République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 5 décembre 2014 à 20h35
1re législature - 1re année - 14e session - 89e séance
PL 11327-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
Le président. Nous passons au PL 11327-A et à la M 2172-A. Je passe la parole au rapporteur de majorité. (Brouhaha.) S'il vous plaît, un peu de silence !
M. Frédéric Hohl (PLR), rapporteur de majorité. J'ai de la peine à entendre ce que vous avez dit, mais je crois que c'est à moi !
Le président. J'ai dit que je vous passais la parole, pour autant qu'il y ait du silence.
M. Frédéric Hohl. Merci beaucoup ! Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai le plaisir de présenter le rapport de majorité sur le projet de loi et la motion concernant les emplois de solidarité. Nous nous sommes réunis à six reprises pour parler de ces deux projets. De quoi s'agit-il ? Mesdames et Messieurs les députés, chaque mois, environ 45 chômeurs en fin de droit s'inscrivent à l'Hospice général. Pour répondre à ce problème, en 2007, l'Etat a créé les EdS, les emplois de solidarité, pour sortir de l'aide sociale 1000 à 1500 chômeurs en fin de droit, sur les 6000 personnes qui en bénéficient. Aujourd'hui, en décembre 2014, il y a 700 bénéficiaires d'emplois de solidarité qui travaillent exclusivement dans les associations et les entités paraétatiques. Pour la majorité des collaborateurs en EdS, vous ne pouvez pas avoir des exigences trop élevées ou un cahier des charges trop ambitieux: ces collaborateurs sont fragiles, pour la plupart; ils ont besoin de quelqu'un qui leur tende la main, sans les contraindre de manière économique, comme on le fait peut-être dans la vraie vie. Les EdS, c'est un acte de solidarité dont nous devons et pouvons tous être fiers. Mesdames et Messieurs les députés, le premier but de l'Etat est de rendre la dignité humaine à toutes ces personnes qui sont, pour la plupart, heureuses de se lever le matin pour aller travailler. La deuxième raison d'être de ces EdS, c'est également de remettre le pied à l'étrier, de permettre à ces personnes de revenir sur le marché de l'emploi, pour une petite partie d'entre elles - mais l'idée est de le faire pour tous.
Nous avons bien sûr parlé principalement des salaires de ces EdS, pour lesquels on peut distinguer trois paliers. Le premier, le plus petit salaire des EdS, est de 3225 F; le salaire pour plus de la moitié des salariés EdS est de 3725 F et certains salaires vont jusqu'à 4225 F. Il faut ajouter un coaching, parce que vous imaginez bien qu'il faut un accompagnement, et on compte en moyenne cinq heures de coaching par collaborateur. Si vous faites une moyenne de 700 collaborateurs fois cinq heures de coaching par mois, on arrive à un investissement en coaching d'environ 4 millions de francs, et c'est tant mieux, parce qu'on a besoin de le faire.
Petit historique: en automne 2013, les syndicats ont sauté sur l'occasion de la grande discussion du salaire minimum. La polémique a notamment démarré car ils ont incité l'association Partage à faire grève en invoquant justement le salaire minimum. Résultat des courses, nous avons eu dix-sept licenciements et quinze collaborateurs EdS qui se sont retrouvés sur le carreau. Nous avons mené six séances en commission de l'économie pour parler de cela et nous avons reçu beaucoup d'acteurs correspondant à toutes les personnes qui tournent autour des EdS, et une des impressions de la majorité, en discutant avec les syndicats, est que la chose vraiment importante, c'était le fameux salaire minimum, les 4000 F; on entendait moins parler des collaborateurs en EdS. Suite à cette opération, les socialistes et les Verts ont déposé un projet de loi et une motion. Que demande le projet de loi ? Il demande une augmentation de salaire de 800 F, ce qui fait passer le salaire minimum à 4025 F pour un collaborateur sans aucune expérience, à 4525 F pour un collaborateur avec un CFC et à 5025 F au minimum pour un collaborateur avec une formation supérieure et des responsabilités. Ensuite, la motion qui traite le même sujet demande également une relation avec les conventions collectives de travail. Nous estimons que les emplois de solidarité et le marché de l'emploi que l'on connaît ne sont pas exactement la même chose et qu'il est difficile de comparer. Nos débats ont principalement porté sur le salaire en EdS, sur le salaire minimum ensuite et sur la différence entre le marché du travail et les EdS, ainsi que sur les revendications salariales des syndicats. Les auditions ont été nombreuses, nous avons notamment reçu le directeur du service des emplois de solidarité qui a relevé que la grande majorité des salariés en EdS ont un revenu supérieur à celui dont ils disposent pendant leur période de chômage. Remarquez également que 71% des salariés n'ont aucune formation reconnue et que, pour la plupart, ils cumulent les difficultés: plus de 55 ans, ce peut être une difficulté; expression orale, expression écrite; des lacunes dans la formation et des situations précaires. C'est là ce que vous trouvez dans mon rapport, c'est-à-dire les explications du directeur des EdS. Le Conseil d'Etat nous a également indiqué que le projet de loi et cette motion auraient pour conséquence malheureuse de faire capoter tout le dispositif.
Mesdames et Messieurs, sur les 700 EdS, bien évidemment, il y a des exceptions: bien évidemment qu'il y a des gens qui ne devraient pas être en EdS, qui devraient avoir un autre travail, qui devraient avoir un autre salaire, et une des missions des collaborateurs qui suivent et qui «coachent» ces personnes, c'est justement de les en sortir et de leur proposer autre chose pour qu'elles puissent entrer dans le monde de l'entreprise. La question qui s'est posée plusieurs fois, Mesdames et Messieurs les députés, c'est qu'aujourd'hui, le salaire moyen à l'Etat, c'est 9700 F. (Commentaires.) C'est assez simple, si on met le même salaire pour tout le monde, prenez un collaborateur qui vient avec un curriculum vitae du marché de l'emploi à 9700 F ou un collaborateur en EdS: pour le même prix, je vous laisse deviner qui va être choisi. C'est justement ce qu'on ne veut pas, raison pour laquelle nous vous encourageons à refuser et le projet de loi et la motion. En conclusion, nous devons être solidaires, pour que tous aient la dignité humaine, et maintenir ce projet des EdS. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Pour votre information, vous avez mangé deux minutes sur le temps de parole de votre groupe. Je passe la parole au rapporteur de première minorité, M. Roger Deneys.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je tiens tout d'abord à faire part de mon mécontentement sur la façon dont les débats se déroulent dans ce Grand Conseil, vraiment ! On consacre cinquante minutes au bouclement d'un crédit d'investissement qui date de 2002, et pour parler de personnes en emploi de solidarité, 700 à 800 personnes qui sont dans l'extrême précarité et qui ont épuisé tous leurs droits au chômage, le débat prévoit quarante minutes ! Je crois que c'est vraiment une honte pour un Grand Conseil comme celui de notre république de laisser les personnes ainsi en arrière par rapport à des soucis d'un passé auquel on ne peut rien changer. Ici, on peut changer le sort des personnes et je pense que c'est notre responsabilité d'y consacrer le temps nécessaire !
