République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 10 octobre 2014 à 15h
1re législature - 1re année - 12e session - 77e séance
P 1807-A
Débat
Le président. Nous passons à l'objet suivant, soit la P 1807-A. La rapporteure de majorité, Mme Aurélie Gavillet, est remplacée par Mme Salima Moyard, à qui je cède la parole.
Mme Salima Moyard (S), rapporteuse de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il est certains sujets qui reviennent de manière cyclique. Celui-ci était d'une brûlante actualité en 2011, puis en 2013, et l'est encore aujourd'hui. Cela dit, je ne sais pas si cela doit nous réjouir car il s'agit d'un dossier complexe et essentiel, à savoir la formation des enseignants secondaires à l'IUFE, l'Institut universitaire de formation des enseignants, qui pose déjà problème quelques années seulement après sa mise en place. En 2011, un travail en profondeur a été réalisé sur cette pétition par la commission de l'enseignement supérieur: sept séances, un grand nombre d'auditions - de l'université, bien sûr, mais aussi de l'association des étudiants qui a lancé ladite pétition - suivies d'un gel pour espérer une amélioration. Les travaux ont repris en 2013 avec les auditions complémentaires d'associations professionnelles, des étudiants et de l'université à nouveau.
Quels sont les griefs émis par les pétitionnaires à l'encontre de cet institut ? Citons, en vrac: manque de statuts bien définis du cursus universitaire, manque d'implication des professeurs ordinaires dans les cours, manque généralisé de communication tant avec l'association des étudiants que sur le site Internet - descriptifs des programmes, du contenu des cours, etc. - nombreux problèmes d'organisation, mainmise de la FAPSE sur la formation dans cet institut qui se devrait plutôt d'être interfacultaire, comme le spécifie d'ailleurs son règlement, problèmes d'adéquation et de qualité de l'enseignement fourni, mais surtout - et on arrive ici, au-delà de ce qui pourrait être considéré comme des erreurs de jeunesse, à un problème bien plus fondamental qui est malheureusement toujours actuel - impossibilité de terminer la formation par manque de places de stage au sein du DIP. A Genève, nous disposons de cette formation tout à fait intéressante et de grande qualité, qui comporte à la fois des cours à l'université et un poste sur le terrain, avec des heures d'enseignement. Cela demande une grande organisation, ce n'est pas toujours facile et, à l'époque - parce que cela a aussi changé depuis - il n'y avait toujours pas de reconnaissance fédérale du titre décerné. Depuis le 26 juin, je crois, c'est chose faite, mais à quel prix et pour combien de temps ? Les autres auditionnés ont à peu près tous reconnu les griefs en question. Une amélioration notable de certains points a été constatée, mais le problème principal que je soulevais quant au fait de terminer la formation n'avait toujours pas été résolu.
La position de la majorité de la commission que je vous expose ici est la suivante: il n'est pas question de s'immiscer, comme s'en inquiète le rapporteur de minorité, dans l'autonomie de l'université, mais de montrer, par un renvoi au Conseil d'Etat que je vous proposerai, le souci du Grand Conseil de proposer une formation de qualité pour les futurs enseignants. L'Etat est bien partie prenante de cette formation et à travers lui le DIP puisque, comme je vous l'ai dit, c'est lui qui organise quasiment la moitié de la formation des enseignants, l'autre moitié étant gérée par l'université. Il y a donc une vraie composante étatique dans cette formation, qui n'est pas uniquement du ressort de l'université. Néanmoins, il n'est pas question ici de lyncher - si vous me permettez l'expression - l'IUFE ni même de rejouer le match HEP-IUFE, comme le disait très joliment le député Saudan dans son rapport; il est plutôt de notre ressort d'entendre les citoyens, comme pour toute pétition, sur une problématique spécifique. Si le problème soulevé est légitime, ce qui est le cas ici, et qu'il n'est toujours pas réglé, ce qui est encore davantage le cas, alors il est de notre devoir de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Les petits problèmes de jeunesse ont certes été réglés, mais les nettement plus gros problèmes, de fond, ne le sont malheureusement pas, et il s'agit donc de retrouver une crédibilité pour la formation des enseignants secondaires: une formation universitaire, sur le terrain, rémunérée, en un mot une formation de qualité pour les enseignants qui formeront les adultes de demain. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous propose de renvoyer cette pétition ô combien d'actualité au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
