République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 24 février 2017 à 14h
1re législature - 3e année - 13e session - 71e séance
PL 11965-A
Premier débat
Le président. Nous arrivons au PL 11965-A. Le rapport est de M. Jean Romain, qui ne prend pas la parole. Je la passe donc à M. le député Jean-François Girardet.
M. Jean-François Girardet (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la LIP, la loi sur l'instruction publique, a été modifiée et votée; elle est entrée en vigueur... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...avec cette modification de l'article 59 qui impose aux directeurs d'établissements primaires de consacrer une partie de leur temps de travail à l'enseignement. Le Tribunal fédéral a été saisi d'un recours contre cette disposition par l'association des directeurs d'établissements. Le Tribunal fédéral a déjà répondu qu'il refusait l'effet suspensif. Le MCG ne comprend pas, dès lors, la volonté des signataires de ce projet de loi d'imposer une directive législative qui fait justement et précisément l'objet d'une telle levée de boucliers des professionnels. Nous voulons déjà appliquer cette directive pour les intéressés, à savoir les directeurs de l'école primaire, et ne pas du tout entrer en matière sur une généralisation de cette disposition largement combattue par les professionnels.
M. Olivier Baud (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, les directeurs du cycle d'orientation et du collège ont-ils le droit d'enseigner ? La réponse est non. M. Romain livre un rapport assez personnel sur la question et il a raison. La commission n'a pas débattu du sujet, aussi il serait difficile de faire état de discussions inexistantes. Mais dans les faits, contrairement à ce qui est affirmé, il n'existe aucun droit à enseigner. Il suffit de lire la réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente 418. Les directeurs de l'enseignement secondaire ont-ils le droit d'enseigner ? Non, répond le Conseil d'Etat, aucune base légale ou réglementaire n'existe. Cela ne fait pas partie de leur cahier des charges non plus. Or, une obligation d'un côté, une liberté de l'autre, cela s'appelle une inégalité de traitement. Et c'est ce que veut corriger ce projet de loi en abrogeant l'article 59 de la loi sur l'instruction publique, article qui figure là comme une verrue disgracieuse. Personne n'a pu expliquer pourquoi un directeur d'établissement du primaire devrait enseigner et pas son collègue du secondaire; et pour cause, car il n'y a aucune raison à cela.
Alors pourquoi s'acharner ? Pourquoi refuser d'en débattre ? Un des arguments est que le débat aurait déjà eu lieu. Le bel argument que voilà ! Pour le droit de vote pour des femmes, le débat avait aussi eu lieu... et heureusement qu'il a été repris ! Pourquoi ne pas faire la liste de tous les objets dont on a déjà parlé pour les écarter d'office ? L'ordre du jour se verrait passablement allégé. Mais soyons un peu sérieux. Non seulement il n'y a eu aucun débat en plénière le 17 septembre 2015 lorsque cet amendement incongru est apparu au moment du vote de la LIP, mais surtout, on ne tient pas compte du fait qu'en huit ans, le nombre d'établissements primaires a diminué drastiquement, passant de 94 à 58. C'est aussi ignorer la taille de ces établissements dont au moins cinq dépassent en nombre d'élèves le plus gros des cycles: 768 élèves pour le collège des Coudriers, le plus grand, 850 pour l'école primaire de Veyrier, 782 à l'école primaire Le-Corbusier, etc. C'est également refuser de constater la disparité de moyens: doyens, maîtres adjoints, secrétaires - au pluriel - etc. d'un côté, et équipe de direction réduite à sa plus simple expression de l'autre. Les établissements primaires qui peuvent compter sur un secrétariat à 100% se comptent sur les doigts d'une main.
Pourquoi vouloir à tout prix que les directeurs du primaire enseignent ? Cela ne génère aucune économie. Les directeurs continuent à avoir leur traitement plein et personne ne contrôle leur travail. Alors, Mesdames et Messieurs, il faut faire un choix. (Brouhaha.) Ou tous les directeurs ont le droit d'enseigner, et l'on fait confiance à leur professionnalisme pour faire le meilleur choix, ou tous les directeurs sont obligés d'enseigner. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Il n'y a pas d'autre alternative.
La menace d'un amendement demandant que tous les directeurs, du primaire et du secondaire, soient contraints d'enseigner a été brandie par la droite en commission et a eu l'effet escompté. Mais de là à avoir le courage de le déposer... Aujourd'hui, je prends la majorité au mot et propose un amendement dans ce sens, afin de rétablir une égalité de traitement. Personnellement, je pense que ce projet de loi devrait être accepté tel quel car c'est la seule voie pour rétablir une certaine justice et redonner à la LIP un visage acceptable. Mais je vous mets au défi de voter l'entrée en matière, d'accepter ensuite l'amendement et de voter enfin la loi telle qu'amendée. (Brouhaha.) Il est facile de fanfaronner, mais un peu plus ardu d'avoir le courage d'assumer ensuite. Vous avez la majorité, ayez la vaillance d'aller au bout de vos convictions, aussi erronées soient-elles. Je vous propose également un renvoi à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport pour pouvoir, notamment, entendre le département sur cette question. Enfin, je demande le vote nominal sur tous les votes. Je vous remercie de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le député. Etes-vous soutenu pour le vote nominal ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, c'est bon. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la commission de l'enseignement. Je passe la parole à M. le rapporteur, sur cette demande.
