République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 15 octobre 2015 à 20h30
1re législature - 2e année - 9e session - 59e séance
PL 11683-A
Premier débat
Le président. Nous passons à l'urgence suivante, le PL 11683-A, que nous traitons en catégorie II - quarante minutes. Je cède la parole au rapporteur de majorité Yvan Zweifel.
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Je serais tenté de commencer mon intervention en disant: «Ah, les forfaits fiscaux, épisode 3224 !», vu le nombre de fois où l'on a abondamment parlé de ce sujet dans ce parlement.
Une voix. C'est pas la dernière !
M. Yvan Zweifel. Il sied évidemment de rappeler ici le résultat des votations du 30 novembre 2014, lors desquelles le peuple genevois avait largement dit non à l'initiative 149 du parti socialiste qui visait à supprimer ce système d'imposition d'après la dépense, un non à 68,41%. Le même peuple avait également voté non à 56,66% au contreprojet que ce même parlement avait élaboré. Cela pose une problématique technique législative puisque, quoi qu'il arrive, nous avons l'obligation d'adapter la législation cantonale en matière d'imposition d'après la dépense à la législation fédérale. A ce propos, et vous l'aurez lu dans le rapport de majorité - comme d'ailleurs dans le rapport de minorité - la loi fédérale ne laisse que peu de marge de manoeuvre aux cantons et fixe certains éléments, notamment les trois suivants. Premièrement, la loi fédérale limite l'utilisation du mode d'imposition d'après la dépense aux seuls étrangers. Deuxièmement, elle fixe le seuil à sept fois le loyer ou la valeur locative. Troisièmement, elle maintient une période transitoire pour les bénéficiaires des conditions actuelles, et cela pendant cinq ans. Le canton garde finalement une marge de manoeuvre sur deux points en particulier. Le premier, c'est le montant minimal de l'assiette cantonale. Quant au second, c'est le moyen par lequel le canton va prendre en compte la fortune dans cette imposition selon la dépense.
Pour rappel, le PL 11329, qui servait justement de contreprojet à l'IN 149 et qui a donc également été refusé par le peuple le 30 novembre 2014, traitait de ces deux points, et cela de la manière suivante: d'abord en proposant un montant minimal de l'assiette cantonale fixé à 600 000 F, et ensuite en suggérant de prendre en compte l'impôt sur la fortune à 10% de l'assiette fiscale du bénéficiaire de l'imposition d'après la dépense. Le PL 11683 que nous avons sous les yeux sert donc justement d'adaptation de la législation cantonale à la législation fédérale, à partir du moment où notre contreprojet a également été refusé par le peuple. Ce projet de loi prévoit un montant minimal de l'assiette fixé à 400 000 F - comme c'est d'ailleurs prévu au niveau fédéral - et la prise en compte de l'impôt sur la fortune à 10% de l'assiette fiscale du bénéficiaire.
J'en profite pour intervenir quelque peu au sujet du rapport de minorité de notre excellent collègue Romain de Sainte Marie, dont je constate avec bienveillance que, malgré les nombreuses défaites essuyées par le parti socialiste sur ce genre de questions, il ne déclare jamais forfait, et c'est très bien. (Exclamations. Commentaires.) Le même Romain de Sainte Marie nous explique dans son rapport de minorité qu'en fixant à 400 000 F l'assiette et à 10% l'imposition sur la fortune, on ne gagnera en réalité que 17,5 millions d'impôts supplémentaires par rapport à la situation actuelle, alors qu'en faisant d'autres choix - je le laisserai les expliquer - nous pourrions au contraire gagner 82 millions de francs au lieu de ces 17,5 millions. M. de Sainte Marie - comme le parti socialiste - oublie évidemment de préciser que cela est valable toutes choses étant égales par ailleurs... En effet, lorsque ce parlement prend des décisions, eh bien il y a des réactions: par exemple, si des forfaitaires fiscaux se retrouvaient avec une situation qui rendait pénible leur imposition, ils pourraient s'en aller. A contrario, si le forfait fiscal reste attractif, il pourrait alors attirer d'autres personnes venues d'ailleurs, et donc également remplir les caisses. En conséquence, il est faux de simplement faire un calcul basé sur des éléments complètement statiques.