M. Patrick Saudan (PLR), rapporteur de minorité. Tout d'abord, je félicite Mme Moyard parce qu'elle a très bien résumé l'excellent rapport de majorité fait en son temps par Aurélie Gavillet, qui est extrêmement synthétique et factuel. Comme l'a dit ma préopinante, cette pétition a été prise extrêmement au sérieux par la commission de l'enseignement supérieur puisqu'elle y a consacré sept séances durant les années 2011 à 2013. Ce qui est important - et c'est là que je veux en venir - c'est la méthode de travail de notre commission: suite aux premières auditions de ce qui s'appelait alors l'Association des futurs enseignants, qui avait exposé tous les griefs décrits par Mme Moyard, et de l'université, nous avions décidé de geler cette pétition, de laisser passer une année pour voir si des progrès allaient être effectués. Par la suite, nous avons conduit deux auditions supplémentaires de l'association qui a remplacé l'AFE, à savoir le Mouvement... je ne sais plus... ah oui, le Mouvement des étudiants de l'enseignement supérieur - excusez-moi, je peine avec ces acronymes qui changent ! Le MEES, donc, a décrit tout à fait honnêtement que de gros progrès avaient été réalisés pour tout ce qu'on pouvait imputer à des maladies de jeunesse, c'est-à-dire l'absence de descriptifs de cours, les problèmes de communication, la suppression de certains examens, etc. C'est vrai qu'il restait le problème de l'inadéquation des places de stage pour les étudiants et celui de la reconnaissance par la CDIP, mais ce dernier point n'est pas du ressort du Conseil d'Etat. Nous avons également entendu les syndicats - et c'est ça qui est intéressant - de la FAMCO et de l'UCESG, qui ont été globalement satisfaits du fonctionnement de l'IUFE et ont décerné un satisfecit par rapport aux progrès réalisés.
Oui, cette pétition soulevait de véritables problèmes, mais ils ont été en grande partie résolus. Tout comme certains autres membres de la commission, j'ai d'ailleurs été étonné de la tournure assez surréaliste prise par les débats en commission: tout le monde s'était accordé pour laisser passer une période afin de voir s'il y aurait des progrès, tout le monde a reconnu que la situation s'était améliorée, on a constaté ces progrès. Or deux problèmes demeuraient en exergue, à savoir la reconnaissance de la CDIP, qui n'était pas obtenue à l'époque mais ne relevait de toute façon pas de la compétence du Conseil d'Etat, ainsi que le manque de clarté dans l'attribution des stages et l'inadéquation de la demande et de l'offre. En fait, c'est le problème du principe de régulation des admissions à l'IUFE qui est posé; il faut savoir si on veut vivre dans une société qui dit que quand on prend des gens à l'IUFE, on leur garantit un emploi à vie. C'est un peu comme ça que je vois les choses. Par rapport aux progrès notables qui ont été réalisés, j'ai été personnellement étonné - mais je ne suis pas le seul - de la réaction de la commission qui, au lieu de les constater, a décidé de renvoyer tout de même cette pétition au Conseil d'Etat. S'agissant enfin du problème de l'autonomie de l'université, soyons clairs: je reconnais que l'IUFE - vous m'excuserez, Monsieur Barrillier - est une sorte de «joint venture» entre l'Etat et l'université et que l'Etat a son mot à dire, c'est très clair. Ce mot à dire, c'est le DIP. Mais quel est le rôle de notre commission de l'enseignement supérieur ? Devons-nous nous immiscer dans les programmes, dans la durée de formation à l'IUFE ? J'en suis nettement moins sûr. Il est vrai que je suis assez sensible à l'autonomie académique de l'université. Voilà pourquoi j'ai défendu, avec d'autres commissaires, le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie.
