République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 14 novembre 2014 à 15h
1re législature - 1re année - 13e session - 82e séance
RD 1060
Débat
M. Christian Zaugg (EAG), rapporteur. Monsieur le président, chers collègues, compte tenu de l'actualité médiatique, j'attire votre attention sur la partie de mon rapport qui concerne le secret médical. On a pu lire dans la «Tribune de Genève» que le Conseil d'Etat, devant la levée de boucliers, étudierait un amendement qui serait bientôt soumis à la commission judiciaire et de la police. Soit, mais pour l'heure, nous n'en avons pas été saisis, nous n'en connaissons pas la teneur, et le projet de loi reste pendant devant la commission judiciaire et de la police. Il me semble donc utile de rappeler ici la position concordataire, c'est-à-dire celle des différents cantons romands.
Suite à l'événement tragique de la Pâquerette, des voix se sont élevées au sein des parlements cantonaux pour délier les médecins du secret médical pour toute information ayant trait au caractère dangereux d'une personne détenue. Ce sujet a fait l'objet d'intenses débats à la CIP, qui a décidé de prendre les choses en main et d'entendre le Dr Wolff, chef du service de médecine et psychiatrie pénitentiaires des HUG. La commission en a retenu que le secret médical ne relève pas d'une interdiction absolue et qu'un médecin, s'il a connaissance d'un danger pour autrui, peut en être délié. En cas de nécessité, il le fera de son propre chef ou pourra, dans les autres cas, faire appel à la commission du secret médical qui existe dans chaque canton sous des appellations diverses.
Néanmoins, la CIP a constaté qu'une restriction du secret médical risquait fort de s'avérer contre-productive. En effet, le lien qui unit le médecin et son patient constitue le fondement de toute relation thérapeutique. Si le législateur cantonal devait remettre en question ce principe, dixit la commission, cela pourrait compromettre le résultat des thérapies ainsi que la santé et la sécurité des personnes détenues, des codétenus ainsi que du personnel pénitentiaire. Plus grave encore, cela risquerait de priver le médecin traitant de l'accès à d'éventuelles informations que les détenus seraient tentés, par défiance, de garder pour eux. J'en terminerai par l'injonction de la commission interparlementaire, que je vous lis solennellement: «La CIP met en garde contre toute restriction du secret médical en matière pénale.» Dont acte.
M. François Baertschi (MCG). Une fois de plus, je suis choqué que l'on se préoccupe uniquement du secret médical des délinquants alors que celui de Monsieur et Madame tout-le-monde est violé en permanence par les assurances. Je vous conseille de visionner les excellentes émissions de «Temps présent», qui démontrent que les assureurs commettent un viol permanent, viol reconnu par les plus hautes instances juridiques du Tribunal fédéral. Cette situation est inacceptable, mais je n'entends personne s'insurger; je n'entends qu'un grand vide, une soumission au pouvoir des assureurs et au système. Les délinquants sont protégés et beaucoup mieux traités que Monsieur et Madame tout-le-monde, ce que je ne peux pas tolérer. Certes, il faut sans doute faire évoluer ces projets de lois et respecter le serment des médecins, de sorte qu'on ait quand même un minimum de garanties; c'est ce à quoi travaille le Conseil d'Etat, d'après ce qui nous a été dit. Mais je pense que si on veut un secret médical absolu pour les délinquants, Monsieur et Madame tout-le-monde, qui ne sont pas moins importants qu'eux, méritent au moins le même traitement. Je vous remercie.