République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 28 mars 2014 à 8h
1re législature - 1re année - 6e session - 37e séance
PL 11060-A
Premier débat
Le président. Nous passons au PL 11060-A. Nous sommes en catégorie II, quarante minutes. Le rapporteur de majorité Michel Forni est remplacé par M. Bertrand Buchs, à qui je cède la parole.
M. Bertrand Buchs (PDC), rapporteur de majorité ad interim. Merci beaucoup, Monsieur le président. Je serai bref. Le peuple genevois a voté trois fois sur ce sujet. La loi est claire. Les exceptions dans la loi sont bien définies. La majorité de la commission vous propose de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG), rapporteuse de minorité. Je vais présenter le rapport de minorité. C'est un peu difficile vu la situation d'opposition et les votes qui ont eu lieu aux niveaux national et cantonal. Je ne vais pas paraphraser non plus l'ancien député Forni, qui a fait le rapport de majorité. Il a quand même cité Woody Allen, Alain Minc et... Qui faut-il encore citer d'autre ? (Remarque.) Ah oui, Illich aussi ! M. Ivan Illich avait quand même écrit «liberté et responsabilité», alors je vais démarrer avec ce sujet-là en disant que je comprends bien l'agacement de la commission de la santé. Je ne vais pas cacher que ce que nous avons voulu montrer dans ce rapport de minorité - qui me semble important - c'est un peu la discussion que nous avions hier par rapport aux artisans. Bien sûr qu'on ne souhaite pas que l'ensemble des dérogations se multiplient, même si elles existent déjà à Genève. Nous voudrions que la constitution - car c'est un projet de nature constitutionnelle - puisse reconnaître que pour certains artisans, pour un certain type de population et de commerçants, il serait souhaitable qu'on puisse élargir un peu le champ des exceptions afin d'avoir un espace fumeurs. Ce de la même manière qu'on le fait dans les hôpitaux ou qu'on a pu le faire dans les prisons. Cela nous paraît un minimum, puisqu'on doit aussi respecter une majorité ou une minorité de personnes qui fument. Voilà les raisons de ce projet de loi. On ne va pas revenir sur le respect de la liberté individuelle. Ce que nous ne voulons pas... Je ne pense pas que ce projet de loi ait comme objectif d'institutionnaliser l'exception. Non, il doit y avoir une règle pour quelques exceptions, mais que celles-ci soient plus claires. Il faut préserver les petits commerces, un certain artisanat, parce que vous n'êtes pas sans connaître le fait qu'il y a eu beaucoup de personnes lésées - spécialement les petits artisans - dans ce domaine-là. Il faut bien sûr respecter les différents votes, mais on doit aussi respecter les minorités. Je ne suis pas toujours très objective, étant moi-même fumeuse - je préfère en effet le dire avant que le médecin en face de moi ne me le reproche ! Mais autant on respecte les espaces non-fumeurs, autant il faudrait rendre compte de plus d'exceptions et les déclarer à un niveau institutionnel. Voilà. C'est la seule chose que nous voulions dire par rapport à cela.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme la députée Magali Orsini.
Mme Magali Orsini. Non, je renonce, Monsieur le président, merci beaucoup.
Le président. Très bien, Madame. La parole est à M. le député Patrick Saudan.
M. Patrick Saudan (PLR). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe PLR ne va pas entrer en matière sur ce projet de loi constitutionnelle pour trois raisons assez simples. La première, c'est qu'il y a déjà des exceptions prévues à l'article 4 de la LIF et qu'elles nous paraissent amplement suffisantes. Deuxièmement, il faut savoir que même la société des cafetiers ne demande pas une nouvelle loi, ce qui est, je crois, un fait assez important. Enfin, le peuple genevois s'est exprimé très clairement - à près de 80% - dans la lutte contre le tabagisme passif. Nous pensons que refaire voter le peuple genevois relève quasiment d'un acharnement qui ne nous paraît pas opportun, voire même un peu abusif au niveau démocratique. Je vous remercie.