Enfin, la suggestion de fixer l'assiette fiscale à 600 000 F me permet de rappeler que c'est exactement ce qui a été refusé par le peuple via le contreprojet proposé en même temps que l'IN 149. M. le rapporteur de minorité - comme la gauche, d'ailleurs - a tenté d'interpréter en commission le vote du peuple sur le contreprojet. Finalement, le vote sur l'IN 149 a été extrêmement clair: c'est non, le peuple ne veut pas supprimer le système d'imposition d'après la dépense; en revanche, effectivement, le non au contreprojet permet toutes sortes d'interprétations. Certains diront - notamment à gauche - qu'ils l'ont refusé parce qu'il n'était pas assez restrictif, tandis que d'autres au contraire diront qu'il allait justement trop loin et qu'il faut donc en faire moins. Pour ma part, en tant que rapporteur de majorité, permettez-moi, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, d'interpréter non pas le vote sur le contreprojet, mais le vote du peuple sur l'IN 149. Celui-ci a été extrêmement clair: à une majorité de 68,41%, le peuple a voulu garder un système d'imposition d'après la dépense. Et si le peuple veut le garder, c'est qu'il veut le garder de manière attractive, or à vouloir faire des propositions qui ne le rendraient plus du tout attractif, eh bien celui-ci serait par définition vidé de son sens. J'imagine que c'est évidemment ce que souhaitent M. de Sainte Marie ainsi que la gauche en général, mais ce n'est pas ce que souhaite le peuple, on l'a vu lors de ce vote sur l'IN 149.
En conclusion, Monsieur le président, permettez-moi d'enjoindre à mes collègues de suivre la majorité de la commission fiscale, cette même majorité à qui le peuple a donné raison concernant l'IN 149 le 30 novembre 2014. Je vous invite donc, Mesdames et Messieurs, à voter oui à ce PL 11683. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le rapporteur, et vous informe que vous avez utilisé une partie du temps accordé à votre groupe. Je passe la parole au rapporteur de minorité Romain de Sainte Marie.
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, comme l'a si bien dit M. le rapporteur de majorité, c'est peut-être la 3252e fois que nous abordons le sujet des forfaits fiscaux. Eh bien je suis désolé que les forfaits fiscaux représentent un tel problème et que nous traitions à maintes reprises de cette pratique qui, c'est vrai, si nous ne l'abolissons pas à terme, sera encore et encore discutée.
La Confédération nous impose - M. Zweifel l'a déjà extrêmement bien expliqué, je ne vais donc pas y revenir - de revoir la pratique de l'imposition selon la dépense en prenant en compte la fortune, ce qui n'était pas le cas au préalable. Il s'agit dès lors - mais, encore une fois, le rapporteur de majorité l'a très bien expliqué - d'adopter une méthode. Il nous en est proposé deux: la première consiste à majorer le forfait fiscal d'un certain pourcentage - c'est le modèle choisi, avec une augmentation de 10% du forfait fiscal - tandis que la seconde - qui est la méthode la plus employée dans les autres cantons suisses, si bien que je m'attarderai ensuite sur quelques comparaisons - consiste à calculer la fortune selon la dépense, comme on le fait justement pour le calcul du forfait fiscal, en multipliant par un certain taux cette dépense afin de donner une estimation de la fortune et de l'imposer ensuite au taux ordinaire de l'imposition sur la fortune.
Dans le cas de ce projet de loi, il est un peu frappant de remarquer que nous ne sommes que très peu éloignés du contreprojet qui a été présenté au peuple dans le cadre des débats sur l'IN 149 et qui a été refusé. Alors certes, vous me direz que l'élément changeant - le seul - est celui du seuil minimum d'imposition, qui descend de 600 000 à 400 000 F afin de se mettre au niveau de ce qui est recommandé sur le plan fédéral. Mais j'ai envie de dire que si le débat consistait seulement à fixer ce seuil minimum d'imposition, cela ne poserait peut-être pas de problème. (Remarque.) Non, le véritable débat aujourd'hui et depuis le début de ces travaux sur la réforme de l'imposition selon la dépense, c'est ce montant, ce taux qui permet de prendre en compte la fortune. Et là c'est intéressant ! Je n'essaie pas d'interpréter le vote du peuple de l'an dernier, en novembre 2014, mais tout ce que je peux assurer ce soir, Mesdames et Messieurs les députés, c'est qu'il n'y a vraisemblablement pas eu de majorité pour adopter le modèle tel que proposé par la majorité de ce parlement et par le Conseil d'Etat, et personne ne pourra prétendre l'inverse, puisque ce projet de loi a été refusé par le peuple à 56%. Donc, selon toute vraisemblance, si ce soir ce même parlement décide d'aller de l'avant, cela revient d'une certaine façon à faire fi de la décision démocratique, qui semblait quand même majoritairement opposée à ce projet de loi.
