République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2257
Proposition de motion de MM. Stéphane Florey, Eric Leyvraz, Christo Ivanov, Thomas Bläsi, Norbert Maendly, Patrick Lussi, Michel Amaudruz, Marc Falquet, Bernhard Riedweg : Pas d'aide sociale pour les propriétaires de biens immobiliers à l'étranger !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 12, 13 et 19 mars 2015.

Débat

Le président. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Cette proposition vient de M. Florey, à qui je passe la parole.

M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Aujourd'hui, bon nombre de bénéficiaires de l'aide sociale touchent des sommes indues, pour la simple raison qu'ils omettent volontairement de déclarer en particulier leurs biens immobiliers et autre fortune, éventuellement, qu'ils détiennent à l'étranger. Les conséquences sont bien évidemment néfastes... (Brouhaha. Exclamations. Le président agite la cloche.) ...pour notre canton, puisque non seulement cette situation oblige l'Etat à débourser...

Le président. Monsieur le député, un instant. Je vous prie de bien vouloir écouter l'orateur. Monsieur Florey, vous pouvez poursuivre.

M. Stéphane Florey. Merci, Monsieur le président. Je disais donc que ces omissions volontaires péjorent bien évidemment la situation de l'Etat, puisque cela l'oblige à débourser des sommes indues, et l'autre conséquence est de priver les vrais bénéficiaires de ressources dont ils auraient besoin. C'est pour cela que cette motion propose de donner des moyens à l'Etat pour qu'il puisse mieux contrôler à qui de l'argent est donné, tout comme l'a fait l'AI qui est sortie, ces dernières années, des chiffres rouges simplement en contrôlant mieux qui en étaient les bénéficiaires, en augmentant les contrôles, y compris les contrôles à l'étranger, ce qui a permis véritablement de rétablir les finances de l'AI et de la sortir des chiffres rouges et de revenir dans le noir.

C'est ce que nous demandons, et nous vous proposons de l'appliquer pour Genève. Tout d'abord nous demandons que le Conseil d'Etat nous fasse part de la situation actuelle et de ce qu'il a déjà mis en place. Et aussi il faut établir de meilleures relations avec les pays étrangers en donnant précisément les moyens à l'Etat d'aller contrôler directement à la source si les bénéficiaires ont réellement des biens ou pas. Cela permettrait aussi d'améliorer la situation financière de notre canton. C'est pour cela que nous vous proposons d'accueillir favorablement cette motion en la renvoyant à la commission des affaires sociales pour que nous puissions déjà avoir un point de situation du département et voir s'il est utile d'en faire plus pour rétablir la situation vis-à-vis des fraudeurs de l'aide sociale. Je vous remercie.

M. Bernhard Riedweg (UDC). La difficulté est de savoir si un bénéficiaire de l'aide sociale est propriétaire d'un bien-fonds à l'étranger et s'il partage cette propriété avec d'autres personnes. Si l'Hospice général perçoit un signe extérieur de richesse auprès de ces demandeurs d'aide sociale, il pourrait, par recoupement, mener une enquête sur place à l'étranger auprès du registre foncier où se situe le bâtiment. Il se pourrait aussi que le bénéficiaire de l'aide sociale touche des loyers de sa propriété à l'étranger, loyers qui seraient payés sur un compte bancaire en Suisse. Cela pourrait titiller les enquêteurs, qui poursuivraient leurs recherches.

En 2014, le service des enquêtes de l'Hospice général a mené 4804 enquêtes, et ce service a pour mission de contrôler la situation sociale et économique des ayants droit. Ce service fait des contrôles-terrain qui visent à réaliser davantage de contrôles inopinés à domicile ou en entreprise.

L'objet de cette motion demande exactement que ces enquêtes puissent également se faire à l'étranger. L'idéal serait de pouvoir s'adresser directement aux organismes compétents à l'étranger en vue de mener l'enquête sans devoir passer par l'administration fiscale cantonale. Les fraudeurs à l'action sociale se sentant surveillés, respectivement acculés, cela les inciterait à collaborer avec les enquêteurs, leur facilitant ainsi la tâche.

