Séance du vendredi 22 septembre 2006 à 17h
56e législature - 1re année - 11e session - 55e séance

M 1079-B
Rapport de la commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'étudier le rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et M. Chaïm Nissim, Sylvia Leuenberger, Vesca Olsommer concernant l'introduction de cours sur l'histoire des religions pour les élèves du canton
Rapport de majorité de M. François Thion (S)
Rapport de minorité de M. Henry Rappaz (MCG)

Débat

M. François Thion (S), rapporteur de majorité. Je vais, sans entrer dans les détails, restituer brièvement ce rapport issu des travaux de la commission de l'enseignement. Je rappelle simplement qu'en 1996 le Grand Conseil a adopté une motion signée par Mme Vesca Olsommer, Mme Sylvia Leuenberger et M. Chaïm Nissim, préconisant l'introduction de cours sur l'histoire des religions pour les élèves genevois. En février 2005, le Grand Conseil a étudié le rapport du Conseil d'Etat sur cette motion et a jugé qu'il fallait renvoyer ce rapport à la commission de l'enseignement et de l'éducation. En fait, il s'agit d'un rapport qui a été établi sur le rapport du Conseil d'Etat, qui était un rapport sur une motion. C'est un peu compliqué, mais c'est ainsi.

La commission a auditionné le groupe citoyen «Culture religieuse et humaniste à l'école laïque» pendant deux séances, ce qui a donné lieu à des débats forts intéressants et, je crois, de très haute qualité. Suite à ces auditions, elle a décidé de prendre acte du rapport du Conseil d'Etat.

Je le rappelle, ce rapport donnait quelques pistes par rapport au fait religieux. Il ne s'agit pas du tout de donner des cours de religion à l'école ! La conclusion du rapport du Conseil d'Etat était la suivante: «Au vu des éléments qui précèdent, le Conseil d'Etat estime essentiel que l'enseignement du fait religieux soit mieux pris en compte dans les écoles publiques genevoises et charge le département de l'instruction publique: - de prendre toute les mesures utiles qui encourageront les enseignant-e-s à traiter du fait religieux dans leurs classes dans le respect de la laïcité à l'école; - de poursuivre et de renforcer les offres de formation initiale et continue des enseignants et de développer des lieux d'échanges afin d'acquérir de meilleurs outils, méthodes et connaissances pour assurer leurs compétences; - d'établir une cohérence de l'enseignement du fait religieux au niveau des plans d'études, de l'enseignement primaire à l'enseignement secondaire postobligatoire; - d'élargir le contexte dans lequel l'étude du fait religieux peut être assuré en permettant aux élèves des trois ordres d'enseignement de traiter d'éléments de philosophie et des questions des valeurs et du lien social;». Et pour terminer, le Conseil d'Etat préconisait: «- de poursuivre le débat sur les enjeux relatifs à l'enseignement du fait religieux avec des représentants de la société civile.»

Ce rapport du Conseil d'Etat me semble tout à fait aller dans le sens de l'article 4 de la loi sur l'instruction publique qui stipule: «L'enseignement public a pour but, dans le respect de la personnalité de chacun... - sous alinéa d) - de préparer chacun à participer à la vie sociale, culturelle, civique, politique et économique du pays, en affermissant le sens des responsabilités, la faculté de discernement et l'indépendance de jugement; - et sous alinéa e) - de rendre chaque élève progressivement conscient de son appartenance au monde qui l'entoure, en éveillant en lui le respect d'autrui, l'esprit de solidarité et de coopération et l'attachement aux objectifs du développement durable;».

Les conclusions du rapport du Conseil d'Etat, je le répète, me semblent tout à fait aller dans le sens de l'article 4 de la loi sur l'instruction publique. Et je m'étais un peu étonné qu'il y ait un rapport de minorité sur cet objet... Je n'en ai pas vraiment compris la raison. Contrairement à vous, Monsieur le rapporteur de minorité, je pense que l'enseignement du fait religieux à travers des cours d'histoire ou de géographie, au cycle d'orientation, ou plus tard en postobligatoire dans les cours de philosophie, permet de mieux connaître l'autre, de dépasser les préjugés et d'éviter les comportements sectaires.