M. Jean-Luc Forni (PDC). Le groupe PDC va également recommander le refus de l'entrée en matière sur ce projet de loi. Je ne vais pas citer les propos du rapporteur de majorité quant aux «penseurs sulfureux» ou aux «sirènes de la persévérance». Mon collègue Patrick Saudan l'a déjà dit. La messe a été dite et redite. A trois reprises, le peuple s'est prononcé contre l'autorisation de fumer dans les lieux publics et a approuvé cette inversion de la norme qui consiste à ne plus fumer dans les lieux publics. Toutes les exceptions ont été prévues dans cette enceinte même, par la volonté du Grand Conseil. Je me permets quand même de m'étonner que l'on pense à sauver les petits commerces par des techniques qui sont plutôt dignes du marketing de l'industrie du tabac, alors que la mission des autorités - on l'a entendu hier lors du débat sur les boulangeries - consisterait plutôt à promouvoir les produits locaux et la consommation locale, donc à promouvoir la qualité des prestations des petits commerces. Je m'étonne aussi - cela n'a pas été cité aujourd'hui mais on le lit dans les rapports - que l'on pense qu'il s'agit d'une bonne occasion pour les jeunes de pouvoir se réunir autour d'une clope - disons-le ainsi - dans les lieux publics. Encore une fois, notre responsabilité vis-à-vis de la jeunesse est ailleurs, et nous avons mieux à faire pour promouvoir son avenir et sa prospérité. Pour toutes ces considérations, Mesdames et Messieurs, je vous rappelle que le groupe PDC vous conseille de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
Présidence de M. Eric Stauffer, deuxième vice-président
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Pascal Spuhler.
M. Pascal Spuhler (MCG). Merci, Monsieur le président...
Une voix. Deuxième vice-président ! (Rires.)
M. Pascal Spuhler. Mesdames et Messieurs, le projet de loi qui vous a été proposé et qui a malheureusement été refusé par une très large majorité de la commission est simplement un petit ajustement, qui permet des exceptions dans la loi, tout comme le permet la loi fédérale, Mesdames et Messieurs ! C'est vrai, Monsieur Buchs, que la population a voté trois fois sur ce sujet. On a dit non trois fois... Enfin non, deux fois en fait - et il faut le rappeler - à cause d'une bêtise administrative. Il faut le reconnaître. Mais il y a quand même à peu près 40% de gens qui fument, dont un grand nombre dans cette assemblée. D'ailleurs, beaucoup d'entre eux se sont mis au vapotage, parce qu'à défaut d'autre chose, il faut bien faire passer le temps ! On se retrouve face à une situation, depuis que cette votation a eu lieu - sauf erreur en 2010 ou peut-être avant, je ne sais plus très bien - qui devient scabreuse, surtout dans les périodes où les températures se mettent à monter, puisque la population fumeuse s'installe à l'extérieur des établissements publics, fume, discute, boit et profite du bon temps. Evidemment, il y a une augmentation des incivilités, parce que le nombre de fumeurs à l'extérieur provoque un brouhaha. Depuis un certain nombre d'années, nous avons tous été sollicités à moult reprises quant à cet engrenage d'incivilités, que ce soit par des pétitions, des propositions de motions ou des projets de lois. Mesdames et Messieurs, il y a eu un effet collatéral imprévu à cette loi anti-fumée, à savoir les incivilités, le cumul d'incivilités. Je comprends bien que les médecins ou les pharmaciens disent qu'il ne faut pas laisser ces exceptions. Mais le problème, c'est que tous ceux qui s'occupent des lois, tous ceux qui s'occupent de la sécurité, tous ceux qui s'occupent de la population et tous ceux qui ont conscience de cette problématique disent... Par pitié, Mesdames et Messieurs, réfléchissez un peu ! La loi fédérale