Les chiffres les plus récents du département montrent qu'entre 2008 et 2015 le montant destiné à l'aide sociale a augmenté de 117 millions, soit de 79%, et que les subsides pour l'assurance-maladie ont augmenté de 83 millions, soit de 33%, pour se fixer à 334 millions. Cela concerne 125 000 personnes. Entre 2010 et 2015, les prestations complémentaires AVS et AI ont augmenté de 62 millions, soit de 14%, pour 21 000 bénéficiaires. 48% des titulaires des dossiers ont des permis B et C; il y a là certainement un potentiel pour des enquêtes plus poussées s'effectuant à l'étranger pour dévoiler des abus. En conclusion, nous vous demandons de réserver un accueil favorable à cette motion.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). C'est quand même incroyable de présenter une motion aussi fourre-tout que celle-là, une motion qui accuse doublement. Elle accuse, d'une part, l'Hospice général de ne pas faire son travail, de ne pas avoir de procédures, de ne pas contrôler les dossiers des personnes arrivant à l'aide sociale et, d'autre part, elle accuse les Genevois d'origine étrangère d'être plus malhonnêtes que les Suisses...

Pour ma part, ce que je connais de la réalité du terrain, c'est qu'il y a effectivement des personnes étrangères arrivées depuis peu de temps qui n'ont pas assez de revenus, qui veulent demander l'aide sociale et qui ne peuvent pas l'obtenir, parce que, par exemple, les enfants sont restés dans le pays d'origine où ils vivent dans un appartement dont la famille est propriétaire - dans certains pays les gens doivent acheter leur appartement. Tant que cet appartement existe, parce que ces personnes déclarent ces appartements la plupart du temps, ces personnes continuent à travailler ici avec de tout petits revenus et vivent très mal. Parfois, ils n'ont même plus de revenus et ils n'arrivent pas à vendre la maison ou l'appartement qu'ils possèdent à l'étranger, parce que souvent personne ne veut racheter ces biens immobiliers.

Donc nous sommes plus face à des situations sociales tragiques qu'à des cas de fraude. Il ne faut pas se leurrer: votre «trend», à l'UDC, et pas seulement à Genève mais également au niveau suisse, a été de soutenir que les gens à l'aide sociale, suisses et étrangers, sont des fraudeurs. Dans la réalité, avec tous les contrôles qui sont faits, je crois que le chiffre de 3% de fraudeurs n'a jamais été dépassé. J'aimerais bien savoir, au niveau de la fiscalité, si le chiffre est aussi bas actuellement ! Il faut arrêter de se tromper de cible, de vouloir absolument prendre les étrangers pour ce qu'ils ne sont pas. Les étrangers sont aussi honnêtes que les Suisses. Les collaborateurs de l'Hospice général pourraient ici le certifier, j'en suis convaincue, et les chiffres - je ne les ai malheureusement pas trouvés aujourd'hui - du nombre de fraudeurs... Mais à quoi bon, nous vivons ensemble, nous avons des lois, l'aide sociale existe, les contrôles sont effectués...

Le président. Il vous reste trente secondes.

Mme Lydia Schneider Hausser. Si l'Hospice général a besoin de plus d'instruments de contrôle que ceux actuellement en place, il nous le fera savoir, mais partir sur le fait que les cas de fraude seraient plus nombreux pour les étrangers que pour les Suisses, c'est non pour notre groupe. L'Hospice général a les structures nécessaires, et cela est bien suffisant.

Mme Frédérique Perler (Ve). A l'évidence, à la lecture de cette proposition de motion, il semblerait que les signataires n'ont pas pris la peine de se renseigner sur le dispositif existant et de vérifier un certain nombre d'allégations qui y sont contenues, notamment dans les invites et l'exposé des motifs. Dans un premier temps, le groupe des Verts a pensé qu'il était peut-être nécessaire de faire un peu de pédagogie en commission et de faire un point de la situation, mais, finalement, à la lecture des invites qui sont beaucoup trop fortes, qui jettent l'opprobre comme l'a dit la préopinante socialiste, qui accusent l'Hospice général de ne pas faire son travail alors qu'il existe un dispositif, un service des enquêtes... Et je peux vous dire que, sur la réalité du terrain, un monde sépare les allégations contenues dans cette motion et ce que je peux observer. Il y a effectivement des propriétaires qui possèdent trois cailloux ou deux briques dans un pays européen, le plus souvent pour rendre service à leur famille, parce qu'ils ont l'extrême chance de pouvoir exercer un emploi en Suisse. Et voilà que, confrontés à une demande d'aide sociale ou un complément d'aide sociale, ils sont privés de cette aide à cause de ces biens immobiliers, non pas que l'Hospice ne veut pas les aider, mais ils doivent déployer une telle énergie en documents, en expertises dans leur pays que cela leur prend des années et beaucoup d'argent. Mettre en place une machinerie redoutable alors que l'on est plutôt confronté à la situation inverse n'est, pour les Verts, pas possible. Quant à l'exposé des motifs - et c'est cela qui fait que le groupe des Verts va sèchement refuser cette proposition de motion - il commence très mal et, visiblement, les signataires ignorent également les conseils...