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Comme d'habitude, M. Thion a été très complet, ce qui fait que j'abrégerai un peu mon intervention. Je voudrais surtout préciser à nouveau l'objectif de la motion initiale, surtout à l'intention de M. Rappaz qui ne l'a, je crois, pas tout à fait compris.

Il ne s'agit pas du tout d'introduire des cours de catéchisme à l'école, voire de faire du prosélytisme religieux, mais bien d'enseigner l'histoire des religions. Notre but à l'époque, en 1996, était surtout d'élargir les connaissances des jeunes pour augmenter leur tolérance et leur compréhension face à d'autres courants de pensée, d'autres confessions, qui sont en augmentation depuis une dizaine d'années dans notre canton, notamment en raison de l'arrivée de jeunes élèves d'origines très diverses. Les maîtres et maîtresses de l'école primaire sont bien souvent démunis, car ils ne savent pas forcément répondre aux questions que leur posent les enfants. Nous ne pouvons pas ignorer cette situation: il n'est pas question de remplir le rôle éducatif des parents, mais de donner des cours sur l'histoire des grands courants religieux.

Comme l'a indiqué M. Thion, il s'agit d'un rapport sur le rapport du Conseil d'Etat, et le Conseil d'Etat propose des solutions de deux types qui nous conviennent parfaitement: tout d'abord, intervenir auprès des enseignants en améliorant la formation continue. Cela ne pèsera pas trop sur l'enseignement, puisque c'est évolutif. Les enseignants ont besoin de pouvoir parler et débattre de situations concrètes - cela concerne surtout l'école primaire. Ensuite, il faut intervenir auprès des élèves. Il me semble tout à fait possible de renforcer les explications sur les grands courants religieux dans le cadre de la géographie, de l'histoire, voire des sciences.

Je ne me fais pas d'illusions, il faudra dix ans ! Mais c'est comme tout en politique, il faut avoir de la patience ! C'est l'une des treize priorités annoncées par M. Beer, et je pense qu'il a envie d'atteindre son but. En ce qui nous concerne, nous lui faisons confiance et nous prendrons acte de ce rapport.

Mme Janine Hagmann (L). Comme vous le savez, l'école publique à Genève est laïque, par la volonté du législateur, depuis 1847.

M. Gabriel Barrillier. Grâce à qui ? (Rires.)

Mme Janine Hagmann. Elle permet à chacun de se préparer à participer à la vie sociale, culturelle, civique et économique du pays. Mais il est évident qu'il n'y a pas de citoyenneté sans apprentissage des savoirs...

Alors, peut-on écarter certains savoirs de l'école ? Est-ce mission impossible que de s'intéresser à sa propre religion ainsi qu'aux différentes cultures religieuses ? Comment appréhender l'histoire si l'on n'a pas été formé à respecter les convictions des autres et si le manque de références ne permet plus de trouver les repères indispensables ? C'est un vrai débat de société, Mesdames et Messieurs les députés, et l'école publique ne saurait rester en dehors ! La connaissance du fait religieux est tout à fait nécessaire: il ne faut pas prendre ses désirs ou ses croyances pour des réalités.

La commission de l'enseignement a étudié avec intérêt le rapport du Conseil d'Etat, qui lui avait été renvoyé. Elle a auditionné avec un sentiment respectueux et admiratif des représentants du groupe «Culture religieuse et humaniste à l'école laïque», groupe présidé, je vous le rappelle, par notre ancien collègue Patrick Schmied. La collaboration offerte par le DIP doit être soulignée. La conclusion du Conseil d'Etat préconise: « de poursuivre le débat sur les enjeux relatifs à l'enseignement du fait religieux avec des représentants de la société civile.» Mais voilà, un groupement politique, ni de droite ni de gauche, pense qu'ainsi - sic - qu'on va: «... ouvrir la porte au communautarisme, et donc au renforcement des minorités agissantes, etc., ... de manière à obliger la communauté d'accueil à accepter des "accommodements culturels et religieux", préludes à la constitution de ghettos et à l'intrusion du fondamentalisme dans la société civile.» Mais non, Mesdames et Messieurs les députés du MCG: c'est exactement le contraire ! Depuis quand la Connaissance, avec un grand C, provoque-t-elle l'exclusion ?

