République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 27 août 2015 à 10h
1re législature - 2e année - 7e session - 46e séance
M 2139
Débat
Le président. Pour terminer, nous nous occupons de la motion 2139 en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à son auteur, M. Stéphane Florey.
M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Comme vous le savez, puisqu'on en a déjà longuement parlé lors de nombreux débats successifs sur le sujet, le prix des terrains en zone de développement pose problème car il est plafonné à 1000 F, ce qui ne correspond pas toujours au prix du marché. De ce simple fait, les propriétaires refusent de vendre leur terrain pour ne pas perdre la valeur de leur bien. Ce que propose cette motion est calqué sur une mesure instaurée par l'ancien conseiller d'Etat Mark Muller et qui avait très bien marché s'agissant des terrains agricoles. Le prix de vente des terrains agricoles était tellement bas à l'époque que les propriétaires refusaient de perdre leur outil de travail pour une somme aussi dérisoire; il avait donc augmenté quelque peu le prix de vente des terrains en le faisant passer sauf erreur à 400 F, et de nombreux propriétaires se sont dit: «Pourquoi pas ? On participe à l'effort commun pour construire du logement, on s'y retrouve.» Ils ont estimé que le prix était acceptable et on voit que cette opération a finalement porté ses fruits puisqu'elle a par exemple permis de débloquer une situation quasiment inextricable à l'époque, celle des Vergers de Meyrin.
Partant de ce principe, nous proposons de tenter une expérience similaire sur les zones de développement en déplafonnant le prix du terrain et en le plaçant au niveau de celui du marché pendant une année afin de débloquer certaines situations dans ces secteurs. En effet, les propriétaires ne sont pas tous fondamentalement opposés à vendre leur bien, mais ils veulent retrouver le pouvoir d'achat qui est le leur pour pouvoir se reloger ailleurs dans un logement équivalent, ce qui n'est pas possible avec les prix pratiqués aujourd'hui. Ce que nous proposons, c'est donc de déplafonner pendant une année le prix du terrain. A n'en pas douter, cela incitera les propriétaires qui hésitent ou ne veulent pas vendre pour le moment en raison de ce plafonnement à franchir le cap, et nous pourrons ainsi certainement débloquer bon nombre de situations sans issue actuellement. Nous invitons également le Conseil d'Etat à faire la promotion de cette mesure et à revenir vers tous les propriétaires en leur disant: «Vendez vos terrains au prix du marché, vous avez une année pour le faire.» Je suis persuadé qu'au vu des nombreuses situations actuellement bloquées, nous aurons fait un bon pas en avant en l'espace d'une année, et ceci permettra d'en débloquer un certain nombre. Je vous remercie.
Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S). Les socialistes ne peuvent pas accepter un déplafonnement du prix du terrain en zone de développement, même de manière provisoire. Pourquoi ? Parce que la zone de développement permet d'offrir des logements à loyer abordable à l'ensemble de la population tout en construisant, il faut le rappeler, des propriétés par étage qui peuvent s'adresser à la classe moyenne. Proposer de déplafonner revient finalement à mettre en péril le plan financier qui pourrait être élaboré par les fondations immobilières de droit public ou tout autre organisme dédié à la construction de logement social. En effet, qui pourrait dire quel est le plafond supérieur, le prix du marché aujourd'hui ? On a vu tout à l'heure, et le conseiller d'Etat l'a rappelé, combien il était aléatoire de planifier une politique sociale du logement à long terme en jouant avec la variable du prix du terrain. Cela revient à remettre en question toute la logique de contrôle du prix du terrain qui permet, il faut le rappeler, un contrôle du prix des loyers ainsi qu'une stabilité de travail, y compris pour les fondations immobilières de droit public et autres organismes oeuvrant pour le logement social.
En outre, il existe d'autres mesures incitatives, il n'y a pas seulement le prix au mètre carré qui entre en ligne de compte. Tout à l'heure, on a par exemple rappelé que la pratique administrative autorise les échanges terrains-appartements et permet aux propriétaires de demeurer dans le quartier où ils habitent en échangeant jusqu'à trois appartements. Au prix du terrain s'ajoute aussi la valeur intrinsèque des constructions et aménagements extérieurs: les propriétaires sont indemnisés non seulement pour leur terrain mais aussi à hauteur de 120 F le mètre carré pour toute arborisation existante; ils sont indemnisés à la valeur du prix de la construction de même que pour les raccordements aux services publics pour une somme forfaitaire de 25 000 F. L'indemnité ne se calcule donc pas seulement selon le plafonnement du prix du mètre carré.
