République et canton de Genève

Grand Conseil

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P 1908-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition : "Plus Jamais": pour une protection efficace contre le suicide
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 22, 23 et 29 janvier 2015.
Rapport de majorité de M. Raymond Wicky (PLR)
Rapport de minorité de M. Christian Frey (S)

Débat

M. Raymond Wicky (PLR), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, notre commission s'est réunie à trois reprises pour étudier la pétition 1908. Celle-ci demande à notre Grand Conseil de prendre toutes les mesures nécessaires afin de sécuriser les coursives de la grande tour du Lignon et de prévenir ainsi le tourisme suicidaire. Evidemment convaincus qu'un suicide est un suicide de trop, l'ensemble des commissaires ont estimé nécessaire, afin de parfaire leur opinion sur le sujet, de procéder à deux auditions complémentaires et à une demande de renseignement auprès du DSE sur les statistiques des suicides à Genève en général, et de mettre sous la loupe le bâtiment concerné par la pétition. Au fil des auditions et à la lecture des statistiques, la majorité de la commission s'est rapidement aperçue que fort heureusement, ce phénomène ne concernait pas véritablement plus la grande tour du Lignon que d'autres lieux et installations de notre canton. Les renseignements ont aussi démontré que la répartition des cas de suicide ne se limitait pas aux ensembles de grande hauteur mais couvrait la totalité du territoire cantonal, touchant ainsi des plans d'eau, des voies de communication, des ponts, l'environnement privé ainsi que les bâtiments. La majorité de la commission est convaincue que la prévention est l'outil essentiel qui doit être consolidé afin de réduire au maximum le risque de suicides. (Brouhaha.) Elle a été heureuse d'apprendre, par l'intermédiaire des personnes auditionnées, que l'Etat renforçait son action dans ce domaine. Par ailleurs, il semble difficile, pour ne pas dire impossible, de demander au Conseil d'Etat et à l'administration de prendre leur bâton de pèlerin afin de rencontrer tous les propriétaires, publics et privés, pour leur demander de prendre des mesures complémentaires à celles prévues par la loi. Il serait donc nécessaire, par voie de conséquence, de légiférer dans ce domaine, et de renforcer en exigences la loi sur les constructions, qui est déjà une des lois les plus contraignantes en la matière sur notre planète.

Une voix. Bravo !

M. Raymond Wicky. Pour ces raisons, la majorité de la commission vous demande de bien vouloir soutenir le dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil. Merci de votre attention.

M. Christian Frey (S), rapporteur de minorité. La question du suicide est d'une brûlante actualité. En effet, trois personnes se suicident chaque jour en Suisse. Pour les jeunes entre 18 et 25 ans, un suicide a lieu tous les trois jours, ce qui fait du suicide la première cause de mortalité pour cette tranche d'âge. La pétition «"Plus jamais": pour une protection efficace contre le suicide» demande que des mesures soient prises pour sécuriser les coursives supérieures de la grande tour du Lignon, de manière à éviter dans la mesure du possible ces chutes qui traumatisent, qui sont une véritable onde de choc pour les habitants, pour le cycle d'orientation tout proche, et évidemment pour la police, qui vient ramasser les restes.

Cette problématique du suicide et de la sécurisation d'un certain nombre de lieux pose en fait deux questions. La première: la pose d'un obstacle physique est-elle efficace ? M. Minghetti, chef du service de la police du feu, nous a déclaré qu'effectivement c'était le cas, et, je le cite, qu'«un filet permettrait certainement de limiter le nombre de cas». Nous avons auditionné l'association Stop suicide, assez longuement il est vrai, qui nous a aussi dit que selon tous leurs travaux et toutes leurs études, l'acte suicidaire était impulsif, qu'il ne se reproduisait pas automatiquement et que si on avait un moyen d'empêcher, à un moment donné, que quelqu'un passe à l'acte, comme disent les psychologues, cette personne n'essaierait pas automatiquement de refaire la même chose. Pour illustrer ce propos, l'association Stop suicide cite l'exemple du pont Bessières à Lausanne, où la pose d'un obstacle physique, une barrière surélevée, un filet, a fait baisser de manière drastique le nombre de sauts dans le vide, sans que ceux-ci se soient reportés à d'autres endroits de la ville. Enfin, la doctoresse Edan, responsable de l'unité de crise des HUG, confirme aussi que ce «raptus», ce passage à l'acte qui se produit dans un contexte particulier, ne se répète pas. Un certain nombre de personnes disent le contraire, soutiennent qu'une personne qui veut en finir réessaiera et réessaiera encore, jusqu'à ce que... Pourtant, suite à une question posée par Mathias Buschbeck au Conseil d'Etat, celui-ci a clairement dit, dans sa réponse, je cite: «Les études scientifiques font clairement mentir l'idée fausse qu' "une personne qui veut vraiment se suicider le fera de toute façon".» C'est une citation qui sous-entend que ces mesures peuvent empêcher une personne de passer à l'acte. Il est en effet prouvé - et je continue à citer la réponse du Conseil d'Etat - «que l'installation d'infrastructures de protection»...