nous permet cette petite exception. Petite exception qui est à choix du commerçant, qui ne sera pas une obligation. Certains établissements de quartier de moins de 80 m2 pourraient utiliser le droit d'être fumeurs. Vous savez très bien que ce ne sont pas les bistrots de quartier qui sont des bistrots familiaux où on va manger avec les enfants ! On ne parle pas des McDonald's ! On parle des petits bistrots de quartier. (Commentaires.) Soyez juste conscients que si vous votez ce projet de loi, vous ne ferez pas de dégâts collatéraux avec la fumée. Non, Mesdames et Messieurs ! Et je vois M. Rielle qui sourit et qui a sûrement beaucoup de choses à dire... (Commentaires.) Je parle du petit patron d'un bistrot de quartier de moins de 80 m2, qui pourrait le rendre fumeur et accueillir sa clientèle habituelle venant boire un verre, lire le journal et passer un moment tranquille sans polluer qui que ce soit. Mesdames et Messieurs, cette exception serait de toute façon à définir par le Conseil d'Etat, parce qu'on parle bien de modifier la constitution et d'admettre qu'il peut y avoir des exceptions. On pourrait même être plus restrictifs, à la rigueur. Je dis bien que le but n'est pas...
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. Pascal Spuhler. ...d'abuser de cette exception, mais de permettre quelques exceptions. Aujourd'hui, il y a encore une exception qui est tolérée, à savoir les fumoirs dans les grands établissements. Ceux qui auraient voulu étudier ce projet de loi auraient pu aller voir le SCom et constater qu'il y a eu énormément de demandes et très peu de résultats. C'est quasiment...
Le président. C'est terminé, Monsieur le député.
M. Pascal Spuhler. ...incompatible avec toutes les règles en vigueur. Je finis, Monsieur le président ! C'est un sujet très important, Monsieur le président, c'est important ! C'est quasiment incompatible avec toutes les règles...
Le président. Merci. La parole est à M. le député Christian Frey.
M. Christian Frey (S). Mesdames et Messieurs, l'interdiction de fumer dans les lieux publics est maintenant entrée dans les moeurs à la satisfaction de tout le monde, et même des fumeurs, je crois ! J'ai beaucoup d'amis fumeurs qui me disent que c'est extraordinaire, qu'ils respirent mieux, qu'ils mangent mieux, qu'ils savourent enfin, que les papilles gustatives sont à la fête. Même les fumeurs ne souhaiteraient pas revenir en arrière. Ce projet de loi nous propose d'ancrer les exceptions dans la constitution. Une fois que ces exceptions seront entrées dans la constitution, on aura des débats sans fin pour savoir si c'est une exception digne de ce nom ou pas. De toute manière, pour les petits commerçants, ce n'est pas un argument marketing, parce qu'il y a beaucoup de gens - et pas seulement moi - qui n'entreraient pas dans une échoppe d'un petit artisan où c'est complètement enfumé. Non, Mesdames et Messieurs, le groupe socialiste vous propose de refuser clairement l'entrée en matière sur ce projet de loi rétrograde. C'est un combat d'arrière-garde qui n'amène rien de plus et qu'il s'agit de refuser clairement. D'ailleurs, je me permets une petite remarque personnelle qui n'est pas directement en lien avec ce que nous discutons maintenant. Il y aurait peut-être encore autre chose. J'ai cru lire dans un communiqué de presse que, dans les établissements de l'administration cantonale, le vapotage était interdit. Il s'agirait peut-être que le bureau de ce Conseil se prononce une fois pour savoir si, dans ces salles, le vapotage a droit d'exister ou non. