République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 19 septembre 2014 à 15h
1re législature - 1re année - 11e session - 72e séance
M 2021-B et objet(s) lié(s)
Débat
M. Pierre Vanek (EAG). Ce rapport du Conseil d'Etat porte sur une pétition et une motion concernant l'application de l'article 160E de la constitution genevoise, remplacé par l'article 169, qui demande - j'en rappelle la teneur - que les autorités cantonales s'opposent par tous les moyens à leur disposition aux installations de centrales nucléaires, de dépôts de déchets radioactifs et d'usines de retraitement sur le territoire et au voisinage du canton.
Le point de cristallisation de la motion et de la pétition renvoyées au Conseil d'Etat portait sur l'opposition de celui-ci - opposition entreprise à travers un certain nombre de recours juridiques qui sont mentionnés dans le texte - à l'entreposage et au conditionnement de déchets nucléaires dans le Bugey. Le texte du rapport nous relate les épisodes de cette guérilla juridique et quelques-unes des difficultés rencontrées à ce propos. Tout cela est bel et bon, mais j'aimerais intervenir quand même sur un point: une des demandes de la motion, à mon avis, pose un problème, car le rapport n'y répond pas. La motion invite en effet le Conseil d'Etat à fournir régulièrement au Grand Conseil et à la population genevoise toutes les informations pertinentes s'agissant du respect de cette disposition constitutionnelle; concrètement, cela veut dire fournir en continu - mais cela peut se faire par des rapports trimestriels ou autre - des informations sur ce que le Conseil d'Etat entreprend pour mener la bataille juridique et politique nécessaire pour faire fermer les installations nucléaires qui se trouvent au voisinage du canton de Genève. Il y a une longue jurisprudence sur ce qu'est le voisinage, mais eu égard aux effets d'une catastrophe nucléaire possible, le voisinage du canton de Genève comprend pour le moins la centrale nucléaire du Bugey, par exemple, mais aussi la centrale nucléaire de Mühleberg, en Suisse, parce qu'il n'y a pas de raison que nos regards soient tournés exclusivement vers la France. On a pu lire dans «Le Matin» de cette semaine encore la découverte de nouvelles fissures dans la centrale nucléaire de Mühleberg, et les propos lénifiants et inquiétants de la conseillère fédérale Leuthard qui disait qu'il n'y avait pas de problème, qu'il suffisait de surveiller ça d'un peu près mais que l'exploitation pouvait pour l'instant continuer. Pour ma part, je ne me satisfais pas de ce rapport - même s'il est empreint d'une certaine bonne volonté - notamment quand il est dit que la veille nucléaire passe par l'application de l'accord international entre la Suisse et la France, le CFS, etc. Ce n'est pas ça, l'opposition demandée par l'article constitutionnel ! Ce n'est pas une collaboration, des échanges d'informations avec la France; c'est un engagement politique constant, fondé sur cette disposition constitutionnelle reconduite de manière légèrement modifiée dans la nouvelle constitution, et des mesures qui seraient prises par le Conseil d'Etat pour faire avancer le dossier d'une fermeture la plus rapide possible, immédiate même, de ces installations nucléaires qui nous menacent, même si on l'oublie ! Car on l'oublie, et ça conduit à des tragédies comme celles qui ont suivi Tchernobyl, dont on n'a pas tiré les conséquences, ou celle de Fukushima !