Quoi qu'il en soit, c'est vrai qu'on peut comprendre cette frustration de la part de la majorité de la population quand on se penche d'un peu plus près... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...sur le modèle qui est proposé. En effet, si l'on regarde le tableau qui a été transmis par le département des finances et qui contient les différents scenarii avec les deux méthodes proposées, on s'aperçoit que le choix effectué là par le Conseil d'Etat est le plus minimaliste ou, faudrait-il dire, le moins ambitieux, puisque, sans aller à l'extrême, nous pourrions adopter un modèle permettant de rapporter plus de 90 millions de francs en sus en matière de recettes fiscales sur les forfaits fiscaux. Or ici, nous avons le modèle le plus minimaliste, le moins ambitieux, qui ne peut rapporter que 17 millions de francs, toutes choses étant égales par ailleurs, c'est bien vrai, et qui donc malheureusement, dans la situation budgétaire que l'on connaît - j'y reviendrai - n'apporte pas grand-chose. Pas grand-chose en plus - et là, mentionnons la grande concurrence fiscale intercantonale - en comparaison avec les méthodes utilisées par les autres cantons qui ont choisi de maintenir encore ce système vieillot et désuet que sont les forfaits fiscaux. (Remarque.) Oui, parce que beaucoup les ont supprimés ! Prenons Saint-Gall, par exemple, qui a décidé de fixer le multiple de la dépense au coefficient vingt pour prendre en compte la fortune. Lucerne a également choisi ce ratio de vingt. D'autres cantons avaient choisi puis ensuite supprimé - telle l'Argovie - le système de l'imposition d'après la dépense, mais ils avaient également décidé de fixer ce barème en multipliant la dépense par vingt.
Il est donc particulièrement dommage, voire navrant de constater aujourd'hui, alors qu'il s'agit de débats d'ordre financier et budgétaire extrêmement délicats, qu'on a l'impression d'avoir un Conseil d'Etat qui n'arrive pas à gouverner avec une majorité du parlement, que les propositions faites par le Conseil d'Etat en matière de recettes fiscales ne sont pas approuvées par ce même parlement et que l'on va droit dans l'impasse avec plus de 127 millions de coupes proposées dans le budget. En effet, comme M. Zweifel l'a très bien dit, quand il y a une action, il y a une réaction; ainsi, lorsque l'on coupe 127 millions dans les prestations publiques, cela implique autant de prestations publiques en moins, autant d'élèves supplémentaires par classe, autant de lits en moins dans les hôpitaux, etc. Parce que, oui, action égale réaction, Monsieur Zweifel, vous l'avez très bien dit ! Il est donc bien dommage d'aller droit dans le mur avec une proposition qui manque d'ambition, alors qu'il y a ici la possibilité d'avoir une réforme pragmatique qui maintiendrait les forfaits fiscaux mais qui permettrait d'avoir un peu plus de cohésion dans le canton de Genève, en faisant en sorte que les personnes qui possèdent nettement plus puissent mettre un peu plus la main à la poche. Je vous invite par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, à refuser ce projet de loi et à revoir cette méthode. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le rapporteur. Comme votre collègue rapporteur de majorité, vous avez vous aussi entamé le temps de votre groupe. Je passe la parole à M. le député François Baertschi.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Genève a besoin d'argent, Genève a besoin de contribuables riches, Genève a besoin de forfaits fiscaux. Actuellement, les forfaits fiscaux sont bloqués dans notre canton, parce que nous avons un problème avec la législation fédérale; il convient donc d'y remédier, et c'est le sens de ce projet de loi qui est impératif pour Genève. On connaît nos difficultés financières, notre dette, nos déficits, et si l'on veut sortir de l'ornière, il est impératif de soutenir ce texte, avec d'autres mesures bien évidemment. Il ne faut pas tomber dans les pièges qui nous sont tendus par les ennemis de ce projet de loi: ce sont des gens qui veulent tuer la poule aux oeufs d'or et il ne faut surtout pas en arriver à ce genre d'extrémités. Soutenons donc avec