Séance du
lundi 5 décembre 2005 à
17h
56e
législature -
1re
année -
2e
session -
9e
séance
Séance extraordinaire
Prestation de serment du Conseil d'Etat
La séance est ouverte à 17h en la cathédrale Saint-Pierre, sous la présidence de M. Michel Halpérin, président.
Prennent place sur le podium:
M. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat, conseiller d'Etat chargée du de l'économie et de la santé;
M. Laurent Moutinot, vice-président du Conseil d'Etat, conseiller d'Etat chargé du département des institutions;
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat chargé du département du territoire;
M. Charles Beer, conseiller d'Etat chargé du département de l'instruction publique;
M. David Hiler, conseiller d'Etat chargé du département des finances;
M. François Longchamp, conseiller d'Etat chargé du département de la solidarité et de l'emploi;
M. Mark Muller, conseiller d'Etat chargé du département des constructions et des technologies de l'information;
M. Robert Hensler, chancelier.
M. Michel Halpérin, président du Grand Conseil;
Mme Anne Mahrer, première vice-présidente du Grand Conseil;
M. Jacques Baudit, deuxième vice-président du Grand Conseil;
Mme Loly Bolay, secrétaire du Grand Conseil;
Mme Patricia Läser, secrétaire du Grand Conseil;
Mme Caroline Bartl, secrétaire du Grand Conseil;
M. Thierry Cerutti, secrétaire du Grand Conseil;
Mme Maria-Anna Hutter, sautier du Grand Conseil.
M. Daniel Zappelli, procureur général;
Mme Laura Jacquemoud-Rossari, présidente de la Cour de justice;
Mme Chantal Manfrini, présidente de la Cour de cassation;
M. Cédric-Laurent Michel, président du Tribunal de première instance;
M. Thierry Wuarin, président du Tribunal tutélaire et justice de paix;
M. Stéphane Esposito, président des juges d'instruction;
M. François Paychère, président du Tribunal administratif;
M. Jean-Nicolas Roten, président du Tribunal de la jeunesse;
Mme Doris Wangeler, présidente du Tribunal cantonal des assurances sociales;
M. Christian Murbach, président de la Cour d'appel des Prud'hommes;
Mme Ariane Weyeneth, présidente de la Commission de surveillance des OPF;
M. Urs Rechsteiner, chef de la police;
M. Mario Chevalier, chef de la police judiciaire;
M. Christian Cudré-Mauroux, commandant de la gendarmerie;
M. Gérard Maury, chef de la police de sécurité internationale.
(Pendant l'entrée des autorités et jusqu'à ce que toutes les personnes prenant place sur le podium soient installées, M. François Delor, aux orgues de la cathédrale, interprète successivement l'Offertoire sur les grands jeux de la Messe des Paroisses de François Couperin et la Chaconne en fa majeur de Louis Couperin.)
Exhortation
Le président. Je prie l'assistance de bien vouloir se lever et demande aux possesseurs de téléphones mobiles de les éteindre.
Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Veuillez vous asseoir ! (L'assemblée s'assied.)
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: les députés conseillers nationaux MM. Luc Barthassat, Jacques Pagan et André Reymond; Mmes et MM. les députés Jean-Claude Egger, Alain Etienne, Gabrielle Falquet, Jacques Jeannerat, Olivier Jornot, Pierre Kunz et Michèle Künzler.
Appel nominal des députés
Le président. Tous les députés ayant déjà prêté serment, je prie Mme la secrétaire de procéder à l'appel nominal.
