République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 11 mai 2017 à 17h
1re législature - 4e année - 3e session - 12e séance
PL 11915-A-I
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs, l'ordre du jour appelle le traitement du PL 11915-A-I. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à Mme Valiquer Grecuccio, rapporteure de majorité.
Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission a décidé de s'opposer au projet de loi de M. Stauffer qui revient finalement à ne pas permettre aux policiers de siéger au sein de ce Grand Conseil. J'énoncerai quelques arguments qui ont prévalu lors des travaux de commission. Quand bien même, il faut le dire, les commissaires ont écouté avec attention les arguments développés par le conseiller d'Etat chargé du département ainsi que la commandante de la police, il nous est apparu, après l'audition des syndicats de police et plus particulièrement de la Fédération suisse des syndicats de police, que la pratique helvétique en la matière est extrêmement diversifiée... (Brouhaha.) ...et que certains cantons autorisent les policiers à siéger.
Plus fondamentalement, durant leurs travaux, les constituants sont revenus sur la notion de compatibilité. L'article 83 de la constitution de 2012 autorise les policiers à siéger comme députés; l'incompatibilité s'est concentrée sur les personnes ayant fonction d'autorité, particulièrement au sein du pouvoir judiciaire... (Brouhaha persistant.) Excusez-moi, Monsieur le président, mais il y a un tel bruit, c'est insupportable ! (Le président agite la cloche.) Voilà, merci...
Le président. Merci, Madame. La parole revient à...
Mme Nicole Valiquer Grecuccio. Mais je n'ai pas terminé mon intervention, Monsieur le président !
Le président. Excusez-moi, j'ai été distrait, j'ai cru que c'était fini. Poursuivez.
Mme Nicole Valiquer Grecuccio. Je me suis interrompue en raison du bruit que je trouvais particulièrement dérangeant !
Lors des travaux de la Constituante, un avis de droit a été rédigé, indiquant très clairement que le mandat électif pouvait être accordé au personnel de police et que celui-ci ne saurait être contraint de se récuser lors des débats qui portent sur des normes générales et abstraites - cela rappelle d'ailleurs une référence de l'article 24 de la LRGC.
La commission estime, dans sa majorité, qu'il faut accorder aux policiers les mêmes droits qu'à n'importe quel citoyen et rappelle que ce qui doit conduire l'action de chacun et chacune ici est l'intérêt général. Dans son activité parlementaire, un policier est un citoyen comme un autre, comme nous tous, voué à servir l'intérêt général, je le répète, et les institutions. Par conséquent, nous vous demandons de rejeter ce projet de loi.
M. Charles Selleger (PLR), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs, je crois qu'il faut tout d'abord... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Le président. Un peu de silence, s'il vous plaît !
M. Charles Selleger. ...il faut tout d'abord casser un mythe: ceux qui se positionnent en faveur de ce projet de loi n'entendent pas considérer les policiers ou les assistants de sécurité publique comme des sous-citoyens. C'est un argument qu'on a trop souvent entendu et qui ne tient pas la route parce que, dans ce cas-là, on considérerait aussi les personnes à des grades supérieurs de la police comme des sous-citoyens, ainsi que tout fonctionnaire à partir de la classe 23. Non, ces gens-là sont évidemment des citoyens normaux, comme tout le monde, mais pour qui une incompatibilité de siéger est prévue pour des raisons précises. Ainsi en va-t-il également, vous le savez, des membres des pouvoirs exécutif et judiciaire.
Les arguments en faveur de ce projet de loi sont extrêmement nombreux, et je vais rapidement les lister: il s'agit de la séparation des pouvoirs, de l'état de subordination des forces de police non seulement au pouvoir exécutif mais encore au pouvoir judiciaire, du devoir d'obéissance accru des policiers envers leur hiérarchie - hiérarchie qui elle-même, je le rappelle, est inéligible - de leur devoir de loyauté, de réserve, de neutralité et d'impartialité. Tous ces points ont été largement explicités en commission, tant par la commandante de la police que par le conseiller d'Etat, M. Pierre Maudet.