un oui convaincu et massif ce projet de loi ! (Quelques applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Vincent Maitre (PDC). Monsieur le président, vous me permettrez de relever en préambule une contradiction somme toute assez amusante de la part du parti socialiste ce soir: en début de séance, celui-ci reprochait au Conseil d'Etat, lorsqu'il s'agit du quatorzième salaire des cadres supérieurs, de ne pas suivre la volonté de ce parlement, mais ici il ne voit absolument aucune espèce de problème ou de contradiction à encourager, à instiguer le Conseil d'Etat à ne pas respecter la volonté populaire s'agissant des forfaits fiscaux. En effet, et le rapporteur de majorité l'a dit, je vous rappelle que le peuple - ne vous en déplaise, Monsieur de Sainte Marie - vous a donné tort il y a une année sur les forfaits fiscaux. Et j'entendais ce même M. de Sainte Marie nous dire tout à l'heure que ce projet de loi manquait d'ambition, dans la mesure où, précisément s'il était un peu plus ambitieux, il pourrait rapporter jusqu'à 90 millions de francs d'impôts. C'est une contrevérité: les 90 millions de francs d'impôts représenteraient, pour autant que tous les forfaitaires fiscaux restent à Genève, ce qu'ils paieraient en cas d'abolition complète et totale du forfait fiscal.
La réalité des faits se chiffre - et permettez-moi cette fois de voler la vedette à notre estimé collègue M. Riedweg - et elle se chiffre notamment en précisant que ce projet de loi rapportera au canton 18,3 millions de recettes supplémentaires. C'est - et permettez-moi, Monsieur le président, d'anticiper certains arguments qui, je n'en doute pas, seront mis sur le plateau dans quelques minutes - c'est non pas un cadeau aux riches, mais au contraire une augmentation d'impôts pour ces riches, une augmentation d'impôts absolument significative, puisqu'elle représente une hausse de 12%. Or la réalité des faits, c'est que ces forfaitaires fiscaux, on le sait, sont aujourd'hui mobiles, très mobiles: ces grandes fortunes n'hésitent pas à s'expatrier, à s'exiler. On peut le regretter ou l'approuver, mais c'est une réalité, une réalité qui s'est vérifiée ! En effet - et j'anticipe l'argument selon lequel cet exil fiscal n'existerait pas, qui nous a souvent été déclamé par les bancs de la gauche - je vous citerai l'exemple de la France qui, durant l'année 2013, a vu 40%, oui, 40% des personnes ayant des revenus considérés comme élevés - et en France, le critère qui permet de passer dans la catégorie des privilégiés est un revenu de 100 000 euros par année - quitter le territoire français. Ces 40% de personnes supplémentaires par rapport à l'année 2012 représentent 3744 foyers, ce qui signifie que 10 foyers par jour ont quitté la France en 2013 pour aller se domicilier sous des cieux fiscaux un peu plus cléments. Or c'est une catastrophe, parce que dans la réalité des faits, en France c'est 1% de la population qui paie 30% des recettes fiscales provenant de l'impôt total sur le revenu. Faites fuir ces gens et ce ne sont pas des recettes fiscales supplémentaires que vous obtiendrez, Monsieur de Sainte Marie, mais au contraire des recettes en insuffisance et en très nette diminution !
Ce projet de loi est frappé au coin du bon sens, il est raisonnable, il respecte la volonté populaire, il se calque sur l'harmonisation fiscale d'un point de vue fédéral, et c'est un projet qui, comme je l'ai dit en préambule, rapportera des recettes fiscales et non pas qui les diminuera. Je vous encourage donc vivement à le voter. (Quelques applaudissements.)
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, comme vous le savez tous, les Verts sont opposés au principe des forfaits fiscaux, pour des questions tant éthiques que juridiques. En effet, pour nous, les forfaits fiscaux ne respectent pas les principes de l'égalité de traitement et de l'imposition selon la capacité économique. Alors certes, la population genevoise - de même que la population suisse - a récemment décidé de maintenir les forfaits fiscaux dans notre législation, et il appartient donc désormais à notre Grand Conseil de voter une loi d'application au niveau cantonal.