Pour moi, le rapport de minorité fait injure au groupe sérieux qui planche depuis plusieurs années déjà sur ce sujet ! Je vous rappelle que ce groupe est composé de personnes de différentes professions, de différentes confessions, de différents milieux: des gens qui pratiquent, eux, la modestie et le respect ! Suite à la lecture assez édifiante du rapport de minorité, je donnerai un conseil au rapporteur... Monsieur Rappaz, téléphonez à ce groupe de réflexion et allez écouter le niveau de réflexion de ses membres, le niveau de leurs préoccupations !

Je terminerai - puisque Mme Leuenberger a très bien résumé les objectifs de cette motion - en citant une devise qui a fait l'objet de la conclusion d'un séminaire à Crêt-Bérard, qui résume tout un programme: «Liberté de croire, nécessité de connaître !». Je dirai personnellement: «Liberté de croire, nécessité de connaître tout, y compris nos propres convictions et notre propre religion !».

Il va de soi que le groupe libéral vous recommande de prendre acte du rapport du Conseil d'Etat. Et il remercie le Conseil d'Etat de tenir ses engagements et de poursuivre le dialogue avec le groupe de réflexion. (Applaudissements.)

M. François Gillet (PDC). Le sujet que nous abordons à travers ce rapport est d'importance. D'importance pour l'avenir et l'harmonie de la société multiculturelle genevoise.

La question du fait religieux, qui peut être appelé également «culture religieuse et humaniste» - comme cela a été précisé au cours des auditions - est effectivement importante pour le groupe démocrate-chrétien. Nous souhaitons par conséquent apporter quelques éléments complémentaires à ce qui vient d'être dit.

Nous saluons le travail très important qui a été effectué ces dernières années sur ce sujet. Tout d'abord, le rapport du SRED, qui date de 1999, sur la culture religieuse et l'école laïque. Ensuite, le travail exceptionnel - il faut le reconnaître - effectué par le groupe citoyen «Culture religieuse et humaniste à l'école laïque» - il s'agit d'un travail très approfondi sur la question, notamment parce que le groupe a pris la peine de consulter des personnes de tous horizons culturels et religieux; ce travail nous a apporté des réflexions très éclairantes.

Effectivement, à nos yeux, développer une culture religieuse et humaniste dans le cadre de l'enseignement public est la condition qui permettra de préserver à la fois la paix confessionnelle à Genève, la laïcité de l'école genevoise et la liberté de culte.

Mesdames et Messieurs les députés - les rapports l'ont montré, les enseignants le constatent également au quotidien dans nos écoles, et il faut le dire clairement - nous constatons aujourd'hui que les jeunes ont des lacunes inquiétantes sur le plan des fondements et des valeurs de notre propre culture judéo-chrétienne. Ne serait-ce qu'au niveau de ces connaissances, la question est pertinente.

En outre - cela est vrai, et nous l'avons déjà dit - Genève est multiculturelle, et la nécessité de mieux connaître les bases des autres cultures et des autres religions est également essentiel. Pour nous, apprendre à mieux comprendre le fonctionnement des autres cultures, apprendre à accepter la différence, permet effectivement - comme l'a dit M. Thion - de casser les préjugés et de contribuer à rendre la vie entre nos différentes communautés à Genève plus harmonieuse.

A notre avis, l'introduction de cette culture religieuse et humaniste à l'école n'implique absolument pas des cours spécifiques, mais simplement d'apporter certains éclairages dans des cours existants. C'est là la condition indispensable pour préserver les valeurs humanistes qui sont les nôtres. Si nous ne le faisons pas, l'émergence du communautarisme dans nos murs et les dérives sectaires que nous pouvons déjà constater et dénoncer aujourd'hui risquent fort de se développer.