Mmes et MM. Alder Esther (Ve), Amsler David (L), Arx-Vernon von Anne-Marie (PDC), Aubert Claude (L), Aumeunier Christophe (L), Barazzone Guillaume (PDC), Barrillier Gabriel (R), Bartl Caroline (UDC), Baud Catherine (Ve), Baudit Jacques (PDC), Bavarel Christian (Ve), Bertinat Eric (UDC), Bolay Loly (S), Borgeaud Sandra (MCG), Borloz Marcel (L), Brunier Christian (S), Brunny Sébastien (MCG), Captyn Mathilde (Ve), Catelain Gilbert (UDC), Cavaleri Mario (PDC), Cerutti Thierry (MCG), Charbonnier Alain (S), Chatelain Elisabeth (S), Clairet Maurice (MCG), Cuendet Edouard (L), de Candolle Beatriz (L), de Tassigny Marie-Françoise (R), Deneys Roger (S), Desbaillets René (L), Droin Antoine (S), Ducrest Pierre (L), Ducret Michel (R), Ducret Michèle (R), Emery-Torracinta Anne (S), Favre Christiane (L), Fehlmann Rielle Laurence (S), Fischer Sophie (L), Flamand Emilie (V), Follonier Jacques (R), Forni Michel (PDC), Gauthier Morgane (Ve), Gautier Fabienne (L), Gautier Renaud (L), Gillet François (PDC), Golay Roger (MCG), Grobet-Wellner Mariane (S), Gros Jean-Michel (L), Hagmann Janine (L), Halpérin Michel (L), Hiltpold Hugues (R), Hodgers Antonio (Ve), Hohl Frédéric (R), Ischi Eric (UDC), Jeanneret Claude (MCG), Kast Carole-Anne (S), Keller Lopez Virginie (S), Läser Patricia (R), Letellier Georges (MCG), Leuenberger Sylvia (Ve), Leyvraz Eric (UDC), Losio Pierre (Ve), Luscher Christian (L), Marcet Claude (UDC), Mettan Guy (PDC), Meylan Alain (L), Nidegger Yves (UDC), Odier Jean-Marc (R), Pétroz Pascal (PDC), Plojoux Patrice (L), Portier Pierre-Louis (PDC), Pürro Véronique (S), Rappaz Henry (MCG), Rossiaud Jean (Ve), Schenk-Gottret Françoise (S), Schifferli Pierre (UDC), Schmied Véronique (PDC), Schneider Bidaux Brigitte (Ve), Serex Louis (R), Sidler Damien (Ve), Slatkine Ivan (L), Stalder René (L), Stauffer Eric (MCG), Thion François (S), Velasco Alberto (S), Walpen Francis (L), Weiss Pierre (L), Wisard Blum Ariane (Ve), Zbinden Hugo (Ve).
(A l'issue de l'appel nominal, l'Orchestre de la Suisse Romande joue les deuxième et troisième mouvements du Concerto brandebourgeois pour trompette et orchestre de Jean-Sébastien Bach.)
Discours du président du Grand Conseil
Le président. Madame la conseillère fédérale, en vous saluant il me plaît de rappeler que vous étiez ici il y a quatre ans, mais comme présidente du Conseil d'Etat genevois. Le temps passe, les fonctions changent, mais vous êtes là: merci.
Monsieur le président, Messieurs les conseillers d'Etat,
Monsieur le procureur général,
Mesdames et Messieurs les députés genevois aux Chambres fédérales,
Monsieur le juge fédéral,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités judiciaires,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités communales,
Madame, Messieurs les anciens conseillers d'Etat,
Mesdames et Messieurs les anciens présidents du Grand Conseil,
Monsieur le chancelier d'Etat,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités militaires, ecclésiastiques et universitaires,
Mesdames et Messieurs les représentants des organisations internationales,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités diplomatiques et consulaires,
Madame la conseillère d'Etat du canton de Vaud,
Messieurs les représentants des départements de l'Ain et de la Haute-Savoie,
Mesdames et Messieurs,
Chères concitoyennes, chers concitoyens,
Tous les quatre ans, au terme des élections, le Grand Conseil tient séance extraordinaire pour recevoir le serment des conseillers d'Etat. Avant d'y procéder, je voudrais exprimer une fois encore aux membres sortants du Conseil d'Etat, Mme Martine Brunschwig Graf, Mme Micheline Spoerri et M. Carlo Lamprecht, la reconnaissance du parlement et de la République pour leur engagement au service des citoyens et la qualité des liens qu'ils ont entretenus avec le Grand Conseil.
Extraordinaire, notre séance de ce jour l'est à plus d'un titre: sa solennité, puisqu'elle consacre la rencontre exceptionnelle des trois pouvoirs, le législatif, l'exécutif et le judiciaire; son lieu, désigné par la Constitution: le temple de Saint-Pierre, devenant pour l'occasion celui de la laïcité républicaine; son faste - relatif, bien sûr, nous sommes à Genève ! Que soient ici remerciés chaleureusement tous ceux qui, notamment au sein du service du Grand Conseil, de la chancellerie d'Etat, du service du protocole, ont oeuvré pour permettre le bon déroulement de cette cérémonie. Que grâce soit aussi rendue aux artistes pour leur précieux concours: M. François Delor, organiste de la cathédrale, le choeur du Grand-Théâtre, ainsi que l'Orchestre de la Suisse Romande et M. Charles Aznavour.