Le président. Il vous reste trente secondes.

Mme Frédérique Perler. ...que les détenteurs de permis de séjour reçoivent soit de la part de l'OCPM soit de la part des services sociaux alors qu'ils ont besoin d'aide sociale. Je crois vraiment que vous devriez vous renseigner et nous refuserons sèchement cette proposition de motion. Je vous remercie.

Mme Jocelyne Haller (EAG). A la lecture de cette motion, on ne peut qu'être saisis d'effroi lorsque l'on considère le titre: «Pas d'aide sociale pour les propriétaires de biens immobiliers à l'étranger !» Supposons donc qu'une personne étrangère ou suisse ayant des biens à l'étranger subisse un revers de fortune, qu'elle se trouve sans aucune liquidité, eh bien quoi ! Elle devrait manger des pierres ? Si tant est qu'elle ait encore la force d'aller chercher les pierres en question là où elles se trouvent ! Cette motion n'est pas réalisable ! La disposition présentée ici, notamment la troisième invite, qui propose qu'il n'y ait pas d'aide financière accordée avant la consultation des autorités étrangères, c'est-à-dire que les gens ont le temps de mourir de faim avant, est inacceptable. Surtout, il semble quand même que les motionnaires sortent ici de leur rôle de législateurs. Ils se mêlent de l'organisationnel.

Pourquoi ne sont-ils pas allés se renseigner auprès de l'Hospice général pour vérifier s'il n'y a pas d'ores et déjà une procédure qui réglemente ces situations ? S'il n'y a pas déjà des exigences posées aux personnes se trouvant dans cette situation de réaliser leurs biens dans les meilleurs délais, si tant est que celui-ci soit réalisable ? Quoi qu'il en soit, l'Hospice général, en l'occurrence, assume sa vocation. Il permet aux gens d'assurer la couverture de leurs besoins vitaux, et c'est de cela que l'on parle lorsqu'il s'agit d'être social. En plus, lorsque les motionnaires se mêlent d'organisationnel, ils le font mal. Ce qu'ils sont en train de proposer, c'est une usine à gaz. Avez-vous vérifié la portée des contrôles que vous demandez, eu égard à ce qui se pratique ? Eh bien, je vous encourage à le faire et vous verrez que cette proposition de motion ne mérite qu'un traitement, son rejet pur et simple. Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Luc Forni (PDC). Nous partageons l'avis de la majorité des intervenants aujourd'hui. Cette motion est effectivement bonne à être mise au rebut, d'où elle n'aurait jamais dû sortir. Le mythe du fraudeur à l'aide sociale est dépassé. Ce n'est pas parce que l'on est à l'aide sociale que l'on est forcément fraudeur. Le nombre de personnes à l'aide sociale augmente, mais cette augmentation n'est pas due au nombre de cas de fraude. Un Suisse peut décider de partir à l'étranger puis revenir. Il a toujours son bien mais n'a plus de moyens pour vivre. Que fait-il, ce Suisse ? On le laisse sur le carreau ? On le laisse avoir faim sur la plaine de Plainpalais ? Est-ce cela que veut une partie de ce parlement ? Franchement, je trouve ce procédé absolument détestable et désagréable, et cette motion ne mérite qu'un traitement, c'est la mise au panier. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. Serge Hiltpold (PLR). La lecture des premiers considérants mérite quelques remarques. Je n'aime pas beaucoup que l'on marque que «les étrangers représentent près de la moitié des titulaires des dossiers de l'aide sociale». Cela stigmatise et n'est pas très constructif. Par contre, que de nombreuses personnes possèdent des biens immobiliers à l'étranger, c'est juste, mais cela concerne les Suisses et les étrangers. Sous cet angle, on peut admettre qu'il y ait une égalité fiscale, une égalité de traitement entre tous les propriétaires de biens immobiliers, qu'ils soient propriétaires en Suisse ou à l'étranger, qu'ils soient suisses ou étrangers. Ce point de vue mérite d'être soulevé. Par contre, venant de l'UDC, la deuxième invite est relativement piquante: «à créer les bases légales ou réglementaires nécessaires pour permettre au service des enquêtes de l'Hospice général de collaborer directement avec les autorités étrangères sans passer par l'administration fiscale cantonale». Là nous avons un peu une vision à deux vitesses. On a besoin des autorités étrangères alors que l'on se bat au nom d'une certaine souveraineté... La troisième invite est également piquante: «à généraliser la consultation des autorités étrangères». Il y a un paradoxe dans ce texte. Lorsque l'on veut être souverain, lorsque l'on refuse certaines règles européennes, certaines coopérations, on voit dans ce cas que c'est un peu à deux vitesses. Le groupe PLR, par contre, est sensible à l'efficience, à la qualité du travail fait par le personnel de l'Hospice général, et je pense que ce n'est pas une stigmatisation de l'étranger que de renvoyer cette proposition de motion à la commission des affaires sociales, d'avoir un point de situation objectif sur ce qui se passe, de vérifier l'égalité de traitement fiscal envers le Suisse comme l'étranger, comme cela nous est demandé lorsque nous prêtons serment comme députés.

