que la «Tribune de Genève» déploie ses effets en politique internationale, en politique économique à soixante kilomètres de distance. Le but d'un journal ne consiste pas seulement à relater des informations, mais aussi à faire partager des émotions: on ne peut pas partager des émotions si l'on ne partage pas la vie de la population à laquelle on s'adresse.

Mesdames et Messieurs, le gouvernement genevois a rencontré avec le gouvernement vaudois au mois de juin de cette année le groupe Tamedia; nous avons décidé ensemble de le rencontrer et non pas séparément. J'étais avec mon homologue président du Conseil d'Etat vaudois et avec les deux ministres de l'économie genevois et vaudois, MM. Leuba et Maudet. Le groupe Tamedia nous a assuré à ce moment-là qu'il n'envisageait pas de nouvelles mesures concernant l'emploi. Au fait et au prendre, les mesures qui nous sont proposées ne concernent pas l'emploi: il est vrai que personne ne perdra sa place, en tout cas dans un premier temps. Mais chacun aura compris que lorsque des structures aussi illisibles que celles qui sont proposées auront été constituées, la logique voudra ensuite que l'on constate qu'elles sont absolument illogiques et redondantes, et que donc on opérera à ce moment-là le démantèlement sournois dont je parlais.

J'aimerais que cette proposition de motion puisse être renvoyée à la commission de l'économie, comme vous l'avez suggéré, car ce sera l'occasion d'approfondir ce dossier et de se poser une question, celle de savoir s'il revient à un Etat de subventionner, d'aider, le cas échéant, un groupe de presse dont le bénéfice opérationnel remonte à 20% de son chiffre d'affaires et qui, l'année dernière, a déclaré 76 millions de bénéfice: ce n'est objectivement pas envisageable. Nous devrons aussi examiner ce combat en lien avec un autre combat sur lequel j'attire votre attention: l'Assemblée fédérale s'est penchée il y a quelques jours sur l'initiative «No Billag» qui vise ni plus ni moins qu'à démanteler une entreprise confédérale qui a été voulue comme un ciment de la cohésion fédérale, la SSR. Celle-ci ne survivra pas à l'initiative «No Billag» si elle est acceptée, ce qui aurait pour Genève des conséquences dramatiques, vous le savez: de toute éternité, depuis que la télévision existe, cette entreprise a été, pour sa partie francophone, localisée à Genève, elle produit ici des informations de qualité et elle a été capable jusqu'ici, par une organisation décentralisée, d'intéresser les téléspectateurs et les auditeurs genevois à l'actualité qui nous concerne tout en remplissant son rôle confédéral.

Mesdames et Messieurs, au nom du Conseil d'Etat, je vous invite à renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'économie, afin que nous puissions faire le tour des choses. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons voter sur le renvoi de cette proposition de motion en commission.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2411 à la commission de l'économie est adopté par 84 oui (unanimité des votants).