Extraordinaire, cette séance l'est enfin par son contenu: pendant une heure Genève se tend à elle-même un miroir, façonne un projet ou murmure un voeu.
Après avoir prêté serment, le Conseil d'Etat, par la bouche de son président, prononcera le discours-programme de la législature qui commence. Ses options principales nous seront donc annoncées dans quelques instants. J'imagine que le redressement des finances, la lutte contre le chômage et la construction de logements en feront partie. Ce sont en tout cas trois thèmes qui préoccupent les citoyens et que je souhaite évoquer parce qu'ils sont, au sens chimique du mot, des révélateurs.
Le logement, si difficilement accessible aujourd'hui, est le baromètre de l'économie: quand le bâtiment va, tout va. Or l'économie et le bâtiment vont mieux, beaucoup mieux, partout en Suisse... sauf à Genève. A qui la faute ? Aux autorités ? Aux spéculateurs ? Aux étrangers ? Ce questionnement n'est pas nouveau. Au XVIe siècle, Calvin et les réfugiés français huguenots étaient à peine arrivés que les Genevois protestaient contre cette immigration massive d'étrangers qui doublait la population, provoquait la raréfaction des appartements, la flambée des prix et entraînait la nécessité de rehausser les immeubles. De siècle en siècle, le débat s'est poursuivi, par à-coups, jusqu'au démantèlement des murailles de la ville par James Fazy au XIXe siècle et à la création de nouveaux quartiers vers 1960. Depuis, presque rien, sinon des planifications qui figurent depuis longtemps en première ligne de tous les discours de Saint-Pierre. Pourtant les promoteurs, nous dit-on, sont prêts à investir et à construire. Mais Genève hésite: préserver les acquis ou se développer ? Sacrifier la qualité de vie que procure un environnement agréable ou la sauvegarder au mépris des exigences économiques et sociales ? Dans le doute, nous nous sommes barricadés.
L'assainissement des finances est un autre sujet récurrent. Il y a quarante ans déjà, et il n'a jamais cessé depuis, le Conseil d'Etat s'engageait à ne pas financer les déficits du budget de fonctionnement par la dette. Celle-ci n'a pourtant pas cessé de croître. Comme le budget lui-même qui a doublé depuis 1985. Y a-t-il une vraie volonté politique de s'en prendre à cette funeste pratique de la dépense excessive ? Au risque de contrarier, tour à tour, les amis, les alliés, les associations, les syndicats, la fonction publique, le patronat, les personnes âgées, les jeunes, la classe moyenne et toutes les autres ? Pourtant, nul n'ignore que vivre au-dessus de ses moyens mène à la faillite, au mieux fait supporter cette conséquence fatidique à la prochaine génération. Après nous le déluge, semblent dire les institutions.
Le chômage enfin est plus qu'une préoccupation, c'est un crève-coeur. Entre 1950 et 1990, le plein emploi a été constamment assuré. Puis sont arrivées les remises en question et les restructurations qui traduisent la nécessité de s'adapter à un monde qui va plus vite et que, malgré nos désirs, nous ne pouvons pas freiner. Nous disposons d'un filet social digne d'éloges mais le chômage ne diminue pas, et à Genève il est du double de la moyenne nationale. Douze ans de priorité affichée et effectivement traitée, par la protection sociale et par la promotion économique, sans qu'on voie pour autant le bout du tunnel. Or la recherche vaine d'un emploi est source d'anxiété et de grave découragement pour ceux qui sont touchés. Elle les conduit à douter de leurs capacités, donc d'eux-mêmes; elle les marginalise; elle les déprime; elle pèse aussi comme une fatalité sur le destin des jeunes en formation, dont certains, résignés d'avance, se prévoient chômeurs à vie. Alors que l'avenir doit se rêver, se préparer, se construire avec énergie et enthousiasme.
