République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 29 janvier 2015 à 20h30
1re législature - 2e année - 1re session - 8e séance
M 2177
Débat
Le président. Nous abordons la M 2177 et je passe la parole à son auteure, Mme Béatrice Hirsch, tout en signalant que ce débat est classé en catégorie II, trente minutes.
Mme Béatrice Hirsch (PDC). Merci, Monsieur le président. Je n'ai pas l'habitude de parler très longtemps !
L'article 9 de notre constitution, qui traite des principes de l'activité publique, dit ceci à son alinéa 4: «Elle doit être pertinente, efficace et efficiente.» Je pense que jusque-là, grosso modo, à quelques exceptions près, nous serons tous d'accord, et c'est bien au moment d'étudier les moyens pour y parvenir que peut-être nous divergerons. (Brouhaha.)
Le président. Excusez-moi, Madame la députée, on n'entend rien, ici ! Est-ce que les députés qui tiennent des conciliabules pourraient soit se taire soit se rendre dans une autre salle ? Merci ! Vous pouvez poursuivre, Madame.
Mme Béatrice Hirsch. Merci beaucoup, Monsieur le président. L'efficience se mesure sous la forme d'un rapport entre les résultats obtenus et les ressources utilisées. Pour rendre notre Etat plus efficient, il faudra prendre des mesures et, auparavant, faire un état des lieux. C'est une tâche sur laquelle je pense que beaucoup de partis ont planché, comme certainement de nombreux conseillers d'Etat, et il est très difficile de s'y mettre, parce que, Monsieur le président, le travail enclenché aujourd'hui n'aura vraisemblablement pas de résultat avant plusieurs années, et c'est un aspect difficile dans notre rythme politique.
On pourrait imaginer que cet article constitutionnel ainsi que, reconnaissons-le, l'état des finances de notre canton et la dette, qui plombe les années à venir, seraient de nature à nous inciter à avoir le courage d'entreprendre ce travail. Mais j'aimerais tout d'abord préciser à l'intention de ceux qui diront que le Conseil d'Etat a déjà commencé à travailler dans ce sens - et je le reconnais, ce dernier a bel et bien déjà oeuvré dans ce sens - que cette proposition de motion date de la précédente législature. Et elle insiste sur un point qui me tient personnellement très à coeur, à savoir l'implication des personnes concernées. En l'occurrence, il s'agit des collaborateurs et collaboratrices de l'Etat ainsi que des administrés. Chacun et chacune, aussi bien les administrés que celles et ceux qui connaissent, ce qui est le cas de tout le monde dans cet hémicycle, des collaborateurs et des collaboratrices de l'Etat, quel que soit leur niveau, a des idées concernant la façon d'améliorer l'efficience au niveau de l'Etat. Dès lors, en lançant une concertation de taille et en demandant au Conseil d'Etat de nous rendre un rapport dans les six mois, ce qui est certes un projet ambitieux, mais qui lui imposera de fixer de vraies priorités, on pourrait peut-être avancer dans cette recherche d'efficience. C'est pourquoi le parti démocrate-chrétien, soucieux de cette efficience de l'Etat, vous demande de renvoyer cette proposition de motion au Conseil d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président. (Quelques applaudissements.)
M. François Lefort (Ve). Cette motion nous propose une longue, très longue liste d'actions à mener pour améliorer l'efficience de l'Etat. C'est une motion de prime abord innocente, finalement, qui ne demande de faire que ce que le Conseil d'Etat devrait faire, nous promet de faire, a fait ou est en train de faire - et peut-être même qu'il le fait mal. A la première lecture, on se dit qu'il s'agit encore d'un de ces textes pétris de bonnes intentions, un texte qui enfonce des portes ouvertes, un de ces textes, même, qui parfois concourent aux Olympiades de l'enfoncement de portes ouvertes, et quand je parle d'Olympiades, je pense évidemment au palais chinois des dix mille portes, et non pas à la porte des Pas-Perdus...
