République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 22 avril 2016 à 18h
1re législature - 3e année - 3e session - 15e séance
PL 11557-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous abordons maintenant les PL 11557-A et 11569-A traités conjointement. Ils sont classés en catégorie II, cinquante minutes. Je donne la parole au rapporteur de majorité, M. Ivanov, à propos du premier objet.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Le peuple genevois avait voté la baisse d'impôts de 12%... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...et ce projet de loi 11557 veut revenir à la situation antérieure. Il s'agit donc d'une nouvelle hausse d'impôts proposée par Ensemble à Gauche. Trop d'impôts tue l'impôt ! Ce projet de loi renforçant la progressivité de l'impôt ne touche pas que les riches et les gros contribuables, mais aussi les classes moyennes. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission fiscale vous demande de refuser d'entrer en matière.
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs, j'aborderai uniquement le projet de loi 11569 pour lequel je suis rapporteur de minorité. Ce texte vise à appliquer d'une part aux personnes physiques des centimes additionnels supplémentaires... (Remarque.) ...sur le revenu et la fortune, et d'autre part aux personnes morales sur le bénéfice et sur le capital. Pourquoi appliquer des centimes additionnels supplémentaires ? Tout simplement parce que le canton de Genève connaît une situation financière extrêmement difficile, comme je l'avais déjà relevé précédemment, avec un frein à l'endettement dont nous atteignons bientôt le seuil, puisque nous sommes à quasiment 13 milliards de dettes... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...ce qui a des conséquences sur la population. Nous avons déjà pu constater quelles sont ces conséquences, avec la volonté du Conseil d'Etat depuis plusieurs budgets déjà de baisser les charges de 1%. Quand on répète ces baisses de charges de 1%, au final, elles s'accumulent et c'est autant d'accumulations de coupes dans les prestations publiques, je le rappelais encore tout à l'heure, notamment dans les subsides à l'assurance-maladie, ou dans les prestations de l'aide sociale, alors que l'on sait justement qu'il y a un nombre toujours croissant de personnes au bénéfice de l'aide sociale, qui se trouvent par exemple à la fin de leur droit au chômage et n'arrivent pas forcément à retrouver un emploi.
Il s'agit donc de faire preuve d'un certain sens des responsabilités et de s'attaquer à cette dette, pour arriver déjà à l'amortir et à pouvoir la réduire à hauteur de 7 milliards, ce qui serait déjà une très bonne chose et une preuve de responsabilité vis-à-vis des générations futures. Il s'agit également de pouvoir utiliser la manne financière collectée par ces centimes additionnels supplémentaires pour des investissements, investissements nécessaires au fonctionnement de notre canton et à l'économie genevoise, puisqu'il s'agit d'un véritable moteur pour celle-ci et qu'à long terme c'est une erreur que de vouloir faire des économies sur les investissements.
Nous vous invitons donc, Mesdames et Messieurs, à approuver ce projet de loi, car aujourd'hui nous arrivons à un stade où il s'agit de prendre des mesures responsables, ce qui se traduit en effet par une augmentation de l'imposition, augmentation progressive, puisque en augmentant les centimes additionnels nous jouons sur la progressivité de l'impôt, ce qui fait que, par conséquent, chacun contribue en fonction de ses moyens.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je repasse la parole à M. le rapporteur de majorité Christo Ivanov pour qu'il nous donne son opinion sur le deuxième projet de loi.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Je pensais que nous allions traiter et voter le premier projet de loi d'abord et intervenir ensuite sur le second, mais comme les points sont liés, je vais intervenir également comme rapporteur de majorité sur le projet de loi 11569. Cet objet, comme le premier, est présenté par la gauche élargie qui revient à la charge une fois de plus avec une hausse d'impôts. Il est piquant de constater que pour le parti socialiste - voir page 2 du rapport - les contribuables dont les revenus se situent entre 70 000 F et 200 000 F sont considérés comme appartenant à la classe moyenne aisée. Or le nombre de centimes additionnels prévu dans ce projet de loi est multiplié par 1,5 pour les personnes physiques dont le revenu imposable entre dans la fourchette de 70 001 F jusqu'à 200 000 F. Ce projet de loi pénalise la classe moyenne, la classe moyenne aisée, dont beaucoup de fonctionnaires d'ailleurs, et également les contribuables plus aisés touchés par d'autres tranches, puisque le barème est progressif. La majorité de la commission fiscale vous recommande donc, comme pour le PL 11570, de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi. Merci, Monsieur le président. (Brouhaha.)