M. Jean Romain (PLR). Chers collègues, vous constatez que ma situation est assez difficile puisque je dois intervenir après un membre de mon parti. Or en commission, il faut le dire, le PLR n'était pas unanime dans une même vision. «Quelle mouche a piqué la commission ?» demande le rapporteur, mon ami Patrick Saudan. Ma foi, la mouche qui a compris que le coche qui s'en va son bonhomme de chemin transporte des problèmes internes qui sont légion. En effet, l'Institut universitaire de formation des enseignants est, dans sa structure, une vaste machine à perdre. Sa structure est une organisation pensée par des gens qui ont voulu confier à l'université, et uniquement à l'université, ce qui ressortit à un art et non à une science, à savoir le métier d'enseignant. Ce transfert d'un art vers cette pseudo-science que sont les sciences de l'éducation a engendré quantité de problèmes dont Mme le rapporteur de majorité a fait état et que le rapport mentionne en ses pages 8 à 13. «Quelle mouche a piqué la commission ?» demande mon ami le rapporteur. La mouche qui constate que les problèmes de stage pour les futurs profs tiennent de la magouille. Les stages sont importants, on vient de le dire, et même centraux puisque c'est d'eux que dépend la suite des études. Ainsi, certains étudiants, pour des raisons douteuses, se seraient vu attribuer leur stage salvateur alors qu'ils avaient échoué au concours d'admission. Inversement, d'autres étudiants qui, eux, avaient réussi leur examen d'entrée se sont vu refuser ces stages sans qu'on leur en donne la raison.
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Jean Romain. Vous avez dit magouille ? «Quelle mouche a piqué la commission ?» demande le rapporteur. Tout simplement la mouche qui prend acte que, depuis sa création en 2008, cet IUFE a fait l'objet d'incessantes critiques de la part des étudiants, du personnel administratif et technique soumis à d'inacceptables pressions - j'y reviendrai - et même de certains formateurs qui voient bien l'ampleur du problème.
Le président. Il faudra conclure, s'il vous plaît.
M. Jean Romain. Je vais conclure, Monsieur le président. Je me demande d'ailleurs si le rôle profond d'un parlementaire, comme c'est le cas pour chacun d'entre nous, chers collègues, dans cette enceinte, n'est pas justement de jouer la mouche du coche et de ne pas être le béni-oui-oui d'un système qu'on nous demande de protéger alors qu'il cumule les mécontentements, les obscurités, les erreurs, les copinages...
Le président. C'est terminé, Monsieur.
M. Jean Romain. C'est la raison pour laquelle - j'en termine, cher Monsieur le président - la majorité du PLR demande de renvoyer cette pétition pour qu'on entende les réponses du Conseil d'Etat et du département de l'instruction publique. Je vous remercie.
Mme Christina Meissner (UDC). Merci à la rapporteuse de majorité, qui a très fidèlement retranscrit le rapport écrit à l'époque par Mme Aurélie Gavillet et auquel l'UDC souscrit totalement. Je ne vais pas refaire tout l'historique qu'elle a fort bien résumé, mais quand même rappeler que le traitement de cette pétition date carrément de 2010, à l'époque où certains étudiants se faisaient déjà du souci quant à la manière dont étaient organisées les études. Ils ont finalement déposé cette pétition un an plus tard, et nous l'avons partiellement traitée en attendant l'éventuelle solution qu'apporterait l'IUFE à tous ces problèmes de jeunesse. Nous l'avons reprise en 2012 pour constater, en tout cas en ce qui concerne la majorité de la commission, que les problèmes étaient loin d'être réglés. Ainsi, quel hasard que de débattre aujourd'hui, alors que le rapport a été déposé en 2013 et que nous sommes en 2014, de l'Institut universitaire de formation des enseignants qui fait la une des journaux encore maintenant, des années après ! A l'évidence, les problèmes demeurent.
