Séance du
jeudi 24 mars 2011 à
17h
57e
législature -
2e
année -
6e
session -
37e
séance
PL 10494-A
Premier débat
Le président. Pour autant que les rapporteures appuient sur le petit bouton devant elles, je leur passe volontiers la parole. Je cède donc le micro à Mme la députée Patricia Läser, rapporteure de majorité.
Présidence de M. Pierre Losio, premier vice-président
Mme Patricia Läser (R), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi - présenté par ses auteurs comme une réparation à une injustice criante, à une inégalité de traitement, comme un correcteur d'effets néfastes pour les pays en voie de développement - est contré par la majorité pour plusieurs raisons.
Genève est d'abord le canton le plus pointilleux, avec une procédure très stricte qui comporte plusieurs variantes. C'est toujours la version la plus favorable à notre canton qui est choisie pour accorder un forfait d'impôt. Un suivi est assuré par l'administration, et une réévaluation est possible à tout moment.
Ces décisions d'abrogation des forfaits fiscaux doivent être prises, s'il y a lieu, au niveau national, comme le dit si bien Mme la rapporteure de deuxième minorité.
Le peuple genevois a voté, en septembre 2009, la nouvelle loi fiscale dans laquelle sont compris les forfaits fiscaux. Ce sont nos voisins directs qui tireraient profit des départs des bénéficiaires si ces forfaits étaient abrogés. N'oublions pas que les bénéficiaires de ces forfaits fiscaux paient des impôts successoraux, ce qui n'est pas le cas des contribuables ordinaires.
Pour le PS: n'oubliez pas le nombre de places de travail générées par les bénéficiaires. De plus, l'argent engrangé par Genève est important et permet de soutenir bien des actions sociales sur le canton. N'oublions pas non plus l'impact important de ces forfaits sur les communes.
Pour toutes ces raisons, je vous demande de refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi, comme le suggère la majorité.
Le président. Je vous remercie, Madame le rapporteur. Je donne la parole à la rapporteure de première minorité, Mme Lydia Schneider Hausser.
Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de première minorité. Merci, Monsieur le président. L'imposition selon la dépense est née au début du XXe siècle avec l'arrivée des riches Anglais. Pendant longtemps, cet impôt ne s'appliquait qu'à un nombre très restreint de personnes. Depuis quelques décennies, le nombre d'adeptes du forfait fiscal a enflé pour arriver actuellement à 4570 en Suisse, dont 647 à Genève, qui se situe à la troisième place du palmarès intercantonal.
Les socialistes, dans ce projet de loi, visent et demandent l'abrogation de ce forfait fiscal en étalant celle-ci dans le temps.
Pourquoi les socialistes demandent-ils l'abrogation de ce forfait fiscal ? D'abord parce qu'il représente l'un des trois piliers de la fraude fiscale internationale, les deux autres étant l'imposition réduite des sociétés de domicile et la distinction floue entre fraude et évasion fiscales.
Ensuite, le forfait fiscal avantage les étrangers qui cherchent à se soustraire à leurs devoirs fiscaux dans leur pays d'origine, voire qui tentent de trouver un lieu avantageux pour faire prospérer leur fortune. En effet, les bénéficiaires du forfait fiscal ne sont que des gens inactifs.
En troisième lieu, au travers du mécanisme de forfait fiscal, nous maintenons de nombreux pays en voie de développement dans une situation de sous-développement en attirant chez nous les riches de ces pays, qui se soustraient ainsi à leur devoir de contribuable dans leur propre pays. Il est estimé que le montant des soustractions fiscales par les forfaits et d'autres genres de procédés représente en tout cas vingt fois les budgets d'aide au développement que nous pouvons fournir et que nous fournissons à ces pays en voie de développement.
Ensuite, le forfait fiscal déséquilibre également la fiscalité des pays européens. Ces derniers vivent entre eux, face à nous, le même genre de concurrence que les cantons suisses eux-mêmes se font en termes de fiscalité générale.
Le forfait fiscal nuit aussi à l'image de la Suisse, de Genève et de sa place financière, voire de sa gestion publique. Rappelons qu'en 2009 le canton de Zurich a annulé ses forfaits fiscaux. Et alors ? Eh bien, dans un premier temps, bien sûr, une partie des gens qui bénéficiaient des forfaits ont quitté le canton, mais quand on entend les commentaires des responsables des villages zurichois... Ils disent qu'ils ont bien sûr perdu des contribuables qui vivaient sous le régime des forfaits, mais ce n'est pas la panique, parce que ces contribuables ont été remplacés par d'autres qui ont repris les biens immobiliers. Et ces nouveaux contribuables sont des contribuables actifs qui paient des impôts. Ce n'est donc pas une perte aussi nette que ce qu'on pense, c'est peut-être même un bénéfice; simplement, nous n'avons pas encore le recul nécessaire pour avoir les chiffres. (Brouhaha.)
Il me faut vous dire que la proposition socialiste n'est pas isolée en Suisse. Actuellement, Saint-Gall, Berne, Lucerne, Schaffhouse, Argovie, Thurgovie, Glaris et même Bâle-Ville sont en train de discuter, de voir s'il est possible d'abolir ces forfaits fiscaux. La Confédération elle-même a maintenant proposé une harmonisation des barèmes cantonaux de forfaits fiscaux, en disant par exemple que le seuil de dépense minimal doit être calculé sur sept fois le loyer et non plus cinq fois.
Tout tend à dire que l'imposition selon la dépense, le forfait fiscal, est passéiste, injuste, et que l'image qu'il donne de notre canton est négative. Personne ne peut actuellement préjuger que, si nous l'abolissons, nous ne retrouverons pas des gens actifs et surtout des contribuables qui paient leurs impôts de manière juste, comme tout un chacun dans la population genevoise.
Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, le groupe socialiste réitère sa demande et vous prie d'accepter son projet de loi.
Le président. Merci, Madame le rapporteur. La parole est à la rapporteure de deuxième minorité, Mme Mathilde Captyn.
Mme Mathilde Captyn (Ve), rapporteuse de deuxième minorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, les Verts ont déposé un rapport de deuxième minorité sur les forfaits fiscaux car notre position diffère sensiblement de la première minorité. Nous partageons bien sûr l'avis de principe qu'il faut supprimer les forfaits d'impôts à Genève. C'est d'ailleurs un élément inscrit dans notre programme de législature, c'est dire si nous estimons que les forfaits fiscaux ne sont pas justes. (Remarque.) Après avoir écouté l'audition de la Déclaration de Berne - il n'y a pas encore de «mais» - il faut dire que nous avons été tout à fait convaincus par leurs arguments.