Enfin, les socialistes rappellent la vocation de la zone de développement. Si on veut booster les projets, mais aussi par égalité de traitement, il s'agit de ne pas procéder parcelle par parcelle juste parce que certains propriétaires seraient incités à participer à cette mesure. Non, pour avoir du logement social...
Le président. Il vous faut conclure.
Mme Nicole Valiquer Grecuccio. ...il faut des plans localisés de quartier, il faut mettre d'accord plus qu'un seul partenaire.
Le président. Je vous remercie.
Mme Nicole Valiquer Grecuccio. Alors ne déstabilisons pas notre politique sociale !
Mme Martine Roset (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, à travers cette motion, on rejoint le débat précédent, à savoir un changement de pratique. D'après les considérants, le prix du terrain plafonné est le seul facteur de la non-réalisation de zones de développement 3, anciennement zones villas. Pour nous, c'est en effet un facteur mais de loin pas le plus contraignant, parce que chaque cas est différent. On lisait dernièrement dans les journaux qu'une fondation proposait d'échanger une villa contre une villa tandis qu'une autre annonce proposait un ou des appartements dans le périmètre. Bref, l'important est de négocier cas par cas. Ce qui est sûr, c'est que si cette mesure est appliquée, elle ne garantit aucunement le déblocage de certains périmètres; par contre elle va assurément renchérir le montant des loyers. Pour toutes ces raisons, le groupe PDC va refuser cette motion.
M. Christophe Aumeunier (PLR), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, l'invite proposée n'est pas très convaincante mais nous privilégierons tout de même un renvoi en commission parce que nous avons le sentiment que nous ne pouvons pas faire l'économie d'un débat sur quelques adaptations de la LGZD. Nous savons que c'est un point délicat, notamment pour la gauche, et que l'Etat est sensible au fait de pouvoir produire du logement à des prix modérés. Mais il faut admettre que cette loi n'a pas évolué depuis cinquante-cinq ans; à son origine, elle proposait aux propriétaires de multiplier le prix de leur terrain par deux ou trois et, aujourd'hui, c'est l'inverse qui se produit, c'est-à-dire que les terrains valent deux à trois fois moins cher.
Je rejoins les propos du conseiller d'Etat Hodgers, à savoir que, du fait du tassement de l'économie et de la fin de la surchauffe des prix, qui redeviennent raisonnables, on ne peut pas faire fi de la localisation. Le travail de l'immobilier est fondé sur la localisation, tout comme l'ensemble de l'économie immobilière. Aujourd'hui, je partage les considérations émises par le département qui dit que les prix redeviennent raisonnables, c'est vrai. Mais il y a des différences de prix suivant les différentes situations, et ignorer ces situations, c'est garder et agrandir le différentiel entre les prix du logement subventionné et du logement libre, c'est donc garder une marge de dangerosité pour des spéculations. Après les dix ans de contrôle, on court le risque d'un «gap» trop grand, d'un différentiel trop important entre le prix du logement contrôlé et de celui qui sort du contrôle. C'est la raison pour laquelle nous privilégierons un renvoi en commission.
Le président. Monsieur le député, vous ne demandez pas formellement un renvoi en commission, si ?
M. Christophe Aumeunier. Je demande le renvoi en commission, Monsieur le président.
Le président. Pouvez-vous encore préciser laquelle ?
M. Christophe Aumeunier. La commission du logement.
Le président. Merci. Je passe la parole à M. le député Daniel Sormanni.
M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, lorsque nous avons lu cette motion, elle nous a posé quelques problèmes sur le principe. En effet, il faut rappeler que la zone de développement est là justement pour permettre la construction de logements pour toutes et tous, c'est-à-dire de type LUP, HBM, HM tout comme de la PPE, et ceci à des prix raisonnables. Or je trouve que les prix pratiqués pour les PPE, avec le terrain contrôlé à 1000 F le mètre carré, sont déjà élevés. On est à Genève, il faut avoir un revenu de l'ordre de 200 000 F minimum pour pouvoir éventuellement envisager l'achat d'une PPE en zone de développement. Je ne sais pas ce que les auteurs visent exactement à travers cette motion mais ça nous laisse très interrogatifs et ça risque de réalimenter la spéculation, comme vient d'ailleurs de le dire le député Aumeunier. Je crois qu'il faut être très prudent dans ce domaine.