Mesdames et Messieurs les députés, j'ai commencé mon rapport avec une citation que je vais vous relire: «La politique est l'art d'obtenir de l'argent des riches et des suffrages des pauvres, sous prétexte de les protéger les uns des autres.» Cette citation de Jules Michelet, dans un ouvrage qui s'appelle «Vive la politique», à la page 56, résume parfaitement l'attitude d'un groupe de ce Grand Conseil, le MCG. Mesdames et Messieurs les députés, il faut savoir que le MCG, avant les élections cantonales, a soutenu toutes les manifestations liées aux emplois de solidarité qui demandaient l'augmentation de leur rémunération et, à raison, a demandé l'urgence et le renvoi rapide de ces textes dans les commissions du Grand Conseil. Mesdames et Messieurs les députés et Mesdames et Messieurs de la population genevoise, il faut savoir que nous avions, nous, socialistes, déjà demandé une augmentation de ces rémunérations une année auparavant, et ça n'avait rien à voir avec ce qui s'est passé à l'association Partage. Nous avions demandé cela lors de la dernière réforme de la loi cantonale en matière de chômage avec le PL 10821, et le député Stauffer avait fait des déclarations enflammées pour soutenir les amendements socialistes qui proposaient déjà d'augmenter la rémunération des emplois de solidarité. Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, à la commission de l'économie, les députés MCG n'ont pas voté l'entrée en matière sur ce projet de loi, ils n'ont pas proposé d'amendement, parce qu'évidemment, dans un projet de loi comme celui-là, les propositions d'augmentation des rémunérations correspondent à ce qu'il faut pour vivre décemment aujourd'hui à Genève. Bien sûr qu'il y a des personnes qui gagnent moins aujourd'hui à Genève, mais il faut savoir que les personnes en question ont déjà épuisé tous les mécanismes du chômage fédéral; elles sont dans les mécanismes du chômage cantonal et elles sont certainement aussi désespérées parce qu'elles ne voient pas vraiment comment elles vont sortir du tunnel. Il faut savoir que ces personnes ont souvent travaillé des années dans des entreprises genevoises; elles se sont données pour l'économie genevoise, elles se sont données pour que certains se construisent des piscines à Cologny ou ailleurs. Eh bien ces personnes, on les laisse aujourd'hui avec moins de 3000 F net: ce sont 2850 F net par mois pour les rémunérations les plus basses pour les emplois de solidarité. Alors augmenter ces rémunérations, ce n'est pas un luxe dans une république comme la nôtre où le nombre de nantis augmente et où le nombre de pauvres augmente malheureusement aussi.
Mesdames et Messieurs les députés, il était possible d'entrer en matière sur ce projet de loi et de discuter d'augmentations moins élevées. Cela figure dans mon rapport, les employeurs engageant des personnes au bénéfice d'emplois de solidarité l'ont aussi évoqué dans plusieurs courriers adressés au Grand Conseil. Ils ont dit qu'il fallait envisager des augmentations de rémunération au moins pour les personnes plus âgées, par exemple les plus de 55 ans. Ils le disaient déjà en 2009 et cela figure à la page 62 du rapport: «Les EdS de plus de 55 ans et sans espoir "réaliste" de trouver un emploi sur le marché primaire toucheraient 20% de plus que ces salaires [...]» Les chiffres figurent dans le rapport. Une possibilité consisterait à leur verser le salaire en vigueur dans l'institution employeuse. Ils l'ont réitérée en 2013, et M. Babel, de la Fondation PRO, a aussi expliqué qu'on pouvait certainement envisager une augmentation de ces rémunérations.
Mesdames et Messieurs les députés, avec un budget de 8 milliards de francs, alors qu'on maintient un bouclier fiscal pour les plus riches, je crois que c'est véritablement choquant de prétendre faire des coupes dans le social et sur des personnes qui ont un emploi de solidarité ! Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite donc à entrer en matière sur ce projet de loi et à le voter tel quel - c'est ce qu'on pourrait faire de mieux - et, bien entendu, si ces montants vous semblent exagérés pour vivre décemment à Genève, il faut le renvoyer en commission; mais ce serait une honte de ne pas entrer en matière sur un tel projet de loi, quand des personnes se sont données pour l'économie genevoise pendant autant d'années ! (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de deuxième minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, notre groupe regrette également que ces deux objets n'aient pas rencontré l'adhésion de la commission de l'économie, pour plusieurs raisons, notamment celles qui ont été exposées par M. Deneys; mais j'aimerais développer quelques éléments. Tout d'abord, je souhaite déplorer la condescendance particulièrement intolérable qui consiste à traiter ces personnes qui sont de vrais travailleurs comme des demi ou des sous-travailleurs. Les déclarations tendant à dire que ces personnes n'ont qu'une rentabilité de 30% à 40% sont insultantes, disqualifiantes et inacceptables ! (Rires.) On sait que les emplois de solidarité sont censés se développer sur le marché complémentaire de l'emploi, notion un peu artificielle développée notamment dans le cadre de l'office cantonal de l'emploi, qui dit ceci: «Le marché complémentaire de l'emploi rassemble toutes les activités de production de biens ou de services jugées insuffisamment rentables par les entreprises privées qui les ont délaissées. Délocalisées ou tout simplement disparues, la plupart de ces activités sont cependant d'une utilité certaine pour la collectivité [...]» Alors dites-moi si ces activités «d'une utilité certaine pour la collectivité» peuvent être simplement remplies à 30% ou 40% ? Est-ce que les femmes qui, comme Mary Poppins, s'occupent d'enfants, à qui un certain nombre de gens confient leurs enfants, sont des personnes rentables à 30% ou 40% ? C'est inconcevable et ce n'est pas acceptable ! Est-ce que la rentabilité des EdS qui accompagnent les personnes en stage d'évaluation de leur distance à l'emploi, dans le cadre de cette fameuse mesure inscrite dans la LIASI - EdS qui doivent juger l'employabilité d'autres travailleurs - serait de 30% à 40% seulement ? C'est faux et c'est particulièrement disqualifiant.