Sur le fond, nous sommes opposés aux forfaits fiscaux car nous estimons que ce n'est pas acceptable de favoriser des riches étrangers dont la principale motivation est souvent de se soustraire à leur devoir de solidarité fiscale. De nombreux pays du Sud et des pays de l'est de l'Europe, notamment, sont privés de recettes fiscales qui leur permettraient d'investir de manière bien plus importante dans le sens de l'intérêt de leur population. Nous estimons que cette voie d'imposition constitue une concurrence fiscale internationale déloyale, en d'autres termes, un exemple assez clair de dumping fiscal.
S'agissant de ce que rapportent les forfaits fiscaux à Genève, eh bien il faut avouer que c'est là où les choses se compliquent. Le canton de Genève a compté 640 forfaitaires en 2008 pour un total de 66 millions de francs, sans compter les retours des impôts de succession. On peut se demander si ces recettes sont incontournables. La majorité de ce parlement, qui est en faveur du maintien de ce mode inique de perception fiscale, pense que, sans doute, ces recettes sont incontournables. Mais là, les Verts disent clairement qu'au vu du contexte actuel ce n'est pas le cas.
Nous préférerions donc que la Confédération règle le problème des forfaits fiscaux. Une solution fédérale aurait l'avantage d'être similaire pour les cantons qui bénéficient de forfaits fiscaux et permettrait notamment des délais identiques.
Quoi qu'il en soit, nous vous engageons à accepter l'entrée en matière sur ce projet de loi qui a le mérite de la sincérité.
M. Jacques Jeannerat (R). Mesdames et Messieurs les députés, les forfaits fiscaux font souvent l'objet d'arguments erronés, tant dans la presse que dans le rapport de minorité qu'on trouve à double exemplaire. Il n'est donc pas inutile de rappeler quelques éléments à propos de ces forfaits.
Pour bénéficier d'un forfait fiscal, l'étranger ne doit pas exercer d'activité lucrative dans notre pays. Il est imposé selon une estimation de ses dépenses et s'acquitte par ailleurs d'impôts à l'étranger, là où se situent ses biens et/ou son activité. Pour sa part, le résident actif en Suisse sera imposé en totalité dans notre pays. Nul besoin d'être fiscaliste pour comprendre qu'à situations fiscales distinctes, impositions différentes.
Le bon sens commande d'être sensible aux quelque 65 millions d'impôts directs que versent ces forfaitaires à Genève. Chacun des 600 contribuables imposés selon la dépense à Genève verse donc environ 120 000 F d'impôts par année en moyenne. A cela s'ajoutent, comme l'a précisé la rapporteure de majorité tout à l'heure, les impôts de succession; en effet, les personnes imposées au forfait sont, elles, assujetties à cet impôt.
Enfin, mettre la pénurie de logement sur le compte de ces 600 forfaitaires établis à Genève - parce qu'on l'a lu dans la presse dernièrement - c'est un peu une farce face aux 5000 personnes qui arrivent chaque année dans la région. Une abolition des forfaits fiscaux serait à l'évidence plus problématique pour les contribuables genevois, qui devraient compenser par leurs impôts le départ de ces excellents contributeurs, que pour les intéressés eux-mêmes, qui s'établiraient sous des cieux fiscaux beaucoup plus cléments.
En conséquence, le groupe radical refusera ce projet de loi.
Une voix. Bravo !
M. Michel Forni (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, la fiscalité est un outil qu'il faut mobiliser avec doigté. Et nous avons bien entendu ce soir le discours de notre ministre des finances: lorsqu'on manie les leviers de la fiscalité, la prudence est visiblement de rigueur afin de ne pas casser des recettes, creuser des déséquilibres et surtout fragiliser notre économie.
Il est vrai que, ces derniers temps - il faut s'en souvenir - un certain désarmement fiscal s'est opéré, souhaitable pour certains moralement, nécessaire pour d'autres économiquement. Pensez aux successions, pensez également aux rabais fiscaux et pensez aussi à M. Laurent Fabius qui disait, en été 2010, que l'abaissement des impôts, ça prépare l'avenir.
Ce soir nous parlons d'une forme d'abattement d'un impôt particulier sur la fortune, qui génère actuellement par son action - il faut le dire - des rentrées fiscales importantes. Il est vrai que l'image, pour certains moralisateurs, est douteuse, mais souvenez-vous de M. Talleyrand: «Quand je me regarde, je m'inquiète; quand je me compare, je me rassure.» (Rires.)
Il paraît dès lors à certains peut-être très injuste, même scandaleux, que cette taxation - suffisante pour d'autres - équilibre nos comptes et, finalement - pour d'autres encore - oublie de participer à un environnement international où il y a les purs, les vrais, les bons, les moins mauvais.
D'autre part, j'ai été très intéressé par l'interprétation de la situation zurichoise - dont on n'a pas encore tout à fait les chiffres - qu'a faite la rapporteure de minorité. Visiblement, nous n'avons pas les mêmes sources, ou alors c'est un problème de traduction. Pour nous, ce qui ressort à Zurich, c'est actuellement plutôt négatif.
Le PDC est toujours très attentif à ces grandes manoeuvres visant à corriger en théorie la suprématie d'un discours social qui permet à certains de revenir sur les rentrées fiscales et qui, finalement, arrive toujours à des questions d'endettement.
Nous avons retenu deux éléments. D'abord, actuellement, nous pouvons nous attendre à ce qu'on appelle un effet contracyclique, c'est-à-dire qui vient contrecarrer le cycle économique, qui relance l'activité quand elle ralentit et qui, d'autre part, la freine lorsque la croissance s'emballe. C'est-à-dire que ceux qui ne sont pas contents et qui ont de l'argent peuvent partir à ce moment. En croyant à cette logique, nous nous permettons de soutenir le rapport de majorité et vous proposons de refuser catégoriquement ce projet.
Présidence de M. Renaud Gautier, président
Le président. Merci, Monsieur le député. Le Bureau a décidé de clore la liste. Pourront encore s'exprimer: Mmes et MM. les députés Forster Carbonnier, Florey, Golay, Ivanov, Jornot, Dandrès, Poggia, Jeanneret, Bolay, Deneys et enfin, bien évidemment, M. le conseiller d'Etat. La parole est à Mme la députée Sophie Forster Carbonnier.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, par principe, les Verts sont opposés aux forfaits fiscaux, comme l'a indiqué la rapporteure de minorité, Mme Captyn. Pour les Verts, ces forfaits fiscaux accordés aux étrangers représentent une injustice envers les contribuables suisses. En effet, les citoyens suisses sont tenus, eux, de déclarer leurs revenus au centime près et ils sont imposés sur l'ensemble de leurs revenus. Nous estimons aussi qu'il n'est pas correct d'aider de riches étrangers à se soustraire à leur devoir fiscal et nous considérons cette concurrence fiscale comme déloyale. De plus, cette forme de taxation prive de ressources financières les pays dont les ressortissants sont au bénéfice de forfaits fiscaux.