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Mme Sarah Klopmann (Ve). Ce projet de loi est finalement assez cocasse. Je ne vais même pas entrer sur le fond de la question de savoir s'il faut fumer dans les lieux publics. Mais quand je lis que le titre du projet de loi est «Fumée passive: respecter la volonté populaire en protégeant les petits commerces familiaux» alors qu'il ne respecte justement pas la volonté populaire et protège tout sauf les petits commerces, je m'étonne. Que cela plaise ou non, la loi sur la fumée passive a été plébiscitée par le peuple. Demander de l'assouplir au nom du respect de la volonté populaire, c'est quand même assez paradoxal. Le rapport de minorité - il me semble que la rapporteuse l'a redit tout à l'heure - essaie de justifier cela par le fait que, quand on a voté la loi, on nous a dit qu'il y aurait des dérogations. Effectivement, on nous a dit qu'il y aurait des dérogations. Ces dérogations sont des fumoirs - cela a été rappelé tout à l'heure par M. Spuhler - et il y a beaucoup de demandes pour ces fumoirs. Mais mettre un fumoir dans un établissement public, ça prend beaucoup de place et surtout ça demande beaucoup d'argent. Ce ne sont surtout pas les petits commerces familiaux qui vont pouvoir le faire. Ces exceptions ne vont donc absolument pas à la rescousse des petits établissements de restauration ou de boisson. Ensuite, on nous explique que... Excusez-moi ! Ce projet de loi prévoit juste un article qui précise: «Des exceptions peuvent être prévues par la loi.» Or on n'est pas du tout en train de créer une exception spéciale pour un établissement qui, éventuellement ou hypothétiquement, aurait pu perdre de la clientèle avec cette loi. Je rappelle au passage que tout le monde est sur un pied d'égalité; je ne vois donc pas pourquoi un établissement serait plus péjoré qu'un autre. Mais c'est surtout la porte ouverte à l'arbitraire ! Mentionner que des exceptions peuvent être prévues par la loi, c'est joli, mais c'est déjà le cas. Dans la loi d'application, les exceptions sont prévues. De plus, cela inscrit dans la constitution le fait qu'on peut, à tout moment et sur n'importe quelle loi, se donner le droit de faire des exceptions sans aucune raison. La cible est donc manquée. J'ai également expliqué pourquoi cela ne préservait absolument pas le petit commerce. Par contre, si je peux retirer un élément positif de ce projet de loi, c'est que le MCG a maintenant envie de défendre le petit commerce. J'en suis très contente et je le garde bien en mémoire... (Exclamations. Chahut. Le président agite la cloche. L'oratrice rit.) Je le garde bien en mémoire pour vous le rappeler !
Une voix. Monsieur le président ! (Brouhaha. Chahut.)
Le président. Chut, s'il vous plaît ! Madame la députée, poursuivez.
Une voix. Elle peut pas poursuivre ! (Brouhaha.)
Le président. Madame la députée, poursuivez ! (Brouhaha. Chahut.) Poursuivez, Madame la députée.
Mme Sarah Klopmann. Votre impartialité me laisse sans voix, Monsieur ! Je voulais préciser que j'allais garder en mémoire le fait que les membres du MCG veulent soutenir le petit commerce et que je saurai le leur rappeler quand ils invoqueront à tort et à travers la soi-disant concurrence déloyale qui empêche de prendre des mesures justement pour préserver le petit commerce. Les Verts ne souhaitent pas entrer en matière sur ce projet de loi, par respect pour la volonté populaire, par respect pour la santé publique, et aussi par respect pour les travailleurs et travailleuses qui ne sont pas moins importants lorsqu'ils travaillent dans un petit établissement, ceci en reprécisant que les exceptions sont déjà prévues. Je vous remercie.
M. Jacques Béné (PLR). Monsieur le président... (Des députés entonnent une chanson. L'orateur rit. Le président agite la cloche.)
Le président. S'il vous plaît ! On laisse l'orateur s'exprimer, merci. (Rires. Commentaires.) Poursuivez, Monsieur le député.