J'aimerais revenir sur deux ou trois éléments qu'a avancés M. Hohl. L'objectif principal des emplois de solidarité n'était pas d'éviter l'aide sociale, mais d'avoir une véritable alternative au chômage de longue durée. Malheureusement, aujourd'hui c'est un objectif qui n'est pas atteint. Dire que les gens sont heureux de se lever le matin pour aller travailler: bien évidemment ! Mais ils sont surtout heureux d'être à nouveau des travailleurs, rétribués comme tels, et pas des personnes qui se retrouvent au bénéfice d'un statut hybride qui n'est ni un emploi, ni une mesure. D'ailleurs, le SECO ne s'est pas trompé sur cet aspect-là. Enfin, dire qu'il faut éviter à tout prix l'aide sociale, quand on sait, de l'aveu même du responsable du service des EdS, qu'une personne sur dix bénéficie soit de prestations de l'aide sociale, soit de prestations complémentaires familiales, ces prestations pour les travailleurs pauvres... Qu'on ne vienne pas nous dire que cette mesure des EdS permet aux gens d'éviter la misère et l'aide sociale ! Au contraire, elle les y maintient !
Quant à dire que les syndicats se sont principalement préoccupés de la question du salaire minimum, c'est faux ! Pour avoir été présente le jour de la conférence de presse sur la problématique des EdS, ce sont des EdS eux-mêmes qui sont venus devant les syndicats et les partis politiques pour dénoncer ce statut et la gravité de la détérioration de leurs conditions de travail. Il ne s'agissait pas uniquement des conditions salariales, mais également des conditions de travail imposées: transporter des ordures à mains nues, porter de hautes charges à bout de bras, être insulté et faire l'objet de traitements humiliants ! Voilà ce que les grévistes ont dénoncé et voilà quel a été le premier objet de la révolte des grévistes de Partage. La question du salaire minimum est venue ensuite. Je dirai que c'était une question de synchronisation des calendriers, mais ça n'a pas été la mesure première qui a motivé la grève de Partage; elle est venue ensuite s'y greffer de manière connexe.
Il y a donc quelque chose de profondément injuste à ne pas vouloir reconnaître aux personnes qui sont en EdS un vrai statut de travailleurs et à ne pas reconnaître leur travail à la valeur de ce qu'il est. Il y a peut-être un certain nombre de personnes qui, aujourd'hui, sont plus éloignées de l'emploi, mais la grande majorité, contrairement à ce qui vous a été dit, en est proche. Seulement, en disqualifiant ces personnes, on veut se donner bonne conscience et alimenter le système de sous-enchère salariale: cela donne bonne conscience à tout le monde et absout la sous-enchère salariale de ses péchés. (Applaudissements.)
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Mesdames et Messieurs et chers collègues, je pense que la qualité d'un débat ne dépend pas du temps qui lui est consacré et j'estime que nous en avons eu de multiples exemples dans cette salle, soirée après soirée. Les bénéficiaires des emplois de solidarité reçoivent actuellement 3225 F par mois, cela a été rappelé. (Remarque. Le président agite la cloche.) Et le but du projet de loi est d'augmenter ce montant de 800 F pour le porter à 4025 F. Lors des travaux de la commission, il y avait 720 personnes en emploi de solidarité, avec un âge moyen de 48 ans; 46% de ces 720 personnes étaient âgées de plus de 50 ans; 71% de ces personnes étaient sans aucune formation; 51% gagnaient en moyenne 3725 F, ce qui est à peu près l'équivalent du minimum vital que touchent les personnes au bénéfice des prestations complémentaires. Ces travailleurs sont employés essentiellement dans le milieu associatif. Les emplois de solidarité atteignent certains de leurs objectifs en rendant une dignité humaine à ces travailleurs, en leur redonnant l'habitude d'une discipline du travail, d'une discipline des horaires, en leur permettant de garder un lien social et l'insertion dans un milieu professionnel. Ces gens sont encadrés et ils bénéficient d'un coaching, parce qu'ils constituent une population particulièrement vulnérable et faible et qu'ils doivent reprendre certaines habitudes qu'ils ont quittées. Il s'agit aussi d'une population de personnes abîmées; on a beaucoup entendu en commission le terme de personnes «cassées» par les aléas d'une vie difficile et c'est pour cela que ces personnes ont besoin d'un encadrement important et d'un suivi régulier. Les actions syndicales, n'en déplaise à la deuxième rapporteure de minorité, sont apparues évidemment comme opportunistes et sauvages, voire purement électoralistes, plutôt que constructives et soucieuses de l'intérêt des travailleurs qu'elles étaient censées défendre, puisque nombre d'entre eux se sont retrouvés sur le carreau, et le carreau, pour ces travailleurs, c'est simplement l'assistance publique et être sans aucun emploi. Augmenter ces salaires à plus de 4000 F équivaudrait aussi - et il faut y penser - à payer plus ces gens-là que d'autres personnes employées dans d'autres secteurs. Ces travailleurs, sans les emplois de solidarité, se retrouveront fatalement sans emploi et les associations que nous avons auditionnées nous ont toutes dit leur inquiétude, par rapport à des augmentations importantes qui leur seront imposées ou qui leur auraient été imposées. La hausse demandée, si elle était acceptée par votre Grand Conseil, aurait pour conséquence immédiate soit une diminution, soit une suppression pure et simple de ces EdS.
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. Jean-Marc Guinchard. Je compte sur votre mansuétude, Monsieur le président, mais j'y arriverai ! Le groupe démocrate-chrétien, dans ces conditions, vous recommande de rejeter toute proposition de renvoi en commission, de rejeter le projet de loi et la motion qui l'accompagne. (Applaudissements.)
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, en préambule, la première chose qui nous frappe à la lecture de ces rapports, nous, MCG, c'est qu'une fois de plus, il y a quelques mots pas tout à fait aimables dans ces lignes. C'est le moins qu'on puisse dire; une fois de plus, ce sont les insultes. Alors voyez-vous, Mesdames et Messieurs, c'est comme tout à l'heure lors du débat, je ne crois pas que ce soit comme ça qu'on fait avancer le schmilblick, passez-moi l'expression. Quoi que vous puissiez en penser, nous avons une fibre sociale au MCG. Seulement, il y a aussi des choses qui sont possibles, il y a des choses qui ne sont pas possibles et des choses qui sont moins possibles. Et vous devez bien vous rendre compte qu'augmenter les salaires des EdS de 800 F, c'est peut-être fantastique dans l'idéal, mais qui est-ce qui va payer ? C'est l'Etat et il faudra d'abord trouver le financement ! Deuxièmement, comment allez-vous expliquer ça à ceux qui triment, qui travaillent dans l'artisanat ? Je pense que vous connaissez la convention collective de l'artisanat ? Moi, je la connais et je sais quels sont les salaires: les salaires sont à 3770 F pour quelqu'un de non qualifié. Donc, vous allez donner plus aux EdS que nous essayons d'accompagner avec ce dispositif pour les aider à en sortir et retourner dans le marché ordinaire du travail qu'à ceux qui travaillent dans l'artisanat et qui ont des salaires quand même relativement bas ! Mais bon, c'est la convention collective que l'Etat a d'ailleurs dû imposer et étendre à tous les artisans et commerçants du canton de Genève, comme vous le savez.