Le président. Vous prenez sur le temps de votre groupe, Monsieur le député.

M. Christian Frey. ...«exerce un effet dissuasif crucial au moment [de] la crise suicidaire [...]», etc. Ensuite on donne l'exemple de la collégiale de Berne, où des mesures de sécurisation ont été prises. La deuxième question qui se pose, très brièvement, est de savoir si la grande tour du Lignon est un lieu emblématique. A nouveau, M. Minghetti, chef du service de la police du feu, répond oui. Il en cite un autre, le pont Butin.

Alors quelle suite donner à cette pétition ? Vous avez tous reçu une lettre de Stop suicide, cette association qui lutte efficacement pour les 18-25 ans dans ce domaine, qui dit: «Stop suicide estime qu'il est possible d'agir, ne fût-ce que pour sauver une seule vie, et ça en vaut la peine. L'Etat de Genève, en collaboration avec la commune de Vernier, pourrait faciliter une rencontre entre les propriétaires et les locataires de la grande tour du Lignon à travers le service de médiation pour répondre à cette pétition légitime.» C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs, la minorité vous propose de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, qui dans sa réponse déjà a fait preuve de compréhension et s'est montré concerné par ce problème. Je vous remercie.

M. Pascal Spuhler (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, oui, la première cause de mortalité chez les jeunes, c'est le suicide; 15-29 ans, c'est la tranche d'âge la plus touchée, et c'est dramatique. Un suicide est tragique, c'est sûr, que la personne soit jeune ou vieille. Cela touche beaucoup de monde; cela touche les proches, et évidemment la personne victime de son propre suicide. Mais cela touche également les habitants et autres voisins qui pourraient être présents au moment de l'événement, qui est terrible à vivre. Je comprends donc bien la démarche des gens de la tour du Lignon, mais malgré tout les statistiques nous disent qu'il n'y a pas plus de suicides là-bas qu'ailleurs, voire moins ! On a un rapport de la police de 2010 - la police intervient évidemment lors de tous les suicides - qui montre qu'il y a eu onze interventions sur des tentatives de suicide au Lignon, dont deux sur la tour. Cela veut dire qu'il n'y a pas besoin d'aller sur la tour pour se suicider ! Les bâtiments de sept, huit, dix étages suffisent largement ! Et c'est bien ce qui est indiqué dans le rapport que nous avons tous reçu, y compris M. Frey. Les zones touchées sont les Eaux-Vives, le Gros-Chêne, la Cité nouvelle, les Acacias. Le Lignon n'est pas touché, ce n'est pas une zone où l'on se suicide plus qu'une autre ! Ce n'est donc pas parce qu'il s'agit d'une tour qu'elle sera plus «attractive», entre guillemets, pour les gens qui ont une volonté de se suicider, tout comme le pont Butin ne sera pas forcément plus attractif qu'un autre pont. Le pont du Mont-Blanc, par exemple, est également utilisé pour des tentatives de suicide.