A priori, nous ne pourrions qu'être d'accord, à brûle-pourpoint, avec cette motion. Mais nous avons appris à nous méfier dès que pointe le terme «efficience». L'efficience, c'est l'optimisation des outils de mise en oeuvre pour parvenir à un résultat, c'est le rapport de l'efficacité sur le coût, et personne ne peut être contre un Etat efficace. Oui, à priori, personne ne peut être contre un Etat efficient ! On peut donc être tous d'accord sur le résultat à obtenir, sur l'objectif, à savoir l'efficacité, mais on ne va peut-être pas tomber d'accord sur les moyens à mettre en oeuvre pour arriver au résultat, et par conséquent à cette efficience. Et il est fort possible qu'on ne le soit pas !
Voyons un peu en détail les actions proposées. Réviser l'appareil de l'Etat pour évaluer l'efficience de l'administration cantonale et assainir nos finances publiques cantonales. Pourquoi pas ? Consulter les membres du personnel, solliciter leurs suggestions et les associer à la recherche de l'efficience. Alors là, oui, certainement, mais cela devrait déjà être le cas à l'heure actuelle, et pourtant il y avait aujourd'hui une grève de la fonction publique ainsi qu'une belle manifestation dans les rues de Genève. Et cela devrait aussi être le cas en particulier pour la réévaluation des fonctions au sein de l'Etat, qui n'a pas été faite depuis 1974. Voilà des exemples sur lesquels nous pourrions être d'accord. Autre action demandée: solliciter les suggestions des administrés, pour tenir compte de leur point de vue dans la mesure de l'efficience. Pourquoi pas, cela devrait être fait, vérifions-le. Enfin, la dernière invite vise à faire un inventaire des procédures qui ralentissent les processus décisionnels. Pourquoi pas, faisons-le, très bien ! Finalement, en regardant cette motion innocente, nous pourrions donc avoir une lecture différente de ce qu'elle propose, et pour cette raison les Verts soutiendront le renvoi de cet objet en commission, de façon que nous puissions...
Une voix. Laquelle ?
M. François Lefort. Laquelle ? Eh bien la commission de l'économie !
Mme Christina Meissner (UDC). A la lecture de cette motion déposée par le PDC, on pourrait croire que c'est une bonne idée, mais en l'occurrence le groupe UDC pense qu'il s'agit d'une fausse bonne idée. Je ne reviendrai pas sur l'inventaire fait par mon préopinant, auquel je souscris parfaitement. Pour ce qui est de la recherche d'efficience visée par cette motion, avec la proposition qui est faite de procéder à des inventaires et de chercher par la réflexion ou les procédures, etc., à rendre l'Etat plus efficient, il me semble véritablement qu'on est en train d'ajouter une couche au mille-feuille. En effet, des évaluations ont déjà lieu aujourd'hui, et je rappelle que tous les employés de l'Etat font l'objet d'évaluations régulières. A cette occasion, ils ont l'opportunité de se prononcer sur leur cahier des charges mais aussi bien au-delà. Ils peuvent du reste proposer des idées tous les jours dans le cadre de leur travail. Mais encore faut-il les écouter ! Je ne suis pas sûre qu'après un questionnaire ou une nouvelle évaluation - qui va d'ailleurs la faire ? - on les écoutera forcément. Car il faut arriver ensuite à dire: «Bien, nous avons eu des idées. Mais est-on capable d'en faire quelque chose ?» Nous ressentons vraiment que, avec cette nouvelle couche au mille-feuille, on risque non pas de faire des économies, mais bien de créer une nouvelle usine à gaz.
La bonne piste - et je regrette de le dire, mais ce soir nous ne l'avons pas vraiment prise - consiste à donner plus de marge de manoeuvre aux directeurs des services, afin qu'ils puissent gérer leurs services comme de véritables entreprises, offrir de réelles possibilités d'épanouissement à leurs employés, mais aussi avoir de véritables moyens pour mener à bien leur mission.
Dès lors, le groupe UDC ne veut pas entrer en matière sur cette motion; il votera à la rigueur du bout des doigts un renvoi à la commission de l'économie, ne serait-ce que pour que vous alliez peut-être faire un tour dans les services pour voir comment ils fonctionnent et constater que les idées ne manquent pas, de sorte qu'il n'y a pas besoin d'une évaluation supplémentaire, mais d'une plus grande écoute de la part du Conseil d'Etat et du Grand Conseil à l'égard de ces managers qui font leur possible tous les jours avec les moyens qu'on leur donne.