Les forfaits fiscaux ne sont donc pas acceptables d'un point de vue éthique. Cette vision semble d'ailleurs de plus en plus partagée en Suisse puisque, comme cela a déjà été mentionné, Zurich a aboli par vote populaire les forfaits fiscaux. Les Verts sont cependant de l'avis que l'abolition des forfaits fiscaux ne doit pas se décider à Genève mais se régler au niveau fédéral. Il convient en effet que tous les cantons concernés se mettent d'accord sur la manière de procéder.
Les Verts demandent donc au Conseil d'Etat de poursuivre les discussions engagées en la matière par la Conférence des directeurs cantonaux des finances. Afin de l'y inciter un peu plus efficacement, les Verts soutiendront ce projet de loi.
M. Stéphane Florey (UDC). Si Genève veut rester compétitif, ne serait-ce que par rapport au canton de Vaud, il est important qu'il maintienne ses forfaits fiscaux. Zurich les a abolis, Zurich s'en mord les doigts. En effet, il a vu bon nombre de ces bénéficiaires déserter ce canton au profit des cantons voisins et, par là même, ses rentrées fiscales fortement diminuer.
Il ne faut pas oublier que les forfaitaires contribuent aux impôts pour environ 60 millions de francs. Ils contribuent à faire baisser dans bien des cas les centimes additionnels communaux là où ils résident. Ils sont soumis à l'impôt sur les successions, mais surtout, ils participent à l'essor de l'économie locale.
Il faut également rappeler qu'environ 30% des Genevois ne paient pas d'impôts. Les contribuables au bénéfice de forfaits fiscaux contribuent également à rétablir l'équilibre entre ceux qui en paient et ceux qui n'en paient pas. Si ces forfaits fiscaux sont abolis, ce sera au contribuable genevois de les compenser.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDC refusera ce projet de loi et vous invite à en faire de même.
M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, c'est un petit peu paradoxal: les socialistes, les Verts - qui veulent toujours plus d'impôts pour payer le social - nous proposent ce soir exactement le contraire. Vous parlez d'injustice, d'inégalité de traitement, mais il ne faut pas faire de comparaisons ! Les comparaisons ne sont pas pertinentes et judicieuses, puisqu'on parle simplement de gens qui viennent ici sans activité lucrative. On ne peut donc pas comparer avec celui qui travaille sur le territoire suisse et doit payer son impôt par rapport à ses revenus. Là, c'est de l'argent frais qui arrive directement dans nos caisses. Ce sont des retombées économiques directes qui sont tout à fait importantes pour nous.
Il faut savoir qu'il y a eu une étude faite par des experts: 11 400 postes de travail sont dus à ces forfaits fiscaux sur le canton. Alors écoutez, Messieurs et Mesdames les spécialistes qui défendez les travailleurs: il y a 11 400 places grâce à ces forfaits fiscaux ! Celui qui arrive avec son forfait fiscal dépense une moyenne de 346 000 francs par année à Genève. C'est donc intéressant pour notre économie.
Nous, le MCG, estimons en tout cas que l'intérêt général prime sur certains principes moraux. On n'a qu'à voir dans certains cantons, notamment Vaud: certains villages ont pu construire des infrastructures importantes, des salles communales, des nouvelles écoles, grâce à ces forfaits fiscaux.
Nous n'arrivons donc pas à vous comprendre ! C'est pour notre économie, c'est pour le social ! Ces forfaits fiscaux ont un avantage. Nous, nous les avons aujourd'hui, Zurich ne les a plus; on a vu maintenant les résultats, Zurich s'en mord les doigts. Le MCG vous invite donc à refuser ce projet de loi.
M. Christo Ivanov (UDC). Le PL 10494 déposé par le groupe socialiste veut abolir les forfaits fiscaux. Les finances cantonales ne peuvent se passer de cette manne importante de plus de 65 millions par année. Celles-ci ont été sauvées depuis de nombreuses années par d'importantes successions provenant de ces gros contribuables décédés à Genève.
A Genève, il y a 647 forfaits fiscaux, mais - pour prendre un exemple - à Londres, il y a plus de 100 000 personnes qui bénéficient d'un statut équivalent, soit résident non domicilié. Par rapport à Londres, nous devrions donc en avoir vingt fois plus à Genève. Cela démontre que les Anglais sont des gens pragmatiques.
Le canton de Zurich, où les forfaits fiscaux ont été récemment abolis, est un bon exemple: la moitié de ces contribuables assujettis ont d'ores et déjà quitté le canton pour Zoug, Schwyz et d'autres cantons limitrophes.
Les socialistes se tirent une balle dans le pied en voulant faire fuir les bénéficiaires de ces forfaits. En effet, pour faire du social, il faut avoir de l'argent dans les caisses, or, avec la dette que nous avons à Genève, ce n'est pas demain la veille ! Comprenne qui pourra ! Par conséquent, l'UDC refusera ce projet de loi.
Une voix. Bravo Christo !
M. Olivier Jornot (L). On entend toujours, Mesdames et Messieurs les députés, parler d'un système inique à propos de l'imposition à la dépense. Et on oublie de ce fait qu'en réalité ce système d'imposition est né d'une nécessité. Il est né d'une réalité, à savoir qu'il y a des situations internationales pour lesquelles il n'est tout simplement pas possible d'appliquer le même système que celui que nous connaissons, vous et moi, pour des résidents dont les revenus et les biens sont tous concentrés au même endroit.
Il y a des réalités, il y a des besoins qui font qu'il est nécessaire, parfois, de recourir à des mécanismes de simplification, d'où le système de l'imposition à la dépense. Comme vous le savez, en effet, de nombreux pays ont un système de ce type. Et je remercie M. Ivanov d'avoir mis précisément le doigt sur l'exemple londonien, sur lequel je voulais aussi insister. Ça fait des décennies que les Anglais attirent, avec leur système de résidents non domiciliés, quantité de gens - y compris des Suisses d'ailleurs - parce que ce système répond à un besoin et est extrêmement favorable pour les contribuables. Et lorsque M. Gordon Brown - qui avait probablement dû lire les oeuvres complètes de M. Dandrès, à un moment donné, ou des rapporteures de minorités - a voulu tout d'un coup imposer ces gens-là, eh bien ils ont voté en faisant leurs valises et en quittant ce système qui n'était plus aussi favorable pour eux. Il y a donc un problème de concurrence.