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, je m'étonne de l'intervention de mon préopinant. Certes, la question du secret médical est importante, et certes, les pratiques des assureurs sont peut-être discutables à l'encontre de personnes privées qui ont des litiges potentiels avec leurs assurances. Mais ici, quand M. Zaugg rappelle la problématique du secret médical des détenus, la question est en réalité de protéger les citoyens qui sont à l'extérieur pour le jour où ces criminels devraient sortir. Le plus grand risque, c'est que ces détenus cachent les pulsions qui les animent et que le jour où on les laisserait sortir de façon malheureusement trop légère, ils passent à l'acte. Voilà la problématique du secret médical que nous avons évoquée s'agissant du drame de la Pâquerette notamment, et je crois qu'il ne faut pas mélanger les problématiques. Ici, on est dans un cadre spécifique et nous voulons - en tout cas nous, socialistes, et je crois que M. Zaugg pour Ensemble à Gauche a le même souhait - protéger la population et pas simplement stigmatiser des différences sur la tenue et la portée du secret médical. Pour notre part, nous voulons protéger la population parce que nous sommes attachés à la sécurité des Genevoises et des Genevois.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs, je ne saurais que recommander l'usage d'un sonotone à M. Baertschi, qui prétend n'entendre qu'un grand silence. Je ne sais pas où il était quand toute une partie d'entre nous s'est élevée contre les caisses maladie et a essayé de trouver des alternatives à la question de leur pouvoir immodéré - nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'en débattre hier soir. Cela étant, il ne s'agit pas de favoriser les personnes délinquantes au détriment du reste de la population, il s'agit d'un principe fondamental, à savoir celui du secret médical. Si le secret médical pour les personnes qui ont commis un délit sautait, croyez-vous que le secret médical en général résisterait encore bien longtemps ? C'est un maillon qui saute, et ensuite la chaîne est évidemment affaiblie et ne pourrait que céder. Il y a donc une importance prépondérante à défendre le secret médical, précisément pour éviter que tout un chacun - et les caisses maladie notamment - puisse à un moment donné sauter par-dessus le secret médical. C'est pourquoi je vous encourage à suivre la position de M. Zaugg. Je vous remercie de votre attention.
M. Bertrand Buchs (PDC). Je ne vais pas revenir sur ce qui a été dit jusqu'à maintenant, mais je pense quand même que des choses inexactes ont été alléguées. S'agissant du secret médical pour vous et moi, c'est une bataille de tous les instants pour essayer de le défendre. Ce n'est pas évident, on essaie sans arrêt d'obtenir des renseignements, surtout pour des motifs financiers. C'est donc une bataille de tous les instants, et c'est ce qu'on a expliqué hier soir lors de la présentation de notre résolution pour séparer les assurances de base des privées: il s'agit vraiment de préserver ce secret médical qui est tous les jours remis en question et pour lequel nous devons nous battre, tout comme il faut se battre pour les autres secrets, à savoir celui des ecclésiastiques et des avocats. Le secret médical est valable pour tout le monde; ce n'est pas parce qu'une personne se trouve en prison qu'elle n'y a pas droit.
Maintenant, il y a un mythe que j'aimerais dénoncer ici, à savoir qu'il y aurait des secrets inavouables inscrits dans tous les dossiers des médecins. Il n'y a jamais rien dans les dossiers médicaux des médecins, ce n'est pas là qu'on trouvera les réponses à certaines choses. Le médecin défend simplement certains éléments confiés par son patient, notamment au niveau des maladies. Si vous êtes malade, vous n'aimeriez peut-être pas que tout le Grand Conseil connaisse votre maladie et sache ce qui s'est passé avec votre médecin. Je vous encourage donc à défendre mordicus le secret médical dans son ensemble et à y faire très attention, parce qu'il est vrai - et là, M. Baertschi a raison - qu'avec tous les moyens modernes à disposition, on a tendance à tout savoir sur tout le monde, et il faut se battre là-contre.