M. Jacques Béné. Je vous remercie, Monsieur le président. J'aimerais relever deux éléments. Tout d'abord, la société des cafetiers n'a pas été auditionnée à la commission de la santé. Son président, M. Terlinchamp, est venu plusieurs fois devant la commission de la santé et a clairement dit: «C'est fini, c'est terminé. Le peuple a voté. Je veux bien revenir tant que vous voulez devant la commission de la santé, mais c'est fait, on était contre.» Le PLR était passablement divisé sur cette problématique. La situation est ainsi. Il n'y a effectivement pas de demande spécifique de la société des cafetiers. Tout le monde s'est habitué à cette nouvelle philosophie. Sur le site internet de la «Tribune de Genève» d'aujourd'hui, il y a un article qui relève que plusieurs études ont été menées et ont démontré que le taux de naissances prématurées avait diminué de 10% suite à l'interdiction de fumer. C'est exactement la même diminution pour l'hospitalisation des enfants à cause de problèmes d'asthme. D'une certaine manière, avec l'évolution constatée ces dernières années, on ne peut que dire que c'est plutôt positif. Comme cela a également été relevé, il y a des fumeurs qui sont plutôt satisfaits de cette situation. Je ne vais pas dire que c'est un débat rétrograde. Je pense que c'est un débat qui vaut toujours la peine d'avoir lieu, mais la majorité de la population a décidé. Et c'est une très grande majorité de la population qui a décidé. Je pense qu'il faut effectivement respecter ce choix-là. Je vous remercie.
M. Michel Amaudruz (UDC). Monsieur le président, je suis assez content parce que vous et moi partageons le même vice. Jusque-là, tout va très bien.
Des voix. Lequel ? (Rires.)
M. Michel Amaudruz. Notamment celui-là ! J'ai entendu, Monsieur le président, sur votre banc là-bas, quelqu'un qui disait que la population s'en était fort bien accommodée. Quel gros mensonge, Monsieur ! Quelle contre-vérité ! Je vais vous raconter une petite histoire. Vous avez une route cantonale qui sépare les cantons de Soleure et d'Argovie. Il y a un bistrot dans le canton de Soleure et un autre, juste en face, dans le canton d'Argovie. Résultat de l'application différente des lois cantonales en dérogation de la réglementation fédérale ? Le bistrot de Soleure est vide, celui d'Argovie plein à craquer ! Vous avez dit que nous nous en accommodions fort bien. Il est une chose qui est fondamentale, c'est la convivialité. Et cette convivialité, vous la retrouvez dans les petits bistrots. Vous avez ce qu'on appelle outre-Sarine le «Stammtisch», c'est là où on va tirer sur son «Stumpf», c'est là où on échange des propos et où on vit dans la bonne humeur. Il y a une convivialité qui est certaine, et je trouve que cet esprit-là doit être maintenu. Si vous descendez le matin dans des petits bistrots de Carouge et alentours, autrefois les gens venaient papoter, échanger des idées. Aujourd'hui, ils se dépêchent de déglutir un café et ils foutent le camp. Vous tuez une convivialité fondamentalement nécessaire à notre vie ! Il y a une loi fédérale, parce que les Suisses sont pleins de bon sens. Mais évidemment, certains considéreront que Genève se rattache déjà à Annemasse. Les Genevois n'ont pas voulu suivre cet esprit de tolérance fédérale. Genève est le canton de Suisse le plus rigoureux en matière de fumée. Une très grande partie des gens fume, et je crois que cette minorité doit être respectée. Vouloir les priver de petits endroits conviviaux, qui répondent à un besoin social, c'est absurde. Vous voulez faire renaître un esprit de Calvin totalement dépassé. D'ailleurs, d'une façon générale, ne croyez pas que les gens sont tellement contents de cette nouvelle loi ! Si vous allez dans n'importe quel restaurant, vous pouvez constater qu'après avoir mangé, ils se dépêchent de partir en ne prenant même plus leur café. Vouloir absolument imposer à une grande minorité une règle qui se voudrait de salut public, c'est aller beaucoup trop loin. Allez dans le canton de Berne, vous verrez ! Partout, devant les bistrots, il est indiqué: «Ici, on fume dans la liberté.» Or ici, on veut nous l'interdire ! Laissez aux petits commerçants le droit d'accueillir la population qui veut vivre dans une tolérance sociale bénéfique à chacun. Je regrette ce rigorisme qui, pour moi, déshonore Genève. Vous me direz que les Français, par exemple - puisqu'il y a tellement d'admiration pour la France - ont contourné l'événement en créant, sur la voie publique, des systèmes de terrasses...
