République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 14 novembre 2014 à 15h
1re législature - 1re année - 13e session - 82e séance
P 1849-A
Débat
Le président. Nous abordons à présent le rapport sur la pétition 1849. La rapporteure de majorité, Mme Catherine Baud, est remplacée par M. Bugnion, à qui je donne la parole.
M. Jean-Michel Bugnion (Ve), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il faut tout d'abord constater que cette pétition s'appuie sur des présupposés non avérés: les directeurs des écoles primaires seraient trop nombreux - alors que leur nombre venait justement d'être réduit de 11 unités - et n'auraient pas assez de travail. Qui plus est, ils délégueraient une partie de leurs tâches aux maîtres adjoints et aux maîtres référents. En contrepartie, les enseignants crouleraient sous une surcharge de travail administratif. Or les réponses amenées par le magistrat alors en charge du DIP et la directrice générale de l'école primaire démontrent plutôt le contraire et défendent le bien-fondé de cette nouvelle fonction de directeurs d'établissement primaire, parfois - mais pas toujours - aidés, en fonction de la taille de l'école et des moyens alloués, par un maître adjoint ou un maître référent. Voyons pourquoi.
La signature de l'accord HarmoS et la mise en application du PER ont en effet mis en évidence un défaut majeur du système: la faiblesse de pilotage à l'école primaire. Le nombre de 25 inspecteurs qui passaient leur temps à éteindre ici et là les incendies individuels était notoirement insuffisant pour prétendre à une harmonisation minimale des 100 établissements de façon à garantir leur compatibilité HarmoS et PER. L'autonomie de chaque enseignant, seul maître à bord après Dieu, était ainsi quasi sans limites, avec pour conséquences de grandes différences entre les écoles mais aussi au sein de la même école quant à l'enseignement des matières, l'évaluation des élèves et l'application des directives; bref, le principe d'équité revu à géométrie variable. Mais notre école laïque et républicaine ne reconnaît ni Dieu ni maître; pour relever les exigences d'HarmoS et du PER, il convenait d'opérer un changement structurel profond en créant la fonction de directeur d'établissement primaire, supérieur hiérarchique de proximité chargé d'accompagner les enseignants dans les changements décidés. Nouvelle fonction, nouvelles tâches, très chronophages: harmoniser des pratiques professionnelles souvent consolidées par une longue habitude et les faire évoluer dans le sens d'un nouveau plan d'études, ça ne se décrète pas, ça se construit. Sous peine d'échec total, il faut le faire patiemment, pied à pied, avec les intéressés. Contrairement à ce que prétendent les pétitionnaires, ce ne sont pas uniquement les maîtres néophytes que le directeur suit en début d'année...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Jean-Michel Bugnion. Ce travail représente de nombreux entretiens, visites de classes et réunions qu'il faut mener pour tous les enseignants durant toute l'année. Il faut que je conclue, Monsieur le président ?
Le président. Oui, sans quoi vous prendrez sur le temps de votre groupe.
M. Jean-Michel Bugnion. Je vais continuer un petit bout. (Rires.) Il faut aussi être clair sur l'origine de cette pétition. M. Duval, enseignant primaire retraité dont le texte fait souvent appel à l'hyperbole, appartient à l'ARLE, association connue comme opposée à la politique scolaire de M. Beer et majoritairement composée d'enseignants ou d'anciens enseignants. Que cette association cherche à démembrer la hiérarchie mise en place afin de retrouver un maximum de liberté professionnelle, c'est certes du corporatisme, mais c'est de bonne guerre. A vous, Mesdames et Messieurs les députés, de choisir maintenant entre le dépôt sur le bureau du Grand Conseil - qui représente quand même l'équité de traitement des élèves et la cohérence de notre école primaire - et la satisfaction personnelle de quelques-uns qui, jaloux de leur autonomie, ont développé une forte allergie à la hiérarchie.
M. Jean Romain (PLR), rapporteur de minorité. Monsieur le président, vous imaginez bien qu'on ne peut pas laisser dire que c'est simplement pour des raisons psychologiques que cette pétition a été déposée. Il est une citation de Kafka, cet infatigable dénonciateur de la bureaucratie - décédé, je le rappelle, en 1924, et que j'aime à interroger en ce 90e anniversaire de sa mort - que voici: «La croissance de l'homme ne s'effectue pas de bas en haut, mais de l'intérieur vers l'extérieur.» C'est le cas de notre école, chers collègues: la croissance ne se fait pas de bas en haut - elle n'élève pas - mais de l'intérieur vers l'extérieur. Elle grossit, elle s'encombre de gras, elle augmente les couches du millefeuille, elle s'auto-intoxique de graisse ! (Rires. Applaudissements.)
