République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 septembre 2016 à 16h15
1re législature - 3e année - 7e session - 41e séance
PL 11709-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
Le président. Les projets de lois suivants sont en catégorie I, débat libre. Je passe la parole au rapporteur de majorité, M. Jean Romain.
M. Jean Romain (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. C'est le 27 mars 2014 que le Grand Conseil a voté la loi sur les taxis de service public et autres transports professionnels de personnes, un projet de loi déposé en juillet 2010, lors de la législature précédente. J'y étais déjà ! Dans l'intervalle, la loi est devenue surannée, avant même son entrée en vigueur, qui n'est toujours pas intervenue à ce jour. Deux raisons à cet état de fait: d'une part, le concept de la centrale unique a été remis en question sous l'angle de sa constitutionnalité. D'autre part, le marché des transports professionnels a évolué et doit à présent compter avec de nouvelles formes de mobilité de la population, qui fait appel à des acteurs... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Merci. ...qui diffusent des courses et à des offreurs de services de transport professionnel. On connaît tous Uber, il en existe d'autres. Les professionnels qui offrent leurs services de chauffeurs, que ce soit comme taxis ou chauffeurs de limousine, ou encore par le biais d'une société, ont également évolué. Dans ce contexte, la loi dont nous avons à parler ici sur les services de transport de personnes tient compte de la législation constitutionnelle et prend en compte les nouvelles données de ce marché très problématique à Genève. Il s'agit d'une simplification de la réglementation, à l'instar, surtout, de ce qui se pratique dans les autres grandes villes de Suisse.
Ce projet de loi propose un certain nombre de nouveautés que je me propose simplement d'énumérer. Il y a huit - pas neuf, pas sept - il y a huit idées structurantes dans ce texte. Je vais les énumérer pour que vous voyiez le cadre dans lequel il a été conçu. (Brouhaha persistant. Remarque.)
Le président. Un instant, Monsieur le rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, ça ne va pas aller comme ça, on ne va pas tenir jusqu'à 20h dans ce brouhaha incessant. Je demande à ceux qui veulent tenir des conciliabules d'aller à la salle des Pas-Perdus ou à la salle Nicolas-Bogueret, les autres peuvent rester. Poursuivez, Monsieur le député.
M. Jean Romain. Je vous remercie. Je redis qu'il y a huit idées structurantes. La première, c'est une catégorie unique de taxis, contingentée et bénéficiant d'un droit d'usage accru du domaine public et d'une bonne visibilité du public; deuxièmement, une autre catégorie, une catégorie unique d'autres transporteurs professionnels de personnes, soit les voitures de transport avec chauffeur - que je vais dorénavant appeler VTC - dont le nombre n'est pas limité et exerçant une activité similaire, mais pas identique, à celle des taxis; troisièmement, une simplification du système des autorisations, celles-ci se résumant à la carte professionnelle de chauffeur et à l'autorisation délivrée aux chauffeurs de taxi leur permettant un usage accru du domaine public; quatrièmement, la création d'une nouvelle notion, celle de diffuseur de courses - on va devoir parler de cette nouvelle notion de diffuseur de courses - qui englobe tous les intermédiaires mettant en relation les clients et les chauffeurs; cinquièmement, la multiplicité des diffuseurs de courses, conduisant à l'abandon du concept de centrale unique, que nous avions voté pourtant en 2014; sixièmement, des obligations d'annonce auprès de l'autorité et de collaboration lors de contrôles, imposées aux diffuseurs de courses et aux entreprises de transport; septièmement, l'ouverture à la mixité des activités des chauffeurs indépendants, des entreprises et des diffuseurs de courses; et huitièmement - ce n'est pas le moindre - le renforcement des sanctions en cas de violation de la loi ou de ses dispositions d'exécution.
Chers collègues, vous voyez immédiatement qu'il ne s'agit pas de fonctionnariser les chauffeurs de taxi mais de les protéger, de protéger leur situation de service public, notamment en en limitant le nombre. Il ne s'agit pas non plus de brimer les nouveaux acteurs dans le transport de personnes mais de les obliger à respecter les lois en vigueur chez nous. Tel est le cadre dans lequel s'inscrit globalement ce projet de loi, sur lequel la commission a travaillé six mois, c'est-à-dire quarante-neuf heures. Je vous remercie.
M. Pierre Vanek (EAG), rapporteur de minorité. En effet, la commission a travaillé un nombre d'heures impressionnant - je suis littéralement payé pour le savoir - sur ce projet qui aborde beaucoup de détails, qui contient de bonnes choses et de moins bonnes choses - on pourra en discuter - et qui, quelque part, a des aspects de règlement, vous ne me contredirez pas: le PLR plaide pour une densité normative plus légère, or là on est dans le bricolage fin, disons. Tout cela dans la foulée d'une loi précédente qui n'est même pas entrée en vigueur, qui a été votée en 2014 et qui tout d'un coup est jugée obsolète eu égard à un certain nombre de développements. Cette loi succède à je ne sais combien d'autres lois; j'en discutais avec Michel Ducret, qui est entré au Grand Conseil en 1993. Combien de lois sur les taxis, Monsieur le député, avez-vous faites ? (Remarque.) Cinq lois sur les taxis en une vingtaine d'années ou un peu plus ! Ça fait qu'on en change tous les quatre ans. Il y a un problème de fond: on devrait probablement être capable de prendre de la hauteur, cesser de bricoler et réfléchir à un paradigme différent de celui qui est mis en oeuvre dans ce secteur.