Sur ces trois sujets majeurs et les autres, tout aussi substantiels, qui seront au centre de l'action politique des quatre années qui viennent, nous devrons prendre nos responsabilités. Les Genevois veulent que le Conseil d'Etat s'engage avec détermination dans son programme et exigent du parlement qu'il fasse preuve de la même fermeté. Ces attentes sont d'autant plus impatientes qu'elles ont été déçues dans le passé. La population nous l'a fait comprendre lors de ces élections. Elle a marqué le désir que les institutions donnent toute leur mesure, dans la collaboration comme dans l'affrontement. Notre système est conçu pour que le Conseil d'Etat soit une force dynamique. C'est à lui qu'appartiennent dans la règle les élans initiaux. La tâche naturelle du parlement consiste plutôt à approuver, rejeter ou amender les projets gouvernementaux. Mais notre Grand Conseil peut prendre lui-même, dans les domaines qui sont les siens, par exemple à l'occasion du budget, et au risque de déplaire, les mesures qu'il juge indispensables, même contre l'avis du Conseil d'Etat. C'est aussi à cela que sert la séparation des pouvoirs.
Telle qu'elle est formulée par Montesquieu dans L'esprit des lois, publié d'ailleurs pour la première fois ici même à Genève en 1748, cette séparation des pouvoirs postule à la fois l'indépendance et l'intelligence: indépendance puisque chacun des organes de l'Etat a des responsabilités spécifiques qu'il convient de respecter scrupuleusement pour se préserver de l'absolutisme; intelligence, car la séparation ne les empêche évidemment ni de réfléchir ni de collaborer.
Formulons ici le souhait que le Conseil d'Etat et le Grand Conseil oeuvrent ensemble, intelligemment et en bonne intelligence, en faveur de l'intérêt public et qu'ensemble ils parviennent à convaincre les citoyens de la pertinence et de la nécessité des sacrifices inévitables.
La démocratie directe comporte en effet des devoirs pour chacun d'entre nous. Il ne suffit pas, pour qu'un projet aboutisse, qu'il ait l'aval du gouvernement et du parlement. Il faut encore que le peuple en soit également persuadé, sans quoi il y fait obstacle par la voie du référendum. Cela suppose que les Genevois partagent avec leurs autorités une volonté commune cohérente.
J'ai dit il y un instant que les thèmes des finances, du logement et du chômage étaient des révélateurs. Voici pourquoi: la manière dont nous abordons l'assainissement des finances révèle notre capacité de vouloir; le traitement de la question du logement, notre aptitude à prévoir; les remèdes que nous préconisons pour le chômage, notre sens des responsabilités individuelles et collectives. A l'éclairage de ces trois sujets, nous voyons bien que notre volonté, notre lucidité et notre sens des responsabilités sont faibles. Parce que nous sommes tenaillés par le doute, nous prévoyons des lendemains qui ne chantent plus et nous désenchantent. Pour la première fois depuis des décennies nous avons l'impression que le sort de la génération qui monte sera moins bon que le nôtre. Cela nous culpabilise, peut-être à juste titre, nous qui avons eu le pain blanc. Mais cela nous paralyse aussi.
De l'autosatisfaction, nous sommes passés sans transition au mécontentement de soi, et de l'ennui nous passons à la peur, si dangereuse pour la démocratie.
Je tiens cependant à garder le sens des proportions. Comparons nos difficultés à celles que d'autres vivent. Catastrophes naturelles à répétition, lourdes en pertes humaines et matérielles, aux Amériques, en Asie, au Moyen-Orient; guerres civiles en Afrique et même en Europe; dictatures dans la majorité des Etats de la planète; fondamentalisme, terrorisme et contre-terrorisme; pandémies; sans oublier le chômage, autrement massif que le nôtre, dans des Etats pourtant voisins; migrations politiques et économiques, intégration ratée et violences urbaines. Ces malheurs nous ont largement épargnés.
Ce n'est pas entièrement dû au hasard, même si les bonnes fées du climat tempéré dont nous bénéficions y ont une grande place. C'est aussi le fruit de deux vertus, le goût du travail bien fait et celui de la liberté, que Genève a longtemps pratiquées avec bonheur mais qu'elle dédaigne un peu ces temps-ci. Le goût du travail bien fait remonte au moins à la Réforme, qui depuis 1536 promeut l'effort, le succès dans l'ascèse, de même que la curiosité intellectuelle, moteur de la science et de la philosophie.
C'est ainsi que nos prédécesseurs ont publié Voltaire et Montesquieu, pratiqué avec inventivité l'industrie et la finance, érigé le quant-à-soi au rang des beaux-arts, l'hospitalité, l'arbitrage et le droit humanitaire aux degrés les plus élevés de la diplomatie, et la recherche et l'éducation en valeurs fondamentales. Sans cette quête de l'excellence et cette ouverture d'esprit, sans le respect de la pensée et des moeurs d'autrui, Genève ne serait pas devenue une ville prospère et rayonnante, promotrice du dialogue et capitale des Droits de l'Homme.