Par exemple, concrètement, Mesdames et Messieurs du Conseil d'Etat - enfin, Messieurs, puisque Madame est absente - on a pu lire, toutes ces dernières semaines, des développements inquiétants concernant Mühleberg et ses fissures accrues, avec les déclarations lénifiantes de l'autorité fédérale; là-dessus, par exemple, qu'avez-vous fait ou dit qui s'inscrive dans le respect de l'article 169 de la constitution genevoise ? De ce point de vue là, le rapport n'est pas satisfaisant. Nous voulons un dispositif de combat antinucléaire constant de la part du canton de Genève, à la hauteur de l'exemple historique rappelé dans la motion et dans la pétition - je crois - qui vous ont été renvoyées conjointement, le combat pour obtenir - et ça a été le cas, in fine ! - la fermeture et le démantèlement du surgénérateur de Creys-Malville, à 70 kilomètres dans cette direction-là ! (L'orateur désigne de la main la région où se trouve Creys-Malville.) Et je me rappelle en effet qu'au début de ce combat, dans cette enceinte, les gens disaient: «Ouh là là ! Il ne faut pas trop s'agiter parce qu'on obtient des informations en collaborant avec la France», etc. J'ai le souvenir d'une séance à la salle Nicolas-Bogueret, où nous étions venus amener une pétition Contratom et où le Conseil d'Etat nous avait reçus, et Jean-Philippe Maitre - paix à ses cendres - nous expliquait qu'il ne fallait pas trop s'agiter et que les relations internationales étaient du ressort de la Confédération, qu'on pouvait obtenir des informations... Mais on a simplement maintenu un degré de mobilisation politique croissant autour de cette question, ce qui a permis in fine de faire fermer ce prototype de réacteur nucléaire dangereux, menaçant l'ensemble de la région Rhône-Alpes. Je suis persuadé que nous pouvons jouer un rôle décisif pour faire fermer le réacteur nucléaire du Bugey, pour faire fermer la vieille casserole nucléaire de Mühleberg, et que nous devons le faire; c'est le sens de la disposition constitutionnelle inscrite dans l'article 169 ! Alors de ce point de vue là, quel que soit l'intérêt des informations qui nous sont livrées dans ce rapport, je suggère que celui-ci soit renvoyé au Conseil d'Etat pour le compléter d'un certain nombre d'engagements de sa part dans le sens que je viens d'évoquer, ce qui me semblerait plus conforme à la disposition constitutionnelle que ce qu'on lit pour le moment.
M. Florian Gander (MCG), député suppléant. J'aimerais juste rappeler à mon préopinant, qui n'était pas là lors de la dernière législature, que ce point a été étudié en commission de l'énergie, que nous avons auditionné des personnes venant de Berne et que ces personnes ont déjà mis en place un travail avec l'Allemagne qui, elle aussi, a des centrales nucléaires. Il y a déjà une vraie collaboration qui se fait, en tout cas entre Berne et la région suisse alémanique. Maintenant... (Remarque.)
Le président. S'il vous plaît, Monsieur Vanek !
M. Florian Gander. Si vous permettez, maintenant, en ce qui concerne la centrale du Bugey, je vous rappelle que l'information nous est parvenue par la presse, et c'est cela qui a donné lieu à cette motion venant des socialistes, motion que nous avons soutenue et sur laquelle nous avons travaillé en commission pour décider, justement, qu'il y ait une veille nucléaire qui se fasse avec la France, ainsi qu'un vrai travail de collaboration - on avait d'ailleurs même proposé un poste à 50% pour qu'une personne soit vraiment attribuée à cette veille nucléaire et tienne le canton informé. Or, on nous répond que ce n'est pas à nous de le faire, qu'on ne peut pas faire de l'ingérence avec la France ! Vous voulez une région franco-valdo-genevoise, mais en l'occurrence, on ne peut même pas intervenir car ça ne nous concernerait pas ! Nous avons voulu auditionner des personnes venant de France, notamment d'EDF, et elles n'ont même pas daigné nous répondre ! Mais ce qu'il faut savoir, c'est qu'avec cette centrale du Bugey, on se trouve dans une situation avec un risque identique