On nous dira que le nombre de directeurs a diminué; c'est vrai. Mais il a largement été compensé par les maîtres adjoints et les maîtres référents. Si on compare, chers collègues, le cahier des charges du directeur avec celui du maître adjoint, on constate que les tâches du directeur sont largement, très largement couvertes par celles du maître adjoint. Mettez, je vous prie, les deux cahiers en juxtaposition, ôtez ce qui ressortit au maître adjoint, et vous comprendrez le principe des statues de Giacometti: une soustraction de matière charnelle. Le rôle du directeur se réduit à ceci, chers collègues, quand vous avez enlevé ce que fait le maître adjoint: contrôler le travail des instituteurs - c'est normal - participer à l'engagement du personnel en coordination avec la direction générale - travail ponctuel, admettez-le, qui s'effectue tout au plus en début d'année - s'occuper du suivi du personnel engagé - c'est normal - gérer les conflits internes - y en a-t-il tellement ? - et enfin présider les conseils d'établissements. Ça, c'est le grand mot: les conseils d'établissements ! Il faut donc les présider et assurer le suivi des décisions prises lors de ces conseils d'établissements, sur lesquels revient d'ailleurs l'actuelle modification de la LIP. A cela s'ajoutent quelques tâches ponctuelles et passablement creuses, drapées dans de belles formules vides.
Les directeurs, chers collègues, sont assistés par des maîtres adjoints payés au cachet. Il faut donc engager des fonctionnaires supplémentaires pour les remplacer, ainsi que des maîtres référents. Mais la tâche est complètement surestimée par rapport à la charge réelle de travail demandée. Il est faux de penser qu'un encadrement administratif, comme un ancien directeur veut le faire croire - on le comprend - induit automatiquement de meilleurs résultats. La conclusion s'impose: loin des chamailleries picrocholines, simple, précise, tranchante, cette pétition demande de renoncer aux doublons que la toute nouvelle introduction des maîtres adjoints et des maîtres référents, assistés même de secrétaires, a institués à Genève, et je vous demande de suivre, chers collègues et amis, le rapport de minorité.
M. Jean-François Girardet (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cette pétition est assez simple. Elle a été présentée par M. Duval - on va lui faire de la publicité puisque le rapporteur de majorité l'a déjà mentionné - qui a effectivement présidé l'ARLE. Je m'empresse d'ajouter que je ne suis pas membre de l'ARLE au moment où je vous parle. Je ne défends donc pas l'intérêt d'une association qui désire refaire l'école, avec, il est vrai, un certain succès puisque c'est elle qui avait permis à la population de s'exprimer pour le maintien des notes à l'école primaire. Je voudrais simplement revenir à la pétition, qui demande la suppression des doublons. Comme le rapporteur de minorité l'a rappelé, certains n'étaient pas prévus, notamment lorsque les directeurs ont été institués par une loi entrée en vigueur en 2008. Alors que M. Beer, président du département de l'instruction publique de l'époque, demandait ses directeurs - il en demandait 90 - il avait répondu à une question écrite de M. Weiss, qui s'enquérait de savoir si on allait précisément éviter les doublons et le maintien des échelons hiérarchiques. On nous avait promis que les maîtres principaux disparaîtraient. Eh bien non, ils ont réapparu ! Dans la pratique, en effet, les directeurs mis en place ont institué un conseil de direction, puis ont nommé des enseignants pour les remplacer à certaines fonctions. Ensuite, en 2012, une directive a été édictée par le département de l'instruction publique, instituant les maîtres adjoints, avec pour mission les tâches suivantes: la relation et la communication avec les autres, qui incombaient normalement aux directeurs, la gestion de l'établissement, le suivi des élèves et tout le domaine pédagogique. Dans ces conditions, vous imaginez bien que nous soutiendrons le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat pour que Mme la présidente remette un peu d'ordre là-dedans et qu'on produise aussi des économies dans ce domaine, c'est-à-dire en mettant les directeurs au travail...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Jean-François Girardet. ...ainsi que le demande la motion 2100; nous y reviendrons. Je vous remercie.