Il y a ensuite un problème de recettes - sur lequel un certain nombre des orateurs précédents se sont exprimés - avec des recettes qui sont importantes pour l'Etat et les communes et qui sont renforcées par le système d'imposition des successions, qui ne concerne que les personnes imposées au forfait.
Pour nous, libéraux, c'est vrai que 60 millions, finalement, on pourrait s'en passer. (Exclamations.) Et je regarde M. Hiler pour voir comment il réagit à cette affirmation... En revanche, ce qui nous concerne le plus - plus encore que la question des recettes - c'est la question de l'effet économique de ces contribuables, parce que ce sont des contribuables, Mesdames et Messieurs, qui ne coûtent pas très cher à la collectivité. Leurs enfants ont passé l'âge d'aller à l'école et ce n'est pas eux qui vont recourir à l'aide sociale. Ce seront donc des contribuables bon marché, mais qui, en revanche, vont jouer un rôle économique considérable en dépensant dans notre canton, en recourant aux services d'artisans et de commerçants. Bref, ils ont un effet économique considérable et donc un effet démultiplié sur le plan fiscal, ce qui fait qu'en définitive les 60 millions dont nous avons parlé ne sont qu'une petite partie de ce qu'ils génèrent au profit de la collectivité.
Voilà les raisons pour lesquelles, Mesdames et Messieurs, nous n'avons, à l'époque, pas voulu entrer en matière sur ce projet de loi.
Il y a ensuite deux ou trois choses qui se sont produites. Il y a en effet la Confédération qui a lancé un système visant non pas à harmoniser les taux, comme cela a été dit tout à l'heure, mais à renchérir le coût de l'imposition à la dépense. Et puis il y a par ailleurs le vote de la LIPP qui a eu lieu - ce qui fait d'ailleurs que ce projet de loi modifie la LIPP-I qui a été abrogée entre-temps, mais c'est un détail. Ce vote de la LIPP signifie, Mesdames et Messieurs, que le peuple genevois a accepté un système fiscal, un paysage fiscal dont fait partie l'imposition à la dépense. On peut donc, en respectant cette volonté démocratique, refuser le projet de loi socialiste. Je vous remercie.
M. Christian Dandrès (S). Mesdames et Messieurs les députés, il y a quelques minutes à peine, la majorité de ce Grand Conseil était d'accord de sacrifier 15 millions pour un principe, la concurrence libre et non faussée. Alors on constate une chose: quand il s'agit de baisser les impôts, c'est les principes qu'on avance, et le pragmatisme quand il s'agit de favoriser les grandes fortunes. Voilà en quelques mots comment résumer le programme politique de l'Entente en matière fiscale.
On en avait déjà eu un magnifique exemple - et je pense que le député Weiss pourra confirmer - lors du débat sur l'amnistie fiscale, où les tenants de la loi de M. Jornot avaient tous indiqué, et le répètent encore ce soir, que leur seul objectif est de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat. Mais quel noble idéal, Mesdames et Messieurs les députés ! Le problème, c'est la mise en oeuvre, qui est nettement plus prosaïque, puisque cette quête... (Remarque.) ...cette croisade a en mire les trois principes cardinaux du droit fiscal suisse, qui sont - et je pense qu'il est bon de le répéter ce soir - l'égalité de traitement, l'universalité de l'impôt et la capacité contributive. Et pour cause, la haine du parti libéral porte effectivement sur ces trois objets. En effet, ces trois règles instaurent la solidarité, qui est le fondement de notre société, et que l'Entente considère comme une entrave économique.
Mesdames et Messieurs les députés, le forfait d'impôt est un monstre juridique qui viole ces trois principes cardinaux et qui violente la cohésion sociale. (Commentaires. Rires.) Le fait que l'octroi des forfaits fiscaux soit soumis à des règles strictes - c'est ce qui a été indiqué dans le rapport - n'y change strictement rien. Le problème, Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas l'application de la loi - je suis persuadé que les fonctionnaires le font avec beaucoup de rigueur - le problème, c'est la loi qui instaure ces forfaits.
Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'il est temps ce soir que notre Grand Conseil emboîte le pas au canton de Genève... de Zurich, excusez-moi ! (Rires.) Un lapsus ! Il est temps aussi qu'il demande au Parlement fédéral de modifier la loi d'harmonisation pour que les forfaits fiscaux ne soient plus possibles en Suisse, de manière à éviter que le choix des cantons responsables comme le canton de Zurich ne profite aux cantons que les scrupules n'étouffent pas. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs. (Applaudissements.)
M. Mauro Poggia (MCG). Chers collègues, j'adore ! J'adore la naïveté des socialistes et la demi-naïveté des Verts ! (Commentaires.) Peut-être que, si vous n'existiez pas, on vous inventerait ! (Commentaires.) Peut-être, peut-être... (Commentaires.) Je vous cite... (Brouhaha.) Je vous cite: «On ne peut pas favoriser les riches étrangers.» Bien, donc il faut faire partir les riches étrangers ! Et Mme le rapporteur de première minorité nous dit: «Rien ne nous prouve qu'on n'arrivera pas à combler cette perte autrement.» Qui sait ? On peut toujours rêver, hein ! Et attendre ! Espérer !
Vous savez, avant, on vous a montré que le MCG pouvait être un parti de gauche; maintenant, on va vous montrer que le MCG peut être un parti de droite, pour faire bon poids bonne mesure. (Commentaires.) Parce que, vous comprenez, pour faire du social, il faut de l'argent. Nous, nous sommes prêts à aider les gens qui sont précaires dans cette république, et il y en a malheureusement de plus en plus. Mais l'argent, il faut aller le chercher là où il est. Vous comprenez ? Et nous faire croire que, finalement, ces riches étrangers pourraient payer comme tout le monde et resteraient peut-être en Suisse ou seraient remplacés par d'autres qui paieraient plus qu'eux, c'est doucement rêver ! Zurich a fait l'expérience, et aujourd'hui il s'en mord les doigts. Il y a encore une concurrence au niveau national, qui est bien présente et que nous ne pouvons pas négliger.
Comme vous avez fait croire à la population, lorsqu'il a été question de l'amnistie, qu'il était scandaleux de faire un cadeau aux fraudeurs, vous voulez nous faire croire aujourd'hui qu'il y a une comparaison à établir entre ce que ces riches étrangers paieraient s'ils n'avaient pas de forfait et ce qu'ils paient avec un forfait. Non, ils paient ce qu'ils paient avec un forfait ou ils ne paient plus rien parce qu'ils s'en vont ailleurs !
