République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 27 août 2015 à 14h
1re législature - 2e année - 7e session - 47e séance
M 2150
Débat
Le président. Le point suivant à l'ordre du jour est la proposition de motion 2150. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à l'auteur de la motion, M. Lefort.
M. François Lefort (Ve). Merci, Monsieur le président. Cette motion invite le Conseil d'Etat à quelques actions raisonnables pour accélérer la mise en oeuvre de la loi sur l'énergie, une des rares lois suisses sur l'énergie, qui a été votée en 2009 et anticipait déjà les problèmes posés par la transition énergétique. Les Verts, patients, avaient attendu deux ans avant de demander par la motion un premier bilan - ils étaient patients, mais curieux de l'avancement des travaux. Les Verts avaient aussi interpellé plusieurs fois le Conseil d'Etat sur la mise en oeuvre de la loi, en particulier sur la participation du canton au Programme Bâtiments de la Confédération, sur le nombre de bâtiments à l'indice énergétique inconnu et sur la stratégie énergétique du Conseil d'Etat. Les réponses à l'époque avaient été décevantes en regard de ces enjeux énergétiques, alors que nous disposons en plus d'une loi qui est un outil fondamental pour la transition énergétique, transition qui sera l'horizon de la Suisse pour les quarante prochaines années. Il faut donc mettre maintenant les mains dans le cambouis et appliquer notre loi exemplaire sur l'énergie. Il est vrai qu'il y a eu du changement et que le nouveau conseiller d'Etat en charge de l'énergie depuis 2013 a mis les mains dans le cambouis. Cette motion a justement pour but de le soutenir dans ce travail. Le temps n'est plus à la patience mais à l'engagement. Cette loi contient très peu de dispositions obligatoires, mais celles-ci n'étaient pas appliquées et actuellement elles ne sont pas toutes appliquées. Nous demandons donc que ces dispositions obligatoires de la loi sur l'énergie le soient immédiatement. Nous demandions en 2013 que soient réalisés les audits énergétiques thermiques obligatoires pour les bâtiments dont l'indice de dépense de chaleur pour le chauffage et la production d'eau chaude dépassait le seuil fixé par le règlement et nous le demandions pour tous les bâtiments: il est évident qu'il y a eu une petite avancée pour une partie des bâtiments, mais il reste une partie des constructions qui pour l'instant ne sont pas concernées et il faudra qu'elles y passent aussi.
Nous demandons que soient réalisés par les propriétaires les travaux de rénovation énergétique obligatoires au sens de la loi. (Remarque.) Nous demandons à faire respecter l'obligation d'installer des décomptes individuels de frais de chauffage, même si à l'époque nous n'avions pas encore déposé le projet de loi qui demandait ces décomptes et qui a connu un sort funeste en commission. Nous les demandons encore. Nous demandons donc par cette motion une prompte action du Conseil d'Etat pour remédier à cette situation de non-droit et faire appliquer la loi sur l'énergie dans sa totalité. Parce que la non-application des mesures obligatoires est un très mauvais message envers les propriétaires qui, tôt ou tard, de toute façon, devront se mettre en conformité; car la non-application des mesures obligatoires est en fait une véritable incitation à ne pas tenir compte de la loi sur l'énergie. Nous vous remercions donc, Mesdames et Messieurs, de réserver un accueil favorable à cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat pour qu'elle soit suivie de cette action prompte que nous demandons.
Mme Salima Moyard (S). Je ne vous répéterai pas tout ce dont je vous parlais lors du débat sur la motion 2086, puisque la thématique est la même. Je n'aurai donc pas besoin d'évoquer les bâtiments gaspilleurs d'énergie, la loi sur l'énergie qui fête déjà ses cinq ans et le rythme de rénovation trop faible. Par contre, si on se concentre sur les invites de cette motion, on constate, comme l'a dit M. Lefort, que certaines concernent les décomptes individuels des frais de chauffage qui font l'objet du PL 11508, qui effectivement s'embourbe à juste titre à la commission de l'énergie. Cette invite de la motion nous paraît une mauvaise idée puisqu'on l'a étudiée spécifiquement via ce projet de loi et que cela s'avère complètement impraticable, voire franchement contraire au but poursuivi. En revanche, le reste du texte constitue effectivement une occasion, comme je l'ai relevé pour la motion 2086, de faire un point actualisé sur l'avancée des audits et des rénovations - plutôt pour nous en commission, il faut le dire - puisque nous avions eu un premier bilan à la commission de l'énergie durant les deux dernières années. Etant donné qu'il s'agit d'un travail évolutif, qui s'inscrit dans la durée, nous serions intéressés à voir la suite des efforts de M. Hodgers.