Dès lors que tout policier, quel que soit son niveau hiérarchique, est appelé à accomplir des actes de police judiciaire, la question de la séparation des pouvoirs se pose. La loi sur la police précise que la police détient, de manière déléguée, des pouvoirs d'autorité et de contrainte, y compris l'usage de la force au besoin. Il s'agit donc bien du bras armé de l'Etat, et c'est pour cela qu'elle est détentrice d'armes.
La subordination des fonctionnaires de police est particulièrement soulignée par le fait qu'il s'agit du seul corps constitué qui prête serment devant le Conseil d'Etat in corpore. Or le pouvoir législatif est celui qui contrôle l'exécutif. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Quand on est professionnellement engagé dans une relation d'obéissance accrue envers sa hiérarchie - relation d'obéissance de type militaire - comment peut-on exercer pleinement le rôle du législateur, qui est de contrôler le gouvernement, sans entrer dans un conflit de loyauté ?
Lors de son audition, M. Maudet a évoqué des faits concrets, des lignes rouges franchies... (Le président agite la cloche pour indiquer que l'orateur parle sur le temps du groupe.) ...une confusion totale entre le rôle de policier et celui de député, le devoir de neutralité non respecté - je vous renvoie à la lecture du rapport de majorité qui relate tout cela. Encore une fois, il ne s'agit pas de stigmatiser les policiers députés, mais de constater que dans leur rôle légitime d'élus du pouvoir législatif, ils sont en contradiction complète avec leur engagement professionnel.
Dans notre pays, chaque canton dispose d'une large marge de décision quant aux règles constitutionnelles à établir. Genève a choisi, comme environ la moitié des autres cantons, de rendre éligibles les fonctionnaires de police - c'est dire que l'autre moitié a choisi le contraire. Décider de changer les règles ne nous mettrait pas dans une situation exceptionnelle. L'expérience vécue, particulièrement depuis 2005, a fourni de nombreux exemples de la difficulté de fonctionner à la fois comme député et comme fonctionnaire de police, c'est donc légitimement que se pose la question de modifier la constitution.
Peu importe que le débat soit amené par un député qualifié par certains de revanchard vis-à-vis de son ancienne appartenance politique - je relève d'ailleurs que le thème avait été soulevé auparavant par un député d'une tout autre formation. L'expérience vécue à Genève nous convainc qu'une modification constitutionnelle est opportune. D'après les prises de position en commission, elle a peu de chances d'aboutir, et si elle est acceptée aujourd'hui, c'est en définitive le peuple qui tranchera vu la nature constitutionnelle du projet. En conclusion, je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à soutenir ce projet de loi.
M. Bernhard Riedweg (UDC). Nous estimons que l'article 24 de la loi portant règlement du Grand Conseil, qui prévoit qu'un député s'abstienne sur un sujet entraînant un conflit d'intérêts, est à même d'apporter une solution à la question soulevée par ce projet de loi. Les membres d'une commission se récusent lorsqu'ils ont un intérêt personnel dans un objet soumis à délibération ou que leur impartialité peut être mise en cause. Ce projet de loi vise uniquement les fonctionnaires de police et les assistants de sécurité publique, pas l'ensemble des fonctionnaires de l'Etat, ce qui est à considérer comme une discrimination.
A nos yeux, il n'est pas acceptable que le parlement réduise les droits politiques d'une partie des citoyens - on parle tout de même de 2000 policiers ! - comme s'ils étaient moins à même de participer au débat public. De manière générale, plus un fonctionnaire s'élève dans la hiérarchie et se voit confier des fonctions d'autorité ainsi que des tâches régaliennes, plus il doit faire preuve de retenue dans ses activités politiques, voire s'abstenir s'il y a un véritable intérêt matériel et financier en jeu. Légiférer pour les 2000 policiers actifs dans le canton n'est pas acceptable alors que l'on ne compte que trois d'entre eux au Grand Conseil. Il serait dommageable d'instaurer une discrimination s'agissant de droits fondamentaux majeurs comme celui d'être élu. On ne peut pas priver une partie de la population de ses droits ! Un policier hors service est un citoyen comme un autre qui doit pouvoir prendre part à la vie civique. Si l'on commence à interdire à un policier l'exercice de ses droits politiques, on devrait étendre cette proscription à l'ensemble des fonctionnaires, ce qui serait antidémocratique.