Présidence de M. Antoine Droin, président
Le président. Il vous reste vingt secondes.
M. Michel Amaudruz. Je m'excuse, je voudrais bien fumer une cigarette, Monsieur le président ! Puisqu'il ne me reste plus que vingt secondes, je cède le micro. Vous m'avez compris.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Renaud Gautier, à qui il reste une minute et quatre secondes.
M. Renaud Gautier (PLR). Merci, Monsieur le président, de votre générosité. Je dois dire qu'il y a des moments assez savoureux dans ce parlement, et en particulier lorsque les tenants de l'UDC - et pas des moindres - s'avèrent somme toute presque plus révolutionnaires que le reste de ce parlement ! J'ai apprécié les propos de M. Amaudruz - puisque je partage son vice et celui de M. Stauffer - mais je voudrais juste faire une petite remarque. On ne peut évidemment pas lutter contre une pensée dominante, mais je rends quand même les uns et les autres attentifs au fait que cette volonté d'hygiénisme poussé très loin a en elle-même un certain nombre de dangers, dans la mesure où la normalisation de ce qui va être accepté par chacun d'entre nous... Un écrivain anglais a beaucoup écrit là-dessus. L'un de ses livres les plus connus, c'est «1984» !
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Roger Deneys pour une minute dix.
M. Roger Deneys (S). Merci, Monsieur le président. Je dois dire que je suis quand même un peu surpris par le contenu des deux dernières interventions, à savoir une sorte d'appel à la liberté en laissant les gens torailler à tort et à travers partout dans la république et les établissements publics. (Exclamations. Brouhaha.)
Le président. Chut !
M. Roger Deneys. Je crois qu'aujourd'hui, on peut vouloir la liberté individuelle et en même temps garantir la santé publique. Il ne faut pas oublier qu'il y a encore quelques années, l'industrie du tabac niait catégoriquement les effets nocifs et mortels du tabac. Aujourd'hui, en entretenant ce mythe de la liberté et en dénonçant un combat hygiéniste, vous êtes simplement les complices des marchands de mort que sont les fabricants de cigarettes ! (Protestations. Le président agite la cloche.)
Le président. Chut ! S'il vous plaît !
M. Roger Deneys. Je trouve que, pour des députés visant à servir le bien de la république...
Le président. Il vous faut conclure, s'il vous plaît.
M. Roger Deneys. ...votre attitude n'est pas responsable pour les générations futures.
Le président. Je passe la parole à M. Marc Falquet pour cinq secondes.
M. Marc Falquet (UDC). Merci, Monsieur le président. Je voulais juste dire que les fumeurs ne sont pas peu nombreux, puisque la voirie ramasse un million de mégots par jour...
Le président. Voilà, c'est terminé. Merci, Monsieur. La parole est à M. le député Jean-Luc Forni, à qui il reste une minute cinquante.