Alors que le rapporteur de minorité, je tiens à le citer, dit qu'il ne tient pas à relancer le débat sur un manque de places de stage ou la garantie d'emploi futur pour les étudiants de l'IUFE, ni celui, très éculé, des mérites et défauts du socio-constructivisme ou encore moins sur celui de la formation HEP, prétendument plus pratique, contre celle, plus universitaire, du modèle IUFE, je répondrai tout simplement que quand des problèmes perdurent, il est au contraire absolument nécessaire de relancer le débat et surtout de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat. Il est de notre devoir de nous soucier de ce qui se passe pour les étudiants de cet institut, car ce sont ceux-là même qui formeront ensuite nos enfants, ceux-là même qui, demain, devront trouver leur place dans la société. Le Grand Conseil doit donner un message. Je vois notre ministre de l'instruction publique dire oui. Oui, c'est à vous aussi, Madame Torracinta, de régler le problème. Nous avons le souci de la formation, et c'est le message qu'en tout cas l'UDC veut vous transmettre en renvoyant cette pétition au Conseil d'Etat.
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à Mme la députée Caroline Marti pour une minute et vingt secondes.
Mme Caroline Marti (S). Merci, Monsieur le président. Je ne vais pas revenir sur les différents griefs qui ont été émis à l'époque à l'encontre de l'IUFE mais plutôt me concentrer sur ceux qui viennent et sont venus s'ajouter récemment de la part des étudiants. On a notamment relevé dans la presse des critiques concernant le manque de transparence dans les critères de sélection des étudiants entre la première et la deuxième année, une remise en question de la pondération de ces différents critères mais également des erreurs dans le calcul des points des différents dossiers des élèves et, finalement, une difficulté à planifier ces études puisque certaines filières qui auraient dû être ouvertes ne l'ont pas été.
Le président. Il vous reste trente secondes.
Mme Caroline Marti. Aujourd'hui, ce ne sont donc plus des erreurs de jeunesse mais de véritables problèmes structurels qu'il nous faut résoudre impérativement. L'IUFE dysfonctionne, ce qui est particulièrement inquiétant puisque la qualité de la formation des enseignants influe incontestablement sur la qualité de l'enseignement public à Genève. C'est pour ces raisons...
Le président. Il vous faut conclure, s'il vous plaît.
Mme Caroline Marti. Oui, merci. C'est pour ces raisons et également parce que la conseillère d'Etat s'est montrée très à l'écoute de ces revendications et a affirmé sa détermination à apporter des solutions à cette problématique que nous vous recommandons le renvoi au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
M. Jean-Michel Bugnion (Ve). A la fin 2013 et au vu des dernières auditions menées par la commission, la situation de l'IUFE semblait avoir favorablement évolué. On pouvait lire qu'il y avait davantage de dialogue avec les étudiants, plus d'informations communiquées, un climat moins tendu, une amélioration dans l'organisation. A ce moment-là, les Verts soutenaient logiquement le rapport de minorité. Mais l'eau a coulé sous les ponts - et sur les tunnels - et l'été passé a remis l'institut au coeur de la tension et des interrogations. La reconnaissance fédérale est enfin arrivée, mais sous conditions; et surtout, le processus d'attribution des stages, on vous l'a dit, a déclenché un véritable tollé chez les étudiants et même au-delà, tollé qui montre bien qu'il y a des erreurs récurrentes au sein de cet institut. Enfin, la conseillère d'Etat a déjà marqué une position forte: c'est l'IUFE qui doit être au service de l'école et non l'inverse, comme c'était le cas jusqu'à présent. Dès lors, il apparaît pertinent que ce rapport soit renvoyé au Conseil d'Etat de façon qu'un point de situation soit établi puis communiqué aux députés. Les Verts rejoignent donc l'avis de renvoi au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
M. Jean-Luc Forni (PDC). Le parti démocrate-chrétien va soutenir le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat. En effet et comme l'a mentionné mon préopinant, si nous avions l'impression que les problèmes étaient moins aigus à l'IUFE, ce n'est plus le cas. J'en reviens un peu à mon intervention précédente concernant les patients chroniques: je crois que l'IUFE, sans aller jusqu'à affirmer qu'il pourrait être hospitalisé à Beau-Séjour, a malgré tout un problème de chronicité avec des accès aigus qui font régulièrement la une des journaux locaux. Mon préopinant les a cités, je ne vais pas y revenir, vous les connaissez tous. Or cela ne fait que renforcer la méfiance du parti démocrate-chrétien qui, depuis bien des années, est assez critique quant au rattachement de la formation des enseignants à l'université, en tout cas en ce qui concerne l'enseignement primaire. Cette préoccupation a d'ailleurs été reprise par une motion de notre collègue Jean Romain, qui est actuellement débattue en commission de l'enseignement supérieur.