à Fukushima - et ça, c'est Berne qui nous l'a confirmé ! Parce que cette centrale du Bugey se trouve justement à la base d'un barrage, et si demain malheureusement il devait y avoir un tremblement de terre dans la région, eh bien ce ne sont pas les petits déchets radioactifs qu'ils sont en train de planquer qui vont nous poser un problème, mais c'est la centrale elle-même ! Alors effectivement, on peut essayer de taper du poing sur la table autant qu'on veut, mais à notre niveau ce n'est qu'un coup d'épée dans l'eau ! Alors renvoyons cette motion au Conseil d'Etat s'il veut essayer de la compléter d'une autre manière, mais de toute façon c'est la Confédération qui doit intervenir là-dessus en collaboration avec les cantons, et malheureusement on ne peut pas faire grand-chose quand il ne s'agit pas de notre pays ! Je vous remercie.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, les socialistes avaient déposé cette motion, qui rejoint des préoccupations citoyennes émises sous forme de pétition, et c'est vrai que le canton de Genève a été attaché à montrer ses craintes face aux risques nucléaires dans la région. Je pense que la réponse du Conseil d'Etat va quand même dans la bonne direction, même s'il y a la problématique transfrontalière... (Remarque.) ...qui complique les possibilités d'action immédiate du Conseil d'Etat. Il n'empêche que, comme l'a dit mon préopinant M. Vanek, la question de l'information à la population genevoise et à ce Grand Conseil est primordiale. Ça ne doit pas rester le fruit d'échanges internationaux via Berne ou via la région, si on a enfin le moyen d'avoir des informations via la région; le Conseil d'Etat devrait s'engager à nous informer régulièrement sous forme de communiqué de presse - il peut le faire dans son point presse hebdomadaire - au moins une fois tous les six mois, ne serait-ce que pour nous dire qu'il ne se passe rien de nouveau, ou au contraire pour nous annoncer qu'il a pu entreprendre de nouvelles démarches. L'engagement du Conseil d'Etat serait peut-être de nature à rassurer mes préopinants d'Ensemble à Gauche.
Par ailleurs, je pense que dire qu'on ne peut rien faire n'est pas exact non plus: il y a des associations et des mouvements qui sont engagés du côté français, à l'époque il nous est arrivé de les soutenir - y compris financièrement - pour leur permettre de faire aboutir des recours, et Genève doit être proactive pour défendre sa population contre les risques nucléaires, qui peuvent s'avérer dramatiques en cas de catastrophe. Dans ce sens-là, le Conseil d'Etat doit en tout cas nous garantir qu'il va nous tenir informés, et ce n'est pas à nous de le solliciter régulièrement pour savoir où il en est sur ces démarches. Je pense qu'on peut éviter de renvoyer la motion, à ce stade en tout cas, au Conseil d'Etat, mais on doit avoir un engagement ferme de sa part sur le fait que nous serons tenus au courant.
M. Renaud Gautier (PLR). L'affaire est suffisamment rare pour qu'elle soit relevée ici: je partage totalement le point de vue du camarade Vanek, de même que celui de mon cher ami Roger. A une nuance près: il m'a l'air difficile de demander au Conseil d'Etat de faire plus qu'il n'en fait. Chacun sait que celui ou celle qui ne veut pas parler ne parlera pas. Imaginer que le Conseil d'Etat, sur un sujet qui relève objectivement de la politique nationale française et non pas de la politique locale, arrive à obtenir plus de renseignements autrement qu'en demandant poliment deux ou trois choses est une utopie. Par contre, je partage effectivement le point de vue qu'il faut être constant dans la pression - amicale et respectueuse ! - que par définition ce parlement met de temps à autre sur le Conseil d'Etat, de façon que celui-ci se rappelle que les Genevois ont voté de manière assez claire sur le problème du nucléaire, et qu'il serait bien vu que, dans le cadre des échanges du Grand Genève, on discute aussi de cet élément-là et pas seulement des problèmes de parking de l'autre côté de la frontière !
