République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 19 mars 2015 à 10h
1re législature - 2e année - 3e session - 20e séance
R 764
Débat
Le président. Nous passons à la proposition de résolution 764. Je cède tout d'abord la parole à M. Christian Zaugg pour la lecture du courrier 3330 qui avait été acceptée le 5 juin 2014.
Le président. Monsieur le député François Baertschi, c'est à vous.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. En préambule, j'aimerais dire que je trouve cette lettre particulièrement scandaleuse. Je ne demande qu'une chose, l'application des traités internationaux dont on nous rebat les oreilles en permanence s'agissant de l'Europe ou d'autres sujets. Il s'agit de traités centenaires comme ceux signés à l'occasion du Congrès de Vienne de 1815. On se trouve donc face à des éléments fondateurs, et il s'agit de faire une évaluation de droit international afin de déterminer si ces traités sont encore valables. Pour ma part, je prétends qu'ils le sont; on peut avoir une autre optique mais il faut que ce soit quelque chose d'argumenté et non pas une lecture à la va-vite avec une interprétation de normes internationales qui existaient déjà bien avant notre naissance et ne sont pas respectées depuis des décennies faite sur un coin de table - vous excuserez l'expression. Je demande donc une clarification à ce sujet car il y a des implications très importantes.
Loin de moi l'idée de créer des incidents diplomatiques; néanmoins, la responsabilité du canton de Genève est grande parce que ces traités ont permis sa création. En effet, il faut savoir que c'est grâce au Congrès de Vienne et aux divers traités qui ont été conclus à cette époque - je ne vais pas vous faire l'historique, nous n'avons pas beaucoup de temps - que le canton de Genève a pu être créé. Cet objet mériterait donc un renvoi à la CACRI, ce que je vous proposerai d'ailleurs à l'issue des débats. Je pense qu'il faut en faire une lecture approfondie, notamment à cause des implications directes sur la région transfrontalière, parce que ce qui est en cause ici, c'est la vision que nous avons de la région. Ma vision, qui est la vision historique, est celle de la liberté des peuples. On peut être contre la liberté des peuples, on peut être pour la technocratie, à chacun de choisir; le MCG est pour les droits des citoyens et la liberté des peuples. J'y reviendrai, Monsieur le président.
M. François Lefort (Ve). Pour ma part et contrairement à d'autres, j'ai beaucoup aimé la lecture très instructive de cette résolution ! Lorsque les alvéopyges du MCG se piquent d'histoire et de relations internationales, voilà ce que cela donne: une résolution totalement inutile voire très dangereuse pour la paix dans notre région. Que demande cette résolution belliqueuse ? Elle invite le Conseil d'Etat «à exiger le respect des traités internationaux et à faire appliquer par la Confédération la neutralité perpétuelle de la Savoie» de même qu'«à permettre au peuple de Savoie, grâce au respect des traités, de faire usage de son droit à l'autodétermination et à la souveraineté». Je vois d'ici l'énorme fou rire qui accueillerait ces propositions si le Conseil d'Etat, malheureusement mandaté par ce Grand Conseil, allait, honteux et penaud, porter ces suppliques au Conseil fédéral. Soyons sérieux !
Nous pourrions à la rigueur imaginer conserver un morceau de la première invite, qui exige le respect des traités internationaux. Une fois n'est pas coutume, et c'est même très rare, nous pourrions être d'accord avec le MCG. Mais, du coup, nous devrions demander au MCG et à ses partis affiliés de respecter eux-mêmes les traités internationaux, de ne pas les remettre constamment en cause et de ne pas affaiblir la Suisse sur le plan international. S'agissant des deux invites restantes, je vous en épargne l'analyse diplomatique et historique qui me contraindrait à vous lire les traités de Vienne, de Turin et de Versailles, pour les plus notables, analyse qui a d'ailleurs été faite en partie dans la lettre du Conseil d'Etat lue tout à l'heure. Je préciserai seulement que ni la Suisse ni Genève ne sont signataires du Traité de Turin de 1860 et qu'un article de ce dernier invite l'empereur des Français d'alors à s'entendre au sujet des parties neutralisées de Savoie avec les puissances représentées au Congrès de Vienne et la Confédération helvétique, ce qui fut fait en tout temps, sauf lors de l'occupation allemande de 1942 à 1944, et qui l'est d'ailleurs encore.