M. Alberto Velasco (S). Chers collègues, vous savez qu'il y a plusieurs années, nous avons investi des dizaines de millions dans la fameuse étude NPM, c'est-à-dire «new public management», qui a donc coûté extrêmement cher, mais dont l'efficacité n'a pas été exemplaire, preuve en est que la majeure partie des recommandations n'ont même pas été appliquées. Or ce soir on nous invite à faire la même chose ! Tout à l'heure nous avons discuté de la Cour des comptes pendant je ne sais combien de temps, Mesdames et Messieurs, mais savez-vous que nous avons au Grand Conseil une commission appelée «commission de contrôle de gestion», laquelle est précisément chargée entre autres d'examiner les rapports d'audit interne et ceux de la Cour des comptes, d'évaluer tout cela et de voir avec le Conseil d'Etat comment mettre en place les mesures ? Et savez-vous, chers collègues, que le Conseil d'Etat ainsi que les cadres dont nous avons discuté tout à l'heure et qui étaient si bien payés ont justement pour mission de veiller à l'efficacité de l'Etat ? Faut-il encore le répéter ? Parce que si ce qu'on nous dit ici est vrai, Mesdames et Messieurs, ça veut dire que ces cadres sont trop payés ! S'il est vrai que la gestion de l'Etat n'est pas très efficace, alors ces cadres sont effectivement trop payés et le débat que nous avons eu tout à l'heure avait toute sa raison d'être !
Mesdames et Messieurs, je trouve vraiment qu'il s'agit d'une mesure superfétatoire: on ajoute encore des couches, on en parle, et comme l'a dit Mme Meissner, c'est encore une fois une usine à gaz qu'on met en place, comme celle du contrôle externe qu'on voulait instaurer, avec des AIMP, et vas-y que je t'en donne ! Or dans le même temps, Mesdames et Messieurs, on demande de diminuer de 150 F - 150 F, Monsieur le conseiller d'Etat ! - le supplément d'intégration de l'aide sociale octroyé aux personnes qui sont à l'assistance publique, parce que vous pensez bien qu'elles touchent trop d'argent, alors on leur enlève 150 F ! Mais là, en revanche, on peut mettre du pognon, là il n'y a pas de problème: sur le contrôle interne ou externe on y va, on ajoute des couches, là il n'y a pas de souci, on peut mettre des millions !
Mesdames et Messieurs, je crois qu'il faut revenir à beaucoup plus d'humilité et exiger du Conseil d'Etat qu'il fasse son travail et de l'administration qu'elle fasse le sien. Et puis vous pouvez saisir la commission de contrôle de gestion pour qu'elle se rende dans les services ! Elle a cette possibilité, Mesdames et Messieurs, mais elle ne va plus dans les services, alors qu'avant elle le faisait: elle revenait avec un rapport et, après en avoir discuté dans la commission, on convoquait le Conseil d'Etat pour savoir ce qu'il en était. Or elle ne le fait plus ! Elle ne fait qu'auditionner le Conseil d'Etat et on se dit bonjour, on boit un verre et on se tire... Ça ne va plus ! Mais ce n'est pas cette motion qui va arranger les choses: nous devons, nous les députés, recommencer à travailler comme il faut. Mesdames et Messieurs, pour ce qui est des socialistes, nous n'avons pas besoin de cette motion; je considère que c'est encore du travail superfétatoire pour les commissions, or on n'a pas besoin de ça, car elles ont déjà suffisamment de travail. En conséquence, nous n'entrerons pas en matière sur cet objet. (Applaudissements.)
M. Serge Hiltpold (PLR). Je pense que pour avoir un Etat efficient, il faudrait aussi qu'on ait des institutions un peu plus efficientes, or en ce qui concerne le travail parlementaire que nous avons effectué ce soir, je crois que nous devrions nous-mêmes, avec une certaine humilité, émettre une critique à l'égard de ce qu'on peut faire en matière de réformes de l'Etat, dans la mesure où nous renvoyons pas mal d'objets en commission et qu'on est prêt à sacrifier un objectif politique pour des objectifs personnels.