Finalement, comme le relevait la commissaire dans la conclusion du rapport de majorité - et cela a été rappelé par mes préopinants - il convient d'avoir des instituts qui fonctionnent et forment de manière correcte les futurs enseignants qui, à leur tour, devront former des élèves. Cette préoccupation est partagée, je le crois, par notre conseillère d'Etat, qui a d'ailleurs affirmé dans la presse locale que l'organisation de cette formation était loin d'être satisfaisante et qu'elle souhaitait rapidement entamer une réflexion en vue d'une refonte probable du système. Cette experte opinion nous convainc qu'il est prudent de garder un oeil attentif sur ce dossier. Pour cette raison, le parti démocrate-chrétien soutiendra, comme je l'ai dit tout à l'heure, le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.
M. Jean-François Girardet (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le MCG n'est pas un adepte de la formation des enseignants en institut universitaire. Ainsi que nous l'avions déjà mentionné lors la création de l'IUFE, nous étions davantage favorables à une HEP et persisterons dans cette ligne de conduite. Les pétitionnaires soulignaient ceci - je cite - dans leur texte: «[...] plusieurs articles ont été publiés dans les journaux en 2010 et 2011 qui font part de ces questions qui sont réelles et toujours d'actualité en ce mois de septembre 2011, alors que la rentrée a déjà eu lieu ("Tribune de Genève", "Le Temps", "Le Courrier").» Ils disaient en 2011 que ces questions étaient toujours d'actualité ! Aujourd'hui, nous le savons et l'avons entendu: elles sont malheureusement encore et toujours d'actualité !
Les griefs exprimés par l'Association des futurs enseignants sont notamment les problèmes d'organisation de l'institut, la qualité de l'enseignement, le manque de places de stage qui s'attribuent on ne sait selon quels critères - on a même pu lire dans la presse que c'était parfois du copinage, voire des magouilles - ainsi que les problèmes de sélection à l'entrée. Ces critères ne sont pas du tout nets, ils sont souvent opaques et imprécis, voire partiaux et injustes. La crédibilité de la formation des enseignants du secondaire est donc remise en question. Nous remettons également en cause la crédibilité de l'institut et demandons au Conseil d'Etat de faire toute la lumière afin qu'il puisse convenablement former les enseignants au service de nos élèves. A ce sujet, nous appuierons également la motion de M. le député Jean Romain concernant la création d'une HEP complètement indépendante de l'université qui formerait des enseignants au service des élèves. Je vous remercie.
M. Rémy Pagani (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, pour notre groupe, il va de soi que dans son rôle de surveillance, ce parlement constate beaucoup de problèmes au sein de cet institut. Par conséquent, nous renverrons cette pétition à la conseillère d'Etat afin qu'elle y mette un peu d'ordre. Mais il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain, ainsi que certains ont pu l'exprimer en évoquant un retour à l'ancien système prétendument plus normatif, plus éduquant, plus pragmatique. Dans le cadre de la commission de l'enseignement supérieur, que j'ai l'honneur de présider, nous avons auditionné les deux étudiants ayant lancé la pétition; ils nous ont dit que, bien au contraire, la première année était une année d'ouverture d'esprit, de contacts importants, de tronc commun avec d'autres filières, ce qui leur permettait bien évidemment d'envisager leur profession et l'enseignement de leur branche avec passion mais également le monde sous un autre angle. De ce point de vue là, je ne pense pas, nous ne pensons pas que revenir au système précédent qui rassure certains soit la meilleure des façons de régler l'ensemble des problèmes énoncés ici. A l'inverse, nous pensons qu'un pas important a été fait ces dernières années. Il s'agit maintenant de régler des problèmes, si j'ose dire, «de jeunesse», entre guillemets, lesquels ont été identifiés tout au long des prises de position des uns et des autres, mais non pas, sous prétexte de remettre un peu d'ordre, de casser la baraque. Je vous remercie de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Bläsi, je vous passe la parole. Il vous reste une minute vingt-sept.