Mme Isabelle Brunier (S). Eviter, traquer, supprimer les doublons: depuis deux décennies, c'est un peu la tarte à la crème, le leitmotiv qu'on nous répète tous azimuts et dont se font surtout porteurs les partis représentés par le rapporteur de minorité, assis maintenant à la table. Ce que j'aimerais dire à propos de ces fameux doublons, c'est qu'il existe actuellement une dérive bien plus grave au sein de l'administration publique, et ceci justement pour répondre à une loi ou à une motion, ou en tout cas à un desiderata exprimé lors de la précédente législature par les mêmes partis de droite, consistant à mieux rémunérer les cadres et à augmenter leur nombre, à savoir en gros à augmenter les personnes de la hiérarchie en même temps que leur classe de fonction et leur salaire. Cette dérive-là, déjà en cours avant même l'entrée en vigueur de la réforme SCORE, est bien plus grave que d'éventuels doublons. A ce sujet, j'aimerais d'ailleurs reprendre le propos du rapporteur de minorité, qui a dit ceci: «Il est faux de penser qu'un encadrement administratif induit automatiquement de meilleurs résultats.» Eh bien, ce qui est vrai dans le cas de l'école selon le rapporteur de minorité - et on a l'impression que les doublons sont dénoncés comme tels suivant la couleur politique du chef du département dont dépendent les services concernés - ne l'est absolument pas dans les autres départements ! Or ce qui est en train de se passer actuellement - je le vis personnellement là où je travaille - est exactement ce qui est dénoncé pour le DIP dans cette pétition, mais en bien plus grave et plus coûteux. Je voudrais donc attirer l'attention des partis de droite sur ceci, puisque le vote du budget et les futures réformes qui vont toucher l'administration publique approchent: quelques doublons, passe encore. Mais l'augmentation de la hiérarchie n'est le fait ni de la cheffe du DIP ni du groupe socialiste. Pour conclure, j'aimerais préciser que nous faisons confiance à la cheffe du département, qui a d'ailleurs déjà commencé à réformer ce qui est dénoncé par cette pétition, et rappeler que des dérives bien pires sont en train de se mettre en place dans les autres départements. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme la députée Forster Carbonnier, à qui il reste deux minutes onze.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Parfait, Monsieur le président, ce sera amplement suffisant. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai lu avec intérêt le rapport de la commission. La première chose qui frappe, c'est que l'existence même des directeurs n'est pas remise en question par les pétitionnaires même si, çà et là, on a pu lire certaines remarques que j'ai trouvées particulièrement insultantes, comme le fait de dire qu'ils nuisent au travail des enseignants. Je m'inscris vraiment en faux là-contre, parce qu'en tant que parent d'élève, je peux vous assurer que le travail des directeurs ne nuit pas du tout à celui des enseignants, mais le facilite au contraire. Ensuite, on peut lire dans cette pétition que l'objectif est de passer de 79 à 70 directeurs d'école. La manière dont les pétitionnaires sont arrivés à ce chiffre reste assez obscure; apparemment, ils ont appliqué une méthode scientifique qu'ils ne nous ont en tout cas pas décrite. Je m'interroge donc pour savoir comment ce chiffre a été fixé et si ce n'est pas un peu d'arbitraire qu'il est question ici. Il me semble que les auditions ont clairement démontré qu'il y avait en fait une absence réelle de doublons et que les maîtres référents et les maîtres adjoints faisaient un travail fort différent; on ne peut donc pas parler de doublons. Par contre, ce que ce système a permis de mettre en place et de renforcer, ce sont les études surveillées - une très bonne nouvelle pour les parents d'élèves. Voilà qui est aussi mentionné dans le rapport, et je pense que c'est un point extrêmement important à souligner.
Le président. Il vous reste trente secondes.
Mme Sophie Forster Carbonnier. Je termine, Monsieur le président. Selon plusieurs personnes mentionnées dans le rapport, les directeurs pourraient s'occuper de plusieurs établissements à la fois. Or, le nombre de directeurs dépend évidemment aussi de la taille des écoles; on comprend bien qu'il est impossible de s'occuper de plusieurs établissements à la fois si on a affaire à une très grande école. Pour toutes ces raisons, je vous invite à suivre le rapport de majorité et à déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie.