M. Stéphane Florey (UDC). Tout d'abord, ce n'est pas l'UDC qui déclare qu'il y a des fraudeurs. Il n'y a qu'à lire le nombre d'articles chaque année dans la presse qui nous apprennent justement qu'il y a des fraudeurs à l'aide sociale, que ces personnes non seulement viennent de l'étranger mais ont des biens immobiliers dans leur pays d'origine. Par contre, nous demandons...

Le président. Il vous reste trente secondes.

M. Stéphane Florey. ...de rectifier... Pour l'instant il y a une inégalité de traitement entre un résident et un étranger qui vient demander l'aide sociale. Si vous êtes suisse et que vous avez malheureusement l'idée d'être propriétaire, on vous dira: «Vendez votre bien et revenez après», alors que l'on ne demande rien à l'étranger, puisque de toute façon on est dans l'impossibilité de savoir s'il est propriétaire...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Stéphane Florey. ...d'un bien immobilier.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe la parole au conseiller d'Etat Mauro Poggia.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Le problème de la fraude est un problème réel, non pas que la fraude soit importante quantitativement, mais parce qu'elle discrédite évidemment l'ensemble du système. Donc il faut lutter contre la fraude. Il vous est demandé de renvoyer cet objet en commission. Je voudrais simplement vous dire ceci. Il y a 47% des bénéficiaires de prestations d'aide sociale qui sont étrangers et 53% sont suisses. Donc il y a un peu plus d'étrangers que la proportion dans la population, ce qui s'explique par le fait que ce sont souvent des personnes qui ont une formation moins complète que les ressortissants suisses. Ce sont aussi des personnes qui sont moins entourées par la famille et qui, par conséquent, ont plus de risques de tomber dans une situation précaire. Il n'y a donc pas de proportion choquante entre Suisses et étrangers.

Par contre, il est vrai que la question de savoir s'il y a des biens immobiliers en jeu est importante et elle ne peut pas se régler avec les invites que vous proposez là, puisque, évidemment, c'est beaucoup plus complexe que cela. J'ai déposé un amendement vous demandant de ne garder que la première invite, ce qui vous permettrait de me renvoyer directement la motion pour que je puisse y répondre. La première invite demande au Conseil d'Etat de rendre un rapport sur sa stratégie de lutte contre la fraude. Et, effectivement, il y a une stratégie. Je pense qu'il faut maintenant que l'on mette en place une loi générale d'entraide administrative pour tous les secteurs de l'aide sociale pour qu'il y ait véritablement un service d'enquête qui ait les moyens de faire le travail. Je vous rassure, pour la recherche d'immeubles à l'étranger, si je prends le SCARPA par exemple, qui est en train de récupérer les actes de défaut de biens qui ont près de vingt ans, ce service a déjà recouvré en quelques mois 300 000 F précisément avec des personnes qui ont des biens à l'étranger, avec des moyens extrêmement simples qui relèvent d'internet. Donc nous avons les moyens de travailler. Il faut que nous ayons les forces pour le faire. Je vous remercie.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Je vais tout d'abord faire voter sur le renvoi de cette proposition de motion à la commission des affaires sociales.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2257 à la commission des affaires sociales est adopté par 49 oui contre 41 non.