M. Bernhard Riedweg (UDC). Ces projets de lois sont contraires à la LGAF, ce que nous confirme le responsable des affaires fiscales au département des finances, et ce qui rend ces projets de lois illégaux. Le canton de Genève vit depuis plusieurs années une crise des dépenses et non des recettes. 38 500, soit 15% des contribuables, ont un revenu annuel imposable de 100 000 F et plus et ceux-ci versent 67% des impôts sur le revenu, selon les chiffres de l'OCSTAT. Une hausse d'impôts sur le revenu affecte 230 285 contribuables mais pas les 30 000 bienheureux qui n'ont pas de revenu imposable. En ce qui concerne la fortune imposable, 3,7%, soit 9560 contribuables qui déclarent une fortune de 1 million et plus, paient 80% de l'impôt total sur la fortune. C'est sur ces derniers contribuables que ces deux projets de lois s'acharnent. Sachez que 75% des contribuables, soit 196 000, ne déclarent aucune fortune. Il y a une catégorie de personnes que l'on qualifie de prétendus riches, à savoir des personnes âgées, qui sont pour la plupart à la retraite et qui n'ont de ce fait plus d'attaches étroites dans le canton de Genève, si ce n'est leurs petits-enfants et leurs associations récréatives. (Commentaires.) Ceux-ci peuvent s'en aller quand ils veulent et l'argument d'une fiscalité trop vorace peut jouer un rôle déterminant dans leur décision de quitter le canton.
A Genève, 184 500 personnes, soit 38% de la population, bénéficient du service de l'assurance-maladie, sont enregistrées à l'Hospice général, sont au bénéfice des aides de l'office du logement, de prestations complémentaires AVS-AI et de subsides partiels, ou encore de prestations d'aide et de soins à domicile. De plus, il faut tenir compte des 30 500 personnes qui bénéficient de l'assistance juridique, qui sont des demandeurs d'emploi inscrits, des requérants d'asile, des personnes admises provisoirement auxquelles on a refusé l'asile, des personnes qui bénéficient... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...de prestations du service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires, ou encore du service des bourses et prêts d'études. Au total, ce sont 215 000 dossiers, dont certains peuvent bénéficier à une même personne, que l'Etat aide d'une manière ou d'une autre. Il faut savoir que les habitants au bénéfice de subventions resteront dans le canton car ils y sont choyés. La diminution des prestations sociales de l'Etat n'affecte que les bénéficiaires de ces prestations qui sont bien moins nombreux que les 230 285 contribuables qui verraient leurs impôts augmenter.
Pour l'heure, les personnes morales subissent l'imposition sur le bénéfice la plus élevée de Suisse avec 24,3%, mais les perspectives devraient changer avec RIE III. Je ne serais pas complet si je n'ajoutais que 80 sociétés paient le 75% des impôts sur le bénéfice des sociétés. Pour les salaires de plus de 130 000 F, la progressivité des taux prévus dans ces deux projets de lois est l'une des plus fortes de Suisse et cela pourrait faire fuir les contribuables les mieux payés et les plus fortunés dans le canton de Vaud ou en France voisine. En tous les cas, une imposition trop élevée ne fera pas venir de nouveaux contribuables bien payés et aisés. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Le conseiller d'Etat en charge des finances ne voit pas d'urgence à augmenter les impôts, tant que le canton est capable de croître sensiblement plus vite que sa dette, surtout dans un environnement déflationniste. Sachez que les citoyens et citoyennes les plus aisés paient de plus en plus d'impôts tandis qu'une part importante de la population en verse de moins en moins. Une catégorie toujours plus importante de citoyens peut décider des dépenses de la collectivité sans en supporter les conséquences financières. Cela est inacceptable. Ce sont des passagers clandestins de la fiscalité qui ont le droit d'élection et le droit de vote; ils ont le sentiment que les prestations publiques sont gratuites parce qu'ils doivent à l'Etat une somme d'impôts égale à zéro. (Brouhaha.) Contournons ces deux projets de lois en n'entrant pas en matière. Merci, Monsieur le président.