Nous invitons donc le département non seulement à poursuivre la réflexion, mais à aller encore plus loin dans l'introduction de cette nouvelle culture religieuse et humaniste. Je crois d'ailleurs que la commission CO1, qui vient de rendre son rapport, va dans la même direction. Un certain nombre de pratiques vont déjà dans ce sens dans nos écoles, mais il est maintenant nécessaire d'accentuer ce mouvement.

M. Gilbert Catelain (UDC). Les commissaires UDC qui ont eu le privilège d'assister à l'ensemble des débats découlant de cette motion ont effectivement appris beaucoup de choses. Ils ont été très préoccupés par les objectifs et les enjeux de cette motion. Il n'est en effet pas facile, dans un canton laïc, de vouloir réintroduire ce type d'enseignement à l'école, surtout dans une société qui commence à se caractériser par une augmentation du communautarisme.

Nous considérons qu'il est très difficile pour les enseignants de se montrer objectifs et d'atteindre le premier objectif défini par le Conseil d'Etat, à savoir: «... prendre toutes les mesures qui encourageront les enseignants à traiter du fait religieux dans leur classe dans le respect de la laïcité de l'école;». Cet objectif est très ambitieux... En ce qui me concerne, je pense qu'il est difficile à atteindre, parce que certains professeurs ne seront pas forcément d'accord de le faire si cela ne correspond pas à leurs valeurs et, aussi, parce que d'autres auront de toute manière un parti pris ou un minimum de subjectivité par rapport à ces questions.

Par contre, si nous voulons que nos élèves, notamment à l'école secondaire, comprennent les textes qu'ils lisent, que ce soit en littérature ou en histoire de l'art - par exemple en regardant un tableau du XVIIIe siècle - nous reconnaissons qu'il est indispensable de connaître la culture chrétienne, et respectivement musulmane s'il s'agit de toiles ou de textes d'auteurs musulmans. Il est impossible de concevoir compréhension et culture dans nos écoles sans enseignement du fait religieux. C'est un fait que nous admettons. Cependant, nous estimons qu'il serait préférable que les différentes églises puissent elles-mêmes parler du fait religieux, dans les écoles ou dans un autre cadre. Mais elles n'en ont pas les moyens...

A ce niveau, nous sommes confrontés au dilemme suivant: doit-on confier l'enseignement du fait religieux à des enseignants pour lesquels il faudra investir énormément en coûts de formation, alors qu'ils doivent déjà suivre de nombreuses formations dans d'autres domaines ? Sachant qu'un autre problème risque de se manifester dans les classes, à savoir que certains parents refuseront que leur progéniture reçoive ce type d'enseignement. Selon les travaux d'un grand professeur en religions de l'université de Fribourg, il est actuellement très difficile de trouver un dénominateur commun qui permette de vivre dans le respect des religions. Par exemple, il n'y en a pas entre la religion musulmane et les autres religions, cela a été démontré. Des travaux sont en cours dans cette université pour essayer de trouver un point commun sur lequel la société pourrait s'articuler pour mieux vivre ensemble, en tout cas pour diminuer le communautarisme.

Les enjeux de cette motion sont donc ambitieux et nous avons quand même des doutes quant à sa réussite. Nous soutenons néanmoins les efforts du Conseil d'Etat en ce domaine. Nous relevons que la brochure «Panorama des religions» élaborée par la plate-forme interreligieuse est un bon outil. Nous pensons que le but n'est pas non plus de transformer notre progéniture en spécialistes de l'histoire des religions ou du droit des religions... Que cet enseignement soit dispensé de l'école primaire à l'école secondaire, c'est une chose, mais il doit s'en tenir à des thèmes simples, qui permettront à nos enfants de comprendre le monde qui les entoure, de connaître des cultures différentes et, donc, de vivre mieux dans ce monde !