M. Thomas Bläsi (UDC). Merci, Monsieur le président, je serai très bref. Chers collègues, le groupe UDC se joint aux prises de position des différents groupes mais aimerait relativiser certaines choses. Si la lumière doit être faite sur le fonctionnement de l'IUFE, nous souhaiterions également que les interactions privé-public mises en place par le DIP soient éclaircies. J'aimerais attirer l'attention de mon collègue Pagani sur le fait que le texte dont nous parlons à l'heure actuelle concerne l'enseignement secondaire, et non le primaire. Avant d'envisager de transformer l'IUFE en HEP, le groupe UDC mettra toute sa puissance de travail au service d'un éclaircissement, afin que soit déterminé si l'IUFE est seul responsable de ces dysfonctionnements ou si, au contraire, ils ont été téléguidés. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mme Engelberts renonce à la parole, que je cède donc à Mme la conseillère d'Etat Anne Emery-Torracinta.
Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, pour une fois je vais vous répondre: avec grand plaisir ! Renvoyez-moi cette pétition afin que je puisse vous donner un certain nombre de réponses par écrit. Avant que je ne vous précise où nous en sommes actuellement dans l'avancement du dossier, peut-être quelques précisions qui me paraissent importantes: tout d'abord, nous ne parlons ici que de la formation des enseignants du secondaire. Ce que M. Pagani vient d'évoquer, la motion traitée en ce moment à la commission de l'enseignement supérieur, concerne la formation des maîtres du primaire. Or, pour ceux-ci, le département n'est pas confronté aux mêmes problématiques que dans le secondaire parce que nous n'avons pas de retours du terrain aussi importants. Quand, dans le secondaire, tout à la fois les étudiants de l'IUFE, les directions d'établissement, les directions générales, le Conseil d'Etat, les associations professionnelles d'enseignants, bref, tout le monde dit qu'il y a un problème, c'est qu'il y en a véritablement un !
Quant à la question HEP contre IUFE, je ne veux pas l'évacuer mais juste y revenir brièvement: il faut savoir, Mesdames et Messieurs les députés, que si la solution d'un institut universitaire a été choisie il y a quelques années, c'était essentiellement pour des raisons d'ordre financier. En effet, les HEP ne bénéficient malheureusement d'aucun soutien de la Confédération contrairement aux HES, qui se voient financer 30% du coût d'un étudiant; pour l'université, il s'agit de 20%. Du coup, quand le débat avait eu lieu à Genève il y a quelques années, le canton avait forcément vu l'intérêt de confier la formation des enseignants à l'université puisque les HES n'ont hélas pas cette vocation et qu'il n'existe pas de financement fédéral pour les HEP. Mais, dans le fond, ce n'était pas un choix réellement raisonné ni raisonnable. A titre personnel, je vous dirais que je comprends parfaitement que pour des enseignants du primaire, relativement jeunes et qui n'ont pas fait de hautes études, il faille passer par la case universitaire; en revanche, pour des personnes qui ont déjà fait cinq ans d'études voire plus - beaucoup de doctorants se lancent maintenant dans l'enseignement - il n'y a aucune raison d'avoir à tout prix une formation de type universitaire. Mais enfin, le choix a été fait, peu importe ! Ce n'est pas l'enveloppe ou le cadre qui est important, on peut aussi tirer de l'université des choses intéressantes. N'est-ce pas Mme Moyard qui a dit qu'il ne fallait pas jeter le bébé avec l'eau du bain ?