C'est de tout cela que nous sommes les héritiers. Nous en sommes redevables à ceux qui l'ont rendu possible. Et nous en sommes comptables envers nos descendants à qui nous voulons laisser un héritage dont nous soyons fiers, riche des ressources de la communauté et de la possibilité pour chacun de ses membres de se construire un avenir.
Quant à la liberté, contrairement à une opinion aujourd'hui trop souvent répandue, elle n'est pas un dû: elle est une conquête. La liberté politique que nous célébrons aujourd'hui a été conquise au prix de mille efforts, mille sacrifices, arrachée inlassablement aux tentations récurrentes de l'aliénation. On perd la liberté sous la botte du tyran qui s'impose par la force. On la perd aussi quand un endettement excessif nous rend dépendants de la bonne volonté des autres ou quand la recherche trop prolongée d'un emploi nous prive de la capacité de nous projeter dignement dans l'avenir. On la perd encore quand on abandonne l'esprit critique et l'aptitude à rêver. On la perd enfin quand on se décourage face à l'adversité. Volonté, lucidité, sens des responsabilités, voilà un projet pour Genève. Un voeu que les Genevois puissent murmurer d'abord puis proclamer.
Mesdames et Messieurs, pour les deux forces qui constituent notre monde politique, le Conseil d'Etat et le Grand Conseil, mais aussi pour tous les citoyens de Genève, le temps de l'imagination, du travail et d'un peu de courage est venu. Je suis convaincu que nous allons à présent relever ce défi, parce que nous savons bien au fond de nous-mêmes - nous savons bien, n'est-ce pas ? - que le temps de l'effort et de l'action est aussi celui de l'espoir et de la liberté.
(A la fin du discours du président du Grand Conseil, le choeur du Grand Théâtre et l'Orchestre de la Suisse Romande interprètent le choeur des Hébreux, extrait de l'opéra Nabucco de Giuseppe Verdi.)
Prestation de serment des conseillers d'Etat
Le président. Nous allons maintenant procéder à la prestation de serment du Conseil d'Etat. Je prie l'assistance de bien vouloir se lever.
Messieurs les conseillers d'Etat, je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant cette lecture, vous tiendrez la main droite levée. Une fois cette lecture terminée, vous baisserez la main. Puis, à l'appel de votre nom, vous vous approcherez des Saintes Ecritures, vous lèverez à nouveau la main droite et prononcerez les mots: je le jure ou je le promets.
Veuillez lever la main droite !
«Je jure ou je promets solennellement:
d'être fidèle à la République et canton de Genève, d'observer religieusement la constitution et les lois, sans jamais perdre de vue que mes fonctions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple;
de maintenir l'indépendance et l'honneur de la République, de même que la sûreté et la liberté de tous les citoyens;
d'être assidu aux séances du Conseil et d'y donner mon avis impartialement et sans aucune acception de personnes;
d'observer tous les devoirs que nous impose notre union à la Confédération suisse et d'en maintenir, de tout mon pouvoir, l'honneur, l'indépendance et la prospérité.»
Veuillez baisser la main !
(A l'appel de leur nom, MM. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat, Charles Beer, vice-président du Conseil d'Etat, Laurent Moutinot, Robert Cramer, David Hiler, François Longchamp, Mark Muller, conseillers d'Etat, s'approchent des Saintes Ecritures et, la main droite levée, prononcent les mots «Je le jure» ou «Je le promets».)
Le président. Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, le Grand Conseil prend acte de votre serment et vous souhaite plein succès pour cette 56e législature.
Nous entendrons à l'orgue le «Cé qu'è lainô», que je vous invite à chanter. Pour ceux à qui cela peut servir, le texte est sur les cartons d'invitation.
(L'assemblée chante le «Cé qu'è lainô».)
Le président. Veuillez vous asseoir. La parole est à M. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat.