La majorité de ce parlement a effectivement choisi la formule la plus minimaliste - c'est-à-dire un montant de l'assiette fiscale fixé à 400 000 F et une majoration de cette assiette de 10% pour tenir compte de la fortune - et les Verts regrettent fortement ce choix. En effet, quitte à avoir des forfaits fiscaux, autant opter pour une solution qui rapporte davantage d'argent. Or ce n'est pas le choix qu'a fait la commission fiscale - et que va certainement faire ce parlement ce soir. Ce système de majoration de l'assiette fiscale de 10% pour tenir compte de la fortune est pour le moins timide, voire risible, si l'on prend en considération les fortunes dont il est question. Il aurait mieux valu adopter un autre système, que la majorité des cantons connaissent, qui consiste à déterminer un multiple de la dépense pour tenir compte de la fortune de ces personnes au bénéfice d'un forfait.
Le choix de la commission fiscale, c'est aussi le choix de renforcer la concurrence fiscale entre cantons, or pour nous ce signal est extrêmement mauvais, tant sur le plan fédéral, car cette concurrence débridée est vraiment nuisible à terme, que sur le plan international. En effet, à l'heure où le système financier international de même que le système fiscal mondial s'orientent vers davantage de transparence, à l'heure où l'OCDE demande que les multinationales soient taxées là où elles produisent de la valeur, il est vraiment dommage que Genève s'illustre en votant ostentatoirement une loi qui vise à attirer les milliardaires de la planète sur son territoire. C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous demandons de refuser ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Christo Ivanov (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, la présente loi 11683 propose de s'aligner sur la loi fédérale fixant le seuil à sept fois le loyer ou la valeur locative, le montant minimum de l'assiette fiscale restant à 400 000 F. En effet, si l'on applique sur l'assiette, qu'elle soit majorée ou non, le taux ordinaire, on arrive alors à la conclusion qu'une assiette de 400 000 F à Genève équivaut à une assiette nettement supérieure dans d'autres cantons qui sont moins gourmands sur les taux d'imposition. Gardons nos forfaitaires fiscaux et nos gros contribuables à Genève, car ce sont eux qui permettent de financer le social dans notre canton. Et je rappelle que ce projet de loi rapportera 18,3 millions de francs à notre collectivité. Pour toutes ces raisons, le groupe UDC vous demande d'accepter ce projet de loi.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme la députée Lydia Schneider Hausser pour une minute cinquante-sept.
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Merci, Monsieur le président. Non, le PS n'est pas contre les riches, le PS a comme valeur l'égalité devant le bien public et la participation fiscale de tout un chacun. En ce sens, l'impôt sur la dépense n'a pas ou n'a plus de raison d'être. En effet, à force de soustraire les individus, c'est-à-dire les personnes physiques - les personnes morales aussi, d'ailleurs - des participations au bien public, d'une certaine façon c'est la démocratie que l'on amenuise ou que l'on tue ici et ailleurs dans le monde. Car à force de soustraire des revenus à la collectivité, aux politiques publiques et à la mise en oeuvre de décisions, non seulement nous affaiblissons l'Etat, mais nous creusons des différences sociales, ce qui n'est pas vraiment le but d'une démocratie. Il y a d'un côté des personnes mobiles, et de l'autre des personnes captives, qui deviennent forcément de plus en plus vulnérables. Et avec ces forfaitaires, nous aurons un monde où les personnes fortunées peuvent effectivement aller n'importe où, dans n'importe quel paradis fiscal, que ce soit dans les cantons suisses ou dans les pays voisins ou plus lointains, tandis que les personnes normales ou dans une situation précaire sont astreintes au plein tarif fiscal et à la sédentarisation. Et lorsqu'elles sont vraiment trop pauvres, eh bien nous les retrouvons sur les routes, en migration, forcée ou non, et nous aurons bien quelques petits soucis, que nous commençons d'ailleurs à connaître ici ou plus précisément en Méditerranée.
Le président. Il vous reste trente secondes.
Mme Lydia Schneider Hausser. Accepter les forfaits permet certes de rapporter de l'argent à Genève - cette solution minimaliste va nous rapporter 18 millions - mais nous sommes là dans une vision à très court terme, de plus en plus à court terme, or, comme l'OCDE nous le dit, de même que toutes les organisations internationales, nous devons réfléchir autrement. Dommage, nous ne nous sommes pas donné les moyens, au sein de la commission fiscale, de mener cette réflexion. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Madame la députée. Je passe la parole à M. le député Lionel Halpérin pour deux minutes quarante.