Mme Sarah Klopmann (Ve). Le secret médical de tout un chacun est violé par les assurances, oui, c'est un fait, mais pas que par les assurances. Beaucoup de processus et de procédés ne vont pas et ne protègent pas assez le secret médical. On le sait, on l'a déjà dit et on lutte là-contre aussi. Mais ici - et j'avais déjà eu l'occasion de le dire à M. Baertschi à la commission de la santé - on ne parle absolument pas de ça ! On est en train de parler d'ôter à une certaine partie de la population des droits importants, alors que ça ne sert à rien ! Ça ne sert à rien, à part tout faire pour ne pas soigner ces gens en vue d'une réinsertion réussie. Je rappelle qu'une réinsertion réussie, c'est un bénéfice pour toute la société. Oter à ces personnes qui ont besoin d'être soignées la possibilité de l'être, c'est une façon de les laisser en prison à vie, et cela ne respecte pas les droits humains; je sais que, contrairement à nous, vous n'en faites pas toujours cas, et c'est bien dommage que nous ne soyons pas tous d'accord là-dessus.
M. Thomas Bläsi (UDC). Chers collègues, j'aimerais tout d'abord dire que je pourrais être en accord avec les propos qu'a tenus M. Baertschi sur le secret médical et sa violation par les caisses maladie. Malheureusement, ce qui m'ennuie s'agissant de la suppression du secret médical pour les détenus dangereux, c'est qu'on part toujours de la même phrase: une réflexion suite au drame de la Pâquerette. Or un point a été admis par les deux rapports, à savoir que le secret médical n'a joué aucun rôle et n'a eu aucune incidence dans cette affaire. Alors quand le Conseil d'Etat mène une réflexion à partir d'éléments qui n'ont aucun rapport et qui ne sont pas probants, j'ai peur que cela ne mène pas très loin et risque de mettre en danger le secret médical pour notre population. Merci, Monsieur le président.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, puisque le débat sur le sujet prend une certaine ampleur, permettez-moi de vous faire part de la position qu'a adoptée jusqu'ici le Conseil d'Etat. Monsieur Bläsi, il est inutile de rappeler des évidences qui ont été admises dès le départ par le Conseil d'Etat: personne ne conteste que le drame de la Pâquerette ne soit pas lié à un problème de secret professionnel. Il a simplement été indiqué que ce drame a obligé l'Etat et notamment les départements de la santé - que je préside - et de la sécurité - que préside mon collègue M. Pierre Maudet - à réfléchir quant à l'insertion de l'unité de sociothérapie dite la Pâquerette jusqu'à ce drame dans le processus d'exécution des peines et mesures. A cet égard, nous avons mis tous les problèmes sur la table et réfléchi à la manière dont l'aspect thérapeutique devait s'insérer dans le cadre carcéral. Un rapport a été demandé à l'ancien conseiller d'Etat et avocat Bernard Ziegler, qui a mis en avant une lacune en relation avec le secret médical dans le cadre de notre ordre juridique, ce qui pouvait, nous a-t-il dit, constituer une entrave à la circulation d'une information pourtant nécessaire à la sécurité non seulement du personnel travaillant au sein de la prison mais aussi, de manière plus générale, de la collectivité. Il était donc responsable de la part du Conseil d'Etat de s'interroger sur la manière de se prémunir là-contre lorsqu'il s'agit de criminels dangereux condamnés - et je le répète ici une fois encore avec force, puisque j'entends de manière réitérée qu'il est question de délinquants ou de détenus. Les crimes sont les infractions les plus graves; il ne s'agit pas de simples détenus et encore moins de détenus en prévention, mais d'individus condamnés pour des crimes et que la justice reconnaît comme dangereux. Il est donc logique et normal que la société, avant qu'ils ne soient remis en liberté, se préoccupe de savoir s'ils représentent un risque pour la collectivité.