Nous disons, nous, au MCG: pour faire du social, il faut avoir de l'argent. Il n'y a pas de raison de se priver de ce revenu-là, parce qu'on ne peut pas faire autrement. Et je pense qu'effectivement la seule alternative c'est de faire fuir ces personnes. Alors, votre morale - excusez-moi - je vous la rappellerai lorsqu'il s'agira de sortir des millions pour aller aider ceux qui sont vos électeurs, n'est-ce pas ? Parce que ces millions, on ne les invente pas, il faut aller les chercher là où ils sont. Et ils sont là ! Et ces gens paient. Non seulement il y a les impôts qu'ils paient directement, mais il y a tous les bienfaits qu'ils apportent à notre économie de manière indirecte, comme M. le député Roger Golay vous l'a rappelé au niveau des emplois qu'ils créent. Nous refuserons donc ce projet de loi. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Claude Jeanneret (MCG). Mesdames, Messieurs, chers députés, le forfait fiscal est un bienfait pour notre canton. C'est une manière extraordinaire d'attirer des gens qui ne sont pas en concurrence avec les travailleurs locaux, au contraire, parce qu'en général ils ont fini leur activité. En plus de cela, ils créent de l'activité, ils dépensent beaucoup d'argent ici. Et il faut dire une chose: contrairement à une pseudo-morale que l'on entend, si ces personnes voulaient véritablement échapper au fisc dans leur pays ou ailleurs... Il y a longtemps que les Américains et autres pays anglo-saxons ont inventé ce qu'on appelle les «trustees»; et nous, les fondations.
Donc, il n'y a aucune... (Commentaires.) Il n'y a absolument pas d'incitation à la fraude. C'est simplement la mise en place d'un système qui permet à des gens de vivre normalement, et à Genève de récupérer un petit peu d'impôt sur le revenu, c'est vrai. En outre, si l'on en croit le rapport que j'ai reçu, il y a quand même eu 245 millions de droits de succession qui sont rentrés dans les caisses de l'Etat, c'est énorme. En plus de cela, ces impôts, une fois qu'ils sont payés, sont encore des générateurs de nouveaux impôts. Et on attire aussi chez nous des gens qui nous rendent service, qui donnent de l'emploi. Donc s'ils ne voulaient pas payer chez eux, de toute façon ils ne paieraient pas. (Remarque.)
Quand on voit les capitaux que les gens ont gagnés et qui ne sont pas nécessairement déclarés dans leur pays... Mais là, ce n'est pas la Suisse qui est un allié; la Suisse est au contraire un allié de personnes qui veulent rétablir un certain mode de vie où elles paient des impôts honnêtement. Et si on leur donne un forfait, c'est une bonne chose pour tout le monde ! C'est surtout une bonne chose pour Genève qui, de cette manière, profite d'une dépense supplémentaire, disons, faite par des gens qui ne coûtent rien à la société, d'une part, et qui de surcroît créent beaucoup d'emplois et font beaucoup de dépenses ici.
En conséquence, le MCG refusera bien sûr le PL 10494. Merci, Monsieur le président.
Mme Loly Bolay (S). Ce qu'on observe ce soir, ici, c'est en tout cas une chose: il y a beaucoup d'avocats qui s'expriment. Moi je me demande s'ils s'expriment en tant qu'avocats ou en tant que politiciens... (Commentaires.) ...parce que là est la question ! Franchement, là est la question ! On se demande qui vous défendez en ce moment !
Mesdames et Messieurs les députés, en droit suisse, le forfait fiscal est un impôt sur la dépense. En Suisse, il y a environ 5000 personnes qui ont des privilèges fiscaux. En 2010, le nombre a même augmenté de 5%. Mais, en 2011, la demande est encore plus forte, notamment de gens qui viennent de l'Hexagone. Pourquoi ? Parce qu'en France, la droite, Monsieur Jornot - la droite - prône la suppression du bouclier fiscal. Ce n'est pas la gauche ! C'est la droite de Nicolas Sarkozy ! (Remarque.)
Mesdames et Messieurs les députés, les forfaits fiscaux créent une inégalité de traitement. En même temps, ils créent une opacité des cantons sur la manière d'appliquer ces régimes. Sur l'inégalité de traitement, je vous citerai deux ou trois cas: d'abord, Federer, qui a même quitté un canton pour payer moins d'impôts. Mais si l'on compare ce que paie Federer sur ses revenus - parce qu'évidemment, comme il est suisse, il paie des impôts sur ses revenus - avec un Johnny Hallyday ou une Amélie Mauresmo, qui ont tous les deux des forfaits fiscaux, eh bien il paie dix fois plus ! Un grand producteur de télévision s'est vanté l'autre jour sur France 2. Il habite Cologny et a dit: «Moi, c'est extraordinaire, j'habite en Suisse et je paie un forfait fiscal: 200 000 francs suisses. Si je devais payer en France, je paierais dix fois plus, voire plus que cela, entre 2 et 3 millions.»
Ces forfaits fiscaux conduisent aussi à des dérives. Et je vais vous dire: il y a un cas d'une personne venant de l'étranger qui a créé dans le canton de Vaud une société spécialisée dans les conseils financiers. Cette personne a engagé un cadre qui est allé travailler dans le canton du Valais. Eh bien, ces deux personnes - qui habitent pourtant dans le canton de Vaud pour l'une, dans le canton du Valais pour l'autre - sont soumises au forfait alors qu'elles habitent en Suisse !
Mesdames et Messieurs les députés, tout à l'heure, quelqu'un a dit que le canton de Zurich s'en mord les doigts. Mais, écoutez, lisez cet article et vous verrez que c'est exactement le contraire. (Mme Loly Bolay montre une coupure de journal.) On y dit même que la suppression des forfaits fiscaux a fait revenir des gens parce qu'il y a des villas à acheter, que ces gens paient des impôts comme ils doivent et que ça a généré des recettes. D'ailleurs, je vais vous dire: le canton de Bâle-Ville veut aussi supprimer les forfaits fiscaux.
Mesdames et Messieurs les députés, les forfaits fiscaux poussent certains riches qui viennent ici à tricher. Ce forfait fiscal est une honte ! Et même si, aujourd'hui, nous sommes minoritaires dans ce parlement, eh bien ce n'est pas la dernière fois qu'on va remettre l'ouvrage sur le métier ! On reviendra ! On est déjà revenu plusieurs fois, mais, aujourd'hui, je crois qu'il y a une partie de la population qui va nous suivre dans notre raisonnement.
Moi je vous encourage, pour ceux qui ont une éthique, une morale... Parce que payer des impôts, Mesdames et Messieurs les députés, ça fait partie de la vie, c'est avoir une éthique, c'est avoir une morale ! Il n'est pas normal que ceux qui doivent tout déclarer paient un maximum, et qu'aux riches qui viennent ici parce qu'ils veulent se soustraire à l'impôt, on puisse encore faire ces cadeaux, parce que ce sont des privilèges fiscaux ! (Exclamations.)