Peut-être n'est-ce pas suffisant, mais dans l'artisanat, il y a toute une série de professions où il n'est pas possible de donner plus, autrement elles ferment ! Expliquez-moi comment un fleuriste pourrait donner 4500 F à un salarié, ou un commerçant, un épicier ou un coiffeur... A un moment donné, il y a des freins qui sont réels et il faut en tenir compte. Je reviens aux EdS.
Mme Marie-Thérèse Engelberts. Tu me laisseras du temps aussi ?
M. Daniel Sormanni. Oui, oui, je t'en laisse ! La difficulté, c'est de trouver le juste milieu qui permette éventuellement de revaloriser une partie des salaires, et nous savons que notre magistrat, M. le conseiller d'Etat Mauro Poggia, a dans ses cartons l'idée de revaloriser le salaire de 250 F, je crois - en tout cas pour les 60 ans et plus. C'est déjà un pas qui pourrait être franchi. Ce soir, nous avons décidé d'être généreux, malgré les insultes que vous avez proférées dans le rapport et lors du débat précédent, et nous pourrions accepter le renvoi en commission, de façon à examiner quelles sont les possibilités, mais pas selon votre base, Mesdames et Messieurs les socialistes: pas à 800 F par mois, ce n'est pas possible !
M. Michel Amaudruz (UDC). Comme vous l'aurez noté, les rapporteurs de majorité et de minorité ont bien cristallisé les positions, je vais donc prendre les choses autrement. Je ne sais pas si vous vous souvenez, Monsieur le président, mais est-ce que vous avez senti ce souffle de Jean-Baptiste Poquelin, hier soir ? Parce que l'un d'entre nous s'est vu décerner la palme gouvernementale logistique en matière de transports, peut-être que, ce soir, nous allons découvrir un M. Jourdain qui, ayant bien saisi son enseignement, nous proposera l'adoption de quelque loi merveilleuse. Il faut quand même se souvenir d'un principe fondamental, que vous partiez de Siddhartha ou de Confucius, ou même du Coran, de la Bible ou du code civil de Napoléon et de celui, suisse, d'Eugen Huber: tout être humain est responsable de lui-même ! Bien évidemment, cette règle a ses exceptions et, dans le cas particulier, l'exception que l'on voudrait traiter au travers de ce projet de loi est non pas la situation des handicapés sociaux, mais celle des handicapés de la société. C'est là où je vous dis: faites attention ! Faites attention, parce que nous avons des exemples qui viennent de nos voisins que nous aimons tant, qui nous donnent l'exemple à suivre. J'ai été enthousiasmé quand Mme la future présidente Sommaruga a dit, dans un élan de spontanéité, croyant manier son piano à merveille et sans faire de fausse note: ah, les Français, nos amis de toujours ! Aujourd'hui, ce ne sont plus nos amis de toujours, c'est la désaffection cordiale. Eh bien, ces Français voudraient nous enseigner, au travers de ce projet de loi notamment, les mérites du RMI qui, s'étant révélé catastrophique, s'est muté dans un enfantement spontané en un RSA. Et aujourd'hui, voulant suivre ce bel exemple, cette fois avec les EdS ou je ne sais quoi, on voudrait encore modifier les choses. Il faut être conscient du fait que ce phénomène progressif gangrène; c'est un lymphome qui paralyse notre société et la conduit sur une voie qui l'amènera contre un mur, sinon dans une situation délétère. Bon, je ne suis pas en train de faire du Zemmour qui a stigmatisé le «suicide français», mais je rappellerai que feu Michel Halpérin, dans un article brillant, où il parlait de la paupérisation de la Suisse, stigmatisait ce suicide collectif vers lequel celle-ci se dirigeait. Il faut donc être très prudent quand on s'engage dans cette voie où l'on voudrait remédier à ce mal de la société. Voyez-vous, je crois qu'on pourrait dans le prolongement faire encore une fois appel à Molière...
Le président. Il vous reste quinze secondes !
M. Michel Amaudruz. Alors écoutez, en conclusion, je vous dirai que dans une émission de Laurent Delahousse qui interviewait Brigitte Bardot, elle a eu ces mots, disant que notre société est sur le mauvais chemin. Interviewé par le même Delahousse, Cohn-Bendit a dit...
Le président. C'est terminé, Monsieur le député.
M. Michel Amaudruz. ...qu'il le regrettait pour les Verts, mais qu'il était devenu un bourgeois. Comme quoi, même les enfants terribles peuvent aller au paradis !
M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas la première fois que nous traitons ce sujet, un sujet sensible et plutôt honteux pour l'Etat de Genève qui cautionne des salaires aussi bas et cautionne le fait de créer des «working poors» à Genève, subventionnés par l'argent du contribuable. Il faut appeler un chat un chat ! C'est intéressant, les statistiques données par M. Guinchard et dans le rapport de majorité sont justes, mais partielles. Si on regarde d'un peu plus près, on se rend compte que 50% des EdS gagnent certes 3725 F brut, mais 46% ne gagnent que 3225 F brut et seuls 4% gagnent plus de 4000 F, à savoir 4225 F brut. Il y a donc une situation très grave, puisqu'on parle de salaires bruts où la moitié ne gagne que 3220 F net, et ça peut aller en dessous de 3000 F, ce qui en fait des «working poors», selon les critères établissant les seuils de pauvreté pour Genève. L'Etat de Genève et nous, députés, légitimons la création de «working poors» grâce à l'argent du contribuable. C'est une situation qui n'est pas viable, que nous ne pouvons tolérer, alors que les EdS correspondent bien à un emploi, il faut le rappeler; un emploi qui n'est pas un stage de formation ni un stage de réinsertion: c'est un emploi comme un autre, qui permet à des personnes au chômage de longue durée de retrouver une place, de retrouver une certaine valorisation au travers de l'emploi pour, par la suite, rechercher un autre type d'emploi. Cette sous-enchère salariale, cette sous-valorisation, a des effets sociaux tout simplement catastrophiques, et j'ai été choqué, lors de débats précédents sur la fiscalité notamment, d'entendre toujours les mêmes choses sur la pression fiscale pour les grandes fortunes... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...et la fiscalité qu'il faudrait diminuer, l'impôt sur la fortune qu'il faudrait supprimer. Comme si, aujourd'hui, les victimes de notre système, c'étaient les grandes fortunes ! Alors que les réelles victimes de notre système, ce sont les milieux les plus précaires... (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît !
M. Romain de Sainte Marie. ...dont font partie les EdS. Je vous invite donc à accepter ce projet de loi, mais au vu de ce que j'ai pu entendre, nous vous proposons de le renvoyer en commission pour l'étudier davantage et - pourquoi pas ? - créer des barèmes différents.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous avons donc une demande de renvoi en commission. Les rapporteurs et le conseiller d'Etat peuvent s'exprimer. Je passe la parole à Mme la rapporteure de deuxième minorité.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de deuxième minorité ad interim. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, à l'évidence, la manière dont ce sujet a été traité est lacunaire. Il suffit de regarder le rapport de majorité pour s'en convaincre: certaines informations sont totalement erronées... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) On nous dit effectivement... (Brouhaha.) Vous me le décompterez ? (Rires.)
Le président. Oui, Madame, on décomptera. S'il vous plaît, un peu de silence !
Mme Jocelyne Haller. Quand on lit le rapport de majorité, on voit qu'un député PLR fait l'éloge de cette mesure, en disant qu'elle a un taux de réussite de 77%... (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît !
Mme Jocelyne Haller. Merci ! Or, si on se réfère à la présentation du service des EdS, le taux de réinsertion est de 13% dont 77% dans les deux ans: on voit bien qu'on pare les EdS de vertus qu'ils n'ont pas, qu'il y a une fausse idée qui s'est faite au travers de toute une série de déclarations, à la fois par les employeurs, par le département et par le service des EdS, qui sont tous à la fois juges et parties en la matière. Il conviendrait donc aujourd'hui de réexaminer sérieusement cet objet pour étudier l'opportunité de ce projet de loi qui propose de manière intermédiaire d'améliorer le sort des EdS. Le cas échéant, si nécessaire, je reviendrai plus tard et c'est pour cela que je vous invite à renvoyer ces deux objets en commission. (Brouhaha.) Je vous remercie de votre attention - et encore, c'est une vue de l'esprit.
Le président. S'il vous plaît, j'aimerais bien un peu de silence et que les groupes règlent leurs problèmes internes entre eux et en silence ! Monsieur Deneys, vous avez la parole sur le renvoi en commission.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai effectivement été assez sévère avec le groupe MCG dans mon rapport, mais en l'occurrence, j'étais assez choqué par les propos tenus par ce groupe avant le travail sur ce projet et le vote final. J'étais choqué par ce changement d'attitude. Monsieur Sormanni, vous l'avez dit, et je sais que vous êtes intelligent, un projet de loi peut être amendé... (Brouhaha.)
Le président. Sur le renvoi en commission, Monsieur, s'il vous plaît !
M. Roger Deneys. ...et c'est parce que les montants peuvent entrer en contradiction avec des rémunérations en vigueur dans certaines petites entreprises, chose à laquelle j'avais évidemment pensé, qu'une entrée en matière permettrait éventuellement un amendement. Comme je l'ai dit, certains employeurs auditionnés ont mentionné le fait qu'une augmentation était toujours bonne à prendre, même de quelques centaines de francs. On devrait donc pouvoir en discuter et c'est pour ça que j'étais surpris de voir qu'il n'y avait même pas d'entrée en matière.
Maintenant, je ne suis pas extrêmement convaincu, mais on va le faire quand même, parce que, pour moi, il y a deux éléments: il y a les projets plus globaux comme celui déposé par le Conseil d'Etat, par l'entremise de M. Poggia, sur les EdS; il y a celui déposé par les partis de l'Alternative, le PL 11501, pour réformer aussi le mécanisme des emplois après un chômage de longue durée. Mon souci, c'était d'augmenter rapidement la rémunération. Avec les socialistes, nous disons que ces personnes vivent dans la précarité...
Le président. Il vous faut conclure, s'il vous plaît.
M. Roger Deneys. ...et il faut pouvoir augmenter rapidement leur rémunération. Donc, oui à un renvoi en commission, mais pourvu que ça aille vite: ces personnes souffrent. Avec des revenus aussi bas, il faut des décisions rapides !
M. Frédéric Hohl (PLR), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, d'abord je tiens à féliciter M. Deneys: vous êtes un charmeur, vous savez charmer le MCG pour qu'ils aient un cas de conscience... (Brouhaha. L'orateur s'interrompt.) Je reprends: vous savez charmer le MCG pour qu'ils aient un cas de conscience... (Brouhaha. L'orateur s'interrompt à nouveau.) J'attends qu'ils finissent de s'engueuler ! Mesdames et Messieurs... Attendez, je vais laisser finir les deux, là ! (Commentaires.)
Le président. S'il vous plaît ! Monsieur Hiltpold, Monsieur Cerutti, sortez si vous voulez parler entre vous ! (Brouhaha. Exclamations.)
M. Frédéric Hohl. Serge, va t'asseoir ! (Commentaires.) Très bien.
Le président. Poursuivez !
M. Frédéric Hohl. Mesdames, Messieurs, reprenons nos esprits ! (Brouhaha persistant. L'orateur marque une pause.) Pour ceux qui étaient dans la commission, nous avons tous été sensibilisés à la problématique des employés EdS de plus de 60 ans et je me rappelle très bien que le conseiller d'Etat a dit: «Oui, ce problème me tient à coeur et je vais faire quelque chose.» De notre côté, au PLR, nous faisons confiance au conseiller d'Etat en charge de cette politique. Nous lui faisons confiance, nous n'allons pas retourner en commission pour lui dire: «S'il vous plaît, faites attention avec les 60 ans et plus pour qu'on puisse leur donner quelque chose en plus !» Monsieur le conseiller d'Etat, nous vous faisons confiance ! Mesdames et Messieurs, c'est le seul point sur lequel nous avions envie d'avoir un petit compliment... (Rires.) Un petit complément, et vous nous l'avez donné ! Je vous encourage donc, Mesdames et Messieurs les députés, à ne pas accepter ce renvoi en commission qui ne sert strictement à rien, parce que nous parlerons exactement des mêmes choses, et nous allons discuter de savoir si on peut donner aux collaborateurs EdS un salaire médian comme on en trouve à l'Etat aux alentours de 9000 F. La réponse, Mesdames et Messieurs, vous la connaissez tous, ce n'est pas possible ! Nous ne voulons pas que ces 700 personnes retournent à l'aide sociale. Si vous avez un petit peu de coeur, Mesdames et Messieurs, vous devez garder ce système tel qu'il a été créé !