En revanche, pour les amateurs d'histoire de ce parlement et surtout pour les députés soucieux du respect des traités internationaux, je rappellerai un traité antérieur et prévalant encore sur les relations franco-suisses - ou plutôt franco-genevoises - signé entre Sa Majesté très chrétienne et la République de Genève le 15 août 1749, traité qui figure dans la législation genevoise sous le numéro A 1 02 et qui stipule notamment que la République de Genève «promet et s'engage qu'Elle ne permettra jamais que des troupes [...] puissent prendre passage sur les terres de Genève»...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. François Lefort. ...«pour aller en guerre contre Sa Majesté et son Royaume» et surtout que «les deux parties ne pourront plus rien prétendre ni demander à l'avenir de part ni d'autre, sous quelque titre ou prétexte que ce puisse être». Voilà le traité à respecter, Mesdames et Messieurs du MCG, voilà le traité qui empêche heureusement Genève de faire la guerre à la France. Vive la république, vive Genève et qu'elle nous protège des tabulopodosophes !
Mme Isabelle Brunier (S). On m'a demandé d'examiner ce sujet en tant qu'historienne, ce que j'ai fait avec la plus «grande honnêteté intellectuelle», pour citer la résolution en question. A la lecture de cet objet parlementaire, qui se pare d'un vernis historique, j'ai tiré deux déductions: soit il s'agit d'un gag, auquel cas il n'est pas très drôle, soit il s'agit d'une manifestation de schizophrénie de la part d'un parti qui veut par ailleurs éradiquer les frontaliers, c'est-à-dire majoritairement les Savoyards... (Remarque.)
Le président. Monsieur Stauffer, s'il vous plaît !
Mme Isabelle Brunier. ...du territoire communal et cantonal. (Chahut.)
Le président. S'il vous plaît !
Mme Isabelle Brunier. Il se trouve que je ne suis pas psychiatre - c'est peut-être de ça qu'on aurait besoin... (Chahut.)
Le président. Madame Brunier, s'il vous plaît !
Mme Isabelle Brunier. ...et que personne dans ce parlement ne l'est. Le PS propose donc, pour éviter de perdre du temps, de ne pas entrer en matière sur ce que j'ai baptisé un «OPTI», soit un objet parlementaire totalement inutile, ou totalement inconsistant, ou totalement inepte - voire d'autres adjectifs qu'on pourrait trouver commençant par la lettre i ! Merci. (Quelques applaudissements.)
M. Murat Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs, très chers collègues, j'aimerais préalablement prendre acte du fait que le MCG reconnaît enfin la primauté du droit international sur le droit national - ce sera très intéressant lorsqu'on votera sur l'initiative lancée par l'UDC. Après avoir consacré les dix dernières années de son existence à fustiger les frontaliers, le MCG nous gratifie aujourd'hui d'une résolution qui ressemble un peu à une fermeture de rideau. Chers collègues, votre parti aurait-il des prétentions territoriales sur la Savoie ?
Des voix. Oui ! Oui !
M. Murat Julian Alder. Cette résolution est-elle votre plan d'engagement ? Monsieur Baertschi, il y a près de deux ans, vous aviez commis le lapsus suivant en déclarant sur les ondes de Léman Bleu: «Soyons faibles !» Eh bien c'est réussi, vous vous affaiblissez ! Si la Savoie devient genevoise ou suisse, la notion de frontalier n'aura plus aucun sens. Alors continuez ainsi, Monsieur Baertschi, soyez faible ! Quant à M. Stauffer, il pourra écrire sur ses affiches: «Commune zéro tout court !» J'en ai terminé.
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs, voilà la démonstration la plus absolue que vous refusez toute forme de dialogue ! (Exclamations.) Il est vrai que certains éléments des traités internationaux ne sont pas respectés aujourd'hui. Je vous invite à lire la «Tribune de Genève» en page 4, puisque je n'ai pas pu terminer ma lecture lors d'un sujet précédent, et vous pourrez constater la position du MCG qui, je le rappelle, est contre l'Europe telle que définie aujourd'hui mais pour une Europe des régions sur le modèle suisse. Ça peut en surprendre quelques-uns mais la réalité est là, et ça fait dix ans que nous portons le même message: nous sommes pour une région franco-valdo-genevoise mais avec un sens de marche et que Genève reste leader dans la région. Nous ne voulons pas vider la substance de Genève en faveur des départements de l'Ain et de la Haute-Savoie, et quand j'entends certains propos selon lesquels le MCG veut éradiquer les frontaliers, je réponds que c'est abject et pas digne de vous, Madame la députée. Mais, encore une fois, ce ne sont que des délires médiatiques. Je le répète: le MCG n'est pas contre les frontaliers, le MCG est pour les résidents genevois.