M. Pierre Vanek (EAG). J'interviens concernant le projet de loi 11557, à propos duquel le rapporteur de majorité Christo Ivanov a parlé tout à l'heure d'augmentation d'impôts. (Remarque.) Vous avez parlé d'augmentation d'impôts ! D'abord, Mesdames et Messieurs, ce projet de loi ne changerait pas la situation pour les 85% de contribuables dont les revenus imposables sont inférieurs à 130 000 F. Vous m'accorderez, Monsieur Ivanov, que pour la grande majorité de nos concitoyens, il ne s'agit pas d'une augmentation d'impôts. Ensuite, ce projet de loi, qui est d'une simplicité évangélique... (Commentaires.) ...prévoit non pas d'augmenter les impôts, mais de diminuer très progressivement et par paliers la diminution d'impôts de 12% qui avait été introduite à l'époque et qui figure toujours dans la loi. (Commentaires.) Vous pouvez voir dans le tableau qui se trouve à la page 16, je crois, du rapport, qu'à partir de ce seuil, pour le revenu imposable, je dis bien imposable, la déduction d'impôts est maintenue. Le projet de loi prévoit donc de maintenir une déduction d'impôts à hauteur de 11% et, par tranches de 10 000 F, de diminuer un peu la réduction des impôts votée à l'époque. Ainsi, il ne s'agit pas d'augmenter des impôts, mais de limiter un peu, pour ceux et celles qui en ont les moyens, les cadeaux fiscaux qui avaient été faits à l'époque parmi d'autres.
Or ce projet de loi d'une simplicité évangélique, visant en effet à faire payer très modestement les revenus les plus élevés, autrement dit à leur faire un peu moins de cadeaux, s'inscrivait dans les débats du budget 2015 - il a été déposé, si mes souvenirs sont exacts, à l'automne 2014 dans la perspective du budget 2015 - comme alternative à un certain nombre de sacrifices qu'on cherchait à imposer aux plus démunis, aux locataires, aux personnes âgées, etc., etc. A l'époque, les calculs et les estimations indiquaient que ce projet de loi était en mesure - encore une fois, sans toucher d'aucune manière l'imposition de 85% des contribuables mais en augmentant seulement très progressivement le pourcentage supplémentaire qu'on demandait aux revenus les plus élevés de verser - de rapporter 150 millions de francs environ. C'est à mon avis une mesure extrêmement modérée, une mesure juste, une mesure qui fait porter un effort très modestement supplémentaire non pas sur les plus démunis, non pas sur les couches populaires, non pas même sur les classes moyennes, puisque 85% des contribuables sont épargnés, mais sur les revenus les plus élevés. En effet, c'est seulement à partir de 240 000 F de revenu imposable et au-dessus qu'on revient, non pas à une situation où les impôts seraient augmentés, mais au statu quo ante par rapport à la baisse que les libéraux avaient fait adopter à l'époque et qui, comme toute une série de cadeaux fiscaux, dont on a calculé les effets, se traduit par un déficit des recettes de cette collectivité publique de l'ordre d'un milliard environ par an - les estimations peuvent évidemment varier, mais l'ordre de grandeur est tout à fait celui-là - qui ne rentre pas dans les caisses de la collectivité... (Brouhaha.)
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. Pierre Vanek. Eh bien, ça tombe très très bien puisque j'arrive au bout ! ...ce qui sert à creuser cette dette qui sert ensuite à tenter artificiellement de démanteler le service public, de démanteler les prestations à la population et de mettre en oeuvre le programme néolibéral dont la majorité de la population de ce canton est victime. Donc, Mesdames et Messieurs, je vous engage évidemment à soutenir ce projet de loi frappé au coin du bon sens.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Yvan Zweifel.
Une voix. Ah, voilà !
Une autre voix. Ah !
M. Yvan Zweifel (PLR). Merci, Monsieur le président. Je prends beaucoup de plaisir à parler après mon préopinant puisque je vais dire exactement le contraire de ce qu'il a dit... (Rires.) ...sauf sur un point, puisque nous sommes unanimes sur celui-là: les finances publiques genevoises ne sont pas au beau fixe, elles sont même en mauvaise santé. Nous sommes au moins d'accord sur le constat ! Malheureusement, nous ne le sommes peut-être pas sur le diagnostic - pourquoi cette situation est-elle mauvaise ? - et sur les solutions à apporter. En résumant, la gauche explique qu'il s'agit d'une crise des recettes et donc qu'il faut augmenter les impôts. M. Vanek a employé une rhétorique subtile en expliquant: «On n'augmente pas les impôts, on diminue les diminutions.» Heureusement, dans mes cours de mathématiques, j'ai toujours appris que moins et moins font plus, donc à la fin, la diminution des diminutions correspond bien - vous transmettrez, Monsieur le président - à une augmentation des impôts ! (Rire. Commentaires.) Et puis à droite, ce que nous disons, c'est qu'il s'agit d'une crise des dépenses, comme l'a souligné M. Riedweg, et qu'il faut par conséquent une meilleure gestion de l'appareil étatique et donc des économies structurelles.
