République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 19 mars 2015 à 8h
1re législature - 2e année - 3e session - 19e séance
M 2190
Débat
Le président. Pour la proposition de motion 2190, nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à l'auteur de la motion, M. Bertrand Buchs.
M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Cette motion a été élaborée après le vote du 9 février... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...car pour le parti démocrate-chrétien, il est nécessaire de mener une nouvelle réflexion au niveau de l'agglomération et... (Brouhaha.)
Le président. Excusez-moi. S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs ! (Un instant s'écoule.) Vous pouvez poursuivre, Monsieur le député.
M. Bertrand Buchs. Merci beaucoup, Monsieur le président. Je disais que pour le parti démocrate-chrétien, il est extrêmement important de mener une nouvelle réflexion sur le futur de ces zones franches - vous verrez par ailleurs que d'autres motions portant également sur l'agglomération et les zones franches figurent à l'ordre du jour. Bien qu'un historique complet de ces zones figure dans l'exposé des motifs de notre motion, je souhaite rappeler certains faits: lorsque Genève est devenue un canton, il a fallu l'aménager pour obtenir un territoire d'un seul tenant. Il faut également savoir que Genève avait des possessions... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Une voix. Chut !
M. Bertrand Buchs. ...dans toute la Haute-Savoie et qu'il a fallu procéder à des échanges de territoires; en échange de ceux-ci, les zones franches ont été créées. Celles-ci sont essentielles mais on n'en parle plus actuellement; elles embêtent tout le monde, pourtant elles existent. En effet, elles n'ont pas été supprimées, elles ont été confirmées au début du XXe siècle. Elles existent mais on les utilise peu ou pas du tout. Plusieurs motions, interpellations, questions écrites sur les zones franches ont été déposées devant ce parlement depuis des années. Le conseiller national Luc Barthassat a déposé une motion sur ce sujet au Conseil national, finalement refusée par celui-ci. Vous le savez, une discussion au niveau de la Berne fédérale est actuellement en cours sur ce qu'on appelle «Swissness», qui englobe les produits agricoles dont l'origine devrait théoriquement être uniquement suisse, et toute la discussion consiste à déterminer si les produits des zones franches peuvent entrer dans cette catégorie de produits agricoles. Lorsque nous avons rédigé cette motion, nous avons pris l'exemple de ce qu'il se passait à l'aéroport international de Bâle: celui-ci a créé une zone spéciale, à savoir une zone sur le territoire français mais avec droits suisses. Or malheureusement, depuis que nous avons déposé cette motion, la France a commencé à attaquer cette possibilité, ce qu'elle avait mis en place depuis de nombreuses années, parce qu'elle n'était pas d'accord avec cette façon de faire et a décidé de revenir en arrière. (Brouhaha.)
Nous pensons que même si l'exemple de Bâle... (Le président agite la cloche.) ...est actuellement remis en question, il faut absolument rediscuter avec la France concernant l'utilisation de ces zones franches, car des choses extrêmement intéressantes au niveau du tissu industriel y sont réalisables. Il faut repenser la région, repenser le fonctionnement de Genève et de l'agglomération et utiliser ces zones franches. Je vous rappelle que dans quelques jours, des parlementaires genevois et de toute la Suisse romande vont se rendre à Paris pour y rencontrer des députés à l'Assemblée nationale et des membres du Sénat. Je pense que nous pourrions aussi tenir une discussion sur ce sujet-là avec nos collègues français de la région, sachant que nombre d'entre eux, députés ou sénateurs, désirent développer sur ces zones franches des zones d'affectation spéciale dans le domaine industriel. J'aimerais donc que cette discussion soit portée au niveau du parlement et que l'on renvoie cette motion à la commission de l'économie pour pouvoir l'étudier et discuter avec toutes les personnes concernées, afin de déterminer ce qu'il va advenir de ces zones franches. Je vous demande donc de renvoyer cette motion à la commission de l'économie. (Quelques applaudissements.)