M. Lionel Halpérin (PLR). Je vous remercie, Monsieur le président. J'ai une impression de déjà vu, ce soir, quand j'entends le débat. En effet, il y a une année la gauche nous a martelé les mêmes éléments; le peuple lui a répondu, mais apparemment la gauche n'a pas compris la leçon. La réalité à laquelle nous sommes confrontés ce soir, c'est que nous sommes obligés de procéder à une adaptation technique, qui est requise simplement pour se mettre en conformité avec le droit fédéral. Or on nous explique aujourd'hui qu'on a opté pour une version minimaliste, parce qu'on augmente uniquement de 10% environ les impôts de ces personnes. Voilà la réalité de la version minimaliste dont on nous parle. On aurait pu, cela dit, si l'on avait vraiment voulu aller dans le minimalisme, décider de descendre le taux minimal de 400 000 à 360 000 F, par exemple, pour effectivement, avec les 10%... (Remarque.) Si, c'est tout à fait possible, parce qu'aucun minimum n'a été fixé par la Confédération. D'ailleurs, le canton du Valais, notamment, va descendre au-dessous de ce montant de 400 000 F. Le seul élément qui est imposé, c'est un seuil fixé à sept fois la valeur locative. Mais peu importe... De toute façon, la question n'est pas là ce soir. Nous devons évidemment adopter ce projet, parce qu'il est simplement nécessaire pour que nous nous adaptions au droit fédéral. Il convient donc d'aller de l'avant sur ce texte tel qu'il a été présenté et proposé par la commission.
Une fois encore ce soir, la gauche a envie de s'asseoir sur un vote populaire; elle a décidé à l'époque de s'opposer au contreprojet parce qu'elle voulait favoriser la fin des forfaits fiscaux, elle a raté son coup, et maintenant elle essaie de revenir en arrière et de défaire ce que le peuple a décidé il y a peu de temps. Or ce que le peuple a décidé il y a peu de temps est relativement simple: il a décidé qu'il voulait que Genève soit attractif pour les personnes fortunées, parce que ces dernières contribuent à la prospérité du canton non seulement par les impôts qu'elles paient, mais également grâce à un certain nombre d'investissements dans l'économie, lesquels sont évidemment importants d'une part pour les personnes qui en bénéficient, mais d'autre part aussi pour l'Etat, par le biais de cette deuxième redistribution.
Ce qu'il faut en outre mentionner - et j'aimerais profiter de cette occasion pour le faire - c'est la pratique de l'administration. En effet, aujourd'hui l'administration a apparemment une pratique qui varie selon que...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Lionel Halpérin. ...les forfaitaires sont européens ou non européens. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Or cette pratique s'écarte de la loi que nous sommes en train de voter, laquelle prévoit un minimum, mais pas que ce minimum doit s'appliquer de manière différente pour les Européens et les non-Européens. Aujourd'hui, un certain nombre de personnes en Angleterre vont quitter Londres pour des questions de modifications législatives, et nous serions donc bien inspirés - puisque le message du peuple est d'essayer de les attirer - d'appliquer pour les non-Européens...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Lionel Halpérin. ...les mêmes critères que ceux que nous appliquons pour les Européens, s'agissant de l'obtention du forfait fiscal.
M. Pierre Vanek (EAG). Mesdames et Messieurs, nous suivrons bien entendu les conclusions du rapporteur de minorité socialiste, que nous remercions. J'aimerais simplement faire quelques observations et tout d'abord rendre hommage, pour une fois, au rapporteur de majorité, M. Zweifel, qui est intervenu à l'instant en disant que l'on ne pouvait pas interpréter le vote sur le contreprojet et qu'il pouvait s'expliquer de différentes manières. Nous avons évidemment appelé à voter contre ce contreprojet, parce que nous étions favorables à l'initiative, favorables à la suppression des forfaits fiscaux, favorables au respect du droit supérieur concernant la fiscalité et favorables à la justice fiscale. Nous avons donc appelé à voter contre ce contreprojet, et évidemment le rapporteur de majorité - enfin non, ce n'est pas évident, justement, c'est la raison pour laquelle je lui rends hommage ! - a indiqué qu'on ne pouvait pas se fonder sur ce vote pour en tirer une quelconque conclusion, mais qu'il fallait se baser sur le fond, sur le fond du refus de la suppression des forfaits fiscaux. C'est ce que vous avez dit à l'instant, Monsieur Zweifel, et vous avez raison.