Je dois dire pour terminer que la première invite de la motion, au sujet de la non-application des dispositions légales obligatoires, a aiguisé notre curiosité. L'exposé des motifs n'évoque que les décomptes individuels des frais de chauffage. S'il s'agit de la seule disposition légale obligatoire à ne pas être appliquée, nous avons plus ou moins fait le tour de la question; s'il y en a d'autres, je dois dire que cela a quelque peu aiguisé la curiosité de mon groupe et que nous serions très intéressés à obtenir davantage de précisions de la part du Conseil d'Etat. Le groupe socialiste était donc plus enclin à renvoyer cette motion en commission que directement au Conseil d'Etat, mais nous ne nous y opposerons probablement pas si la demande du groupe des Verts est réellement de la renvoyer au Conseil d'Etat. Je vous remercie. (Remarque.)
Le président. Je vous remercie, Madame la députée. Je passe la parole à M. le député Michel Baud... qui n'est pas là. Je passe la parole...
M. Michel Baud (UDC). Si, si, Monsieur le président, je suis là ! (L'orateur rit.)
Le président. Ah, excusez-moi ! Je regardais ailleurs !
M. Michel Baud. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, les raisons pour lesquelles les réponses du Conseil d'Etat sont décevantes et évasives dans le cadre de l'application de la loi sur l'énergie sont liées au fait que les enjeux financiers sont colossaux. Faire réaliser, suite à des audits, les travaux de rénovation obligatoires en matière énergétique et thermique aux frais des propriétaires est un souhait, mais sa réalisation financière est bien plus complexe. Accélérer la rénovation et l'assainissement énergétique des bâtiments du canton d'ici 2050 et atteindre un taux de rénovation de 2% par année devrait coûter 36 milliards. Le taux de rénovation énergétique du parc immobilier genevois est actuellement de 1% environ et, dans certains cas, la rénovation ne peut être entreprise que dans le cadre de la rénovation complète des immeubles. Ces travaux supplémentaires coûteraient encore 15 milliards, ce qui fait monter la facture totale à 51 milliards à investir sur quarante ans environ aux frais des propriétaires que sont nos caisses de pension principalement et nos compagnies d'assurance. Ces travaux évalués à environ 1 milliard par année permettront de réaliser des économies sur les frais de chauffage et de production d'eau chaude sanitaire, mais les propriétaires ne manqueront pas de répercuter la différence entre les coûts de rénovation et les économies d'énergie et thermiques sur les locataires qui devront consacrer encore davantage de ressources à leur loyer. C'est pour cela que l'UDC vous demande de refuser cette motion.
M. Benoît Genecand (PLR). M. Lefort a une vertu, c'est qu'il pond énormément de textes. Il est de nouveau question d'une motion renvoyée à un conseiller d'Etat de son parti. La motion est censée appeler le Conseil d'Etat à agir. On se demande finalement ce qui se passe à l'intérieur de ce parti écologiste; ils n'arrivent pas à se parler, donc ils se parlent par motion. Ce n'est pas vraiment formidable, mais enfin, prenons-en acte ! (Commentaires.)
Concernant le décompte individuel des frais de chauffage, M. Lefort l'a dit lui-même, il a également déposé un projet de loi qui a connu un sort funeste en commission et il revient malgré tout avec sa motion. Le PLR est très soucieux d'une application stricte de la loi sur l'énergie et très conscient de l'importance de l'assainissement des immeubles en matière énergétique. Nous pensons qu'à Genève, notre loi sur l'énergie a déjà des vertus exemplaires: toutes les nouvelles constructions sont à haute performance énergétique, ce qui est unique en Suisse. Pour le reste, pour ce qui est des rénovations, il est vrai que cela coince un peu, mais je ne suis pas sûr que cette motion puisse y changer grand-chose. Cela coince parce que certaines lois font que cela coince, notamment la LDTR qui ne permet pas de rénovation, puisqu'elle empêche de les rentabiliser. Cela coince à tel point qu'en réalité, celui qui est le plus en retard dans les rénovations, c'est l'Etat lui-même pour son parc immobilier direct et celui de ses caisses de pension, Mesdames et Messieurs ! Les caisses de pension, lorsqu'elles doivent effectuer des calculs par rapport aux rénovations, se rendent compte qu'elles ont un objectif divergeant entre la nécessité de servir des rentes et de produire des rendements d'une part, et les critères imposés pour les rénovations d'autre part. Malgré tout, cette motion présente quelque intérêt et pourrait faire l'objet d'une discussion. Nous vous proposons donc de la renvoyer à la commission de l'énergie.