Mais parlons encore de l'amendement à la motion. La motion en tant que telle nous laisse déjà interrogatifs, mais quand je vois l'amendement...! Je m'excuse mais je ne vais pas être gentil: ça sent le délit d'initié ! On va déplafonner pendant une année pour permettre quelques opérations et puis, passez-moi l'expression, youpi Rintintin, si on peut dire ça comme ça ! Non, ça ne va pas. En tous les cas, nous refuserons l'amendement; par contre, dans un souci de discussion et d'ouverture, nous allons renvoyer la motion initiale à la commission d'aménagement, mais avec beaucoup de circonspection car on ne veut pas de spéculation, et je pense que le meilleur moyen de ne pas en avoir, c'est de ne pas trop toucher aux prix du terrain en zone de développement. Cela dit, on peut en discuter à la commission d'aménagement mais nous refuserons en tous les cas l'amendement qui vient d'être déposé parce que, je le redis encore une fois, ça sent le délit d'initié !
Une voix. Bien, mais tu avais encore trente secondes !
M. Stéphane Florey (UDC). Monsieur le président, vous transmettrez tout d'abord à M. Sormanni que s'il avait lu correctement à la fois la motion et l'amendement, il se serait aperçu que l'amendement est simplement destiné à réactualiser la date de l'invite car la motion date de mars 2013 et qu'elle proposait de mettre en place la mesure pour l'année 2014. L'année prochaine, nous sommes en 2016, c'est juste l'année qui a changé, on passe de 2014 à 2016.
Maintenant, j'aimerais revenir sur un élément que j'ai entendu, à savoir le risque de voir les plans financiers mis à mal par cette mesure; j'ai de la peine à comprendre cette remarque. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, quand cette mesure a été appliquée aux terrains agricoles, ça n'a pas posé de problème, on est passé de 11 F à 400 F le mètre carré, ce qui a forcément eu une implication sur les plans financiers. Mais ça n'a pas eu de conséquences directes puisque les plans financiers ont finalement été acceptés, tout comme les déclassements, et les travaux ont commencé aux Vergers. L'argument ne tient donc absolument pas la route. Ce qui est applicable en zone agricole avec la vente de terrains agricoles peut aisément s'appliquer à une zone de développement provenant de la zone villas. Toutefois, nous acceptons volontiers de venir exposer tout ceci à la commission d'aménagement et voterons bien évidemment la demande de renvoi. Je vous remercie.
M. Serge Hiltpold (PLR). Petit rectificatif: je demande le renvoi à la commission d'aménagement.
Le président. Merci, Monsieur. Nous voterons donc sur deux demandes de renvoi, la première à la commission du logement, la seconde à la commission d'aménagement...
Une voix. Non, non, c'est un rectificatif !
Le président. Ah, c'est un rectificatif ? Très bien, merci. Je cède la parole à M. le député François Baertschi pour cinquante-sept secondes.
M. François Baertschi (MCG). Oui, Monsieur le président, je serai très rapide. Il est vrai que l'enjeu de ce genre de problématique, c'est le prix. C'est également le prix pour les personnes qui veulent acquérir de la PPE. Actuellement, les prix sont excessifs, on se retrouve pour ainsi dire autour du million si on veut acquérir un logement, ce qui veut dire qu'on doit avoir un revenu très important - on ne parle même plus de l'accès à la propriété pour les villas ou même des prix du locatif ! Je crois qu'il faut être très prudent, et la prudence impose qu'on renvoie ce texte en commission et qu'on fasse un effort en défendant réellement la PPE, les coopératives, les locataires...
Une voix. ...et les propriétaires de villas !
M. François Baertschi. C'est important, tout comme il est important de travailler sur les prix, et les zones de développement nous aident, alors il ne faut pas jouer avec ça. Je sais que c'est une matière complexe...