En conclusion, Mesdames et Messieurs, il faut évidemment se battre et faire de la prévention contre le suicide, c'est évidemment un drame, oui; si on pouvait, bien sûr, il faudrait inciter les propriétaires privés à protéger l'accès aux toits ou aux terrasses et ainsi éviter les suicides ! Mais on ne peut pas les obliger, on ne peut pas obliger un propriétaire à installer des structures; de toute façon, une personne qui veut se suicider réussira à atteindre son objectif et trouvera un moyen de contourner l'obstacle. Mesdames et Messieurs, cette pétition vient du coeur mais elle n'apporte pas de solution et ce n'est pas le Conseil d'Etat qui va pouvoir empêcher les suicides. Quand quelqu'un veut se suicider, s'il ne le fait pas à la tour du Lignon, ce sera peut-être au pont Butin, si ce n'est pas au pont Butin ce sera peut-être au pont du Mont-Blanc, ou d'un autre bâtiment élevé, jusqu'à ce que la tentative réussisse. Donc, Mesdames et Messieurs, c'est un événement triste, c'est quelque chose de malheureux, mais malheureusement nous nous sentons obligés de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, car il n'y a pas de solution appropriée.

M. Jean Romain (PLR). Chers collègues, beaucoup de choses ont été dites. Le suicide est un sujet sérieux, c'est un sujet tragique et il est difficile d'en parler sans avoir une certaine émotion. Il existait, dans la Rome antique - vous vous le rappelez peut-être - au sud du Capitole, la fameuse roche Tarpéienne, du haut de laquelle on précipitait les fous, les débiles mentaux, les prisonniers, ceux qui ne voulaient pas vivre en société. En fait, certains s'y jetaient d'eux-mêmes, persuadés que c'était la seule solution qui leur était réservée. Le suicide, Mesdames et Messieurs, n'est pas une maladie; c'est un malaise, un mal-être, qui nécessite, pour la prévention, une sorte de doigté difficile à définir à priori. Une personne candidate au suicide n'est pas dissuadée de le faire si on l'empêche de se jeter du haut d'un pont. Peut-être bien - et j'ai bien écouté la parole de notre ami psychologue - qu'on peut en sauver une si les choses sont faites dans les règles de l'art. Mais il existe diverses autres possibilités, et malheureusement, cela dépasse parfois l'entendement. Cette pétition, d'ailleurs, ne cible pas tous les lieux; elle cible la tour du Lignon. Pouvons-nous, chers collègues, protéger toutes les hauteurs dangereuses ? A l'évidence, non. Nous devons travailler si nous voulons faire quelque chose, en amont du suicide, dans une société du divertissement, dans une société qui organise le vide, qui a fait en quelque sorte le vide intellectuel, jusqu'au coeur de nos écoles. Il faut éviter que ce vide intellectuel ne se traduise par un vide physique, une sorte de roche Tarpéienne d'où on aurait tendance à vouloir se jeter. Et il est là, le travail que nous devons faire. C'est pourquoi, en accord avec mon groupe, je demande de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, tout en sachant pertinemment que le suicide est un immense problème, que c'est peut-être l'un des problèmes centraux de la jeunesse. Mais de nouveau, cette pétition ne s'occupe pas du problème de la jeunesse spécifiquement, mais d'une tour du Lignon où, semble-t-il, nous avons réinventé la roche Tarpéienne. Je vous remercie. (Remarque.)

M. Marc Falquet (UDC). Je ne veux pas parler particulièrement de la tour du Lignon, mais de la question du suicide, en Suisse et à Genève. Vous avez dit qu'il y avait trois suicides en Suisse par année; il faut savoir qu'à Genève il y en a entre un et deux par semaine. La situation est très grave - j'ai fait six ans à la police mortuaire, donc j'ai été ramasser les gens. A Genève, on détient l'un des records du monde du suicide, alors qu'on détient aussi le record du monde du nombre de psychiatres par habitant ! (Brouhaha.) Il y a donc peut-être un lien à faire avec l'efficacité de la psychiatrie, je ne sais pas !

L'année passée, à Genève, deux policiers se sont suicidés. Deux jeunes policiers, qui n'avaient aucune raison de se suicider; ils n'avaient pas de problème particulier. La seule difficulté qu'ils avaient était liée à l'organisation hiérarchique. Quand on a un problème, on estime, par exemple au sein de la police, que c'est une faiblesse; on ne peut pas en parler, c'est inavouable. Et là il y a un problème d'organisation, de système hiérarchique. Il faut que les supérieurs hiérarchiques veillent davantage aux personnes qui ont des difficultés, et que les gens puissent se confier ! Il n'y a aucune écoute de la part des supérieurs hiérarchiques; quand vous avez un souci, on vous envoie chez le psy. Envoyer chez un psychiatre ou un psychologue, c'est tout ce qu'on sait faire, alors que les gens n'ont parfois qu'un petit problème qu'ils n'ont pas résolu, mais personne n'a voulu les écouter. Donc au niveau des systèmes hiérarchiques de l'Etat, de l'administration, il y a quand même des choses à faire. Merci beaucoup.