Nous sommes donc en train d'aménager très modestement ces forfaits fiscaux - beaucoup trop modestement, comme l'a expliqué avec intelligence le rapporteur de minorité - de les aménager de manière minimaliste, en comparaison avec d'autres cantons qui ont été évoqués, mais aussi en comparaison avec les propositions qui figurent dans ce rapport et qui pourraient être mises en oeuvre - je n'ai pas refait les calculs du rapporteur de minorité, je lui fais confiance sur ce point, et il n'a pas été contredit - à hauteur d'environ 80 millions de francs de recettes supplémentaires pour le canton. Alors certes, il a été contredit par M. Zweifel, qui a précisé que cela était valable toutes choses étant égales par ailleurs. Oui, mais quand même, Monsieur Zweifel, vous le savez bien - et vous aussi, qui êtes sur les bancs d'en face - on est encore dans l'homéopathie avec ces 80 millions ! On est dans l'homéopathie, et M. Zacharias m'approuve - il le sait bien, il est placé pour le savoir, et il opine du chef ! Et c'est une volonté dogmatique - on la voit régulièrement dans toute une série de domaines - d'aller jusqu'au bout de cette politique des caisses vides servant à étrangler le service public et les prestations sociales qui vous pousse ce soir... Ce n'est pas le débat de fond que nous sommes en train d'avoir ! Le débat de fond consiste à savoir s'il faut continuer dans cette logique suicidaire, dans cette politique des caisses vides, de démantèlement, de démantèlement social, à laquelle vous prêtez la main, et vous pédalez même de plus en plus fort pour essayer d'y arriver. C'est bien de cela qu'il s'agit aujourd'hui.
Evidemment, nous refuserons ce projet de loi, nous refuserons cette solution-là et, sur le fond, sur la question de la volonté populaire, certes nous avons été battus sur le thème des forfaits fiscaux - pas seulement le parti socialiste - mais bien sûr nous reviendrons, parce que l'injustice fiscale est intolérable. Ce n'est pas parce que vous gagnez une bataille en faveur des riches, en faveur de ces poules aux oeufs d'or que M. Baertschi appelait de ses voeux... Il disait qu'il nous faut des poules aux oeufs d'or et qu'on veut multiplier le nombre de ces poules aux oeufs d'or dans notre canton. Fort bien, mais ce qu'on demande simplement, c'est qu'une toute petite partie des oeufs pondus par ces poules... Ces poules et ces coqs, excusez-moi de ne pas avoir utilisé un langage épicène ! (Commentaires.)
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Pierre Vanek. ...qu'une toute petite partie des oeufs d'or prétendument pondus par ces gens aille dans les caisses de la collectivité... (Brouhaha. Commentaires.) ...et soit mise au service des citoyennes et citoyens genevois que nous défendons ce soir... (Chahut.) ...des habitants de ce canton que nous défendons ce soir, et pas vous ! (Commentaires. Quelques applaudissements.)
M. Pascal Spuhler (MCG). Ce soir, la gauche me fait un peu penser à ces colporteurs qui essayaient de vendre leur marchandise d'appartement en appartement et qui, quand on refermait la porte, enfilaient vite le pied - voire même rentraient par la fenêtre ! - histoire de continuer à vendre leurs salades. C'est un peu ce qu'on nous sert aujourd'hui: l'éternelle salade sur les forfaits fiscaux, sur ces salauds qui gagnent de l'argent et qui ne le distribuent pas aux pauvres. Oui, c'est un peu ce qu'on nous présente ce soir pour la xième fois... (Brouhaha.) ...et je pense, Mesdames et Messieurs, j'en suis même persuadé, que dans quelque temps, lorsque nous aurons évidemment accepté ce projet de loi, ils vont se remettre, dépités, à écrire un xième projet de loi pour pouvoir contourner, rajouter, bref, brimer une certaine population. Mesdames et Messieurs, il en est ainsi, on doit s'adapter à la loi fédérale, et c'est un projet de loi qui sert justement à procéder à ces adaptations, alors quand j'entends M. de Sainte Marie dire que son parti va refuser ce projet de loi, je ne sais pas de quel droit il peut refuser une adaptation au droit fédéral... (Commentaires.) Qu'il s'abstienne, je veux bien, mais refuser, c'est ridicule ! (Brouhaha. Exclamations. Quelques applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Ronald Zacharias pour deux minutes.