Mesdames et Messieurs les députés, nous, nous assumons, vous assumerez aussi ! Je vous remercie de m'avoir écoutée. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Roger Deneys. (Exclamations.)
M. Roger Deneys (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, on va directement remettre une couche puisque, manifestement, on n'a pas l'air de vous avoir convaincus pour le moment. (Brouhaha.) Tout d'abord il faudrait rappeler que, il n'y a pas si longtemps que cela - moins de deux ans - nous avons voté à Genève une baisse d'impôts massive de plus de 400 millions de francs par année, qui bénéficie en grande partie aux riches contribuables genevois. Certains contribuables ont eu 2 millions de baisse d'impôts annuels grâce à cette votation. Genève a donc amélioré sa compétitivité fiscale, pour autant qu'on soit attaché à ce type de mesure. Ça a l'air d'être votre cas, vous devriez y être sensibles ! Quelque part, Genève fait déjà un effort en direction des grandes fortunes et des grands revenus qui souhaiteraient s'établir ici. On peut le déplorer puisque, bien entendu, ça péjore les recettes des collectivités publiques. Ainsi, un certain nombre de projets que nous avons à régler, une dette que nous avons à rembourser, se feront moins facilement, parce que nous n'avons pas les mêmes recettes. Fondamentalement, aujourd'hui, nous sommes donc dans une situation plus compétitive qu'avant. Faut-il conserver pour autant des forfaits fiscaux ?
Des voix. Oui ! (Rires.)
M. Roger Deneys. En réalité, comme l'a dit Loly Bolay tout à l'heure, on voit bien ce qui se passe à Zurich, et je pense que la situation genevoise n'est pas très différente. Certes, sur les 208 bénéficiaires de forfaits fiscaux zurichois, une cinquantaine sont partis. Mais de quel type de logement bénéficiaient ces cinquante ou soixante contribuables ? Etaient-ce des locataires de logements sociaux subventionnés ? J'ai un grand doute... C'étaient certainement des locataires ou des propriétaires de belles maisons au bord du lac de Zurich ! Est-ce que ces maisons sont aujourd'hui vides, inoccupées, squattées peut-être ? Bien entendu, non. Ces maisons ont retrouvé acquéreur, et ces acquéreurs, puisqu'il n'y a plus de forfait fiscal, paient des impôts.
Le secrétaire de la Ville de Zurich, dans l'article du «Temps» de début janvier, le précisait: le départ de chaque contribuable est une perte, mais une personne imposée au forfait n'est pas forcément un bon contribuable. Et c'est bien le cas ici: si vous remplacez une personne riche qui paie des impôts par une personne riche qui est imposée au forfait fiscal, en ce qui concerne les retombées dans l'économie locale, ça ne change absolument rien. En effet, elle va de toute façon dépenser localement ce qu'elle dépense localement; en réalité, avec des impôts, ce sont les recettes pour la collectivité qui augmentent.
Il faut quand même revenir au point de départ du problème des forfaits fiscaux: en réalité, les bénéficiaires de ces forfaits sont des parasites. Ce sont des parasites fiscaux... (Commentaires.) ...qui quittent un pays... (Commentaires. Le président agite la cloche.) ...qui quittent une région dans laquelle ils ont été formés et éduqués. Ils ont pu bénéficier dans leur pays d'origine des infrastructures publiques, de la sécurité donnée par la force publique et la police, or que font-ils quand ils atteignent un certain niveau de revenus ? Eh bien, ils abandonnent la collectivité publique qui les a formés, qui leur a permis d'atteindre ce statut social, pour aller cacher leur argent et ne pas en faire bénéficier leurs concitoyens ! (Commentaires.)
C'est tout simplement indécent, parce que la question qu'on devrait se poser dans ce parlement, c'est la question du revenu disponible, ce n'est pas celle du montant de l'impôt qu'on doit payer ! La question, c'est de savoir de combien nous pouvons bénéficier chaque jour pour vivre. Et moi je pense qu'au-delà d'un certain seuil, l'impôt n'est pas du tout confiscatoire. Il est juste normal, naturel, parce qu'on ne peut pas trouver correct que des gens vivent avec des millions de francs par année ! C'est tout simplement indécent quand des personnes meurent de faim ou sont aux minimums sociaux, comme nous en connaissons à Genève.
Et le MCG, qui prétend défendre les classes défavorisées, prouve une fois de plus que, ce qui l'intéresse, c'est de faire des cadeaux aux riches et de laisser tomber les plus pauvres ! (Brouhaha.)
Mesdames et Messieurs les députés, il faut donc soutenir ce projet de loi en faveur de la suppression des forfaits fiscaux pour rétablir la justice sociale et la justice fiscale à Genève et ailleurs sur terre ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme la députée Lydia Schneider Hausser, à qui il reste deux minutes trente.
Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de première minorité. Merci, Monsieur le président. Deux minutes suffiront pour répondre ou pour reprendre quelques éléments. Quand on nous traite, nous, les socialistes, de rêveurs, c'est faux. C'est faux parce que ça ne sera pas le vide si ces gens s'en vont. Il y a peut-être 60 millions de forfaits fiscaux en tant que tels qui partiront. Mais, par contre, les propriétés seront rachetées, ou les locations reprises. Nous avons une assez grande pression au niveau de Genève pour qu'il n'y ait pas de problème de ce côté-là.
Ces gens qui arriveront, ces actifs, vont payer des impôts. Ces actifs représentent aussi des gens qui vont devoir engager ou qui auront l'utilité de postes de travail, on va dire, en parallèle. Donc là, on ne va pas perdre 11 400 emplois qui gravitent autour des contribuables au bénéfice de forfaits fiscaux actuellement.
Et il est vrai que, quand il s'agit de ne plus privilégier les riches, là, la droite - qui prône d'habitude le dynamisme, la prise de risque, qui préconise qu'il faut avancer, qu'il faut ne pas avoir peur... Ici, on est dans la théorie de la peur. Etonnant mais compréhensible, parce que les gens qui bénéficient de ces forfaits fiscaux, ce ne sont pas des pauvres !
C'est vrai que, là, on reconnaît un peu, quelque part, les tics du MCG et son côté «droite». En effet, quand il s'agit de sélectionner les étrangers, les pauvres ou les frontaliers, c'est l'horreur; par contre, les gens qui arrivent pour payer des forfaits fiscaux... Là, on a un autre discours !
Mesdames et Messieurs, les socialistes vous demandent de soutenir ce projet de loi. S'il n'est pas soutenu ce soir par la majorité, nous proposons que soit en tout cas relayé le vote de ce parlement au niveau fédéral et au niveau des instances fédérales comme étant une préoccupation d'une grande partie de la population actuellement à Genève, même si elle n'est pas majoritaire au parlement. Merci beaucoup.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme la rapporteure Patricia Läser.
