République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 15 décembre 2016 à 14h
1re législature - 3e année - 11e session - 58e séance
GR 531-A
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au rapport de la commission de grâce 531. Je prie Mme Isabelle Brunier de s'installer à la table des rapporteurs pour nous présenter le dossier de grâce. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Vous avez la parole, Madame la rapporteure.
Mme Isabelle Brunier (S), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. (Brouhaha. Le président agite la cloche. Un instant s'écoule.) Je regrette, mais trancher sur une demande de grâce est une prérogative du Grand Conseil, et écouter ce que j'ai à vous dire concernant la personne qui demande cette grâce me semblerait le respect minimum pour elle. Merci.
M. A. P. est né le 29 avril 1985 à Thonon-les-Bains. Originaire de Genève, il a la double nationalité suisse et cap-verdienne. Il a suivi toute sa scolarité et sa formation professionnelle à Genève. Il a fréquenté l'Ecole des arts décoratifs, où il a obtenu un CFC de dessinateur en architecture d'intérieur, puis une maturité professionnelle dans la même branche. Il est célibataire mais vit maritalement depuis trois ans avec une compagne. Depuis mars 2015, A. P. et sa compagne sont devenus parents d'une petite fille. Il a actuellement un emploi stable comme recycleur, l'attente de son exécution de peine l'ayant fait renoncer à chercher un emploi dans son domaine de compétence.
Les faits qui lui sont reprochés se sont déroulés entre février et juin 2012, lors d'une rupture sentimentale difficile, mal acceptée, en plusieurs épisodes peu reluisants et violents, avec vol du téléphone de son ex-compagne, SMS et appels téléphoniques abusifs, brûlures au taser - infligées également à son ex-compagne, à deux reprises en février et avril 2012 - menaces de diffusion d'images intimes et injures par SMS entre le 30 avril et le 1er mai 2012.
Les faits les plus graves se sont déroulés dans la nuit du 10 juin, suite à une rencontre inopinée au Java Club... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...entre A. P., son ex-amie et le nouvel ami de celle-ci. Suite à cette rencontre, il s'est rendu au domicile de son ex-compagne vers 5h du matin et a réussi, après une forme de harcèlement par l'interphone, à entrer dans l'appartement; il s'est saisi de ciseaux qui s'y trouvaient et a attaqué le nouvel ami de son ex-amie, qui a été blessé et a réussi à s'enfuir. En revanche, son ex-amie est restée à l'intérieur de l'appartement, où A. P. a continué à la frapper, même alors qu'elle était tombée à terre, tout en la menaçant toujours avec cette paire de ciseaux. C'est finalement l'intervention d'un voisin qui a mis fin à cette scène extrêmement violente. Il existe également plusieurs témoins de ces faits.
A. P. s'est ensuite enfui et s'est rendu à la police le soir du 10 juin 2012 vers 18h30. Un prélèvement de sang effectué à 20h ce soir-là n'a pas permis de retrouver de traces d'alcool, alors que divers témoins attestent l'avoir vu passablement aviné la fameuse nuit au Java Club. Le nouveau petit ami a été plus grièvement blessé que l'ex-amie; l'attaque aux ciseaux lui a causé plusieurs blessures qui ont nécessité des points de suture et dix jours d'arrêt de travail.
A. P. a accompli septante-deux jours de détention préventive. Le jugement de 2013 lui a d'abord infligé quatre ans et demi de prison ferme. En appel, en octobre 2014, le verdict de culpabilité a été maintenu, mais la durée de l'emprisonnement a été réduite d'une année, soit à trois ans et demi. La grâce demandée est justifiée, parce que des faits nouveaux sont survenus après la procédure d'appel d'octobre 2014 et n'ont pas pu être pris en compte.
A. P. a désormais un emploi stable et, malgré un salaire modeste, il a commencé à indemniser ses victimes. Il a désormais également une compagne. Celle-ci a un emploi stable à plein temps et est mère d'un garçon d'une dizaine d'années, né d'une précédente union, pour lequel A. P. agit comme un beau-père, présent et attentif; par ailleurs, comme je l'ai déjà dit, le couple a eu une fillette en mars 2015. En outre, A. P. suit depuis plusieurs années une thérapie avec une psychologue.
En automne 2015, il a été convoqué par le SAPEM, qui s'est déclaré favorable à une exécution en milieu ouvert, vu son bon comportement depuis les faits, mais l'exécution de peine a pris du temps à être organisée et ce n'est finalement qu'en octobre 2016 que le SAPEM a annoncé à A. P. que la peine serait exécutée dans le secteur ouvert de l'établissement pénitentiaire de Witzwil, dans le canton de Berne, normalement dès le 21 novembre 2016. Mais évidemment, cette nouvelle a été relativement mal accueillie: il a été difficile d'accepter d'exécuter cette peine loin de sa famille, de ses amis et de son entourage.
Suite à cette annonce, l'avocat d'A. P. a formulé un recours le 24 octobre dernier afin d'annuler l'accord du Conseil d'Etat pour Witzwil et de demander l'exécution en milieu fermé à La Brenaz, en proposant, le cas échéant, d'aller à Champ-Dollon en attendant qu'une place se libère à La Brenaz, et ce dès janvier 2017.
La demande de grâce date du 14 novembre 2016. Les arguments - je les ai déjà quelque peu abordés - sont qu'A. P. a pris conscience de la gravité de ses actes, il travaille, suit une thérapie, indemnise ses victimes, a une vie sentimentale et familiale stable. Sa demande est double: d'une part, il y a une demande de grâce complète et, d'autre part, si celle-ci ne devait pas être acceptée, il a formulé une demande de grâce partielle avec une diminution drastique, selon les termes de l'avocat, de la durée de sa peine.
Le président. Merci, Madame la députée. (Remarque de Mme Isabelle Brunier.) Vous avez la parole, Madame la députée.
Mme Isabelle Brunier. Je vous remercie, Monsieur le président. Je vais encore donner le préavis de la commission de grâce, même s'il figure dans le document que vous avez reçu et qui se trouve à vos places. La commission de grâce a rejeté à l'unanimité la demande de grâce totale. Cependant, si la demande de grâce partielle a également été rejetée, elle l'a été avec le résultat beaucoup plus serré de 6 non contre 5 oui et 2 abstentions.
Le président. Merci, Madame la rapporteure. Mesdames et Messieurs les députés, je vous fais donc voter sur les préavis émis par la commission, tels qu'ils vous ont été expliqués par Mme le rapporteur Isabelle Brunier. La commission de grâce s'est prononcée sur deux questions, à savoir la grâce totale et, subsidiairement, la grâce partielle. Je mets tout d'abord aux voix le premier préavis de la commission, à savoir le rejet de la grâce totale.
Mis aux voix, le préavis de la commission de grâce (rejet de la grâce totale) est adopté par 85 oui et 2 abstentions.
Le président. Nous passons au vote sur le deuxième préavis de la commission, à savoir le rejet de la grâce partielle.
Mis aux voix, le préavis de la commission de grâce (rejet de la grâce partielle) est adopté par 57 oui contre 21 non et 10 abstentions.