République et canton de Genève

Grand Conseil

Chargement en cours ...

GR 526-A
Rapport de la commission de grâce chargée d'étudier le dossier de Monsieur R. S.
Rapport oral de M. Vincent Maitre (PDC)

Débat

Le président. Je prie M. Vincent Maitre de bien vouloir s'installer à la table des rapporteurs pour nous présenter le dossier de grâce. (Un instant s'écoule.) Je pense qu'il va arriver. (Un instant s'écoule. M. Vincent Maitre s'installe à la table.) Je vous passe la parole, Monsieur Maitre. (Brouhaha.)

M. Vincent Maitre (PDC), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Le Grand Conseil est saisi d'un recours en grâce... (Brouhaha persistant. L'orateur s'interrompt.)

Le président. Poursuivez, Monsieur le rapporteur.

M. Vincent Maitre. Le Grand Conseil est donc saisi d'un recours en grâce déposé le 16 mars dernier sur la base des faits qui suivent. Le Tribunal correctionnel a jugé et reconnu coupable M. R. en septembre 2012 de tentative d'instigation à assassinat et l'a condamné à cinq ans d'emprisonnement et à un tort moral de 15 000 F contre sa victime. Sur appel, la Cour de justice a confirmé la peine et a réduit le tort moral...

Mme Salika Wenger. Je vous rappelle que cette séance n'est pas à huis clos, alors que c'est l'usage ! (Protestations.)

Le président. Pas du tout ! Nous ne sommes pas au Conseil municipal, mais au Grand Conseil, Madame la députée. (Un instant s'écoule.) Poursuivez, Monsieur le rapporteur.

M. Vincent Maitre. Merci. Je disais donc qu'en seconde instance, la Cour de justice a confirmé la peine privative de liberté de cinq ans mais réduit le tort moral à 5000 F. Le Tribunal fédéral, saisi d'un recours, l'a rejeté et a confirmé les jugements inférieurs. M. R. est entré en détention à la prison de Bellechasse le 16 mars dernier, date du dépôt de son recours en grâce par-devant le présent Grand Conseil. Les faits qui lui sont reprochés sont les suivants. M. R. est ressortissant indien et âgé de 36 ans, il vit en Suisse avec une autorisation d'établissement et séjourne dans notre pays depuis 1998. Restaurateur de profession, il connaît à ce titre un succès certain puisqu'il a pu faire progresser son commerce, ouvrir différents restaurants et employer une trentaine de personnes; il jouit ainsi d'une solide réputation et d'une solide notoriété dans ce milieu et auprès de la communauté indienne de Genève.

En 2007, M. R. croit être un mari trompé. Sa femme, qui travaille avec lui dans certains restaurants, est en effet soupçonnée d'entretenir une liaison avec l'un des employés de M. R., employé qu'il a accueilli en Suisse, à qui il a donné un travail et qui vient du même village que lui en Inde. Profondément blessé, choqué et humilié, M. R. n'a plus d'obsession que pour cette prétendue relation extraconjugale et entreprend de surveiller sa femme, notamment en mettant sous écoute son téléphone portable. L'épouse et l'employé prétendument amant apprennent cette démarche et nourrissent le jeu d'entretenir sa jalousie, voire de la stimuler et de la faire décupler. Quelque temps plus tard, M. R. apprend que l'employé et son épouse entreprendraient de le faire assassiner. C'est en tout cas ce qu'il croit comprendre. Etait-ce feint par les deux protagonistes ou étaient-ce leurs réelles intentions ? Cela ne ressort pas très clairement du dossier qui est à notre disposition. En tout état de cause, M. R. dépose auprès de la police une plainte pénale à laquelle il ne sera jamais donné suite. En 2008, la frustration, la jalousie ont eu tout le temps de mûrir chez M. R., et il sombre dans une dépression relativement profonde. Il se met à boire... (Brouhaha.) Je voudrais juste signaler aux éventuels députés qui ne seraient pas intéressés qu'il s'agit d'un cas relativement grave et important, et que vous êtes chargés de vous prononcer sur la grâce d'une personne qui risque très lourd.

Je disais donc que M. R. voit sa situation personnelle et son état moral, psychologique, s'effondrer: il est dépressif, il boit et, obnubilé par cette trahison, par cette tromperie, il entreprend de mandater des hommes de main pour, en tout cas, corriger sévèrement l'amant. La police prend connaissance de ces faits. Ceux-ci, dans un jeu absolument malsain, voire macabre, l'auraient encouragé à aller plus loin que le simple passage à tabac et auraient fait naître chez M. R. des intentions homicides à l'encontre de son employé.

Informée, comme je le disais, la police décide d'engager un agent infiltré pour jouer le faux tueur, et d'organiser une enquête sous cette couverture. L'agent infiltré prend à ce moment-là différents contacts avec M. R., dans des circonstances assez troubles, d'ailleurs, puisque lors du premier entretien téléphonique, les deux hommes, M. R. et l'agent infiltré, conviennent de se recontacter plus tard par téléphone pour convenir d'un rendez-vous et discuter des modalités du contrat; or il est avéré que M. R. ne recontactera pas le faux tueur et que c'est ce dernier qui reprendra contact avec lui pour organiser un rendez-vous. Résultat des courses: un entretien aura lieu et un contrat sera conclu. Il visera à l'assassinat de l'épouse, et ce pour une coquette somme, puisqu'on parle de 100 000 F au début. Le recourant affirme qu'en réalité, mis fortement sous pression par les différents protagonistes et le faux tueur, il ne savait plus comment se sortir de cette situation et que pour mettre fin au contrat, il a prétexté que la somme de 100 000 F était bien trop élevée pour lui. Plus tard, ces fameux hommes de main arriveront à le faire changer d'avis en lui proposant la somme bien inférieure de 20 000 F. Un contrat visant à l'assassinat de l'épouse est définitivement conclu pour cette somme. Une mise en scène est élaborée, car M. R. demande la preuve de l'exécution du contrat. La police organise donc l'assassinat fictif de la victime à grand renfort de maquillage, et le filme pour transmettre à M. R. la preuve du crime commis. Le faux tueur remet la vidéo à M. R... (Remarque.) ...il se fait payer pour son prétendu crime et M. R. est arrêté dans la foulée.

