Séance du jeudi 1 décembre 2011 à 20h30
57e législature - 3e année - 2e session - 7e séance

M 2014
Proposition de motion de Mmes et MM. Mauro Poggia, Roger Golay, Pascal Spuhler, Jean-François Girardet, Sandro Pistis, Florian Gander, Jean-Marie Voumard, Henry Rappaz, Dominique Rolle, Thierry Cerutti, André Python, Marc Falquet, Patrick Lussi, Eric Bertinat, Christo Ivanov, Marie-Thérèse Engelberts pour un Centre cantonal d'expertises médicales, seul garant de la compétence et de l'indépendance des experts

Débat

Le président. Nous sommes maintenant au point 27, traité en catégorie III: trois minutes par intervenant. La parole est à M. le motionnaire Mauro Poggia.

M. Mauro Poggia (MCG). Je vous remercie, Monsieur le président. Chers collègues, cette proposition de motion n'a pas de coloration politique, car personne n'a évidemment intérêt... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...à ce que la loi ne soit pas appliquée ou à ce qu'elle le soit mal. Vous le savez, toutes les assurances de personnes exigent, lorsque l'assuré fait appel aux prestations de l'assureur, la mise en oeuvre d'un avis médical. Vous le savez aussi, les centres d'expertises fleurissent un peu partout en Suisse et sont particulièrement lucratifs, avec un Office fédéral des assurances sociales qui rémunère grassement ces experts pour toutes les assurances sociales, notamment l'assurance-invalidité. Les expertises sont rémunérées, je le souligne, 9000 F chacune; vous imaginez qu'il y a dans ces domaines, assurance-invalidité ou assurance-accident obligatoire, beaucoup d'argent à gagner, et très vite les convoitises sont apparues.

Encore récemment, dans le cadre d'un dossier que j'avais à gérer et dans lequel la SUVA avait mis en oeuvre une expertise, j'avais demandé - quoi de plus naturel ? - le curriculum des experts mandatés, qui étaient au nombre de trois. Nous n'avons évidemment rien contre les experts étrangers, mais tous les trois étaient étrangers, domiciliés à l'étranger: l'un à Gaillard, l'autre à Besançon et le troisième à Paris. On imagine volontiers que, à 3000 francs suisses chacun, le marché est particulièrement lucratif. Si ce n'était que lucratif, le mal serait moindre. Mais parce qu'il est lucratif, évidemment, il corrompt les esprits. Car cette prétendue indépendance, que l'on attribue à ces experts mandatés par les assurances, n'est qu'un leurre ! Ils sont certainement indépendants sur le plan hiérarchique, puisqu'ils appartiennent à des structures juridiquement distinctes, mais ils ne sont évidemment pas indépendants sur le plan économique. Et ils savent très bien que l'alimentation du bureau d'expertises auquel ils appartiennent dépendra de la fiabilité des expertises qu'ils rendront. Comprenez par «fiabilité» la soumission qu'ils auront à l'égard des assureurs qui les mandatent et qui les rémunèrent.

Tout cela aboutit à des conséquences évidemment choquantes, puisque des assurés qui auraient droit à des prestations, pour lesquelles ils ont payé des cotisations lorsqu'il s'agit d'assurances sociales ou des primes pour des assurances privées, ne reçoivent pas ce qui leur revient de droit ! Ils sont ainsi rejetés à l'assurance-chômage, puis, en fin de chômage, à l'assistance publique. Et c'est finalement le canton, donc vous et moi, qui doit assumer ces assurés.

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. Mauro Poggia. Je termine, Monsieur le président. Il est donc important de mettre en oeuvre un bureau d'expertises qui ne soit pas financé par l'Etat, mais contrôlé par ce dernier, dans lequel les experts qui interviendront signeront une charte déontologique par laquelle ils s'engagent à ne pas travailler par d'autres intermédiaires que par ce bureau d'expertises. C'est un sujet qui mérite d'être examiné en commission, raison pour laquelle je vous suggère de transmettre cette proposition de motion à la commission de la santé, et non pas à la commission des affaires sociales, car il s'agit avant tout d'un problème de santé en général et de déontologie médicale.

M. Pierre Conne (R). Chers collègues, je préciserai simplement que nous avons accepté le traitement en urgence pour un renvoi sans débat en commission. Cela nous permettrait, comme cela n'est pas un sujet conflictuel, d'accélérer l'examen de notre ordre du jour.