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, effectivement, cette motion demande d'appliquer la loi sur l'énergie - évidemment qu'il faut l'appliquer - mais il est vrai qu'en ce qui concerne certains domaines, notamment celui du décompte individuel des frais de chauffage, c'est une fausse bonne idée. (Remarque.) Vous savez que c'est une fausse bonne idée ! Par conséquent, ce n'est pas par là qu'il faut passer pour économiser l'énergie. Il faut isoler les bâtiments, Mesdames et Messieurs les députés ! Isoler les bâtiments ! C'est cela qu'il faut faire et c'est bien plus efficace que tout autre système proposé notamment ici. Premièrement, parce que c'est coûteux à installer et, deuxièmement, parce que ce n'est pas forcément bénéfique à l'économie et aux locataires. Les locataires de certains bâtiments dans lesquels ce système a été installé se plaignent; cela leur coûte plus cher qu'avant, tout simplement parce que ce système ne fonctionne pas. Il doit y avoir évidemment un certain nombre de compensations, car entre l'appartement qui est au milieu, celui qui est sur les bords et celui qui est sur une façade pignon, c'est complètement différent ! Alors oui, il existe des coefficients pour corriger, mais ce n'est pas suffisant, et la réalité des choses sur le terrain - j'ai pu le vivre à la coopérative d'habitation à Genève - c'est que cela crée davantage de problèmes que cela n'en résout, et finalement le résultat est que les locataires paient plus cher qu'auparavant, alors que les économies réalisées - ils ont en effet fait un effort pour économiser, puisque tout d'un coup la facture a augmenté - sont marginales ! C'est coûteux à installer et les économies sont marginales ! Ce qu'il faut faire, c'est isoler les bâtiments et c'est là qu'il faut accélérer le mouvement parce qu'on peut réaliser des économies de 30% en isolant les bâtiments. On aura peut-être l'occasion d'en parler tout à l'heure par rapport à la question du double vitrage: stop, fini d'attendre et de reporter encore l'installation des doubles vitrages ! Je vous rappelle que cette loi a été votée en 1988 et que les propriétaires avaient vingt ans pour s'y conformer. On ne va pas encore prolonger le délai ! Je crois d'ailleurs qu'il y a une motion à ce sujet et j'attends les Verts et la gauche là-dessus. J'espère qu'ils nous soutiendront parce qu'en ce qui nous concerne, on ne veut plus de report, car c'est cela le meilleur moyen d'économiser l'énergie et non les mesures que vous préconisez dans cette motion, qui sont du bricolage, coûtent cher et apportent très peu d'économies d'énergie ! Par conséquent, nous refuserons cette motion.
Mme Lisa Mazzone (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, M. Lefort n'a pas qu'une vertu: non seulement il pond des textes, mais en plus ses textes sont bons. (Remarque.) Je vais me référer à sa troisième invite, à l'adresse de M. Sormanni par le biais de M. le président, s'il daigne m'écouter. La troisième invite demande au Conseil d'Etat de faire réaliser par les propriétaires les travaux de rénovation énergétique obligatoires. Il s'agit donc effectivement de demander une application de la loi sur l'énergie en faisant réaliser les rénovations que l'on attend depuis l'adoption de cette loi par le peuple, en 2010, je le rappelle. Il s'agit de mettre en oeuvre une volonté populaire.
J'aimerais revenir sur quelques éléments, d'abord sur la question des délais. On entend toujours: «Oui, mais c'est impossible de réaliser ce que vous demandez !» Eh bien, il s'agirait déjà de commencer ! (Commentaires.) Comme on l'a souligné, en matière notamment d'installation des doubles vitrages, une disposition datant de 1989 - je n'étais âgée que d'un an - n'est aujourd'hui toujours pas réalisée ! (Commentaires.) Je relève aussi que la loi sur l'énergie a été adoptée en 2010 et qu'on voit aujourd'hui à peine le début d'un balbutiement de mise en oeuvre. Donc, quoi de plus légitime que de demander une application de cette loi ? Relevons encore, puisque cela a été évoqué, la question des loyers. Je rappelle que qui dit assainissement énergétique dit aussi baisse des charges et baisse des charges à destination des habitants. Enfin, je m'étonne d'une certaine frilosité de la part du PLR en matière de développement d'une économie locale car là encore, les enjeux de rénovation des bâtiments créent de l'emploi pour des entreprises de la région et sont à même de développer notre tissu économique. J'ai envie de simplement vous citer une phrase bien connue: le coût de l'inaction est bien plus élevé que le coût que représente la mise en oeuvre de la loi sur l'énergie. Il serait temps, et grand temps, que certains se rendent compte que les ressources sont finies et qu'il s'agit de réaliser le tournant énergétique dès maintenant. Je vous remercie.