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je passe la parole à M. le conseiller d'Etat, sur le renvoi en commission. (M. Mauro Poggia ne s'exprime pas tout de suite.) Monsieur Poggia, vous avez la parole.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Pardon, excusez-moi ! Merci, Monsieur le président. J'étais songeur, entendant des débats qui partent un peu dans tous les sens, entendant qu'il serait honteux pour l'Etat de Genève de créer des emplois de solidarité, alors que d'autres cantons regardent précisément ce que nous faisons pour mettre en place la même chose; parce que les personnes que nous plaçons en emploi de solidarité sont, ailleurs, à l'aide sociale. Chez nous, elles ont la dignité de se lever le matin, de travailler, de rentrer à la maison en disant à leur famille qu'elles rentrent du travail. Certes, ce n'est pas parfait ! Nous sommes d'accord ! Je serais le premier à offrir 5000 F à tout le monde - le salaire minimum à tout le monde ! Mais nous sommes dans la réalité, ici ! Nous ne sommes pas dans les rêves, Mesdames et Messieurs. Et quand vous avez fait sauter ces emplois de solidarité chez Partage, l'année passée, ces gens se sont retrouvés à l'aide sociale; ces personnes que vous prétendiez aider sont allées frapper à nouveau à la porte des emplois de solidarité pour les obtenir à nouveau ! C'est cela que vous voulez ? Ce sont aujourd'hui 700 personnes qui ont cette dignité-là et qui la revendiquent. Plutôt améliorer le processus, ce que je suis en train de faire actuellement ! Comme vous le savez, un nouveau projet de loi est déposé, je l'ai dit et je l'ai fait. Vous verrez que le règlement du Conseil d'Etat va dans ce sens et le contrat type de travail qui est présenté à la CRCT, sur lequel vous pourrez vous prononcer, va dans ce sens: ce sont 250 F de plus par mois à partir de 60 ans, parce qu'il est vrai qu'à ce moment-là, il est difficile - je ne veux pas dire illusoire mais difficile - d'imaginer un retour à l'emploi.
Les emplois de solidarité s'adressent à des personnes qui ont été éloignées longtemps du marché du travail. Elles n'auraient pas le rendement qui serait nécessaire sur le marché primaire du travail. Il faut donc créer des emplois spécifiques, mais non des activités de pure occupation comme l'a prétendu un certain temps le SECO; de véritables activités qui répondent à un besoin de la population. Que l'on pense à Caddie Service, ce moyen que l'on donne à des personnes âgées ou handicapées pour se faire livrer leurs courses à la maison. Quelle entreprise privée investirait 5 F pour chaque course amenant des cabas de commissions chez une personne âgée ? Aucune ! Il faut donc que l'Etat mette sa part, pour que ces emplois existent. Si vous augmentez ces salaires au-delà de ce qu'ils sont aujourd'hui et de ce que décidera le cas échéant le contrat type de travail, c'est l'Etat qui devra mettre la différence ! Or, l'Etat n'a pas les moyens de mettre la différence parce qu'il comparera, une majorité dans ce parlement comparera ce que coûte l'aide sociale par rapport à ce que coûtent les emplois de solidarité: la comparaison sera vite faite et, à ce moment, on renverra ces gens à l'aide sociale. Est-ce cela que vous voulez ? Est-ce cette dignité-là que vous voulez pour ces personnes ? Il y a mieux à faire et ce mieux à faire, nous sommes en train de le faire. Nous voulons le faire ensemble, parce que nous avons tous dans ce parlement le souci de donner une véritable dignité à ces personnes, mais sachez qu'il n'y en a qu'une minorité qui reçoit l'aide sociale en complément de ce salaire, ce qu'elle peut recevoir; il n'y en a qu'une petite minorité. Oui, bien sûr, c'est une petite minorité. Eh bien, c'est vrai que pour celles-là, il faut qu'il y ait aussi une incitation à aller plus loin, parce que les emplois de solidarité s'adressent d'abord à des personnes qui n'ont pas la même rentabilité. Je suis désolé d'utiliser des termes peut-être excessifs, quand on parle de personnes qui sont évidemment précarisées pendant une bonne partie de leur vie. Elles n'ont pas la même rentabilité et, en plus, ce que l'on met maintenant dans ce contrat type de travail, ce que le département a voulu y mettre, c'est une obligation d'un plan de carrière pour ces personnes, avec une obligation de formation pour les employeurs qui les engagent. On ne peut pas payer ces gens-là la même chose que des personnes qui doivent travailler avec un rendement de 100% sur le marché du travail. Je vous rappelle que dans le commerce de détail, la convention collective de travail prévoit 3740 F par mois sans CFC et, avec CFC, 3900 F par mois. Vous voudriez mettre tout le monde à plus de 4000 F par mois pour des emplois de solidarité ? C'est la mort des emplois de solidarité ! Parce que personne ne créera rien pour ces gens-là, malheureusement.
Alors laissez-nous cet instrument pour faire ce que rien d'autre ne permet de faire pour ces personnes-là aujourd'hui, étant précisé qu'il s'agit d'une passerelle vers autre chose. Une passerelle encore insuffisante, vous avez raison, mais nous ne mettons pas autant... Regardez: combien de personnes à l'aide sociale retournent sur le marché du travail ? Regardez ! C'est infinitésimal, par rapport à ceux qui sont dans des emplois de solidarité et qui repartent sur le marché du travail.
Nous avons travaillé pendant six séances sur ce sujet à la commission de l'économie et je pense que nous avons fait le tour de la question; le département est parfaitement conscient de ses responsabilités, il va dans le sens des engagements qu'il a pris. Merci de le rappeler, Monsieur Hohl, mais ces engagements seront tenus, parce que le département a l'habitude de faire ce qu'il dit et nous allons améliorer ce système. Nous travaillons actuellement avec le SECO, la main dans la main, et d'autres cantons attendent précisément le résultat genevois pour faire la même chose chez eux. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je vous soumets le renvoi à la commission de l'économie. (Brouhaha.)
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11327 à la commission de l'économie est rejeté par 59 non contre 34 oui.
Le président. Nous poursuivons notre débat et je passe la parole à M. le député Boris Calame.