Mme Christina Meissner (UDC). Les zones franches sont un peu notre Nessie à nous, puisque cela fait bien longtemps qu'on en parle, et qu'on parlera encore. Il est vrai qu'elles représentaient un système qui fonctionnait bien; il offrait des débouchés à nos produits et avait du sens quant à Genève Région - Terre Avenir. Cela étant, ce que cette motion demande est un peu différent: elle demande qu'on puisse utiliser les zones franches pour que des entreprises françaises puissent appliquer le droit du travail suisse, sur le territoire français. (Brouhaha.)
Une voix. Chut !
Mme Christina Meissner. Là, cela commence à poser un problème de territorialité qui dépasse largement nos frontières suisses. Certes, nous pouvons parlementer à Paris ou ailleurs mais, avouons-le, il s'agit bien d'un problème franco-français. Le député-maire de Divonne l'a lui-même - ô combien de fois - répété à l'Assemblée nationale à Paris et a essayé de sensibiliser les Français à ce problème. Alors oui, on peut effectivement envisager cela, mais je suis désolée, Mesdames et Messieurs, chacun ne peut agir que dans le cadre de ses frontières et de sa législation. Là, nous dépassons largement ce qui est en notre pouvoir. Aussi, le groupe UDC ne pourra en aucun cas accepter cette motion. Cela dit, au vu du grand nombre de nouveaux parlementaires, peut-être faut-il réexpliciter le problème des zones franches à ces nouveaux venus et leur expliquer une fois de plus que, depuis, l'Union européenne ainsi que des accords bilatéraux ont été mis en place. Dès lors, ces zones franches ne peuvent plus s'appliquer comme c'était le cas auparavant.
M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le président, chers collègues, figurez-vous que la position du groupe Ensemble à Gauche est presque, une fois n'est pas coutume... (Commentaires.) ...calquée sur celle de l'UDC. Effectivement, cette motion comporte des aspects intéressants et s'inscrit dans le développement du Grand Genève, mais il est vrai qu'elle pose des problèmes juridiques. On voit mal appliquer le droit suisse dans les zones franches. Cela dit, nous acceptons son renvoi en commission car elle mérite peut-être une étude et une discussion en commission. En ce qui nous concerne, nous envisagions plutôt la commission des affaires communales, régionales et internationales, mais pourquoi pas celle de l'économie.
M. Boris Calame (Ve). Monsieur le président, chères et chers collègues, la motion 2190 nous propose de repenser nos zones franches qui font partie intégrante du territoire de la République française et d'y établir des entreprises sous le droit du travail suisse. Dans le contexte actuel, permettez-moi d'imaginer qu'il s'agit d'une plaisanterie. La Suisse, et plus particulièrement l'EuroAirport Bâle-Mulhouse, s'est retrouvée tout récemment confrontée à une volonté de l'Etat français de faire main basse sur l'entier de cette structure. Prendre alors cet exemple pour envisager l'implantation d'entreprises de droit suisse, imposées en Suisse, dans la zone franche de Genève, n'est pas très sérieux. Certes, l'évocation historique du PDC nous démontre qu'il fut un temps où les Etats pouvaient s'entendre sur ce type d'accord, mais aujourd'hui... Il ne faut pas rêver: les Etats sont devenus concurrents et n'entendent pas perdre de leurs prérogatives territoriales et encore moins une part de leur revenu potentiel. Imaginez seulement une motion parlementaire française qui demanderait l'inverse, soit l'établissement d'entreprises sous le droit du travail français sur le territoire du canton de Genève: tout le monde s'offusquerait, notamment du fait d'oser proposer pareil scénario qui établirait une concurrence déloyale au coeur même de notre canton. Alors non, chères et chers collègues du PDC - vous transmettrez, Monsieur le président: les Verts peuvent vous rejoindre sur bien des points en lien avec la dynamique du Grand Genève, sur l'établissement de véritables ponts créant un lien économique et social, mais là, excusez-nous, il ne nous est pas possible de vous soutenir. Je vous remercie de votre attention.
M. Georges Vuillod (PLR). Mesdames et Messieurs, chers collègues, les nombreuses différences entre les droits suisse et français posent passablement de problèmes pour la mise en place d'une telle motion. A notre sens, il est donc important d'en faire l'examen en commission et nous soutenons le renvoi à la commission de l'économie.