M. Stéphane Florey (UDC). Juste avant, quelqu'un a parlé du budget; si vous voulez réellement faire des économies sur le budget, posez-vous la question suivante: combien coûte un directeur comparé à un maître adjoint ? Faites le calcul et vous constaterez qu'il y a un vrai potentiel d'économie là-dessus: un maître adjoint coûte beaucoup moins cher qu'un directeur qui, lui, est en classe 24 et coûte un maximum. Ça, c'est la première chose.
Maintenant, qu'est-ce qu'un maître adjoint ? C'est simplement le retour du maître principal de l'époque dont on a changé le titre. Il faut donc bien avouer que le système mis en place par l'ancien conseiller d'Etat ne fonctionne pas, il coûte très cher. Pourquoi ne fonctionne-t-il pas ? Justement parce que certains directeurs dirigent plusieurs établissements; c'est une erreur totale puisqu'il avait été dit à l'époque que les directeurs étaient justement là pour avoir une disponibilité complète face à certains problèmes qui pourraient survenir. Imaginons des parents qui veulent rencontrer un directeur sur l'heure: s'ils ont de la chance et qu'il est dans le bâtiment à ce moment-là, alors il les reçoit sur-le-champ, oui. Mais si, par hasard, il se trouve dans l'autre école dont il a la charge ce jour-là, ce ne sera malheureusement pas possible. Et qu'est-ce qu'on a mis en place dans ce cas ? Un maître adjoint pour suppléer le directeur ! Mais à quoi ça sert ? Soit on admet aujourd'hui que les directeurs ne servent à rien et on conserve les maîtres adjoints - c'est-à-dire qu'on remet en place le système des maîtres principaux avec la charge qui leur incombait à l'époque - soit on admet que le maître adjoint ne sert à rien et on conserve les directeurs. Mais il va bien falloir faire quelque chose pour éviter de créer des doublons d'une telle ampleur. On pourrait employer cet argent à des fins beaucoup plus intelligentes, ne serait-ce que pour payer des cours d'appui, comme cela a été évoqué tout à l'heure. Prenons l'exemple de l'école En-Sauvy: pour les enfants de 8e année...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Stéphane Florey. ...il n'y a pas de cours d'appui parce que l'école ne dispose que d'un maître d'appui à 50% pour l'ensemble des huit niveaux scolaires, ce qui fait qu'il y a un réel manque. On pourrait par exemple utiliser cet argent pour ça, ce qui est à mon sens beaucoup plus utile que de créer des doublons qui ne servent à rien et surchargent l'administration. C'est pour cela que nous suivrons bien évidemment le rapport de minorité...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Stéphane Florey. ...et je vous invite à faire de même.
M. Olivier Baud (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le contenu de cette pétition est un peu dépassé et, à mon avis, se trompe de cible. Cela dit, je trouve qu'aujourd'hui, son titre résonne assez étrangement lorsqu'on parle de doublons. Pour l'autre objet, on a évoqué le cas de M. Gruson aux HUG - je n'y reviendrai pas. Le groupe Ensemble à Gauche estime simplement que le renvoi au Conseil d'Etat est justifié si l'on s'attache à ce que demandent les pétitionnaires aux autorités, à savoir la suppression des doublons et, le cas échéant, des postes inutiles et dispendieux au département de l'instruction publique. Actuellement, il y a pléthore de postes de direction. En tant qu'ancien - et même actuel, je puis le dire - syndicaliste qui observe depuis longtemps ce qui se passe au sein de l'instruction publique et comment les postes sont distribués, je constate que sur le terrain, on nous chante toujours la même chanson, le même refrain: il n'y a rien du tout ! Et, en effet, il n'y a rien pour le terrain, alors que ce n'est pas du tout ce qu'on constate pour les postes de direction. J'aimerais que cette pétition soit examinée et qu'on nous donne une meilleure réponse sous cet angle-là également. Je vous remercie.
Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Je ne sais pas si l'école fonctionne de manière kafkaïenne, mais je m'interroge en revanche sur le fonctionnement de ce parlement. Cette pétition vise à supprimer les doublons; dans la mesure où le sujet qui va nous occuper à 17h concerne les directeurs d'établissements primaires, afin d'économiser les deniers du contribuable et d'éviter les doublons, je m'exprimerai sur le fond du sujet tout à l'heure ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous passons au vote sur les conclusions de la majorité de la commission, soit le dépôt sur le bureau du Grand Conseil.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 1849 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont rejetées par 56 non contre 31 oui et 1 abstention.
Mises aux voix, les conclusions de la minorité de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 1849 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 65 oui contre 20 non.