Maintenant, si ce parlement avait le courage d'aller discuter des traités internationaux en commission, peut-être pourrions-nous raviver avec Paris l'esprit des zones franches et devenir un jour une région autonome comme il en existe d'autres en Europe, qui affiche prospérité et qualité de vie pour ses concitoyens. Mais évidemment, Mesdames et Messieurs, intellectuellement, ça vous dépasse complètement, vous restez dans la fange qui est la vôtre à vouloir critiquer le MCG et votre seul programme pour les citoyens, c'est tout sauf le MCG. Quant à nous, nous continuons à avoir une vision pour nos citoyens. (Quelques applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, l'Union démocratique du centre ne pensait pas forcément s'exprimer mais, au vu de la tournure que prend le débat, nous voulons quand même mentionner ceci: il y a une question de fond et une question de forme. Nous n'allons débattre que sur le fond qui, vous le savez, est actuellement au coeur de notre actualité et de notre préoccupation politique. Je rappelle que pour l'Union démocratique du centre, tous les traités et autres conventions - peu importe le nom que vous leur donnerez - sont des actes qui prennent forme juridique sans jamais être passés devant le suffrage du peuple. Je sais que certains oeuvrent de manière éhontée dans les couloirs des Chambres fédérales pour nous enlever notre démocratie semi-directe, persuadés, en tant que technocrates et universitaires émérites, qu'ils possèdent la science infuse s'agissant de ce qui est bon pour le peuple.
Malheureusement pour nos collègues du MCG, si nous comprenons leur vision sur la forme, ils se heurtent sur le fond à une conception fondamentale de l'Union démocratique du centre, à savoir que tout ce qui se fait, même s'il s'agit d'une alliance avec la région frontalière et les zones franches, doit être soumis au peuple pour avoir une légitimité, et nous en resterons ici à la légitimité. Les traités de 1815, nous nous plaisons à les qualifier d'accords de l'Ancien Régime, et quand on évoque l'Ancien Régime, on parle de cette aristocratie princière qui provenait d'émanations de Dieu, qui a généré bien des choses sur notre territoire. Or que voit-on maintenant ? Cette aristocratie dite noble de l'époque devient l'aristocratie financière de quelques élus, et la guerre actuelle montre bien que ceux-ci se trouvent quelque part ailleurs qu'en Suisse puisque toute notre place financière et bancaire est détruite pour qu'on s'approprie notre bien. Mesdames et Messieurs, l'Union démocratique du centre vous a exprimé son avis; elle vous invite fortement à signer son initiative et, en ce qui concerne cette résolution, s'abstiendra.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). Je voudrais juste revenir sur les propos émis par une députée historienne. Chers collègues, je ne savais pas que l'histoire amenait aussi à travailler les pathologies psychiques ! Il est extrêmement dangereux de glisser sur un terrain tel que celui-ci parce que ce n'est pas simplement un gadget, un mot, une rigolade; derrière tout ça, il y a des personnes qui sont véritablement en très grande souffrance et, en tant que professionnelle des soins et du domaine médical, ça me fait vraiment réagir. Que vous disiez ça au MCG, je m'en fiche complètement parce que cela peut vous être renvoyé de la même manière, ça n'a aucune espèce d'importance. Par contre, dire cela à vingt personnes qui jusqu'à présent n'ont pas été diagnostiquées malades, ce d'autant plus que vous ne seriez pas compétente pour le faire...! Laissez-nous la liberté d'être ce que nous sommes. Je trouve que c'est d'une grande vulgarité...
Le président. Il vous reste trente secondes.
Mme Marie-Thérèse Engelberts. ...et finalement d'une très grande cruauté. (Quelques applaudissements.)
Mme Salika Wenger (EAG). Chers collègues, puisque nous sommes déjà dans le gag, continuons dans le gag ! J'ai bien aimé le discours de M. Stauffer, il m'a beaucoup amusée. J'espère le voir un jour expliquer à des pays comme la France, l'Allemagne ou l'Italie...