M. Gabriel Barrillier. Nationaliser !
M. Pierre Vanek. Oui, mais... M. Barrillier, qui est mon conseiller idéologique personnel, dit qu'il faudrait nationaliser. Bien sûr ! Bien sûr qu'il faudrait faire des transports par taxi un complément des TPG, un service public complémentaire des TPG avec une organisation matériellement complémentaire, régie par les TPG, avec - c'est là que le bât blesse aujourd'hui dans la profession, personne ne me contredira - des conditions de travail et de salaire décentes pour les chauffeurs et une organisation un tout petit peu rationnelle du secteur. Or, ce n'est pas ce qui nous a été proposé. A part les détails de ces intéressants documents, je mets au défi... Je pense qu'il n'y a pas un seul député dans cette salle, sauf Jean Romain qui les a commis...
M. Alberto Velasco. Moi ! Moi !
M. Pierre Vanek. C'est vraiment vrai, Alberto ? Tu as lu ces 500 pages ? (Remarque. Rire.) Bon, alors à part certains êtres d'exception qui ont lu les 1000 pages... enfin les 500 pages, excusez-moi... (Remarque.) ...630 pages du rapport, personne ne touche le puck en la matière, donc en fait il faut revenir aux intentions du département. En août 2015, le département annonçait dans un communiqué le dépôt de son projet de loi et ses volontés. Pour avoir le débat politique, il faut voir ses orientations. Il considérait que la loi de 2014 était «insuffisante voire obsolète». C'est quand même assez incroyable qu'en août 2015, une loi votée en 2014 était déjà obsolète ! Il fallait un «cadre plus souple, capable d'offrir des conditions-cadres qui permettent à la profession de s'adapter», «favoriser le développement de [l']activité économique» en gonflant «l'offre de transport»; «souplesse entière est laissée dans l'offre qui peut être proposée»; il fallait répondre «aux nouveaux modes de consommation», il fallait la «promotion d'une saine concurrence», ceci au nom du respect du «droit fondamental que constitue la liberté économique». Donc, le remède du docteur Maudet, c'est de verser une grande louche de libéralisation économique dans ce secteur, comme l'indique le nom du parti du rapporteur de majorité, le parti libéral-radical; en fait, c'est son libéralisme qui est radical - ça s'appelle aussi, avec une autre étiquette, de l'ultralibéralisme.
Il y a un problème: en effet, au chapitre des buts de cette loi, on indique qu'il s'agirait de «promouvoir un service public efficace et de qualité». Je me tourne vers le camarade Barrillier: sérieusement, un service public ? Est-ce qu'il y a un service public... Alors c'est une notion du service public nouvelle ! On n'a aucune espèce... En fait, on libéralise au maximum un secteur et puis on dit que c'est un service public ! On colle un «Stempel» service public, mais ça n'est pas un service public aujourd'hui ! On essaie de limiter la casse, de limiter un tout tout tout petit peu la concurrence, mais c'est tout ! En fait, c'est ça. Evidemment, nouvelles façons d'exercer la profession, mise en place d'un bassin illimité de voitures de transport avec chauffeurs, consécration du concept nouveau - comme l'a dit à juste titre Jean Romain - de «diffuseur de courses» comme simple intermédiaire, liquidation de la centrale unique... On doit se poser la question: à qui profite le crime ? A qui profite le crime ? A Uber, bien entendu ! A Uber, bien entendu ! Une grande multinationale américaine, avec un chiffre d'affaires de quoi ? 60 milliards de dollars, et qui écume, qui tire, de manière parasitaire, sur ce marché, qui pompe la substance financière qui devrait, bien sûr, aller dans l'offre de prestations; parce que le coût effectif pour faire fonctionner une application sur des smartphones, c'est rien. Il s'agit d'un processus parasitaire, et d'ailleurs, on a entendu des représentants d'Uber qui nous ont dit que les propositions de Pierre Maudet - je cite, c'est ainsi que parlait le représentant d'Uber - «les propositions de réforme qui figurent dans le projet de loi déposé par le conseiller d'Etat Pierre Maudet nous semblent par conséquent aller dans le bon sens». Et en effet, elles convergent.
Maintenant, il y a un problème avec Uber, problème relevé de manière pertinente dans un récent avis de droit commandé par Unia auprès d'un professeur éminent - tous les professeurs d'université sont éminents, quand on en parle dans cette enceinte ! (Remarque.) Oui, d'accord, mais c'est un professeur bâlois d'université, vous avez lu son avis de droit, en tout cas j'ai lu le résumé de douze pages en français. Il établit assez clairement, à mes yeux, qu'Uber ne peut pas se contenter de ce rôle de diffuseur de courses et écumer le haut de la marmite...
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. Pierre Vanek. ...mais qu'il est effectivement - j'en termine par là - eu égard au type de rapports, à la prégnance des indications et des ordres qu'il donne, il est l'employeur de ces chauffeurs. Or, on n'est pas en train de prendre le chemin d'un contrôle d'Uber à travers le fait de le considérer en effet comme l'employeur des chauffeurs qui travaillent pour lui. D'un point de vue général, je plaiderai pour une suspension du vote de ce projet de loi...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Pierre Vanek. Je conclus. ...et une réflexion sur un modèle fondamentalement différent. Du point de vue immédiat, il faut pour le moins brider un peu les appétits d'Uber. Merci, Monsieur le président. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, maintenant que les rapporteurs ont soigneusement exposé leurs arguments, je lève la séance, et nous reprendrons nos travaux à 18h. Je demande aux membres du Bureau de me rejoindre à la salle Nicolas-Bogueret.
Deuxième partie du débat: Séance du vendredi 23 septembre 2016 à 18h