Pour répondre à la question de savoir s'il s'agit d'une crise des dépenses ou d'une crise des recettes, plongeons-nous dans les statistiques ! Je ne répéterai pas celles de M. Riedweg; j'en apporterai quelques-unes supplémentaires, qui proviennent de l'OCSTAT et donc pas du tout de moi. Je ne les invente pas, vous pouvez les retrouver sur internet sans problème. Quelles sont ces statistiques ? Quelle est cette réalité statistique et comptable ? De 1998 à 2014, les recettes fiscales totales ont augmenté de 72%, malgré neuf baisses d'impôts ! Neuf baisses d'impôts, mais une hausse des recettes fiscales de 72% ! Vous allez me répondre que la population a augmenté dans le même temps. Vous avez raison: elle a augmenté de 20% ! Augmentation de 20% de la population, augmentation des recettes fiscales de 72% sur la même durée, malgré neuf baisses d'impôts. Le PIB, vous allez encore me dire, a augmenté. Vous avez raison aussi: il a augmenté de 60%, toujours moins que les 72% d'augmentation des recettes fiscales, malgré neuf baisses d'impôts !
En 1999, M. Vanek l'a relevé, on a - pas nous, pas les libéraux, non ! la population ! - voté une baisse des impôts de 12%. Que s'est-il passé, Mesdames et Messieurs, en 2000 dans les comptes de l'Etat ? On constate une augmentation de 8% des recettes fiscales sur les personnes physiques, malgré la baisse de 12% votée, soit 8% de recettes fiscales supplémentaires sur les personnes physiques - pour ceux que cela intéresserait, dans le même laps de temps, la population a augmenté de 1%, cette augmentation des recettes n'est donc pas due à l'augmentation de la population. Mesdames et Messieurs, malgré cette baisse, il n'y a donc pas eu de baisse des moyens et donc pas de baisse des prestations, ou en tout cas pas à cause d'une baisse d'impôts voulue par la population. En 2009, le peuple a de nouveau voté une baisse d'impôts. Que s'est-il passé ? Là, je vous donne raison, en 2010, c'est vrai, les recettes fiscales des personnes physiques ont diminué de 4%. Que constate-t-on ? Que dès 2011, le niveau des recettes fiscales des personnes physiques a déjà récupéré son niveau de 2009 et qu'il a ensuite crû de 3% par année. (Commentaires.)
On pourrait également parler des personnes morales. Sur la même période, celles-ci n'ont connu aucune baisse d'impôts, et pourtant, Mesdames et Messieurs, on constate une baisse des recettes sur les personnes morales de 12% en 2002 et de 25% en 2003. Cette baisse est-elle due à des baisses d'impôts ? Non, puisqu'il n'y en a pas eu sur les personnes morales. Elles sont dues évidemment à des crises économiques, en l'occurrence la bulle internet de 2001-2002. En 2009, on constate également une baisse de 9% des recettes fiscales sur les personnes morales et de 9% en 2010. Là non plus, pas de baisse d'impôts des personnes morales, ce n'est donc pas lié; non, évidemment, c'est dû à la faillite de Lehman Brothers et à la crise des «subprimes», cela n'a rien à voir avec les baisses d'impôts. Mesdames et Messieurs, lorsqu'on baisse les impôts, l'argent ne se volatilise pas: ce milliard n'a pas tout à coup disparu des caisses, bien sûr que non ! Cet argent s'est remis dans le circuit économique. Il a non seulement profité à ceux qui ont vu leurs charges baisser, c'est-à-dire à la population, mais il a également fait du bien aux entreprises qui ont vu leurs carnets de commandes grossir. Et pour preuve statistique - parce que vous allez me dire que je raconte n'importe quoi, que c'est le dogme libéral et qu'il faut que j'arrête avec cela - eh bien, Mesdames et Messieurs, sur la même période de 1998 à 2014, les recettes fiscales sur les personnes morales, qui n'ont subi ni baisse ni hausse d'impôts, ont augmenté de 126% alors que les recettes fiscales sur les personnes physiques n'ont augmenté que de 60%. Ces baisses d'impôts ont donc permis de faire tourner le moteur économique: une hausse de 126%.