M. R. passe trois mois en détention préventive puis il est relâché. Il suit une psychothérapie, notamment pour soigner son problème d'alcool. Les experts et le psychiatre qui le suit régulièrement attestent par pièces qu'aujourd'hui, M. R. est abstinent, qu'il continue à entretenir de bonnes relations avec ses enfants et à s'en occuper, et qu'il a retrouvé des relations, je ne dirais peut-être pas cordiales, mais enfin des relations, avec son épouse, dont il a finalement divorcé. Jusqu'au 16 mars, M. R. a continué à prospérer dans son activité économique puisqu'il a pu ouvrir de nouveaux établissements.

Les recourants vous demandent aujourd'hui la grâce de M. R. parce que, comme le droit le prévoit lorsqu'un crime d'une certaine gravité est commis, l'expulsion d'un ressortissant étranger est automatique. Or le recourant, par l'entremise de ses avocats, estime que cette procédure administrative visant à son expulsion constitue en réalité une double peine. Double peine car il a été condamné au pénal - pour la grande majorité, les faits ne sont pas contestés - et comme il entretient de solides relations avec ses trois jeunes enfants d'environ dix ans, ce seraient eux qui, somme toute, subiraient une condamnation de plein fouet de se voir élever et grandir sans leur père s'il venait à être expulsé.

La commission de grâce, après en avoir longuement discuté, est restée relativement perplexe par rapport aux comportements des uns et des autres. Les tribunaux aussi l'ont été. Il est relevé dans les différents jugements que les comportements des tueurs à gages, mais aussi de la police, je cite, «auraient dans une grande mesure facilité le passage à l'acte». La majorité de la commission a finalement décidé de rejeter ce recours en grâce. C'est donc ce préavis qu'a priori la commission vous recommande de suivre.

M. Lionel Halpérin (PLR). Monsieur le président, d'abord, mea culpa: j'aurais dû siéger dans cette commission lundi, mais ma femme accouchant au même moment, je me suis fait remplacer, j'arrive donc tardivement pour parler... (Applaudissements.) Merci ! Cette naissance me rend peut-être magnanime, mais j'aimerais prendre la parole brièvement aujourd'hui pour vous dire pourquoi il me semble que, contrairement au préavis rendu par la commission, il conviendrait d'accepter, en tout cas partiellement, la demande de grâce, au moins de sorte que la peine soit commuée en une peine compatible avec le maintien de la personne en Suisse.

Je fais cette proposition parce que nous sommes confrontés à des circonstances très particulières, imposées par la loi qui exige l'expulsion des étrangers ayant commis un crime d'une certaine gravité: si nous maintenons une peine supérieure à douze mois de prison, ou si nous ne transformons pas cette peine en travail d'intérêt général, nous confirmons de fait le renvoi de cette personne. Cette personne est intégrée à Genève, je crois que c'est confirmé de toutes sources; cette personne a commis un crime d'une gravité certaine et doit être punie pour ce crime - de mon point de vue, il n'y a pas de doute sur ce point, et que les policiers aient joué ou non un rôle actif, voire trop actif, cela ne change pas grand-chose à l'affaire. En revanche, ce qui pour moi est déterminant, c'est que nous sommes bel et bien en train de confirmer une double, voire une triple peine.

En effet, cette peine, c'est non seulement la sienne, puisqu'il va subir une période de détention d'une certaine durée - ce qui peut être justifié - mais c'est aussi pour lui celle de se voir perdre le contact avec ses trois enfants dont il s'occupe régulièrement - ce que tout le monde confirme - et c'est donc aussi une peine pour ses enfants; c'est potentiellement aussi une peine pour son ex-femme, parce qu'il ne pourra plus continuer à la soutenir alors que pour l'instant, il est intégré, il travaille, il a une activité économique qui rapporte de l'argent et qui lui permet d'entretenir sa famille. Le résultat de tout cela, c'est que sa famille va probablement se retrouver à la charge de la société, alors que nous avons la possibilité de gracier partiellement cette personne, qui a prouvé qu'elle est capable de se réinsérer et qui, depuis les faits, c'est-à-dire pendant quatre ans, a continué à travailler dans son restaurant, montrant par là qu'elle était capable de remonter la pente qu'elle avait descendue à l'époque. Selon moi, ces circonstances très particulières justifient que nous fassions oeuvre de grâce, comme le pouvoir nous en est confié. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Au vu de votre intervention, le Bureau vous demande si vous souhaitez un renvoi en commission pour traiter de la particularité de votre proposition.

M. Lionel Halpérin (PLR). Je retiens volontiers cette proposition et la fais mienne, si cela vous convient.

Le président. Je vous remercie. En effet, nous ne pouvons pas intervenir en plénière sur une peine partielle. Je vais donc vous faire voter sur ce renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi du rapport GR 526-A à la commission de grâce est adopté par 61 oui contre 24 non et 1 abstention.