Une voix. Bravo !

Mme Sarah Klopmann (Ve). Refuser cette pétition au prétexte qu'elle ne résout pas en entier le dramatique problème du suicide à Genève est un petit peu étrange. C'est vrai que cela ne va pas tout résoudre, mais comme cela a été dit autant par le rapporteur de minorité que par Stop suicide, le suicide est malheureusement aussi une question d'opportunité; en réduisant une opportunité, on peut donc quand même réduire le nombre de suicides. Même si c'en est un seul, c'est déjà bien.

Ensuite, il faut aussi prendre en compte le fait que cette pétition n'a pas pour but de diminuer drastiquement le nombre de suicides, mais qu'il s'agit d'une demande d'habitants, qui souffrent car des gens viennent dans leurs immeubles pour se suicider; parce que quand ils rentrent chez eux, quelqu'un s'apprête à sauter et qu'ils doivent essayer de le dissuader, qu'ils y arrivent parfois mais parfois pas, malheureusement; qu'ils retrouvent des cadavres par terre, ce qui traumatise les enfants et même les adultes, c'est bien normal. C'est pour cela que nous ne pouvons pas rester insensibles à cette pétition. Il suffirait de mettre des petits fils de métal très fins, comme il y en a déjà à Uni Mail, sans aucun dommage pour le bâtiment ni pour personne; cela constituerait une solution pour résoudre le problème de ces habitants. Le Conseil d'Etat pourrait faire quelque chose pour cela: il suffirait d'écrire au propriétaire, d'appuyer la demande, mais aussi d'inclure cette nécessité-là dans toutes les demandes d'autorisations de construire à venir. Parce que s'il y a plusieurs endroits dans lesquels plusieurs personnes viennent se suicider, eh bien on peut anticiper et se demander comment cela peut être évité au maximum. Donc pour soulager les habitants qui souffrent dans ces immeubles et pour réduire légèrement, mais réduire quand même, le nombre de suicides, nous souhaitons voir cette pétition renvoyée au Conseil d'Etat.

M. Stéphane Florey (UDC). Je ne reviendrai pas sur le fait qu'un suicide est un acte dramatique, je crois que nous sommes tous d'accord là-dessus. Sur le fond, cette pétition est malheureusement inapplicable, par le simple fait que le Lignon a été construit dans les normes: effectivement il y a des normes de construction, et le Lignon est parfaitement conforme. Ce qui me fait dire que si on voulait appliquer cette pétition, il faudrait interdire tous les balcons, interdire toutes les tours et tous les immeubles de plus d'un étage, il faudrait ne pas ouvrir les fenêtres pour ceux qui seraient au premier, il faudrait sécuriser les accès aux toitures, il faudrait fermer les ponts de chaque côté pour que personne ne puisse même regarder en bas... (Remarque.) Pour ça il y a des normes de sécurité, la norme actuelle...

Le président. Il vous reste vingt secondes, Monsieur le député.

M. Stéphane Florey. ...est à peu près, sauf erreur, à 1m10 ou 1m20 - les architectes corrigeront au besoin - et tout est fait dans les normes ! Et viser spécialement le Lignon, qui n'est pas plus «suicidogène» qu'un autre endroit...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. Stéphane Florey. ...ne sert absolument à rien. En cela, notre groupe suivra la proposition de dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie.