Cela, Mesdames et Messieurs, c'est la réalité statistique et comptable que personne ne peut nier. Il se passera exactement la même chose - je le dis par avance, je n'ai pas de boule de cristal - avec RIE III: on aura effectivement une baisse d'impôts qui engendrera une amélioration...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Yvan Zweifel. ...de l'activité économique et donc une hausse des recettes fiscales. Mesdames et Messieurs, nous ne connaissons pas une crise des recettes; toutes les statistiques, toutes les comptabilités le montrent: nous connaissons une crise des dépenses. Il faut agir au niveau des économies et non pas au niveau des recettes. Il faut s'occuper de la pauvreté et non pas des riches. Mesdames et Messieurs, il faut voter non à ces deux projets de lois. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Alberto Velasco (S). Monsieur le président, si ce que mon collègue vient de dire est vrai, toutes les collectivités du monde, en tout cas européennes, devraient connaître une situation magnifique ! Toutes ces collectivités, que ce soit l'Espagne, la France, l'Allemagne... (Remarque.) ...tous ces pays-là ont connu, sous l'impulsion des libéraux, des baisses d'impôts. Ils ne devraient donc pas avoir de problèmes budgétaires... (Remarque.) ...ou de problèmes de dettes. Or, tous ces pays... (Remarque.) ...se trouvent dans une situation difficile. Votre théorie présente un petit problème. (Remarque.) Maintenant vous me dites qu'effectivement le milliard a été dépensé. C'est vrai, pour les petits. Mais pour les gros, qui ont tout, ils ont mis de côté et n'ont pas forcément dépensé. Mais c'est ma théorie, Monsieur, et vous avez la vôtre !
Concernant les augmentations des recettes fiscales, c'est vrai, Monsieur: on ne peut pas aller contre les chiffres. Mais les chiffres, il faut les interpréter ! Parce que vous dites qu'il y a eu une augmentation des recettes fiscales, mais ce que vous ne dites pas, c'est qu'en même temps, si les salaires ont augmenté - c'est effectivement pour cela que les recettes fiscales ont augmenté - les loyers ont également augmenté, de même que l'assurance-maladie et le coût de la vie, ce qui fait que le différentiel, Monsieur, est toujours plus petit, et c'est pour cette raison que nous rencontrons des problèmes... (Remarque.) ...parce que l'Etat doit aussi payer des salaires en fonction du coût de la vie et en fonction des problèmes. Il ne faut donc pas seulement parler d'augmentation des recettes, mais aussi de ce que cela implique: les charges pour ceux et celles qui doivent affronter jour après jour leurs problèmes quotidiens avec leurs enfants, leur famille, l'école, la maladie, le logement, etc., etc., etc. Et si vous disiez vrai, Monsieur, il n'y aurait pas de pauvreté dans le canton de Genève, or il y a de la pauvreté !
Maintenant, Mesdames et Messieurs, permettez-moi de parler un petit peu de notre projet. Vous dites tout le temps que la misère de ce canton, c'est la dette et les investissements. Or, contrairement à nos collègues d'Ensemble à Gauche, nous avons estimé qu'il ne fallait pas augmenter les centimes; nous avons seulement proposé que lorsqu'on rencontre un problème d'autofinancement, et à ce moment-là seulement, on fasse appel à la solidarité des citoyens en leur demandant quelques centimes pour pouvoir financer nos investissements afin que la dette n'augmente pas. On va leur demander, afin d'amortir la dette, un centime ou deux de solidarité, jusqu'à ce que cette dette atteigne le fameux chiffre de 7 milliards. A partir de là, ce projet de loi est caduc. Je ne décrirais donc pas ce projet de loi comme un projet qui demande d'augmenter les impôts, puisqu'il n'instaure pas cela indéfiniment et de manière indiscriminée... (Remarque.) ...mais il le fait dans un temps limité et pour une mission bien concrète, celle du financement des investissements, dont notre canton a besoin pour la suite et pour l'avenir, et surtout aussi pour pouvoir, comme vous le soulignez - et nous sommes d'accord, la dette est tellement lourde - diminuer la dette.