Le président. Il vous faut conclure.
M. François Baertschi. ...mais je voulais quand même me faire l'avocat du citoyen lambda.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Ce débat est en effet complexe puisque, comme je vous le disais tout à l'heure, il met en lumière la contradiction naturelle et essentielle entre la pratique administrative de l'Etat, qui se doit d'être stable et équitable sur le territoire, et le marché qui, lui, peut se permettre d'être instable et inéquitable étant donné que c'est sa nature. Il est évident, Mesdames et Messieurs, qu'un déplafonnement des prix en zone de développement aurait pour corollaire, dans certains quartiers - mais pas tant que ça vu le tassement du marché actuel - une augmentation subséquente du prix du logement. M. Florey nous a rappelé que cela avait été mis en place par Mark Muller, qui a fait passer non seulement le prix du terrain de la zone agricole à 450 F le mètre carré mais aussi celui de la zone villas de 650 F à 1000 F le mètre carré. Or ce qui s'est automatiquement passé, c'est que tous les logements, logements sociaux compris, ont subi une augmentation de 10% de leur loyer, et ceci de manière permanente. On voit donc que si on bouge le curseur sur le prix d'achat, il y a un impact sur le tarif payé par les locataires, et c'est quelque chose qu'il faut politiquement assumer, ou alors il faut trouver un équilibre.
Mais il y a plus encore. Si nous nous trouvions aujourd'hui dans le régime que vous préconisez de libéralisation des prix, le propriétaire se mettrait à faire son marché: il irait écouter un promoteur, ensuite un autre, puis observer comment les prix évoluent, et le marché fonctionnerait selon le mécanisme de l'offre et de la demande. Ce mécanisme, aujourd'hui interdit par le fait qu'il y a un prix unique imposé par l'Etat, ralentira le processus parce que le propriétaire aura une position attentiste pour obtenir le meilleur prix. Et une fois qu'il aura obtenu le meilleur prix, que va-t-il se passer ? Comme les prix de sortie du logement sont de toute façon contrôlés, c'est la marge du promoteur qui va être réduite; votre proposition en viendrait donc à la réduire fortement. Or si on la réduit, il y aura moins de promoteurs intéressés à construire en zone de développement. Vous voyez ainsi que la question des prix en zone de développement est vraiment de l'horlogerie fine. Si vous déréglez un cadran, cela a un impact non seulement sur le logement social mais aussi sur la dynamique d'achat des promoteurs qui, pour la plupart et même s'ils ne le disent pas ouvertement, se contentent très bien et sont très heureux d'avoir un prix fixé par l'Etat parce qu'ils peuvent se différencier sur autre chose qu'en baissant leurs propres prix et, au final, ils ont accès à ce qui m'intéresse en tant que ministre du logement, à savoir la construction: je veux des gens qui construisent, je ne veux pas une guerre de prix et des pratiques spéculatives.
Maintenant, il est vrai que le point faible de ce système, on ne peut pas le nier, c'est la localisation. Le marché différencie beaucoup le prix de l'immobilier en fonction de la localisation alors que l'Etat, lui, ne peut pas agir selon la vision extrêmement subjective du marché. On sait que des quartiers aujourd'hui très en vue et demandés étaient plutôt délaissés par le marché il y a trente ou quarante ans. Comment donc voulez-vous que l'Etat, par une décision administrative ou politique, parvienne à réguler cela ? Nous devons chercher une stabilité. Finalement, derrière ce débat sur le prix de rachat du foncier se cache une question fondamentale à laquelle les milieux proches de l'immobilier n'ont pas encore répondu: devons-nous défendre les propriétaires ou l'accès à la propriété ? Si vous déplafonnez, cela signifie que vous êtes pour un prix d'achat plus élevé qui favorise le propriétaire en place mais péjorera l'accès à la propriété en renchérissant le prix de la PPE en zone de développement. Au final, cette question ne concerne pas tant l'opposition entre propriétaires et locataires, elle est plutôt générationnelle: veut-on favoriser la génération en place déjà propriétaire ou la nouvelle génération qui souhaite accéder à la propriété ? Là-dessus, nous aurons un bon débat.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat, et lance le vote sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2139 à la commission d'aménagement du canton est adopté par 46 oui contre 38 non.