Je pense ainsi qu'on peut conserver le cadre actuel, mais en partant du principe que tout est à revoir et que le système de formation que nous avons connu jusqu'à cette rentrée scolaire ci est terminé. Dès la rentrée 2015, j'imagine que nous aurons autre chose en place. Pourquoi ? Parce que le péché originel du dispositif actuel, c'est d'avoir découplé la formation de l'emploi: voilà le premier problème. Dans le fond, jusqu'à récemment encore, pratiquement n'importe qui pouvait s'inscrire à l'IUFE et être formé une première année, qui est une année théorique; ensuite avait lieu la fameuse course au stage. Or, c'est complètement renverser les perspectives ! Le but du département n'est pas de former de futurs chômeurs ni de tromper les étudiants en leur disant: «Inscrivez-vous à l'institut, nous vous fournirons des stages et vous aurez une formation professionnelle.» Ce serait un mensonge, parce que nous ne pouvons tout simplement pas le faire, il n'y a pas suffisamment de places de stage disponibles. Cela signifie que si nous voulons régler la fameuse question des futurs stagiaires qui ne trouvent pas de stage, nous devrons le faire en inversant une nouvelle fois les perspectives et en revenant à un système qui a toujours existé à Genève, à savoir une formation liée à l'emploi. C'est ce qui se passe par exemple dans la formation professionnelle, ce que la CDIP reconnaît parfaitement: si vous êtes enseignant d'une branche professionnelle formé à Lausanne, il vous faut un emploi pour obtenir cette formation. Idem à la HEP Valais qui donne la priorité des formations, dans le secondaire par exemple, aux enseignants qui sont déjà sur le terrain, qui ont déjà un emploi. Il s'agit donc d'une chose tout à fait possible et sur laquelle nous allons travailler.
Un deuxième élément organisationnel a posé beaucoup de problèmes: cette année, par exemple, l'université se retrouvait avec cinquante candidats ayant reçu leur examen de biologie - ce qui est normal: puisqu'elle a un financement par tête d'étudiant, elle cherche à en avoir un maximum - pour seulement six places de stage disponibles dans le canton ! Il se trouve que seuls 41 d'entre eux ont cherché un stage mais il a quand même fallu établir des critères, forcément. Or là où le bât blesse, c'est que les critères étaient complètement à côté de la plaque: sur un total de maximum 90 points, 48 étaient dévolus à un entretien et, lors de celui-ci, on trouvait quatre types de questions comme : quelle est votre vision de la formation à Genève ? Excusez-moi, Mesdames et Messieurs les députés, on peut être brillant dans une vision conceptuelle de la formation mais absolument incapable de tenir une classe ou de passionner des élèves pour une branche ! Il y avait également des questions sur la formation elle-même du type: comment avez-vous vécu votre formation ? Des questions, donc, totalement éloignées des besoins du terrain ! Voilà pour les 48 premiers points. Ensuite, 12 points étaient consacrés à un examen de français. Personnellement, cela me pose déjà un certain nombre de problèmes: quand un candidat est par exemple au bénéfice d'une maîtrise en langue française, on peut s'étonner que l'Université de Genève lui fasse passer un examen de français... ou alors c'est que nous insinuons que l'université ne serait pas bonne ni capable de former des étudiants ! Cela me pose un certain nombre de problèmes, mais admettons qu'il faille un critère objectif et que l'examen de français puisse en constituer un. Il y avait toutefois des choses plus problématiques, comme les 12 points du dossier académique: on a découvert que des étudiants qui avaient fait un doctorat obtenaient seulement 6 points sur 12 au dossier académique ! Il me semble tout de même qu'un candidat avec un doctorat devrait obtenir le maximum de points pour le dossier académique, non ? Pour finir - tenez-vous bien ! - seuls 12 points sur 90 récompensaient le parcours professionnel et l'expérience dans l'enseignement ! J'ai lu des témoignages, dont certains sont d'ailleurs parus dans la «Tribune de Genève» - j'ai en effet reçu énormément de lettres, je crois ne jamais avoir reçu autant de courriers que ces derniers mois - par exemple celui d'un étudiant, futur stagiaire à l'IUFE, qui a été remplaçant dans une école pendant une année et travaille depuis deux ans dans un collège, avec une classe d'option spécifique biologie et chimie en dernière année de maturité: 6 points sur 12 lui avaient été octroyés pour l'expérience professionnelle ! Au bout du compte, il ne faut pas s'étonner que les critères de sélection ne soient pas forcément ceux qui correspondent aux besoins du département.