M. Boris Calame (Ve). Monsieur le président, chères et chers collègues, à propos de ce projet de loi qui modifie la loi en matière de chômage pour sa partie liée aux emplois de solidarité dits EdS, autant les auditions ont été intéressantes et les problématiques ciblées, autant la commission s'est focalisée sur le salaire minimum, ce qui est regrettable. En effet, liée à ce projet de loi, nous avons également traité la motion 2172 qui proposait des invites tout à fait intéressantes. Je mentionne ici, entre autres, la quatrième qui demandait une réelle distinction entre postes occupés ou proposés qui s'apparentent à des emplois et ceux qui s'apparentent à des mesures d'insertion. Nous l'avons vu lors de nos travaux, les types de personnes concernées par ces emplois de solidarité sont divers et variés; les activités proposées et le soutien à celles-ci par les collectivités sont aussi variables. Il faut reconnaître que la réponse politique donnée actuellement n'est pas satisfaisante. Les personnes ont des emplois qui ne leur permettent pas de vivre décemment, alors même que, pour bon nombre d'entre elles, il devrait s'agir d'un tremplin pour sortir la tête de l'eau: un emploi qui donne ou redonne confiance en soi, qui permet de se resocialiser et, à terme, de rejoindre un poste reconnu comme un vrai emploi. Certes, les personnes en EdS n'ont pas toutes la capacité de lutter dans notre marché du travail et il faut bien reconnaître que l'entreprise d'aujourd'hui ne sait plus - ou ne peut plus - vraiment intégrer ces personnes. Ce sont alors d'autres solutions qui doivent être trouvées. Les EdS pourraient constituer une réponse; malheureusement, la précarité imposée sur la durée aux personnes concernées n'est pas acceptable.
Une autre invite demandait d'inventorier les activités en emploi de solidarité qui seraient de nature ordinaire pour les collectivités publiques et de pérenniser ces emplois. Nous avons l'impression de vivre là avec des agents spécialisés ou des premiers emplois qui durent, où l'on maintient des personnes dans des situations de précarité. A la question «Est-ce que l'emploi de solidarité doit être pérenne ou éphémère pour l'individu ?», nous n'avons pas eu de véritable réponse. Les Verts ont soutenu l'entrée en matière sur le projet de loi et la motion; c'était l'occasion de tenir le débat et de chercher à construire ensemble une nouvelle définition des EdS, mais la majorité n'en a pas voulu, nous ne pouvons que le regretter. La loi actuelle manque en effet cruellement de prise en considération du vécu du terrain et de la réalité humaine. Nous soutiendrons donc tant le projet de loi que la motion car la loi se doit d'être révisée. Nous espérons et attendons maintenant du conseiller d'Etat qu'il s'y attelle avec détermination; nous avons entendu les propos de M. Poggia de tout à l'heure que nous nous réjouissons de pouvoir suivre en commission.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Serge Hiltpold. Il vous reste une minute cinquante.
M. Serge Hiltpold (PLR). Merci, ce sera suffisant. Je remercie en tout cas le conseiller d'Etat Poggia qui a remis un peu les réalités au coeur du débat et je reviens sur les propos du rapporteur de majorité Frédéric Hohl sur ces mesures qui portent ce salaire à 4025 F. Qu'est-ce que ça veut dire, 4025 F ? Soit on admet qu'il y a un principe d'insertion avec un coaching, il l'a dit, et une notion de rendement et de rentabilité. A 4025 F, sans formation professionnelle, vous avez un salaire supérieur à celui de quelqu'un avec un CFC qui est dans l'agriculture ou la vente. Alors il faut se poser les bonnes questions: est-ce qu'on admet que la personne à 4025 F avec un rendement à 50%, ce qui est tout à fait correct, est déjà très bien payée ? Sinon, on admet que cette qualification est à 100%, mais alors on est à 9000 F. 9000 F, avec une maîtrise fédérale, dans les métiers du bois, on ne les touche pas ! Je crois que le coeur du débat est ici. C'est qu'il faut trouver le juste équilibre de ce qu'il faut faire: ni trop ni trop peu, mais ne pas porter trop haut le salaire minimum, une espèce de SMIC à 4000 F.
Le président. Il vous reste trente secondes !
M. Serge Hiltpold. Il faut un dosage très fin. Pour ce dosage, il faut créer des niches, afin de ne pas se retrouver en concurrence avec l'économie réelle et de ne pas faire du dumping par rapport à des entreprises privées. Il faut trouver un équilibre entre la dignité et la juste rémunération, un équilibre par rapport aux autres secteurs. Mon collègue Georges Vuillod a du personnel qui ne gagne pas ça, alors qu'il bosse à 120% ! La réalité, elle est là ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme la députée Marie-Thérèse Engelberts. Il vous reste cinquante secondes.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). Merci, Monsieur le président. Je reviendrai sur les propos concernant le MCG à travers une motion d'ordre tout à l'heure; je ne veux pas perdre de temps pour ça maintenant. Ce que je voulais dire par rapport aux EdS, c'est que le projet a en fait été vendu avec un plan de formation à la clef pour chaque personne. Alors je veux bien qu'on parle de plan de carrière, mais si on est cadre dans une banque ! Un plan de carrière, qu'est-ce que c'est ? Je parle de formation de base, puisque la plupart des personnes n'ont pas de CFC. Quand on dit que les personnes sont en difficulté d'apprentissage, ce n'est pas vrai !
Le président. Il vous reste quinze secondes.
Mme Marie-Thérèse Engelberts. Tout le monde a vécu et, à partir de là, on peut construire une formation !
Le président. Il vous faut conclure !
Mme Marie-Thérèse Engelberts. Je conclus ! C'est de l'exploitation, on n'a pas le droit de garder les gens six ans dans une situation d'EdS...
Le président. Merci, Madame.
Mme Marie-Thérèse Engelberts. ...alors qu'en une année, on peut les former pour être aptes à faire un CFC.
Le président. Merci, Madame. Je passe la parole à Mme la députée Jocelyne Haller, rapporteure de deuxième minorité.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de deuxième minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais revenir sur les propos de M. Amaudruz qui nous disait tout à l'heure que tout être humain est responsable. Alors je pose la question: de quoi ? Du chômage structurel ? Des délocalisations ? J'aimerais bien savoir de quoi les chômeurs en fin de droit, aujourd'hui, sont responsables !