M. Jean-Luc Forni (PDC). Tout débat touchant au suicide est forcément émotionnel. Il est vrai que chaque suicide est un suicide de trop. Dans ce débat, nous avons entendu tout à l'heure le rapporteur de majorité dire que la commission avait appris, au cours d'auditions, que l'Etat s'engageait contre le suicide. Je vous rappelle - mais peut-être que le conseiller d'Etat Mauro Poggia le répétera plus tard - que nous avons, à Genève, un plan cantonal de promotion de la santé, dont l'un des axes principaux est justement le dépistage de la dépression et la prise en charge précoce de toute dépression. Etant moi-même membre du comité de pilotage de ce plan cantonal de prévention et de promotion de la santé, je peux rappeler que nous avons mis en place, il y a quelques années, une ligne qui s'appelait ligne contre la dépression, qui invitait toute personne confrontée à un problème de ce type à appeler, afin de pouvoir trouver une réponse ou qu'on puisse la rediriger le plus rapidement possible et, dans la plupart des cas, trouver une personne appropriée pour prendre en charge une situation qui risque de tourner au drame. A côté de cela, à part cette action qui a été médiatisée mais peut-être pas suffisamment, une formation des médecins de premier recours, des médecins de famille, a été entreprise, parce que bien souvent il n'y a pas assez de psychiatres - même si, à Genève, nous en avons un nombre qui va croissant, un nombre important par rapport à d'autres régions de Suisse. Mais il était important aussi que les médecins généralistes, les médecins de premier recours, puissent prendre en charge précocement ces situations. Le plan cantonal et la direction générale de la santé répondent donc déjà à cette préoccupation, d'autres organisations comme Stop suicide sont venues aussi aider au relais et à la diffusion de ce message, car bien entendu il faut faire tout ce que l'on peut pour barrer la route à un éventuel suicide. C'est peut-être aussi le rôle des communes que de prendre des dispositions pour que toute situation dangereuse, établissement, édifice, puisse être sécurisé. Mais je crois que, comme on l'a dit, la prévention est un facteur clef dans ces drames. Aussi, le groupe démocrate-chrétien rappelle que les actions de promotion de la santé sont là, que l'Etat répond à ces préoccupations, mais nous ne nous opposerons pas à ce que des mesures soient prises localement pour sécuriser certains sites.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, il est difficile de répondre à l'inquiétude des pétitionnaires, mais il est tout aussi difficile de ne pas y répondre, au même titre qu'il est difficile d'envisager que l'on puisse ou que l'on doive tout d'un coup sécuriser tous les lieux publics et tous les lieux privés. Certes, la compétence de sécuriser les tours du Lignon n'incombe pas au Conseil d'Etat. Néanmoins, un suicide, cela a déjà été dit plusieurs fois, est un acte dramatique dont on ne doit pas minimiser l'impact sur ceux qui, malheureusement, en sont témoins. Aujourd'hui, ce qui importe, c'est véritablement de développer la prévention. On nous a parlé de Stop suicide, de l'Alliance contre la dépression; la question est de savoir si ces moyens sont aujourd'hui suffisants, s'ils sont facilement accessibles, car il est vrai que quelqu'un qui est déterminé à aller au bout de son projet l'accomplira. Mais pour d'autres, un geste ou un obstacle peut parfois faire toute la différence, c'est ce qu'expliquait M. Frey tout à l'heure. Alors ce qui nous paraît le plus important, c'est effectivement que ceux qui ont le pouvoir de prendre des décisions par rapport aux tours du Lignon - et ils ont été interpellés par les pétitionnaires - donnent une réponse. Mais il est certain qu'aujourd'hui ce parlement doit envoyer un signal au Conseil d'Etat pour lui manifester son attente de voir se développer une prévention efficace contre le suicide. Il s'agit d'identifier les facteurs sociaux qui amènent un certain nombre de personnes au désespoir et les autres éléments qui peuvent conduire à un acte désespéré. Pour cela, il faut des moyens, il faut une volonté de l'Etat, il faut un investissement de l'Etat à ce sujet, c'est pourquoi nous vous invitons à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Charles Rielle (S). Chères et chers collègues, je demande à la majorité de revoir sa position. Mais j'aimerais d'abord rendre hommage au rapporteur de majorité, qui a passé tout son temps, dans sa vie professionnelle, à prendre des mesures de prévention. Je pense qu'il doit se faire un peu violence, ce soir, pour être rapporteur de majorité. J'aimerais rappeler aussi tout ce qu'a dit le rapporteur de minorité, le député Frey. Ayant moi-même été chercher, avec la cardiomobile, des personnes qui s'étaient défenestrées, je peux comprendre l'émotion notamment des pétitionnaires, qui ne veulent plus vivre cela, même si ça ne leur est arrivé qu'une fois. Une fois dans la vie d'une famille, d'un enfant, d'une mère qui rentre et qui retrouve, en bas d'un immeuble, quelqu'un qui s'est défenestré ou qui s'est jeté d'une tour, je vous laisse imaginer ce que cela peut provoquer, même chez un professionnel. Donc aujourd'hui, dire que l'on dépose cette pétition sur le bureau sans répondre à des pétitionnaires qui, à juste titre, éprouvent une émotion par rapport à un événement vécu au bas de leur propre tour est un message inacceptable. (Remarque.) De plus, des spécialistes comme la police du feu, comme Stop suicide, vous disent clairement que c'est efficace et que cet effet de «raptus» existe bien, contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure dans la salle.