M. Ronald Zacharias (MCG). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, voici un petit rappel: 0,7% de la population représente 70% des recettes au titre de l'impôt sur la fortune... (Brouhaha.) ...tandis que 3% de la population représentent environ 35% des recettes au titre de l'impôt sur le revenu. C'est dire l'extrême dépendance du canton par rapport aux contribuables aisés. Par ailleurs, 35 à 40% de personnes ne paient aucun impôt, ou un impôt insignifiant, mais coûtent en revanche en termes d'aide sociale et de toutes sortes de subsides. Bien souvent, ces aides sont à ce point élevées qu'elles empêchent tout retour à l'emploi. Mesdames et Messieurs les députés, cette manne que représente le forfait fiscal est aujourd'hui indispensable pour Genève, et il convient que celui-ci soit aussi attractif que possible. Je vous remercie donc de soutenir ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il y a effectivement une impression de déjà vu et de déjà entendu ici dans cette salle. Toutefois, depuis votre dernier débat à ce sujet, une votation populaire a eu lieu - c'était le 30 novembre de l'année passée - et le peuple a parlé. Il a parlé extrêmement clairement, et dans tous les arrondissements électoraux, d'ailleurs. Sur le plan fédéral, il n'est pas question d'abandonner la possibilité d'imposer selon la dépense. Sur le plan cantonal, il n'en est pas davantage question, et s'agissant du compromis élaboré ici à titre de contreprojet, eh bien le peuple n'en veut pas non plus. C'est la seule certitude que l'on peut tirer de la lecture de ces résultats. D'autre part, il est assez cocasse - permettez-moi de vous le signaler, Monsieur le rapporteur de minorité - de constater que vous défendez ce soir avec acharnement ce que par ailleurs vous aviez combattu bec et ongles il n'y a pas si longtemps.
Devant ce constat, le Conseil d'Etat, à qui on reproche dans d'autres circonstances de ne pas respecter la volonté de ce parlement, tient particulièrement à respecter la volonté populaire. Et dans cette opération, qui vise effectivement à adapter, sur le plan cantonal, notre dispositif législatif au droit fédéral qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2016, nous nous sommes posé la question de savoir quelles dispositions nous allions inscrire dans cette loi. La logique et le bon sens découlant de l'interprétation de la volonté populaire voulaient que l'on soit au-dessous des 600 000 F, s'agissant de l'assiette minimale, puisque ce montant avait été refusé par le peuple, et dans un souci d'harmonisation avec le minimum prévu sur le plan fédéral, le montant de 400 000 F nous a paru pour le moins logique. Avec le 10%, on a également repris ce qui avait été décidé par ce parlement concernant le principe de la prise en compte de la fortune, et c'est une méthode - on peut vous le démontrer - qui est au demeurant tout à fait correcte et qui a aussi le mérite, il faut le dire, de faciliter le travail de notre administration dans l'application de ladite loi.
J'ajouterai encore, pour ce qui est d'une éventuelle concurrence entre cantons, que l'élaboration de ce projet de loi a fait l'objet de discussions avec les cantons, en particulier les autres cantons romands, et que nous avons une solution tout à fait semblable; certes, le Valais va mettre un seuil, une assiette minimale un peu plus basse, mais le projet qui vous est soumis ce soir est parfaitement compatible notamment avec la proposition de nos collègues vaudois, et nous sommes donc dans une situation tout à fait harmonisée, qui ne favorise pas la concurrence intercantonale.
Dès lors, Mesdames et Messieurs, dans le respect de la volonté populaire, dans le souci de doter notre canton d'une législation stable et susceptible d'amener des contribuables - qui nous seront bien utiles - à s'installer à Genève, le Conseil d'Etat vous invite fermement à suivre le projet de loi qu'il a lui-même déposé et qui est ressorti tel quel de la commission avec un vote majoritaire. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons voter sur l'entrée en matière de ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 11683 est adopté en premier débat par 65 oui contre 31 non.
La loi 11683 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 11683 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 65 oui contre 31 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)