M. Jean-Luc Forni (PDC). Merci, Monsieur le président, ce sera suffisant. J'aimerais simplement rappeler que la liberté existe, mais il faut savoir jusqu'où elle va. Finalement, la liberté, c'est aussi la liberté des autres que de ne pas souffrir des méfaits du tabac. Les études sortent actuellement, on montre les bénéfices sur la santé publique en termes de diminution des infarctus. Je vous laisse aussi apprécier ce que cela coûte à notre collectivité en termes de santé publique. Cela apparaît aussi sur la santé de nos enfants. Tout le monde peut toujours fumer, mais dans sa sphère privée, sans incommoder les autres. Je crois que dans ce cas-là, la liberté de chacun est garantie. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole aux deux rapporteurs. Puis, nous voterons. La parole est à Mme Marie-Thérèse Engelberts, à qui il reste une minute dix.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG), rapporteuse de minorité. Monsieur le président, je pense que quand on craint l'arbitraire, on risque de devenir très dogmatique. Ce que nous avons demandé est quelque chose d'assez restrictif. Par rapport à la constitution ou à des lois, on peut admettre qu'il y ait une partie qui soit une forme de liberté, justement pour ne pas tomber dans l'arbitraire. Finalement, ce sont nos aînés qui nous montrent comment apprendre une certaine forme de tolérance. Je trouve qu'il y a maintenant une espèce de dogmatisme par rapport à la fumée qui devient vraiment gênant. Pourquoi n'a-t-on pas la même attitude par rapport aux personnes qui boivent trop - personnellement, je trouve cela très dérangeant... (Commentaires.) ...ou par rapport à ceux qui se bâfrent ? (Commentaires. Le président agite la cloche.) Finalement, l'obésité et les rondeurs excessives, c'est aussi très très agaçant ! Quand on dit que la liberté des uns... (Brouhaha.)
Le président. Un peu de silence, s'il vous plaît !
Mme Marie-Thérèse Engelberts. ...commence par celle des autres, oui ! Là, on se réfère à Sartre, mais moi j'ai plutôt l'impression qu'on est dans un huis clos, et c'est fort dommage.
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. le rapporteur de majorité pour trois minutes.
M. Bertrand Buchs (PDC), rapporteur de majorité ad interim. Merci beaucoup, Monsieur le président. Ayant quelques rondeurs, j'espère ne pas avoir trop agacé la rapporteuse de minorité ! Je crois qu'il faut revenir à l'essentiel. L'essentiel, c'est que, pour la majorité, on ne met pas d'exceptions dans la constitution. La constitution n'est pas le lieu pour mettre des exceptions à la loi. Il aurait mieux valu proposer une nouvelle loi qu'une révision de la constitution. En tant que médecin, je ne suis pas quelqu'un qui va culpabiliser les fumeurs. Je n'ai jamais culpabilisé mes patients parce qu'ils fumaient. Je crois que la liberté individuelle, c'est d'avertir les gens des risques qu'ils courent. Une fois qu'ils ont pris ces risques, ils les assument. Je rejoins là M. Gautier: ce n'est pas à la société de définir des règles absolues à suivre. Les gens sont des adultes et doivent être absolument conscients et responsables de ce qu'ils font. Par contre, dans ce cas précis, on ne parle pas des fumeurs, mais justement des gens qui ne fument pas. La population a décidé qu'une fois pour toutes, il ne pourrait plus y avoir de fumée passive. Il est sûr qu'on peut discuter en ce qui concerne certains types de commerces. Mais la loi a clairement dit qu'il n'y a plus de fumée passive et qu'on respecte les gens qui ne fument pas, qui représentent quand même une majorité. On ne va pas remettre en question une loi qui a été votée de façon importante par le peuple. Je pense que la situation va peut-être changer au niveau de la fumée, même si cela reste à discuter - et ce sera discuté dans les associations - parce qu'on tient probablement la première substitution à la cigarette qui fonctionne, à savoir le vapotage. Nous avons un grand espoir qu'on diminue drastiquement la fumée, puisque le fumeur qui a besoin d'avoir quelque chose dans la main va pouvoir vapoter et probablement - mais ce n'est pas sûr - le faire avec beaucoup plus de sécurité pour sa santé. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Nous allons maintenant voter sur l'entrée en matière de ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 11060 est rejeté en premier débat par 49 non contre 30 oui et 9 abstentions.