Mme Patricia Läser (R), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président...
Le président. A qui il reste cinq minutes...
Mme Patricia Läser. Je n'en aurai pas pour aussi longtemps ! Mesdames et Messieurs, j'aimerais juste faire un rappel et vous mettre en garde: les bancs d'en face, les bancs de gauche nous ont donné un message ce soir en nous prouvant que c'était un problème au niveau suisse et non un problème au niveau cantonal. La seule vérité, c'est que l'abrogation de ces forfaits fiscaux ne fera pas partir les contribuables à l'étranger mais simplement dans les cantons voisins. Alors, soyons réalistes, Mesdames et Messieurs, gardons cet argent à Genève ! Et je ne doute pas que les socialistes et les Verts sauront nous proposer bien des choses pour arriver à le dépenser ! Je vous remercie. (Rires. Applaudissements.)
M. David Hiler, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, je dois d'abord résoudre un petit point d'histoire. Lorsque le PL 10494 a été déposé, le Conseil d'Etat alors en fonction avait indiqué que, dans sa majorité, il était favorable au but poursuivi par ce projet de loi mais qu'il estimait que cette question devait se résoudre au niveau fédéral - point sur lequel, au moins, nous étions sept.
Entre-temps, la majorité de ce Conseil a changé - et, Monsieur Jornot, je vous rassure, je n'ai charmé aucun serpent ! - raison pour laquelle je me dois, dans le système collégial qui est le nôtre, de vous signaler que le Conseil d'Etat dans sa majorité n'est pas favorable au principe défendu par les rapporteurs de minorités, mais qu'en revanche nous sommes toujours sept à penser qu'à ce jour il convient qu'une solution soit trouvée au niveau fédéral.
Au point où j'en suis dans les méandres du système suisse - démocratique et collégial - que vous connaissez, je vais m'offrir le plaisir d'essayer simplement de rapporter un certain nombre de faits, avec le privilège, pour une fois, d'être au moins sûr de déplaire à tout le monde.
La première chose, Mesdames et Messieurs, c'est qu'on aurait pu penser que la majorité précédente du Conseil d'Etat faisait oeuvre de duplicité en renvoyant la question au niveau fédéral. Tel n'est pas le cas. Et si j'ai été étonné de constater que les bancs qui défendent ce projet à Genève ne lancent pas une initiative fédérale, d'autres ont eu du courage. Le 1er mai, La Gauche, la vraie, lancera une initiative au niveau fédéral, de sorte que le peuple suisse pourra se prononcer.
La deuxième information, qui paraît avoir échappé à tout le monde, est basée sur un sondage de Vimentis paru récemment - pas dans l'optique d'une votation, parce qu'on sait qu'il y a une différence, mais par avis - sur la question: «Voulez-vous que l'on maintienne les forfaits fiscaux ?» Eh bien, 75% de la population suisse veut abolir les forfaits fiscaux, et il y a une raison à cela. Du reste c'est pour cela que je dois dire que l'exemple de Bâle doit me laisser relativement froid, parce que, en 2007, à Bâle-Ville, il devait bien y avoir... Excusez-moi, je vais chercher le chiffre... Bâle-Campagne, c'étaient six personnes; et Bâle-Ville, c'étaient quinze. Donc la raison, c'est qu'une partie de la Suisse, sa majorité - toute la Suisse, pratiquement, sauf la Suisse occidentale et le Tessin et, dans une moindre mesure, les Grisons - a traditionnellement peu développé les forfaits fiscaux, de sorte que, notamment en Suisse orientale et centrale, l'opinion est défavorable, y compris au sein des partis de droite.
Donc je dirai aux uns: si vous voulez avancer sur cette solution, posez une bonne fois la question. Mais à ceux-là je dirai aussi: faites tout de même attention au fait qu'il existe en Europe - et cela a été dit - des régimes extrêmement proches du forfait, mais généralement plus avantageux parce que la personne concernée n'a pas l'obligation, comme en Suisse, de ne pas travailler.
Vous avez mentionné l'Angleterre, c'est parfaitement juste. Et la loi vient d'être changée en sens inverse, si j'ai bien compris: il y a des conditions extrêmement favorables qui ont été faites aux investisseurs. De l'autre côté, il y a tout de même des pays qui ne sont pas exactement la négation de l'Etat social: il y a les Pays-Bas, en fait le Benelux, puisqu'il y a des régimes du même type au Luxembourg et en Belgique. Il y en a bien sûr en Chine - oui, en Chine communiste - et également à Hong Kong et à Singapour. Il y a encore - et puisqu'on parle souvent du paradis fiscal suisse, je vais vous la donner, celle-là, parce qu'elle est extraordinaire - la solution autrichienne. La solution autrichienne dit simplement que quelqu'un qui vient en Autriche ne peut pas payer plus d'impôts en Autriche que ce qu'il payait auparavant, de sorte qu'un Allemand qui a envie de payer moins d'impôts doit simplement déménager une petite année à Monaco, ce qui lui permet de ne pas payer d'impôts lorsqu'il arrive en Autriche.
C'est vous dire - et je vous l'avais déjà indiqué - qu'il faut quand même faire un peu la part des choses entre les guerres fiscales et la morale.
Maintenant, Mesdames et Messieurs les députés, il est vrai - et là, après avoir quelque peu ironisé pour les uns, je vais ironiser pour les autres - il est vrai que, à Zurich, comme l'indique un article du «Temps», la fin des forfaits fiscaux ravit les communes. Alors, Madame Schneider Hausser, ce ne sont pas exactement des villages... (Rire de l'orateur.) Ce sont les «rivages» dorés... (Exclamations. Rires.) ...«Goldküste» en allemand. Effectivement, la question est un peu moins théorique qu'il n'y paraît, à savoir que, aujourd'hui, compte tenu du peu d'objets de très haut prestige et de la croissance économique que l'on connaît ici, la question peut se poser dans les années qui viennent: est-il préférable d'avoir des forfaitaires ou est-il préférable que des personnes qui développent fortement l'activité économique puissent s'installer et n'aillent donc pas s'établir ailleurs ?
Toujours est-il, Mesdames et Messieurs, que si nous votions le projet de loi aujourd'hui, la seule conséquence qu'il y aurait, c'est de déplacer les forfaits dans le canton de Vaud. Donc le gain moral serait relativement faible.