D'après M. Hohl, il faudrait avoir du coeur. Alors il y aurait ici des gens qui auraient du coeur et d'odieux militants syndicaux qui voudraient détruire la vie des EdS ? C'est faux ! Quand on nous disait que c'est l'Etat qui doit compléter le coût de Caddie Service, pourquoi est-ce que ça ne serait pas Manor ou la Coop ou la Migros qui paieraient la différence ? C'est un service qui leur est offert, autant qu'il est offert aux consommateurs ! (Brouhaha.) Il y a des pistes à explorer et j'aimerais encore dire concernant cette question des EdS, parce qu'effectivement, il y a des gens qui sont tombés dans cette nasse et qui n'ont pas pu en sortir, parce que les promesses qui leur avaient été faites n'ont pas été tenues et que la passerelle est effectivement devenue un piège... Aujourd'hui, il y a plusieurs projets visant à modifier ce statut EdS et nous sommes un certain nombre ici à avoir cosigné un projet de loi dont le but est de changer fondamentalement le fonctionnement de l'OCE et qui propose de transformer les EdS en véritables emplois. Et quand on parlait de l'aide sociale, j'aimerais rappeler qu'il y a aujourd'hui une proportion importante de gens à l'aide sociale qui travaillent - qui travaillent mais ne gagnent pas suffisamment pour couvrir leurs besoins vitaux. Et il y en a d'autres encore, un millier, qui sont en activité de réinsertion, qui travaillent à 50% sans être payés du tout, hormis une indemnité de 50 F. Ils travaillent à mi-temps dans des services publics et dans le secteur subventionné: si on les avait salariés correctement, ceux-là seraient vraiment sortis de l'aide sociale ! Si vous voulez diminuer l'aide sociale, amenez de vraies solutions et ne prenez pas des demi-mesures qui permettent simplement de garder les gens dans l'exploitation.
Le président. Il vous reste trente secondes.
Mme Jocelyne Haller. Finalement, cela alimente un système de sous-enchère salariale qui est indigne - indigne ! - de ce parlement. Il devrait y avoir une véritable recherche de solutions et non pas les faux-semblants que sont aujourd'hui ces espèces de mesures d'insertion, de vrais pièges pour les chômeurs en fin de droit. (Applaudissements.)
Le président. Je passe la parole à M. le conseiller d'Etat. Ensuite, nous voterons.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président. C'est vrai qu'il faut trouver des solutions ! Vous avez déposé un projet de loi que j'ai lu attentivement et dans lequel la solution est l'engagement de ces personnes par l'Etat. Donc, l'Etat crée des emplois et engage les EdS en tant que nouveaux employés ou fonctionnaires. Il y avait un pays, l'URSS, dans lequel l'Etat était l'employeur principal voire l'employeur exclusif: je ne sais pas si c'est le modèle de société vers lequel nous souhaitons aller. En tout cas, j'ai quelques craintes, voyant déjà les problèmes qu'il y a pour faire adopter le budget présenté, que l'on puisse imaginer d'engager en tant que nouveaux employés de l'Etat 750 personnes qui sont actuellement des EdS.
Je voudrais vous dire - peut-être l'ai-je déjà dit - que la réflexion sur les EdS n'est pas simplement en cours, elle l'est depuis longtemps, puisque j'ai rencontré rapidement ce printemps le SECO, avec lequel il y avait effectivement une divergence sur la perception de ces emplois de solidarité, le SECO considérant qu'il s'agissait uniquement de mesures du marché du travail. Nous avons donc considéré devoir remanier le système et le présenter sous la forme d'un contrat type de travail, et actuellement, M. Moutinot, ancien conseiller d'Etat, est en charge de ce projet. (Brouhaha.) Il va certainement bientôt commencer les consultations et vous pourrez bien sûr vous exprimer. Sachez simplement que ces salaires ne tombent pas du ciel: le département de la solidarité et de l'emploi, qui m'a précédé dans cette tâche, s'était mis en rapport avec l'OCIRT pour arriver à ces salaires de 3250 F à 4250 F, en tenant compte de critères spécifiques pour la population qui occupe ces emplois de solidarité. Ce n'est donc pas qu'à un moment donné quelqu'un ait décidé seul que 3250 F étaient bien assez comme salaire minimum.
Maintenant, on parle toujours de l'alternative, mais pour l'instant, vous ne m'avez pas présenté une seule solution. Si vous en avez, je suis preneur. Je suis toujours intéressé aux alternatives véritables, mais pas à celle qui propose simplement d'engager parce qu'«il n'y a qu'à» ! On l'a quand même entendu souvent et malheureusement, les Genevois ne peuvent pas continuer à prendre en charge toujours davantage de frais de fonctionnement de l'Etat. D'autant plus que certains se plaignent - à juste titre - que, peut-être, la fonction publique devrait être diminuée - sans licenciements bien sûr, je le précise d'emblée; sans licenciements, mais se voir diminuée parce qu'elle serait, pour certains, trop grasse. Or, maintenant, on nous propose d'engager les EdS - mais pour faire quoi ! En tant que fonctionnaires, aller livrer les commissions chez les personnes qui font leurs courses à la Migros ? Evidemment pas ! Au mois de septembre de l'année passée ont commencé les problèmes chez Partage. Vous avez vu quelle expérience nous avons faite avec ce qui a été porté sur la place publique: les critiques étaient justifiées, mais la méthode critiquable. Eh bien, l'alternative a eu pour résultat que ces personnes sont retournées à l'aide sociale. Avec Partage, on a fait le test en éprouvette de l'alternative; l'alternative, c'était le retour à l'aide sociale, parce qu'on n'a rien trouvé de mieux ! Maintenant, c'est comme si on faisait un test en éprouvette pour un vaccin, mais que le patient décède et que vous, vous vouliez quand même une campagne de vaccination généralisée ! Vous voulez renvoyer toutes ces personnes à l'aide sociale ? Laissez l'Etat faire son travail, comme il le fait maintenant ! Ne grossissez pas les salaires que ces entreprises partenaires ne peuvent de toute façon pas assumer ! Vous le savez parfaitement et c'est l'Etat qui va donc devoir mettre la différence. Or, il faut aussi garder une incitation à repartir sur le marché du travail. Vous avez raison sur la nécessité d'une formation; il ne s'agit pas de parquer les gens dans des emplois pendant des années; il faut qu'il y ait un programme de formation individuel pour chaque personne en fonction de ses capacités et de sa volonté. Sur cette base-là, nous allons pouvoir améliorer le taux de retour sur le marché du travail. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. M. Deneys voulait le vote nominal. C'est bien cela ? (Remarque.) Etes-vous soutenu ? (Des mains se lèvent.) Oui, vous l'êtes.
Mis aux voix, le projet de loi 11327 est rejeté en premier débat par 58 non contre 32 oui et 2 abstentions (vote nominal).
Le président. Je vous fais voter sur la motion.
Mise aux voix, la proposition de motion 2172 est rejetée par 58 non contre 32 oui et 2 abstentions.