Au niveau des réformes qu'on peut mettre en place pour rendre l'Etat efficient, il est assez paradoxal de voir que les réformes en général sont lancées par une structure qui à l'Etat est pyramidale; on demande plus d'investissement aux cadres, mais on vient de voter la suppression de leur quatorzième salaire ! Pourtant, ce sont ces gens mêmes qui vont réfléchir à l'efficience, ce sont ces gens mêmes qui sont prêts à porter des réformes de l'Etat. En effet, vous savez tous que, lorsque nous faisons des projets de lois parlementaires, encore faut-il qu'ils soient soutenus par l'administration, or on a malheureusement envoyé tout à l'heure un bien mauvais message aux personnes qui portent les réformes et qui promeuvent cette efficience dans les services, c'est-à-dire les cadres.
Je pense donc que cette motion part d'une bonne intention, mais que l'impulsion qu'on a donnée tout à l'heure est contradictoire. Je vous invite simplement à lire le rapport sur la motion 2070 qui avait été assez largement adoptée le 19 avril 2012. Il s'agissait d'une motion PLR contre les excès de la bureaucratie, et à mon sens le Conseil d'Etat a donné de bonnes réponses, lesquelles se retrouvent un peu dans les questions posées ici. Dès lors, si l'on veut faire un travail plus ou moins correct, on pourrait renvoyer ce texte à la commission de l'économie, raison pour laquelle j'appuierai la proposition de mon collègue François Lefort.
M. Pierre Vanek (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, je serai très bref ! J'avais résolu dans un premier temps, pour des raisons d'efficacité et d'efficience de ce parlement, de ne pas intervenir sur cette motion pétrie de bonnes intentions et de langage technocratique, une motion bien PDC, un parti qui a deux conseillers d'Etat et qui donne toutes sortes de leçons en disant qu'il faut bien faire, s'appliquer à bien faire et bien faire en consultant tout le monde pour bien faire, etc. Non, mais sérieusement, tout cela est très bidon ! Mais je me suis quand même levé pour dire ceci, et après je me rassieds, parce que je ne veux pas faillir à ma bonne intention de me taire ou, disons, y déroger le moins possible. L'une des invites au Conseil d'Etat consiste à effectuer une consultation des collaboratrices et collaborateurs de l'Etat, petit et grand, afin de solliciter leurs suggestions et commentaires, ainsi qu'à veiller à les associer à la recherche de l'objectif d'une efficience optimale. Mesdames et Messieurs, il y avait un moyen très simple d'entendre ce que la fonction publique avait à dire, c'était d'ouvrir la fenêtre tout à l'heure quand elle manifestait sur la promenade de la Treille ! (Exclamations.) Vous auriez pu écouter ces discours et on aurait obtenu un gain d'efficacité et d'efficience, puisqu'on aurait précisément entendu très directement l'avis d'une grande majorité de ces fonctionnaires à propos desquels on nous baratine en nous disant qu'il faudrait les consulter. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, comme l'a dit Mme Hirsch, première signataire de ce texte, cette proposition de motion a été déposée sous l'ancienne législature. Et je déduis de ses propos que l'engagement qui est celui du Conseil d'Etat actuel à rendre l'Etat efficient devient probablement une évidence, puisque nous nous battons tous les jours pour y parvenir, avec succès ou insuccès, comme il y a quelques minutes lorsque ce parlement a précisément donné un signal allant exactement dans le sens contraire, mais je ne veux pas revenir sur ce point, au risque de paraître désagréable.
Ce que je peux dire à ce propos, c'est que le Conseil d'Etat a fait siennes nombre des invites qui figurent dans ce texte; nous essayons de les appliquer tous les jours, et quel que soit le sort que le parlement va réserver à cet objet, qu'il soit renvoyé en commission ou au Conseil d'Etat ou même qu'il soit refusé - ce qui serait dommage, parce qu'il contient de bonnes choses, et je pense qu'un renvoi en commission pourrait être intéressant, car cela nous permettrait de vous expliquer ce que nous sommes en train de faire actuellement - eh bien le Conseil d'Etat est plus déterminé que jamais à oeuvrer pour que cet Etat soit efficient et le soit toujours plus.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons tout d'abord voter sur le renvoi de cet objet à la commission de l'économie.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2177 à la commission de l'économie est rejeté par 51 non contre 32 oui. (Commentaires.)
Le président. Monsieur Maitre, on va vérifier si votre boîtier fonctionne ! Nous allons maintenant nous prononcer sur cette proposition de motion.
Mise aux voix, la proposition de motion 2177 est rejetée par 61 non contre 25 oui.