Bien sûr, dans certains cas, il peut se révéler délicat de trouver les limites entre pratique professionnelle et activité de député, mais gardons à l'esprit qu'il faut se montrer ouvert en démocratie s'agissant de la participation des policiers aux institutions. Faut-il préciser que les cadres en classe 23 et plus, soit les commissaires, l'état-major de la police judiciaire, les capitaines et les premiers lieutenants, ne peuvent pas être élus ? Les policiers, quant à eux, sont éligibles jusqu'aux grades de chef de brigade et lieutenant. Nous pensons que ce projet de loi a un côté revanchard et vise des personnes déterminées. Par conséquent, l'Union démocratique du centre refusera l'entrée en matière et vous demande, Mesdames et Messieurs, d'en faire de même. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Eric Stauffer (HP). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a créé beaucoup - je dirais même énormément - de discussions parallèles. J'ai à peu près tout entendu. Mais avant de vous exposer mon point de vue et mon argumentaire, j'aimerais, en tant que député indépendant, remercier tout le corps de police qui fait un travail admirable pour protéger la population... (Exclamations. Commentaires.) Les policiers veillent à la sécurité de nos concitoyens, parfois au sacrifice de leur vie, et j'aimerais ici leur rendre hommage.
Depuis que je suis entré en politique, Mesdames et Messieurs les députés, je n'ai eu de cesse de défendre cette corporation, je n'ai eu de cesse d'expliquer qu'un policier n'est pas un fonctionnaire comme un autre et que, dès lors, il est à considérer de manière différente. Avez-vous jamais vu un instituteur répondre aux ordres de son chef et s'opposer à des manifestants dans la rue ? Avez-vous jamais vu un avocat, soit une personne exerçant une profession libérale, répondre au commandement du procureur général et s'exécuter ? Et les infirmières ? Non, les choses sont différentes, le rapport hiérarchique n'est absolument pas le même. Les policiers sont des fonctionnaires particuliers, ils sont à traiter comme tels, ils doivent bénéficier de certains avantages de par la pénibilité de leur profession. C'était mon préambule, Mesdames et Messieurs.
Maintenant, que n'ai-je pas entendu sur ce projet de loi ? «C'est une vengeance du député Stauffer qui n'est plus au MCG !» Non, Mesdames et Messieurs... (Commentaires.) Non, Mesdames et Messieurs ! La preuve - et je prends à témoin tout le corps de police: est-ce que vos conditions se sont améliorées depuis 2005, depuis qu'il y a des policiers députés ? Non... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...elles se sont même dégradées. Pourquoi ? Parce qu'ils n'ont pas réussi à défendre vos intérêts; au contraire, ils ont exaspéré le gouvernement qui en a fait une lutte personnelle, et l'ensemble de la corporation en a fait les frais. Alors je vous le dis, Mesdames et Messieurs les députés, ne croyez pas que mon projet de loi est contre le MCG, il est pour la police !
Le président. C'est terminé, Monsieur, merci.
M. Eric Stauffer. Non, Monsieur le président, excusez-moi mais je finis...
Le président. Vous avez eu vos trois minutes, c'est tout !
M. Eric Stauffer. Je termine...
Le président. La parole est à...
M. Eric Stauffer. Je retire mon projet de loi ! (Exclamations.) Et je défie à présent ce parlement de le reprendre sur le siège ! (Le micro de l'orateur est coupé. Commentaires.)
Le président. Très bien, Monsieur, nous prenons acte de votre retrait. (Commentaires.) Voilà, tout ça pour ça !
Le projet de loi 11915 est retiré par son auteur.