Le président. Il vous reste vingt secondes.

M. Jean-Charles Rielle. Quand des mesures sont prises et que la personne ne peut pas immédiatement passer à l'acte, elle ne va pas forcément différer son geste. Je vous demande donc vraiment, par respect pour ces habitants, par respect pour ceux qui sont tombés de ces tours... Ça ne veut pas dire qu'on pourra tout empêcher, mais il y a là une demande précise pour que le Conseil d'Etat prenne langue avec la Ville de Vernier et qu'on empêche de voir un prochain suicide sous cette forme-là. Réfléchissez au moment de voter. Le groupe socialiste...

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député !

M. Jean-Charles Rielle. ...vous demande naturellement de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat pour qu'il voie avec la commune de Vernier les mesures à prendre. (Quelques applaudissements.)

M. Christian Frey (S), rapporteur de minorité. Très brièvement: la prévention ne s'oppose pas à la sécurisation. Bien sûr, la prévention est absolument capitale, bien sûr il faut travailler là-dessus, et bien sûr que dans le plan sanitaire cantonal et dans le plan de promotion de la prévention, il faut en parler. L'Alliance contre la dépression et toute autre forme d'action sont extrêmement importantes. Encore une fois, cette pétition ne s'oppose pas à cela. N'empêche que nous avons deux exemples: l'un relevé par le Conseil d'Etat...

Le président. Il vous reste dix secondes, Monsieur le député.

M. Christian Frey. ...par rapport à la question de M. Buschbeck, qui est de dire qu'effectivement, on peut, par des obstacles physiques, diminuer le nombre de suicides. L'autre, c'est celui de la collégiale de Berne, tout comme pour le pont Bessières à Lausanne; on a la preuve - et le Conseil d'Etat le dit lui-même...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. Christian Frey. ...que les obstacles physiques peuvent servir à quelque chose ! Il faut donc renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, qui est déjà conscient du problème !

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Raymond Wicky.

M. Raymond Wicky (PLR), rapporteur de majorité. Pour combien de temps, Monsieur le président ?

Le président. Pour quarante-cinq secondes, et trente-huit secondes sur le temps du groupe.

M. Raymond Wicky. C'est gentil, merci. Tout d'abord, j'aimerais rassurer mon collègue socialiste et ami Jean-Charles Rielle, vous transmettrez, Monsieur le président: je ne me suis pas du tout fait violence par rapport à cette pétition. Par contre, j'ai été heurté par certains propos de la minorité, notamment par la mise en exergue d'une prétendue forme d'insensibilité de la majorité à cette problématique. J'aimerais tranquilliser tout le monde: la majorité, dans son ensemble, est parfaitement sensible à ce problème, comme j'ai eu l'occasion de l'exprimer. Nous avons également une immense considération pour toutes les associations qui travaillent dans ce domaine, en particulier Stop suicide.