Les commissaires UDC étant partagés sur cette question, les députés du groupe l'étant également, chaque député du groupe sera libre de voter comme il l'entend. Cela explique l'abstention des commissaires sur le rapport du Conseil d'Etat concernant la motion 1079.

Le président. Merci, Monsieur le député. Sont encore inscrits: M. Follonier, Mme Emery-Torracinta, les deux rapporteurs et le conseiller d'Etat. La liste est close.

M. Jacques Follonier (R). Merci, Monsieur le président. Il y a une décennie, le sujet du fait religieux prenait une ampleur importante à Genève. Et il est vrai que la motion 1079 n'a fait qu'ajouter des braises à ce sujet brûlant... Le Conseil d'Etat, me semble-t-il, devait prendre des décisions par rapport à un tel sujet, et mettre sur pied une collaboration entre différentes personnes pour trouver une solution paraissait en effet la meilleure voie.

Le rapport du Conseil d'Etat sur cette motion arrive effectivement relativement tardivement. Mais la difficulté du sujet explique ce délai. Aujourd'hui, ce rapport donne un éclairage important non seulement à travers le livre extrêmement bien fait que nous avons eu l'occasion de consulter - je veux parler du «Panorama des religions» - mais aussi par la voie choisie par le Conseil d'Etat à propos de la formation des enseignants, de la mise en place de séminaires, du suivi de certains modules qui remportent, on l'a vu, un franc succès.

Nous avons pu constater que le fait religieux peut très vite engendrer des dérives: il y a les personnes qui souhaitent que son enseignement soit extrêmement poussé et celles qui ne veulent pas en entendre parler... La voie choisie par le Conseil d'Etat, et l'on peut l'en féliciter, est une voie transitoire, médiane. Il ne s'agit pas d'introduire des cours de fait religieux, mais l'enseignement du fait religieux à l'intérieur d'autres cours, pour éviter certaines dérives. Je pense que cette voie sera la bonne. Elle permettra d'éviter des dérives. Et surtout, elle permettra à l'école genevoise de rester telle que nous la connaissons: une école laïque, gratuite et obligatoire.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Je ne pensais pas, a priori, intervenir sur cette question, mais je voudrais tout de même préciser certaines choses sur ce qui se fait ou sur ce qui ne se fait pas dans les classes.

Nous n'avons pas attendu, en tant qu'enseignants, les motions ou les rapports du Conseil d'Etat pour parler du fait religieux en classe ! J'enseigne l'histoire depuis à peu près vingt-huit ans et, à chaque fois que j'en ai la possibilité, j'introduis certains éléments liés au fait religieux dans le cadre de mes cours. Et cela, très régulièrement. Il n'est, par exemple, pas possible d'aborder le conflit israélo-palestinien ou l'islamisme aujourd'hui sans aborder un certain nombre de sujets de manière sereine. Cela ne se fait pas sous l'aspect théologique, mais sous l'aspect sociologique: l'enseignant explique un certain nombre de données aux élèves et essaie de clarifier les choses.

Je dois vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, qu'il est urgent, parce que les classes sont parfois multiculturelles et les élèves souvent mal informés, de remettre - si j'ose dire - l'église au milieu du village, c'est très important.

Je terminerai en citant un petit épisode qui s'est passé mardi dans une classe. Deux élèves ont failli s'en prendre aux mains à la récréation. L'une, d'origine palestinienne et iranienne, s'en est prise aux déclarations du pape par rapport à l'Islam; l'autre, de nationalité portugaise, lui reprochait de porter des accusations contre le pape. Du coup, comme j'avais une relative liberté par rapport au programme de ces classes, je leur ai promis un certain nombre de cours prochainement sur les sujets qui leur tenaient à coeur, de façon à clarifier les choses.

M. Henry Rappaz (MCG), rapporteur de minorité. Ces derniers temps, il n'a jamais été autant question de religion ou d'appartenance ethnique, dans la presse, dans les médias ! C'est un véritable matraquage médiatique, mené dans on ne sait quel obscur intérêt, que l'on nous inflige en permanence !