Le troisième élément concerne - je m'excuse, Monsieur le président, d'être un peu longue, mais je pense que le sujet a suffisamment fait la une de la presse pour qu'on prenne le temps d'en parler - la reconnaissance fédérale que nous venons d'obtenir au mois de juin dernier, avec cependant un certain nombre de conditions. L'une d'entre elles provient du fait que les enseignants du secondaire à Genève ont un statut unique regroupant cycle d'orientation et secondaire II, statut que nous souhaitons maintenir, le Conseil d'Etat s'y est engagé. Par conséquent, il y a également une formation unique. Ce n'est pas le cas ailleurs en Suisse: vous savez que dans un certain nombre de cantons, on imagine qu'enseigner au cycle est moins bien qu'enseigner au collège. Que nous dit la CDIP s'agissant de notre demande de reconnaissance ? Nous devrions nous assurer que tous les futurs enseignants aient eu suffisamment de temps de formation au collège de Genève. Mais comment faire si vous êtes par exemple en première année théorique et que vous cherchez un stage ? Vous n'aurez jamais réussi à faire suffisamment d'heures de stage au collège car il n'y a pas assez de places et qu'on a bien évidemment aussi besoin d'enseignants au cycle. Pour obtenir cet aspect de la reconnaissance, nous devons arriver à trouver un système d'ici décembre prochain. Or charger encore plus le bateau d'une formation déjà extrêmement lourde en ajoutant des heures de stage au collège à l'ensemble des candidats, quel que soit leur parcours, n'est pas une solution viable, et c'est pourquoi je n'ai pas attendu cet automne pour m'en préoccuper. Au printemps dernier, j'ai refusé de signer la convention sur la formation entre le DIP et l'IUFE - convention que nous signons tous les quatre ans - car j'estimais qu'il y avait beaucoup de choses à revoir. J'ai par ailleurs annoncé à l'université que je voulais revoir cette formation dès la rentrée scolaire, sans connaître d'ailleurs tous les couacs qui allaient se produire, les fameux couacs des étudiants qui ont fait recours. Là, c'est un peu l'hôpital qui se fiche de la charité: l'institut était tellement opaque qu'il donnait un classement aux étudiants sans leur communiquer leurs résultats, sans leur expliquer pourquoi ils avaient obtenu telle note ou tel point... En gros, il faisait exactement le contraire de ce qu'un bon enseignant doit faire, c'est-à-dire, quand il évalue, expliquer quels sont les critères et pourquoi un élève a obtenu telle ou telle note.
Le travail a déjà bien avancé au sein du département: à l'exception de l'université, j'ai formellement rencontré l'ensemble des partenaires, c'est-à-dire les associations d'enseignants ainsi que l'Association des futurs enseignants de l'IUFE, et eu les retours de terrain des directions d'établissement, tout ceci pour confirmer ce que je voyais déjà depuis longtemps, à savoir qu'il faut réformer le système. Je vais mandater très prochainement, dans les jours qui viennent, un groupe de travail qui devra faire des propositions d'ici début décembre, de façon à ce qu'on puisse adapter le système aux critères fédéraux et maintenir la reconnaissance. Des décisions seront prises d'ici fin décembre avec une entrée en vigueur en 2015, et nous verrons s'il y a lieu de prévoir une période transitoire avant des changements peut-être plus profonds. Mais je peux vous assurer que le dossier me préoccupe, je m'en suis saisie et je crois qu'avec l'accord de tous les partenaires, nous arriverons très vite à une solution. Je vous communiquerai dans un rapport écrit, probablement au printemps prochain, voire peut-être avant, les résultats de cette refonte. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, c'est le moment de voter sur les conclusions de la majorité de la commission, soit le renvoi au Conseil d'Etat.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission de l'enseignement supérieur (renvoi de la pétition 1807 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 82 oui et 2 abstentions.