Certes, il y a un secret professionnel, mais l'article 321 du code pénal précise qu'il existe des exceptions: l'alinéa 3 de cette même disposition précise en effet que la législation fédérale ou cantonale peut décréter qu'il n'y a pas de violation du secret professionnel en général et médical en particulier lorsque des informations doivent être communiquées sur une base législative. C'est dans ce cadre qu'une loi a été proposée à votre parlement, qui a soulevé des réactions auxquelles le Conseil d'Etat n'a pas été insensible et qui vont mener au dépôt d'un amendement qui vient d'être finalisé ce jour. Cet amendement a d'ailleurs été, aujourd'hui encore avec l'accord de mon collègue Pierre Maudet, soumis à M. le procureur général en tant que président de la commission de gestion du pouvoir judiciaire, aux Hôpitaux universitaires de Genève ainsi qu'à l'Association des médecins du canton de Genève, avec lesquels nous avions déjà tenu des séances afin de déterminer de quelle manière il était possible de concilier ou de réconcilier deux intérêts à priori opposés, à savoir celui d'une nécessaire transmission de l'information dans un but de sécurité publique, et celui tout aussi nécessaire de la protection de la sphère privée dans le cadre de laquelle s'inscrit le secret médical. C'est précisément cette articulation difficile qui a été trouvée, du moins je le pense, mais qui devra évidemment être validée par votre parlement. Nous entendons vos préoccupations, mais vous devez aussi entendre celles du gouvernement, conscient et responsable à l'égard de la collectivité. Nous ne pouvons pas prendre le risque que des personnes soient remises en liberté alors même que l'on sait, dans le cadre de l'exécution d'une mesure, qu'elles présentent un risque de récidive, tout simplement parce que cette information n'aurait pas été transmise, au bénéfice du secret médical, par l'équipe thérapeutique à l'autorité chargée de prononcer l'élargissement de ce condamné.
Il existe deux catégories. Il y a d'abord les états de nécessité, que tout le monde peut comprendre: si un criminel qui va être libéré avoue à son thérapeute qu'il possède l'adresse de la personne responsable de sa condamnation et compte l'exécuter dès sa sortie, on peut imaginer une unanimité de ce parlement à considérer que nous sommes là dans une situation de nécessité, ce qui devrait permettre sans autre au thérapeute de se confier à l'autorité sécuritaire pour éviter ce drame. Il y a ensuite d'autres cas où l'autorité sécuritaire doit prendre des décisions à un moment précis de l'exécution de la peine ou de la mesure; pour cela, elle a besoin d'informations quant à l'évolution de la thérapie ordonnée par la justice. Là, nous considérons que, tout en respectant le secret professionnel, le médecin peut informer le condamné qu'il est l'objet d'une requête de l'autorité chargée de l'exécution de la peine ou de la mesure, lui demander s'il accepte qu'il réponde à cette requête - qui est souvent dans l'intérêt même du condamné - et, en cas d'opposition de celui-ci à ce que l'information soit communiquée, qu'il ne soit pas l'arbitre de ce conflit d'intérêts. Il faut que le problème soit alors transmis à une autorité extérieure à la relation de confiance qui doit exister entre thérapeute et patient, par exemple à la commission du secret, qui sera l'arbitre entre ces intérêts opposés pour décider si l'information doit être communiquée ou non. Dans ce sens, nous considérons, sous réserve de l'appréciation que vous en ferez, bien évidemment, que nous allons trouver le juste équilibre entre deux intérêts opposés. La société doit être protégée, vous en êtes tous conscients, et il serait irresponsable de la part du Conseil d'Etat de tout simplement considérer le secret professionnel comme absolu alors même que personne n'est dupe: lorsqu'un individu est condamné et que le juge a ordonné une mesure, il sait très bien que son interlocuteur, le thérapeute, est la personne qui, à un moment donné, va devoir se prononcer sur la réussite ou l'échec de la thérapie à laquelle sa mise en liberté a été subordonnée. Je crois que c'est vivre dans un autre monde que de penser que parce qu'il y aurait une obligation de transmettre l'information, ces condamnés ne se confieraient plus. Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que j'avais à dire. Le débat a été fourni, il l'a été largement dans les médias et le sera certainement encore. Vous savez que nous ne sommes pas le seul canton à nous prononcer sur cette question. Je me réjouis évidemment des débats qui auront lieu à la commission judiciaire sur ce sujet.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat.
Le Grand Conseil prend acte du rapport divers 1060.