M. Jean Romain (PLR), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Chers collègues, évidemment, nous allons refuser ce renvoi en commission. La discussion a eu lieu plusieurs fois; on peut évidemment la recommencer, mais nous sommes maintenant en présence de tout autre chose, il y a un amendement qui veut généraliser une possibilité donnée par l'article 59. Il n'y a aucune raison de changer maintenant notre fusil d'épaule. Je vous demande donc de ne pas suivre cette demande de renvoi en commission.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, je lance le vote sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11965 à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport est rejeté par 62 non contre 18 oui (vote nominal).
Le président. Notre débat continue. Je passe la parole à M. le député Stéphane Florey.
M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Il y a plusieurs choses à rectifier dans ce qui vient d'être dit. D'abord, la majorité de la commission n'a jamais eu l'intention de faire enseigner tous les directeurs; elle a toujours pensé uniquement aux directeurs du primaire. Vous n'étiez pas là, M. Baud, quand nous avons longuement débattu de la motion qui se trouve à la base de l'article 59, intervenue lors du débat sur la révision de la LIP: c'est justement lors de ce débat, lors de l'étude de cette motion que la majorité de la commission a été convaincue que la demande exprimée dans la motion ne devait s'appliquer qu'aux directeurs du primaire et pas à l'ensemble des directeurs, puisqu'une école primaire, un cycle d'orientation, un collège ne se gèrent pas de la même manière; c'est pour cette raison, principalement, que nous en sommes restés à l'objectif des directeurs du primaire.
Deuxième chose à rectifier: oui, les directeurs du collège, par exemple, ont le droit d'enseigner puisqu'il y a déjà eu au moins un précédent, une ancienne directrice du collège Rousseau, sauf erreur, qui a négocié avec le département et qui a pu conserver un minimum d'heures d'enseignement qu'elle tenait absolument à conserver; c'était pour une discipline bien spécifique, pas pour du français ou des maths. On voit donc bien que règlement ou pas, loi ou pas, il y a une possibilité, il y a une porte ouverte. Là-dessus, l'intervenant se trompe donc entièrement, et finalement, pour nous, il n'est pas question de revenir sur l'article 59. Nous vous invitons donc à refuser l'amendement, à refuser l'entrée en matière et à en rester là. Je vous remercie.
M. Guy Mettan (PDC). Je préciserai juste que le parti démocrate-chrétien suivra le rapport de majorité de M. Jean Romain et refusera tous les amendements proposés pour modifier ce projet de loi.
M. Jean Romain (PLR), rapporteur. Chers collègues, l'article 59 dit ceci: «Les directeurs d'établissement consacrent une partie de leur temps de travail à l'enseignement.» Il s'agit uniquement des directeurs de l'école primaire. (Brouhaha.) Il a été adopté en plénière par une large majorité, à deux reprises contesté et à deux reprises adopté. Bien sûr, il a été par la suite contesté par l'association des directeurs devant la Chambre administrative, qui a refusé le recours, y compris l'effet suspensif. Ensuite, l'association des directeurs est allée recourir au Tribunal fédéral, qui n'a toujours pas statué, mais qui a refusé d'emblée l'effet suspensif. En date du 29 décembre 2016, les avocats de l'association des directeurs ont une fois encore demandé au Tribunal fédéral l'effet suspensif... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...et une fois encore, le Tribunal fédéral le leur a refusé.
Ce projet de loi d'extrême gauche est ensuite venu demander que tous les directeurs des écoles de Genève aient «le droit» d'enseigner. Mais c'est le cas ! Ils peuvent le faire, il n'y a pas d'interdiction, il n'y a pas une obligation pour eux de s'éloigner de l'enseignement ! Ce n'est pas interdit. Il est amusant d'accorder un droit qui existe déjà ! Comme Ensemble à Gauche venait de recevoir la médaille Fields d'enfonceurs de portes ouvertes, et comme personne n'a soutenu l'entrée en matière de ce projet de loi en commission - personne, pas même le représentant d'Ensemble à Gauche - voici qu'on veut maintenant obliger par un amendement tous les directeurs des écoles genevoises à enseigner. Il n'échappe à personne qu'après la surenchère des directeurs pour ne pas enseigner malgré la directive du DIP en la matière, c'est la politique du pire qui est ainsi mise en oeuvre par l'extrême gauche: puisqu'on ne peut pas tout soustraire, on va tout ajouter ! Cette politique qui passe d'un extrême à l'autre n'est pas sage - mais comment s'en étonner de la part d'un groupe qui n'est pas particulièrement sage ? - comme toutes les politiques du pire ne sont pas sages. Ce qui est sage, chers collègues, ce qui est juste aujourd'hui, ce n'est pas de mettre de l'huile sur le feu comme le fait cet amendement, mais d'attendre tout simplement que le Tribunal fédéral ait donné son verdict. Nous devons attendre cela, c'est pourquoi le PLR refuse l'amendement proposé et accepte la conclusion de la commission, à savoir le refus d'entrer en matière sur ce projet de loi.
Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je souhaite que sur ce type de débat, on garde une certaine sérénité. L'amendement que vous aviez voté en plénière concernant les directeurs et les directrices du primaire a suscité beaucoup d'émotion à l'intérieur du département. Comme on l'a rappelé, il continue de le faire. J'aimerais simplement ici réitérer ma confiance en toutes les directrices et tous les directeurs, quels que soient les ordres et les degrés d'enseignement. Ce sont des personnes de qualité, qui se donnent sans compter pour l'institution; j'aimerais qu'on s'en souvienne ici aussi. Je vous invite donc simplement à refuser l'amendement, qui orienterait vers une politique complètement absurde, et je rappelle qu'il n'existe aujourd'hui aucune interdiction formelle si quelqu'un souhaite enseigner.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote d'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 11965 est rejeté en premier débat par 53 non contre 11 oui et 10 abstentions (vote nominal).