Une voix. Voilà, très bien !
M. François Baertschi (MCG). Cette motion met le doigt sur un vrai problème, un problème intéressant et de grande urgence, mais lui adresse une réponse qui malheureusement, à notre sens, n'est pas adéquate. La question posée concerne ces traités centenaires conçus pour les droits des citoyens de part et d'autre de la frontière et qui ne sont pas toujours pas respectés, car le pouvoir de l'Etat fédéral suisse et celui de l'Etat jacobin français sont les plus forts. On est actuellement particulièrement sourcilleux quant à l'application du droit supérieur et du droit international, notamment dans d'autres domaines, mais là, comme par hasard, on ne respecte pas ces traités fondamentaux, qui devraient être abrogés mais ne l'ont jamais été, et sont donc toujours en vigueur sans être pour autant appliqués. Nous nous trouvons dans une situation de non-droit. Malheureusement, je pense que le plus utile serait d'envoyer cette motion à la commission des affaires communales, régionales et internationales, qui à notre sens serait la plus appropriée. Si nous étions en France, il faudrait envoyer un tel texte à la commission des affaires économiques; cela concerne en effet en grande partie l'économie française, car c'est là que se trouve l'élément économique. Mais ce texte pose également un problème politique qui doit être réglé au niveau régional, c'est pourquoi nous vous proposons de le renvoyer à la commission des affaires communales, régionales et internationales.
Ce texte part d'une bonne intention; je ne critique pas l'intention des auteurs, mais le fait d'appréhender la main-d'oeuvre comme une marchandise. Il faut savoir que le traité des zones franches était à l'origine destiné à des marchandises, à la logique économique et au bien-être économique des habitants de la région, ce qui a été atteint pendant des décennies et pendant peut-être plus d'un siècle - certes, il faudrait en déterminer de manière plus précise les bienfaits, les éléments positifs et négatifs, mais le traité des zones franches, quand il était appliqué, a eu un effet positif pour notre région. Mais cela ne peut s'appliquer au droit du travail, à la main-d'oeuvre, auquel cas s'ensuivrait une marchandisation de la force de travail, de l'être humain, et je ne pense pas que ce soit le but à poursuivre. En revanche, une meilleure connaissance...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. François Baertschi. ...et une redéfinition des zones franches est importante, c'est pour cela que je vous recommande chaudement d'envoyer cette motion prioritairement à la commission des affaires communales, régionales et internationales; sinon, nous nous contenterons bien évidemment de la commission de l'économie.
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Mesdames et Messieurs les députés, les zones franches constituent peut-être quelque chose d'impossible en termes législatifs, c'est ce qu'on a entendu; il est vrai qu'il existe des dangers en dehors de la zone franche de Genève, à savoir une délocalisation pour pouvoir produire et vendre du matériel suisse à moindre prix, une concurrence déloyale, etc. Ce thème pose de nombreuses questions. Mais je pense qu'ici, le PDC souhaite surtout signaler qu'il est temps d'avancer dans la construction du Grand Genève et de l'agglomération et que les zones franches peuvent constituer un outil à cette fin. Pour le savoir, nous sommes d'accord de renvoyer cette motion en commission; ainsi nous pourrons établir un bilan et évaluer s'il y a lieu de continuer ou non. Je pense que nous pouvons la renvoyer à la commission de l'économie, comme proposé par M. Buchs.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Bertrand Buchs, à qui il reste deux minutes.