M. Olivier Cerutti (PDC). Ce matin, nous avons renvoyé à la commission de l'énergie une motion socialiste qui s'interroge sur les bénéfices et l'inventaire ou le constat que l'on peut établir sur la loi de 2010. La loi de 2010, contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure, est malgré tout très bien appliquée. Mon préopinant Genecand l'a relevé: toute construction neuve aujourd'hui à Genève se fait selon de hauts standards énergétiques, et je crois que rien qu'à ce stade, cela est salutaire. Concernant la question telle qu'elle est posée aujourd'hui par les motionnaires, un renvoi au Conseil d'Etat est à mon avis tout à fait légitime, ce serait même un devoir, par rapport aux questions posées. Nous ne sommes donc pas opposés au renvoi en commission et plutôt favorables à un renvoi au Conseil d'Etat.
M. Rémy Pagani (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, bien évidemment, nous soutiendrons cette motion, mais un certain nombre de présupposés mériteraient quand même d'être discutés. Je ne parle pas de la question du décompte individuel des frais de chauffage, parce que là-dessus, et uniquement là-dessus, je suis d'accord avec M. Sormanni, mais quand même ! Quand on nous demande d'isoler la ferme Menut-Pellet, pour ne pas la nommer, alors que ses murs sont d'un mètre d'épaisseur... (Commentaires.) ...et qu'on nous demande encore 30 centimètres supplémentaires d'isolation, je crois que cela augmente d'autant plus les coûts. (Brouhaha.) Par ailleurs, les collectivités publiques, que ce soit le Conseil municipal ou le Grand Conseil... Quand les projets sont soumis, les prix augmentent. Il faut appliquer la loi de manière intelligente et ne pas systématiquement installer des doubles vitrages dans des bâtiments qui pourraient être dégradés parce qu'ils se transforment en thermos, l'humidité s'y installant et les rendant insalubres. On a vu ce genre de phénomène se développer dans certains bâtiments parce que la loi sur l'énergie n'a pas été appliquée intelligemment. Nous soutiendrons donc bien évidemment cette motion parce qu'elle vise à faire appliquer une loi essentielle du point de vue du travail fourni aux entreprises et des économies d'énergie - bien qu'il soit aujourd'hui très difficile d'être concurrentiel par rapport à des locataires qui paient le mazout à des prix tellement bas que cela devient impossible de leur faire comprendre qu'ils vont y gagner quelque chose. (Brouhaha.) Enfin bref, toujours est-il que je pense que le mazout va reprendre l'ascenseur parce que, comme cela a été relevé, nos gisements de mazout à l'échelle planétaire sont limités et seront épuisés très rapidement si nous en abusons. Par conséquent, je pense - c'est un voeu que j'adresse au Conseil d'Etat - que chaque cas doit être analysé individuellement et qu'on ne doit pas envoyer à tous les propriétaires de notre canton... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...des lettres comminatoires les sommant d'appliquer la loi à une certaine date sous peine d'amende - je crois que c'est fin 2016 - et les informant que sinon, le 1er janvier 2017...
Le président. Il vous reste vingt secondes.
M. Rémy Pagani. Je termine. ...tout le monde sera amendé. Il faut tenir compte de la réalité et faire appliquer cette loi de manière intelligente. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député François Lefort pour cinquante secondes.
M. François Lefort (Ve). Merci, Monsieur le président. Monsieur Genecand, «tempus fugit» ! Cette motion de 2013 était adressée aux prédécesseurs PLR de l'actuel conseiller d'Etat Vert - les prédécesseurs, parce qu'il y a eu deux magistrats PLR en charge de l'énergie lors de la dernière législature. Elle leur était adressée en raison de leurs réponses décevantes. Ces réponses étaient celles de vos conseillers d'Etat PLR et elles ont été décevantes pendant quatre ans, absents qu'ils étaient sur la loi sur l'énergie, comme ils ont été absents à la Conférence nationale des directeurs cantonaux de l'énergie, l'EnDK, pendant quatre ans. Il n'y avait donc aucune volonté d'appliquer cette loi sur l'énergie. Ils nous ont fait perdre quatre ans et maintenant, pour nous, l'urgence est de rattraper ce temps perdu. C'est bien le but de cette motion.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je fais voter l'assemblée sur le renvoi de cette motion à la commission de l'énergie.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2150 à la commission de l'énergie et des Services industriels de Genève est adopté par 63 oui contre 12 non.