Par contre, j'aimerais revenir sur l'aspect factuel des choses. Cette pétition ne concernait qu'un seul et unique objet qui était la grande tour du Lignon, et même pas le complexe du Lignon comme cela a été évoqué tout à l'heure. Et c'est vrai que les dernières statistiques cantonales que nous avons reçues - vous me direz que c'est malheureux d'évoquer des chiffres quand on parle de suicide, mais malheureusement il faut quand même des éléments objectifs - m'ont amené à mettre dans mon rapport - c'est à la page 15, vous verrez le détail - qu'on avait 55 suicides par année, soit à peu près un par semaine en moyenne, mais que fort heureusement, à la tour du Lignon, il y avait eu un suicide en quatre ans, grosso modo, et deux tentatives. Encore une fois, fort heureusement ce n'est donc pas non plus, comme on nous le fait imaginer au travers de la pétition, un endroit où - pardonnez-moi l'expression, elle va être un peu malheureuse...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. Raymond Wicky. ...on tombe comme des mouches. Je conclus, Monsieur le président, en disant simplement que ne m'étant pas fait violence, je confirme mes propos et vous demande de bien vouloir déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, brièvement, puisque j'ai été interpellé: d'abord, beaucoup de choses ont été dites, toutes justes et légitimes, quelle que soit la position des uns et des autres. Déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil ou la renvoyer au Conseil d'Etat, je crois que les deux idées sont soutenables. Il faut cependant revenir au texte de cette pétition. On vous l'a dit, la grande tour du Lignon est malheureusement un endroit qui a été choisi par le passé, et j'imagine volontiers que celles et ceux qui ont été confrontés à de tels événements dans le voisinage ont été fortement traumatisés, d'où cette pétition pour attirer notre attention. Que ferez-vous demain, lorsque les voisins d'un immeuble locatif confrontés à un suicide viendront aussi vous demander que l'on prenne des mesures pour qu'on ne puisse pas, depuis son propre appartement, se jeter depuis son balcon ? Ce serait aussi légitime. Vous voyez où le fait d'entrer en matière nous mènerait finalement. (Brouhaha.) En outre il est vrai - et on vous l'a dit - que cette tour du Lignon ne connaît pas plus de suicides qu'ailleurs; il y a un lieu tristement emblématique qui est le pont Butin. Mais je ne suis pas ici pour faire une comptabilité comparée des cadavres; vous l'avez dit, un suicide est un suicide de trop. Et si l'on peut éviter ce suicide, il faut le faire. Mais les obstacles physiques sont vains. Evidemment, ils sont efficaces sur le moment parce que celui qui est pris par un «raptus» et qui veut en finir avec la vie, s'il a un revolver à portée de main, peut-être prendra-t-il cette arme, s'il se trouve à proximité d'un lieu d'où il peut se jeter, peut-être choisira-t-il ce moyen, s'il est près des rails d'un train, peut-être se jettera-t-il sous un train. Il est donc vrai que le fait qu'il y ait un obstacle physique à l'accession au moyen permettant de mettre fin à ses jours est efficace sur le moment. Mais le mal, et on l'a dit, est bien plus profond; le suicide est la première cause de décès des jeunes de 15 à 29 ans, et il faut d'abord et avant tout se demander pourquoi on en vient à se suicider. La question est facile, mais les réponses sont multiples, complexes, puisque chacun réagit évidemment avec sa psychologie propre. Mais le mal-être a tout de même quelques causes, quelques facteurs communs que l'on peut recenser. Dans le cadre de mon département, on lutte contre la précarité non pas simplement en versant les moyens nécessaires pour la combattre provisoirement, mais aussi pour en sortir véritablement, notamment pour un retour à l'emploi. Avec le département de l'instruction publique, vous le savez, nous avons créé Cap formation pour, ensemble, éviter que des jeunes ne commencent leur vie professionnelle par une inscription au chômage. Parce que ce qui pousse au décès, c'est le désespoir ! Il faut donc que nous gardions l'espoir pour ces jeunes, et que ce ne soit pas un vain mot, que ce soit une réalité, et que notre société puisse répondre à ce besoin. Il y a des associations qui y travaillent et que l'Etat soutient; certainement pourrions-nous faire davantage encore, nous y travaillons, et il n'y a pas besoin que d'argent pour cela; il faut aussi faire appel à la solidarité. Il y en a passablement dans notre canton comme dans la Suisse entière, il y a un réseau associatif immense, avec des bénévoles aussi qui sont prêts à donner de leur temps pour faire partager cette envie de vivre. Ce n'est donc pas par le biais de cette pétition que vous allez sensibiliser le Conseil d'Etat et l'amener à prendre au sérieux cette problématique; cela est déjà le cas. Ici, il s'agit de mettre des barrières, mais lorsqu'on met des barrières et que l'on empêche la personne qui est devant de passer au-delà, je dirais que le mal est fait. Nous devons évidemment faire bien plus en amont, et le Conseil d'Etat y travaille. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Monsieur Deneys, c'est pour le vote nominal ? (M. Roger Deneys acquiesce.) Bien, êtes-vous soutenu ? (Des mains se lèvent.) Oui, vous l'êtes. Mesdames et Messieurs, je vous fais d'abord voter les conclusions du rapport de majorité, soit le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.

Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 1908 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 47 oui contre 35 non et 2 abstentions (vote nominal).

Vote nominal