Nous le savons, chaque siècle enfante ses vieux fantômes, faits de peur, de fanatisme ou de terreur. Et bien souvent, la religion n'est pas exempte de reproches, la preuve: les récentes malheureuses paroles du pape ou le crime odieux sur un innocent écolier de confession catholique commis par un groupe de jeunes protestants irlandais confortent mes craintes et celles exprimées par le MCG quant à l'introduction des cours sur l'histoire des religions dans nos écoles.

Il faut également vous signaler qu'il y a déjà des cantons en Suisse où l'on cède à cette mode en réservant les piscines publiques une fois par semaine aux femmes musulmanes. Ce n'est qu'un premier pas innocent avant un changement sérieux.

Il faut être conscient que cette proposition de cours survient dans un siècle, au moment précis où le développement de la pensée critique et politique atteint une sorte de palier d'intolérance et de haine. Dès lors, cette introduction de cours de religion dans nos écoles n'est pas un choix politique judicieux dans un tel contexte et, il faut le répéter, particulièrement difficile à adapter aux mentalités d'une population métissée et d'une jeunesse pour qui les jeux vidéo et le culte du téléphone portable - avec ces conversations divines par le biais des SMS... - ont depuis longtemps remplacé Dieu dans leur esprit.

Il faut souligner que le vrai débat ne cherche plus à affirmer une laïcité à tout prix - laïcité qui s'apparente bien souvent à une nouvelle théologie sans dieu, au nom d'un libéralisme à tout-va de notre société - mais, plutôt, à juguler des emprises de toutes sortes qui finiront par avoir raison de notre démocratie. (Brouhaha.)

Aussi, la proposition du DIP, d'introduire des cours intitulés pudiquement «Introduction de cours de connaissances générales», apparaît clairement comme une sérieuse erreur. En effet, si ces cours sont imposés, ils ne pourront aucunement répondre à l'attente de l'ensemble des élèves ni éveiller une grande passion, notamment à cause du manque de formation des enseignants dans ce domaine. S'il existe des évidences morales, communes à... (Brouhaha.)

Le président. Excusez-moi, Monsieur le rapporteur: nous avons tous lu votre rapport ! (Exclamations.)

M. Henry Rappaz. Oui, mais j'aimerais quand même le porter à l'extérieur !

Le président. Non, non, le monde extérieur peut le lire aussi ! Il n'est pas d'usage de lire son rapport ! Vous pouvez le compléter...

M. Henry Rappaz. Je l'ai modifié !

Le président. Non, jusqu'ici c'est du mot à mot ! Nous l'avons tous lu ! J'aimerais que vous concluiez ou que vous nous disiez ce que vous avez à ajouter à votre rapport. Merci beaucoup !

M. Henry Rappaz. En résumé, le MCG vous propose, Mesdames et Messieurs les députés - puisque je ne peux pas continuer - de refuser le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 1079.

Le président. Monsieur le rapporteur, merci de ce résumé succinct. Puis-je vous demander une clarification ? L'article 174 de notre règlement prévoit que le Grand Conseil peut prendre acte d'un rapport, ou il peut le renvoyer en commission, ou au Conseil d'Etat. Le refus n'est pas prévu... Pouvez-vous choisir entre le renvoi en commission et le renvoi au Conseil d'Etat ?

M. Henry Rappaz (hors micro). Vous n'avez pas voulu entrer en matière sur ma proposition de la rejeter... (Exclamations.)

Le président. Votre proposition n'étant pas conforme à la loi, je ne pouvais pas la faire voter ! C'est pourquoi je vous ai proposé de compléter votre rapport et de faire une autre proposition... Si vous ne le voulez pas, je ne peux pas vous y contraindre ! La parole est au rapporteur de majorité.

M. François Thion (S), rapporteur de majorité. Je rappelle à M. Rappaz que le Conseil d'Etat ne juge pas opportun d'introduire des cours spécifiques sur l'histoire des religions... Il ne s'agit pas de cela du tout !