Le président. Merci, Monsieur le député. Malheureusement, nous ne pouvons pas le faire, puisqu'il s'agit d'une proposition de motion et qu'elle doit trouver une issue. (Remarque. Commentaires.) Evidemment que si les députés ne prennent pas la parole, nous allons voter immédiatement ! (Commentaires.) La parole est à M. Bertrand Buchs.

M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Il est vrai que l'on avait demandé le traitement sans débat, donc je ne prendrai pas la parole sur ce sujet.

Des voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le député. Madame Esther Hartmann, prenez-vous la même voie ? (Mme Esther Hartmann acquiesce.) Oui. Je vous remercie. Monsieur le député Christian Dandrès ?

M. Christian Dandrès (S). Merci, Monsieur le président. Je m'exprimerai quand même quelques minutes - certes, je vois le temps avancer... (Exclamations.) J'aimerais avoir la possibilité de m'exprimer...

Le président. Pas plus de trois minutes, Monsieur le député !

M. Christian Dandrès. Très bien, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il faut rappeler que, chaque année, plusieurs centaines de nos concitoyens font l'expérience de la logique qui prévaut dans le domaine des assurances privées et sociales. Ces assurés doivent se soumettre à un véritable parcours d'obstacles qui met à mal des principes élémentaires d'objectivité... (Brouhaha.) Monsieur le président, je crois que l'assemblée se disperse un peu. (Commentaires.) Non, ce n'est pas... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Je poursuis, Monsieur le président.

Le président. Je vous en prie !

M. Christian Dandrès. Merci. Mesdames et Messieurs les députés, la chasse aux abus qui sert d'étendard à certains partis ne justifie en rien le carcan administratif et judiciaire auquel doivent faire face les assurés de notre pays. La proposition de motion en a présenté un certain nombre, notamment celui selon lequel l'expert qui serait payé par l'assureur serait objectif tandis que celui qui est mandaté par l'assuré ferait preuve d'une forme de sensiblerie que l'on pourrait qualifier de coupable... Comme l'a indiqué M. Poggia, ce principe est un mythe ! Que la pratique dément !

Pour vous le prouver, j'aimerais vous raconter une affaire, laquelle a été tranchée par nos tribunaux. En 2009, un psychiatre qui était responsable d'une clinique privée a été sanctionné par l'autorité de surveillance des médecins. Il lui a été reproché alors d'avoir adopté un comportement professionnel incorrect à l'égard de personnes qu'il devait expertiser. Or cette attitude a bénéficié aux assureurs, qui n'ont pas manqué d'utiliser ces expertises, partiales, pour priver les assurés de leurs droits. La décision de sanction n'indique pas qui, en fait, garantissait la viabilité financière de la clinique, mais elle indique tout de même que plusieurs centaines d'expertises étaient commandées chaque année par des assurances et par, notamment, l'office AI.

Vous conviendrez, Mesdames et Messieurs les députés, que cette manne n'est pas négligeable et qu'elle suffit à fonder des doutes assez importants sur la réelle indépendance des experts qui travaillent dans ces cliniques privées. Il n'est pas tolérable que le sort de plusieurs centaines voire plusieurs milliers d'assurés soit laissé à la merci de telles pratiques !

C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, les socialistes soutiennent cette proposition de motion qui mérite toute notre attention, et soutiennent naturellement son renvoi à la commission de la santé pour que nous puissions effectivement creuser le problème. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Patrick Lussi (UDC). Puisqu'il a été décidé que cette proposition de motion allait en commission, je n'ajouterai rien. Le groupe UDC soutiendra le renvoi de cet objet en commission.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je rappelle à ce parlement que le renvoi sans débat ne s'applique qu'aux projets de lois et que, en ce qui concerne les propositions de motions, il s'agit d'un «gentlemen's agreement»... (Remarque.) Libre à chaque député de le respecter ou de ne pas le respecter. (Brouhaha. Le président agite la cloche. Remarque.) Monsieur Jeannerat, vous avez épuisé votre temps de parole. Mesdames et Messieurs les députés, nous nous prononçons sur le renvoi de cette proposition de motion à la commission de la santé.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2014 à la commission de la santé est adopté par 70 oui et 1 abstention.