Une voix. Le micro !
Le président. Parlez dans le micro, Madame.
Mme Salika Wenger. Pardon ! ...qui ont mis des siècles à se constituer en nation, qu'il nous faut devenir la région de Genève. La centralité de Genève me paraît un peu exagérée et M. Stauffer, dans son ignorance, a l'air d'oublier qu'à 150 kilomètres seulement se trouve Lyon, la capitale des Gaules - c'est le minimum que je puisse citer. Ce que vous êtes en train de dire et de demander est une immense plaisanterie.
Le MCG dit tout et son contraire: une fois il est pour les frontaliers, une autre il est contre les frontaliers, puis il est pour les Genevois mais pas contre les frontaliers... De grâce ! Vous êtes simplement des opportunistes et vous vous amusez avec des gens qui croient que vous êtes sincères alors que nous vous voyons tous faire dans cette assemblée et savons que vous ne défendez qu'une seule chose, c'est le MCG et en tout cas pas la population ! (Applaudissements.)
Une voix. Il n'y a pas de gag !
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. François Baertschi, à qui il reste vingt-trois secondes.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. On voit la facilité de pensée et la paresse intellectuelle qui règnent dans certains groupes... (Exclamations.) ...ou encore la bêtise et l'insulte quand on n'a rien à dire, qu'on a un discours vide. C'est le discours de certains, il ne faut pas lui donner suite. La liberté des peuples, la liberté des citoyens, ce sont des valeurs importantes pour le MCG...
Le président. Il vous faut conclure.
M. François Baertschi. Ce sont ces valeurs-là que nous portons... (Remarque.) ...et ce sont celles que vous détruisez !
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. François Baertschi. C'est l'essentiel de la résolution.
Une voix. Bravo ! (Quelques applaudissements.)
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, pour la troisième fois ce matin, je vais commencer mon intervention par les mêmes mots: la France ne nous appartient pas ! Monsieur Baertschi, vous parlez de liberté des peuples. La France est un pays démocratique... (Commentaires.) ...reconnu sur le plan international, régi par des règles juridiques claires qui font de lui un Etat de droit, et dont la constitution stipule en son article 1: «La France est une République indivisible». Monsieur Baertschi, la lecture faite de ce traité historique dans l'exposé des motifs n'est pas la bonne, vous le savez parfaitement. Vous proposez une lecture très cursive des traités internationaux et notamment de ceux qui ont constitué la Savoie en son temps. La liberté des peuples, c'est la liberté de chacun de pouvoir choisir ce qu'il entend indiquer tout comme de n'imposer à personne ses propres tribulations.
La France n'a pas besoin du parlement genevois pour savoir qui elle est; si la Savoie entend s'autodéterminer, elle le fera dans le cadre de son ordre juridique. Je n'ose imaginer la réaction qui serait la vôtre si une assemblée départementale venait à déposer une motion invitant le département de Haute-Savoie à permettre au peuple de Genève de faire usage de son droit à l'autodétermination et à la souveraineté pour rejoindre la France. Mesdames et Messieurs, soyons un peu sérieux, nous avons besoin de relations stables et pacifiées avec la France, notamment parce qu'il s'agit de l'un des membres permanents du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies et qu'à ce titre, elle offre un appui constant et déterminant à la Genève internationale pour garder ses positions et les développer. Je crains malheureusement que votre parlement ne s'égare et ne respecte d'évidence pas l'article 54 de la Constitution fédérale dont je parlais tout à l'heure en se mouvant sur des terrains extrêmement instables et dangereux et, au nom de la liberté des peuples, en essayant d'imposer à un pays qui ne nous appartient pas des choses dont il ne veut pas.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous avons été saisis d'une demande de renvoi à la CACRI, que je vous soumets.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 764 à la commission des affaires communales, régionales et internationales est rejeté par 61 non contre 21 oui et 7 abstentions.
Le président. Nous allons dès lors nous prononcer sur cet objet...
Une voix. Vote nominal !
Le président. Est-ce que vous êtes soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, vous l'êtes. J'ouvre le scrutin.
Mise aux voix, la proposition de résolution 764 est rejetée par 58 non contre 20 oui et 10 abstentions (vote nominal).