Voilà la raison pour laquelle nous avons déposé ce projet de loi qui, franchement, ne va même pas dans le sens que les socialistes voudraient; c'est un projet de loi qui représente un minimum. (Commentaires.) Mais même cela, cela ne passe pas ! Monsieur Zweifel, vous avez raison: vous avez relevé qu'il ne s'agit pas d'un problème de recettes, mais de charges. Il faut effectivement s'attaquer aux revenus des gens. Mais vous savez, quand vous vous attaquez aux revenus des gens... (Remarque.) Non ! ...quand vous vous attaquez aux revenus des gens, ils dépensent moins, et quand les gens dépensent moins, l'économie fonctionne moins, et quand l'économie fonctionne moins, les recettes sont moindres et on entre dans ce qu'on appelle une déflation, ce qu'ont connu notamment les Grecs et les Espagnols, et après on demande aux institutions publiques, à la Banque européenne, de venir aider ces industriels pour pouvoir relancer la machine. Cette théorie, Mesdames et Messieurs, indépendamment de l'idéologie de chacun, est fausse. Elle est fausse, parce que depuis des années, depuis douze ans qu'elle s'applique dans ce canton et ailleurs, elle n'a pas fait ses preuves. Il est donc temps, Mesdames et Messieurs, que vous sortiez peut-être de votre idéologie et que vous en veniez une fois pour toutes à comprendre qu'une société ne vit...
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. Alberto Velasco. Merci, Monsieur le président. ...que parce qu'elle est solidaire, Mesdames et Messieurs ! Parce qu'elle est solidaire ! Une société qui n'est pas solidaire ne subsiste pas ! (Commentaires.) Elle ne peut pas aller de l'avant; tout se construit ! Pour la construction d'un immeuble, Monsieur, le financier sans le maçon ne fait rien du tout ! Rien, du, tout ! Et l'architecte sans le maçon ne fait rien du tout, et ainsi de suite ! Une société se construit effectivement avec les uns et les autres, et ceux qui ont davantage doivent contribuer solidairement un peu plus. Mais cette théorie, vous ne l'acceptez pas...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Alberto Velasco. ...parce que vous avez un intérêt concret, un intérêt de classe !
Une voix. Oh là là ! (Remarque.)
Une autre voix. Bravo !
M. Alberto Velasco. Merci, Monsieur le président.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe des Verts a voté l'entrée en matière sur ces deux projets de lois fiscaux et vous invite à faire de même. Nous estimons en effet que quand la situation financière de l'Etat qui nous est décrite comme grave non seulement justifie des coupes dans les prestations publiques, mais incite aussi le Conseil d'Etat à prendre des mesures qui affectent certaines prestations sociales, ce parlement devrait pouvoir débattre de mesures fiscales. Il nous a semblé également intéressant de travailler sur le projet de loi 11557 qui vise à revenir sur cette baisse d'impôts de 12% introduite il y a quelques années. C'est vrai que lorsque vous recevez votre bordereau d'impôts, il est toujours assez incongru de voir cette espèce de «discount» de -12% qui tombe du ciel et qui ne semble être relié à aucune véritable décision, je dirais, argumentée. Retravailler là-dessus pour avoir une vision un peu plus cohérente et plus complète de ce que devrait être l'imposition des personnes physiques serait donc extrêmement intéressant. C'est ce que nous réclamons depuis de nombreuses années: revenir sur un certain nombre de niches fiscales et faire en sorte que l'imposition des personnes physiques soit la plus transparente et la plus équitable possible.
Je voudrais aussi rebondir sur certains propos que M. Riedweg a tenus et qui, je dois vous avouer, m'ont un peu choquée. Monsieur Riedweg, on a l'impression que vous regrettez l'époque du vote censitaire, dans le cadre duquel seuls les riches doivent pouvoir voter et où les pauvres qui ne contribuent pas ne devraient pas voter. Je résume un peu vos propos, mais ils allaient vraiment dans ce sens-là ! J'aimerais vous rappeler à vous, qui êtes tellement choqué par le fait... (Remarque.) Monsieur le président, vous transmettrez à M. Riedweg qui me fait signe que je dois m'adresser d'abord à vous ! ...qu'un nombre croissant de personnes ne paient pas d'impôts à Genève, que nous avons récemment eu l'occasion de voter sur des mesures fiscales qui visaient à limiter les déductions pour le transport des personnes physiques, et que son groupe s'y est opposé. Or c'était typiquement là une mesure qui aurait fait rentrer certaines personnes dans l'imposition et qui les aurait amenées à payer des impôts. Vous n'êtes donc pas non plus à l'abri de certaines contradictions ! Je vous appelle donc à voter ces projets de lois. Merci, Monsieur le président.