Présidence de M. Antoine Droin, président
Mme Lisa Mazzone (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, il me semble également que le Conseil d'Etat tient compte de la problématique et en tout cas répond de manière satisfaisante aux préoccupations des pétitionnaires et des motionnaires. Néanmoins, je pense qu'il est important de s'engager avec plus de fermeté et de vigueur dans la transition énergétique, car si l'on veut sortir du nucléaire - et le canton s'y engage déjà de par sa constitution - il faut aller de l'avant avec des projets ambitieux d'énergie renouvelable et avec une transition qui passe aussi par des économies d'énergie beaucoup plus importantes que celles réalisées jusqu'à maintenant. Et là, on peut relever le manque d'entrain par rapport à l'application de la loi sur l'énergie, avec la rénovation des bâtiments qui ne se réalise pas: je pense qu'au lieu d'ergoter sur cette problématique précise il s'agirait de travailler davantage et avec plus d'efficacité pour permettre la transition énergétique, avec en ligne de mire - mais c'est un objectif qu'on espère réaliser rapidement - la société à 2000 volts. Je vous remercie.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord de vous dire que le Conseil d'Etat applique la constitution, et qu'il le fait, je dirais, presque de manière permanente. Je suis chaque semaine appelé à signer des actes, à participer à des conférences nationales qui portent sur le tournant énergétique, et ce dernier est indispensable si l'on veut pouvoir se passer du nucléaire en Suisse. A chacune de ces conférences, à travers chacune de ces lettres, j'ai l'occasion de rappeler la position de Genève, officielle et constante depuis une vingtaine d'années, qui est celle de vouloir se passer entièrement d'énergie nucléaire. (Brouhaha.)
Alors le député Vanek nous dit qu'il ne faut pas simplement se concerter, argumenter, qu'il faut une position de combat, une position d'opposition. Certes, certes ! Nous l'avons aussi. Mais la constitution dit bien que le Conseil d'Etat doit employer tous les moyens qui sont à sa disposition. Et le recours est nécessaire mais non suffisant, Monsieur Vanek; la diversité des moyens fait que, parfois, la concertation et l'argumentation ont plus d'effet que la confrontation. Le Conseil d'Etat s'oppose au nucléaire par la négociation, par la concertation, mais - et ce débat nous enlève le communiqué de presse de la bouche, si je puis dire, car nous pensions annoncer cela tout soudain - il n'empêche que pas plus tard que la semaine passée, le Conseil d'Etat a décidé de recourir contre le dépôt des déchets nucléaires dans le Bugey. Une fois de plus, nous recourons avec très peu de chances de succès, nous le savons, et nous recourons main dans la main avec la Ville de Genève, qui partage nos positions là-dessus. Vous voyez donc que cette position de dialogue avec les autorités françaises ne nous empêche pas de mener des actions juridiques quand il le faut, mais on ne peut pas, aujourd'hui, préjuger de ce qui sera le moyen le plus efficace pour avancer.
Enfin, j'aimerais conclure sur les propos qui ont été ceux de la députée Lisa Mazzone: elle a parfaitement raison, Mesdames et Messieurs les députés ! Si l'on veut la fin du nucléaire, cela ne se fera pas à coups de recours ou de manifestations ! La fin du nucléaire arrivera quand nos sociétés pourront se passer de cette énergie; quand nous aurons fait les économies d'énergie nécessaires, tout en maintenant notre prospérité, pour nous passer de cette source extrêmement problématique en matière de sécurité et en matière de durabilité. Je suis de ceux qui pensent que la France est en train de sortir du nucléaire mais ne le sait pas encore. (Commentaires.) Le fait que le prix de l'énergie soit aussi bas, doublé du fait que construire une centrale nucléaire coûte aujourd'hui beaucoup plus cher qu'il y a vingt ou trente ans, a pour résultat que la France, avec son modèle économique et énergétique, n'arrivera pas à tourner en construisant de nouvelles centrales, et c'est exactement ce qui est en train de se passer. Donc nous devons, en Suisse, réussir notre tournant énergétique et fermer nos centrales d'ici 2030, et ensuite faire en sorte que la Suisse n'importe plus un seul électron nucléaire du reste de l'Europe. C'est ainsi que l'on pourra finalement tourner la page de l'histoire nucléaire de ce continent.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous fais voter le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport.
Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2021 et la pétition 1791 est adopté par 32 oui contre 28 non et 18 abstentions.
Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2021 et la pétition 1791 est donc refusé.