Deuxième chose - et Mme Emery-Torracinta a tout à fait raison - depuis toujours, dans les cours d'histoire ou de géographie, les professeurs sont appelés à donner un certain nombre d'explications sur les différentes religions de la planète. Cela n'a rien de nouveau !

Par ailleurs, Monsieur Catelain, je comprends votre inquiétude par rapport aux enseignants, pas toujours à l'aise sur le fait religieux, qui seraient amenés à devoir donner des explications ou répondre aux questions des élèves. Nous avons rencontré les mêmes problèmes pour l'introduction des cours d'éducation citoyenne. Certains enseignants disaient ne pas pouvoir donner ce type de cours, qu'ils ne connaissaient pas la politique, etc.

La solution réside dans la proposition soumise par le département, et il a commencé à le faire, c'est d'offrir des formations continues à ceux qui le veulent. Cette année, deux formations continues sont proposées au niveau de l'enseignement secondaire, l'une sur les religions et les Etats laïcs, l'autre sur le fait religieux. Eh bien, les inscriptions sont déjà très nombreuses ! Cela répond à un besoin - M. Gillet l'a évoqué - de bien s'informer sur le fait religieux.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. Monsieur le rapporteur de minorité, je ne voulais pas vous brusquer... Je venais à votre secours en vous proposant les solutions légales, plutôt que celle que vous aviez choisie qui était légèrement périphérique. On me dit que vous proposez le renvoi au Conseil d'Etat... C'est bien cela ?

M. Henry Rappaz (MCG), rapporteur de minorité. C'est exactement cela !

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité ! Monsieur le conseiller d'Etat, vous avez la parole.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. J'aimerais d'abord remercier la commission et le rapporteur de majorité pour son travail, complémentaire au rapport du Conseil d'Etat. Et j'insiste beaucoup sur la difficulté de la tâche qui consiste à transmettre le fait religieux, branche d'enseignement par branche d'enseignement, discipline par discipline, en garantissant une certaine homogénéité de la culture pour l'ensemble des élèves qui passent par le système scolaire genevois. De cela, dépendent beaucoup de choses... Monsieur le rapporteur de minorité, j'aimerais attirer votre attention sur ce point: si nous voulons une société laïque, une société de l'intégration, c'est-à-dire une société où l'on peut partager un certain nombre d'avis, y compris dans le cadre de la démocratie, il faut un minimum de connaissances communes sur les clés de fonctionnement de nos civilisations et de notre monde actuel !

L'article 4 de la loi sur l'instruction publique garantit à chaque élève de pouvoir faire preuve d'un certain esprit critique, notamment en fonction de l'ensemble des connaissances, y compris celles qui lui sont transmises. Cela permet de relativiser. Non pas de ne pas croire pour celles et ceux qui croient, et non pas de croire pour celles et ceux qui ne croient pas. Cela donne, rapporté au champ de la connaissance, la capacité de discuter de ce qui est religieux avec ce qui est le fondement même de l'école, à savoir ce qui est scientifique, ce qui est littéraire et ce qui fait partie des connaissances. Voilà l'enjeu de la concrétisation de cette motion.

Je me permets de faire de la publicité pour un ouvrage écrit par Régis Debray, intitulé justement «L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque». Il s'agit d'un rapport démontrant au président de la République française l'intérêt de transmettre à l'ensemble des élèves la connaissance des faits et non pas l'histoire des religions.

Je mets cependant un bémol à toutes ces discussions... Si nous voulons véritablement garantir la possibilité de mettre en discussion le fait religieux dans l'ensemble des disciplines, il convient probablement d'en donner les outils. Et c'est l'une des questions que j'ai posées à la CO1, à travers l'introduction de cours de philosophie dans le cadre de l'école obligatoire. (Applaudissements.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, au terme de ce débat important je vous soumets la proposition de M. le rapporteur de minorité, à savoir le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat.

Mis aux voix, le renvoi du rapport de commission M 1079-B au Conseil d'Etat est rejeté par 59 non contre 7 oui.

Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission M 1079-B.