M. Vincent Maitre (PDC). Je ne peux m'empêcher de réagir aux propos de mon estimé collègue Velasco, parce que, pour ma part, j'ai entendu une théorie, une hypothèse comme il l'a appelée, venant de ma gauche et qui était, elle, argumentée, chiffrée sur la base de résultats pour le moins objectifs. A l'inverse, mon cher collègue Alberto Velasco, je n'ai entendu de votre part que des comparaisons, malheureusement plus issues de votre imaginaire que de faits réels, puisque vous citiez à raison, ou plus à tort dans votre cas, pour tenter de contrer M. Zweifel, le cas de l'Espagne, le cas global de la péninsule ibérique, de l'Italie, etc., pour nous démontrer que les baisses d'impôts ne seraient pas la panacée puisque ces pays-là vont mal. Eh bien, précisément, dans ces pays-là, il n'y a jamais eu besoin de baisses d'impôts pour que cela aille mal. L'Espagne était au bord du gouffre lorsqu'elle a enfin décidé de se montrer attractive fiscalement en accordant notamment tout un nombre d'outils fiscaux pour attirer par exemple des sportifs d'élite à très hauts revenus. Il y a la fameuse «loi Beckham» qui à l'époque avait été faite sur mesure pour attirer cet important contribuable. Le Portugal, son voisin, après avoir été au bord de la faillite, octroie les forfaits fiscaux les plus attractifs d'Europe, si ce n'est du monde, et l'Italie n'est pas non plus en reste en termes de forfaits fiscaux et d'avantages octroyés à ses riches contribuables, et ce précisément parce que ces pays ont compris probablement qu'une politique totalement rigide en matière fiscale et bien trop astreignante pour ses contribuables menait là où vous vouliez aller tout à l'heure, en parlant d'économies, de liquidités, de flux financiers. Un système fiscal trop rigide et trop lourd péjore précisément la situation, le pouvoir d'achat des ménages, et c'est tout cela de liquidités en moins qui pourraient être investies directement dans l'économie et pourraient faire tourner la machine, comme vous le disiez. Ce sont malheureusement vos comparaisons, de mon point de vue, qui n'étaient pas tout à fait correctes vis-à-vis de la démonstration chiffrée pour le moins crédible qui nous a été présentée en face de vous. Je vous invite donc également au nom du PDC à refuser ces deux projets de lois.
M. Ronald Zacharias (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chaque fois que l'on prend la parole sur des thématiques fiscales, je crois qu'il faut rappeler deux ou trois fondamentaux, notamment les vérités suivantes: 1% de la population représente le 30% ou plus de l'impôt... (Commentaires.) ...au titre de l'impôt sur le revenu; le 0,7% représente le 70% de l'impôt sur la fortune; par ailleurs, 40% de la population ne paie aucun impôt ou alors un impôt insignifiant; en 2015, 180 000 mètres carrés de locaux d'activité en plus se sont libérés et le nombre de faillites a augmenté de 20%. C'est dans ce contexte-là qu'on vient nous proposer ces projets de lois indécents et outranciers, la fleur au fusil, en arguant qu'ils n'ont aucune conséquence pour le niveau de bien-être, de richesse et de prospérité que l'on connaît à Genève. Bien évidemment, bien évidemment, il faut rejeter ce projet de loi, et je vous en remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le rapporteur de minorité Romain de Sainte Marie pour une minute cinquante-six. (Remarque.)
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. M. Zweifel a mentionné le diagnostic de la mauvaise situation financière. Il faut également rappeler le diagnostic d'une mauvaise situation sociale. En effet, on l'a relevé, il existe aujourd'hui un fossé au sein de la population entre les 34% de Genevois qui ne peuvent pas payer d'impôts, part qui augmente continuellement, et les quelque 0,2% de contribuables les plus aisés, dont la fortune est en hausse et représente aujourd'hui 20% de la fortune totale des personnes physiques. (Remarque.) Pour ce qui est de la situation financière, le diagnostic est catastrophique, et il découle des baisses successives d'imposition. Vous vouliez des faits, je peux vous en donner ! L'initiative du parti libéral en 1999: moins 480 millions, chiffre avancé par la direction générale des finances; modification de la loi sur l'imposition des personnes physiques: moins 50 millions; suppression du droit des pauvres: moins 20 millions; révision, c'est vrai, en 2009, de l'imposition sur les personnes physiques: à nouveau, moins 450 millions; et encore six autres baisses successives. Le diagnostic est simplement là: la responsabilité appartient à la majorité de droite, cette même majorité qui détient le pouvoir de ces décisions-là depuis 1999. Il faut assumer aujourd'hui cette situation financière catastrophique...