Si certains veulent réfléchir à cette question d'ici aux votations, je pense qu'il faut prendre plusieurs éléments en considération. Le premier, c'est que, aujourd'hui, on peut imaginer - c'est un scénario parmi d'autres - que nous pourrions, comme Goldküste, remplacer ces contribuables au forfait par des contribuables actifs. Mais alors il faudra répondre à une autre question: si on veut les remplacer, il serait tout de même préférable que les multinationales ne quittent pas Genève et que le négoce international de matières premières ne quitte pas Genève, parce qu'autrement vous n'aurez aucun remplacement; et ça, c'est une question que vous devrez vous poser.
D'un point de vue de l'offre et de la demande - je me tourne maintenant vers vous - il n'est pas exclu qu'on puisse jouer cette carte dans quelques années; autant avoir des actifs. Je précise quand même qu'un certain nombre de contribuables, aujourd'hui, restent contribuables tant qu'ils travaillent - par exemple des managers très très bien payés - et se déplacent effectivement dans le canton de Schwyz lorsqu'ils sont à la retraite... Certains à Schwyz et, à vrai dire, deux ou trois à Monaco. Donc cette question se pose, et ce sont aussi des éléments qu'il faut prendre en considération.
Il y a une stratégie qui est basée sur l'activité - vous aurez compris qu'elle a ma faveur, au risque, là encore, de déplaire à beaucoup - et il y en a une qui est basée sur l'accueil de gens qui vivent des revenus de leurs capitaux.
Par rapport aux montants, j'aimerais rappeler que le Conseil fédéral a présenté un projet de loi qui n'est rien d'autre que la proposition de la Conférence des directeurs cantonaux des finances. Celle-ci, constatant des abus manifestes dans certains cantons, où il ne s'agissait plus d'un impôt sur la dépense mais d'une incitation à occuper les lits froids - si je puis m'exprimer ainsi - sur des montants ridicules de quelques dizaines de milliers de francs, a décidé, pour l'impôt fédéral, de fixer une assiette de 400 000 F. Ça peut paraître peu, une assiette de 400 000 F, mais enfin, ce sont des gens qui ne travaillent pas, et si c'est un rendement de la fortune, ça veut dire une fortune de 10 millions.
J'aimerais aussi préciser que vous ne pouvez pas comparer la situation des artistes et des sportifs avec celle des simples rentiers, parce que les artistes et les sportifs paient des impôts sur les lieux de leurs prestations, exactement comme tous les artistes qui viennent à l'Arena paient des impôts anticipés ici. Ce n'est donc qu'une partie de leurs avoirs qui est concernée.
Par ailleurs, je vous rappelle que, depuis que Mme Calmy-Rey a été en fonction, un relèvement graduel à hauteur de 300 000 F est opéré - pas sur les anciens mais sur les nouveaux - de sorte que la proposition des 400 000 F qui est faite ne nous poserait aucun problème à Genève. Nous avons d'ailleurs même suggéré que ces 400 000 F ne concernent pas que l'impôt fédéral direct mais également l'impôt cantonal.
Enfin, pour finir - et je vais me fâcher décidément avec tout le monde - je veux tout de même insister à nouveau sur un point compliqué. Aujourd'hui, le modèle genevois, le modèle vaudois, c'est de conserver un impôt sur la fortune - qui est en train de disparaître en Europe, littéralement, qui n'existe pas dans une bonne partie du monde et qui, chez nous, tend vers 1% pour les plus hauts, ce qui est un chiffre inhabituellement élevé - tout en gardant des impôts sur le revenu extrêmement élevés pour les hauts revenus. La récente étude comparative zurichoise montre que nous sommes effectivement, pour les pauvres et pour la classe moyenne jusqu'à des salaires de 200 000 F, disons, un paradis; par contre, pour les autres, évidemment, nous sommes généralement entre le vingt-deuxième et le vingt-sixième rang. Moi je vis très bien avec ça, d'autres moins. Mais enfin, c'est la réalité - n'est-ce pas, Monsieur Deneys, c'est ça la réalité.
Le fait d'abolir les forfaits fiscaux veut donc dire que vous acceptez aussi les risques de la concurrence avec Obwald, avec Schwyz, avec Nidwald, parce que c'est précisément ce qui permet aujourd'hui, un peu comme les statuts pour les entreprises, d'avoir des taux d'imposition élevés tout en étant attractifs au niveau international.
Voilà pourquoi je pense que tout le monde devra bien réfléchir. Pour les uns, aux vertus des lois de l'offre et de la demande de nos verts pâturages destinés aux personnes riches de ce monde. Est-ce que, vraiment, on ne peut pas se permettre de prendre le risque de la carte Goldküste, pour avoir sur notre territoire, quand il s'agit de maisons à 30 millions, des gens qui créent de la valeur plutôt que des rentiers ? N'est-ce pas... plus dynamique ?!
Pour les autres, il faudra se dire effectivement: que se passe-t-il en cas d'abolition des forfaits ? Que fait-on après ? Faudra-t-il un jour ou l'autre - et je ne serai pas là pour vous en parler, opportunément, vu les délais de traitement des initiatives au niveau fédéral - baisser l'impôt sur la fortune ?
Voilà, Mesdames et Messieurs, les raisons pour lesquelles je vous rappelle que la majorité du Conseil d'Etat est opposée en principe à ce projet de loi et que, de toute façon, les conseillers d'Etat - lorsqu'ils étaient avec une autre majorité et en avaient discuté - pensaient qu'il était peu souhaitable de le faire au niveau cantonal. Enfin, je tiens à disposition des rapporteurs de minorité et de majorité le projet de La Gauche, s'ils étaient intéressés à le vendre dans leur parti... Ah, j'ai réussi ! (Rires.)
Le président. Après cette séance de marketing, on remercie M. le conseiller d'Etat. Nous sommes donc en procédure de vote sur le projet de loi 10494. Celles et ceux d'entre vous qui sont favorables au vote d'entrée en matière...
M. Roger Deneys. Vote nominal !
Le président. Monsieur Deneys: «Vote nominal, Monsieur le président, s'il vous plaît.» Vous verrez, ça va aller tout seul ! Etes-vous soutenu ? (Commentaires. Des mains se lèvent.)
Une voix. C'est trop tard...
Le président. Parce que c'est M. Deneys et que ça me fâcherait de le décevoir, je vous propose d'entrer en matière sur sa demande, contrairement à l'avis d'une grande sagesse qui a été fait. Mais pensez, à l'avenir, à le dire suffisamment tôt, Monsieur Deneys; ce n'est pas la première fois. (Remarque.) Comme punition, vous serez condamné à amener un stère de bois pour imprimer tout cela... Nous allons donc voter à l'appel nominal.
Mis aux voix à l'appel nominal, le projet de loi 10494 est rejeté en premier débat par 53 non contre 25 oui. (Exclamations à l'annonce du résultat.)