M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Je souhaite faire part de deux ou trois réflexions. Les zones franches sont particulières, en ce sens qu'elles ne constituent pas complètement du territoire français. Il ne faut pas oublier que ces zones sont spéciales du fait de l'accord conclu et signé avec la Suisse - il s'agit d'un accord international qui doit être respecté. Notre réflexion était donc la suivante: puisque cela s'est fait sur le territoire français à l'aéroport international de Bâle-Mulhouse, et puisque plusieurs députés français voulaient en faire de même dans la région de Divonne, il serait opportun d'étudier la possibilité d'établir des zones spéciales pour l'industrie, comme cela a été le cas avec l'aéroport en question. La France avait donc accepté cette façon de faire, et il ne s'agissait même pas d'une définition de zones franches. J'aimerais qu'on respecte les traités internationaux... Je suis assez âgé pour me rappeler qu'il n'y avait pas de douanes, mais seulement un contrôle fiscal à la frontière genevoise, et la douane était beaucoup plus loin. Actuellement, c'est la même chose: théoriquement, il n'y a pas de douane mais seulement un contrôle fiscal, et la douane dans la région d'Annemasse par exemple est à Douvaine. Il faut respecter les accords internationaux. Si on ne veut pas les respecter ou repenser la région et l'agglomération... On discute au niveau de l'agglomération des problèmes de transports, des problèmes de logement, des problèmes de postes de travail, des difficultés qu'ont maintenant certaines entreprises suisses à exporter en raison de la baisse de l'euro et du coût du franc suisse. Toutes ces questions pourraient être repensées au moyen des zones franches. Je pense qu'il ne faut pas avoir d'idées préconçues...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Bertrand Buchs. ...et qu'il faut utiliser ce qui existe. Je vous demande une deuxième fois de renvoyer cette motion à la commission de l'économie, afin de pouvoir en discuter.
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, la France et le territoire français ne nous appartiennent pas. Les zones franches sont situées sur le territoire français et ne constituent pas un accord d'extra-territorialité; il s'agit d'un accord limité depuis sa création à des aspects douaniers afin de favoriser, notamment dans la production de produits agricoles et maraîchers, la possibilité pour ces zones d'alimenter facilement le territoire genevois, ce qu'elles font comme vous le savez, depuis une époque même antérieure à l'Escalade. Etendre l'application du droit suisse au territoire français, c'est se heurter à un principe souverain qui est celui de la légitimité et de l'indépendance des Etats. Monsieur le député Buchs, citer comme exemple l'aéroport de Bâle est tout de même un peu curieux - même si je note que cette motion a été déposée il y a un an - sachant que l'aéroport de Bâle, dans la zone 6 précisément, a connu une crise politique majeure, tellement majeure que c'est le point de divergence principal censé être discuté à l'occasion de la visite d'Etat le mois prochain du président Hollande en Suisse. La région de Bâle a longtemps été présentée comme un exemple en matière de collaboration régionale, mais nous nous sommes aperçus ces derniers mois que tel n'était pas le cas, au point, je l'ai dit, que cela devienne le sujet principal d'une visite d'Etat du président de la République pour régler cette affaire. Je vous rappelle que la zone 6 de l'aéroport de Bâle est sise précisément sur le territoire français, dans un établissement de droit public franco-suisse - c'est une notable différence avec l'aéroport de Genève qui est un établissement de droit suisse, et même de droit cantonal comme vous le savez, puisqu'il appartient à 100% au canton - sur lequel l'Etat français a eu la velléité de prélever la TVA pour les activités qui n'étaient pas sous douane au taux français, c'est-à-dire un taux largement supérieur à celui pratiqué en Suisse.
Je vous propose d'étudier calmement ces différents points en commission et vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer cet objet à la commission des affaires communales, régionales et internationales où nous traitons en ce moment un certain nombre de textes liés notamment au fonctionnement des instances régionales. Si la commission des affaires régionales ne se saisit pas de la thématique des zones franches, alors nous pourrons nous demander à quoi elle peut bien servir. Je vous invite à renvoyer cette motion à ladite commission pour un examen complémentaire.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. (Remarque de M. Bertrand Buchs.) Monsieur Buchs, vous ne disposez plus de temps de parole mais...
M. Bertrand Buchs. Excusez-moi, je ne souhaite pas prendre la parole après le Conseil d'Etat, mais je retire ma demande pour la commission de l'économie et je suis le Conseil d'Etat pour la commission des affaires régionales.
Une voix. Bravo !
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je crois qu'il y a eu d'autres demandes pour la commission de l'économie, je vais quand même...
Des voix. Non, non !
Une voix. Mais si !
Le président. Non ? Je vous fais donc voter sur le renvoi à la commission des affaires communales, régionales et internationales.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2190 à la commission des affaires communales, régionales et internationales est adopté par 74 oui contre 2 non et 1 abstention.