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. Romain de Sainte Marie. ...et cette situation sociale catastrophique. M. Poggia, en charge du DEAS, qui est présent, ne pourra que confirmer l'explosion des coûts de l'aide sociale, qui s'explique non pas par le fait que vous, la majorité de droite, avez procédé à des coupes dans les prestations à l'aide sociale, mais bien par le fait que le bilan social est catastrophique dans notre canton ! Nous connaissons une explosion du nombre de bénéficiaires de l'aide sociale, notamment...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Romain de Sainte Marie. ...chez les jeunes qui commencent leur vie à l'aide sociale. Je vous invite donc à accepter ces deux projets de lois.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Il est possible de déroger à la LGAF avec une autre loi de même rang. Pour autant, même si ce n'est pas interdit, la LGAF a mis en place un principe de non-affectation des impôts recommandé par la Conférence des directeurs cantonaux des finances avec le manuel modèle comptable harmonisé pour les cantons et les communes MCH2. Autrement dit, il n'est pas interdit d'y déroger, mais cela va à l'encontre du système mis en place. Sans refaire le débat, nous avons tous compris que les rangs sont figés: d'un côté se trouvent ceux qui veulent toujours dépenser plus et, d'un autre côté, ceux qui veulent empêcher les personnes ayant certains moyens de quitter le canton. Il s'agit, comme je l'ai déjà dit ici, d'une hausse d'impôts qui touche les classes moyennes, moyennes aisées et ceux qui contribuent le plus à l'effort en matière d'impôts. Le projet de loi vise d'ailleurs les tranches entre 130 000 F et 240 000 F de revenus. Je rappelle que pour ces catégories de salariés, Genève a la fiscalité et les impôts les plus élevés de Suisse, auxquels il faudrait encore ajouter l'impôt sur la fortune, également le plus élevé de Suisse, qui est de 1%. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission fiscale vous demande de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, vous savez que même dans les difficultés et l'adversité, je fais preuve d'un indécrottable optimisme. Ce qui me conduit à cet optimisme, c'est le discours de M. le rapporteur de minorité Romain de Sainte Marie. J'observe avec satisfaction qu'il considère - c'est un long chemin, je dois le reconnaître - que la situation financière est maintenant difficile et que la dette est un problème pour les générations futures ! Que nous partagions cet avis, dont je vous fais part ici depuis un certain nombre de mois, me rend d'humeur assez joyeuse; c'est déjà un bon point de départ ! Le problème, c'est que les remèdes proposés ne sont pas bons, comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner hier. J'ai utilisé des termes peut-être un peu forts, mais je pense qu'il faut utiliser de tels termes: hier soir, j'ai dit qu'il faut arrêter de jouer avec le feu, lorsqu'on a parlé d'introduire une tranche supplémentaire pour l'impôt sur le revenu et, pour la fortune, de supprimer le bouclier fiscal. Oui, il faut vraiment essayer de sortir de cette logique, parce que c'est véritablement jouer avec le feu, Mesdames et Messieurs, que d'imaginer qu'augmenter encore plus la progressivité de l'impôt sur le revenu ainsi que l'emprise de l'impôt sur la fortune dans ce canton - qui sont tous deux les plus élevés de Suisse, cela a été dit à plusieurs reprises - va améliorer quoi que ce soit. Il faut arrêter de penser que cette solution serait la panacée et que cela n'aurait pas d'effets négatifs, des effets totalement contraires ! Ma conviction profonde, mais je ne vais pas vous répéter ce que j'ai dit hier soir car l'heure avance, c'est que cela aurait des effets vraiment totalement négatifs. Mesdames et Messieurs, il faut vraiment, vraiment, nous garder d'agir de la sorte et d'aggraver la progressivité de nos impôts. C'est quelque chose qui aurait des effets absolument dévastateurs. C'est toujours le même discours, j'ai l'impression que cela va continuer, que cela va être difficile. L'évolution sur la question de la dette me laisse quelques espoirs qu'à force de répéter toujours le même message, je finisse par être entendu, y compris dans les rangs de gauche. C'est une tentative que je fais encore une fois ce soir, pour conclure ce débat et vous dire qu'il faut évidemment refuser l'entrée en matière sur ces deux projets de lois. Merci de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je soumets donc aux voix de cette assemblée en premier lieu l'entrée en matière sur le projet de loi 11557.
Mis aux voix, le projet de loi 11557 est rejeté en premier débat par 59 non contre 33 oui.
Le président. Je vous fais maintenant voter l'entrée en matière sur le projet de loi 11569.
Mis aux voix, le projet de loi 11569 est rejeté en premier débat par 58 non contre 33 oui.