Discours du président du Conseil d'Etat
M. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président du Grand Conseil,
Monsieur le procureur général,
Messieurs les conseillers d'Etat,
Mesdames et Messieurs les députés genevois aux Chambres fédérales,
Monsieur le juge fédéral,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités judiciaires,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités communales,
Madame, Messieurs les anciens conseillers d'Etat,
Mesdames et Messieurs les anciens présidents du Grand Conseil,
Monsieur le chancelier d'Etat,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités militaires, ecclésiastiques et universitaires,
Mesdames et Messieurs les représentants des organisations internationales,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités diplomatiques et consulaires,
Madame la conseillère d'Etat du canton de Vaud,
Messieurs les représentants des départements de l'Ain et de la Haute-Savoie,
Mesdames et Messieurs,
Chères concitoyennes, chers concitoyens,
Les trente années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale ont vu une période de croissance économique sans précédent dans l'histoire. Elle s'est nourrie d'une distribution nettement plus équitable des revenus que par le passé, par le biais notamment de l'instauration de systèmes de sécurité sociale. Cette période exceptionnelle s'est achevée avec les chocs pétroliers.
Cette période a aussi été caractérisée au niveau mondial par deux phénomènes : la désacralisation des institutions - église, nation, famille - et le déclin des grandes idéologies. Or tout ceci constituait autant de repères conférant aux individus un sentiment d'appartenance donnant un cadre au débat collectif.
Ces phénomènes ont engendré l'affirmation toujours plus prononcée de l'individu souverain contre toute contrainte de nature collective. Et, mine de rien, c'est bien l'alliance insolite entre l'extension de l'économie de marché et de l'Etat protecteur qui a concouru à la propagation de cette domination du « chacun pour soi » : l'économie de marché en cultivant le mythe que tout s'achète et que le client est roi; et l'Etat protecteur qui, se muant en Etat providence, a opéré une déconnexion totale entre droits et devoirs de ses « bénéficiaires ».
Dès le début des années nonante, Genève a subi le contrecoup des problèmes économiques. Faute d'avoir pu s'adapter, l'Etat de Genève vit des difficultés financières et sociales qui l'affaiblissent et le rendent vulnérable. Notre nouveau gouvernement est ainsi confronté à des enjeux cruciaux pour l'avenir de notre communauté. Pourtant, quelle communauté peut se prévaloir d'autant d'atouts ? La situation économique de la région est enviée: une Genève internationale dynamique, des entreprises industrielles de pointe, un secteur tertiaire, notamment bancaire, dont la réputation est mondiale, une agriculture et une viticulture qui ont su se moderniser, une richesse en matière de commerce international et local, des petites et moyennes entreprises diversifiées, un aéroport à succès, une université de renom. Tous ces acteurs ont créé un bassin d'emplois à forte valeur ajoutée, composé de femmes et d'hommes compétents de toutes origines et donc d'une richesse exceptionnelle pour une communauté de 450 000 habitants. Mais, en même temps, l'adéquation entre les emplois offerts, les qualifications requises et les possibilités du marché local de l'emploi n'est pas satisfaisante et notre taux de chômage est inquiétant.
Il faut aussi reconnaître qu'il n'est plus acceptable de continuer à endetter notre canton. Depuis de trop nombreuses années, le train de vie de nos collectivités publiques n'est plus adapté à nos moyens; notre population comme nos Confédérés n'ont pas manqué de le constater, d'abord avec amitié, puis avec surprise, enfin avec incompréhension.
On ne peut pas non plus se contenter de regretter l'augmentation des scènes de violence et des formes de maltraitance, de déplorer la dégradation des immeubles, l'incivilité croissante et la saleté de nos rues. Au coeur de la région, nous bénéficions d'un petit bout de planète où la qualité de vie est reconnue. L'ouverture de cette région au monde doit demeurer une ardente exigence au service de tous.
La richesse des multiples apports culturels, fidèle à notre longue tradition genevoise du refuge, constitue le ciment de notre réussite collective et des droits individuels. Nous n'avons pas le droit de les dilapider en dressant de nouveaux murs et de nouvelles frontières virtuelles, qu'elles soient géographiques ou nichées dans les comportements.
Le gouvernement entend mener son action de façon déterminée et soudée. La tâche est exigeante, elle est aussi exaltante. Nous voulons proposer un contrat pour l'avenir, fondé sur l'analyse de nos forces comme de nos difficultés. Ce contrat pour l'avenir nous réunira dans l'action autour de trois grandes exigences: restaurer la confiance et l'autorité de l'Etat, retrouver la liberté pour innover, gouverner autrement.
Restaurer la confiance, c'est impérativement innover parce que le monde change. Restaurer la confiance, c'est réformer les institutions, améliorer leur fonctionnement, notamment au plan des rapports que l'Etat et ses services entretiennent avec la population. La confiance ne se décrète pas, elle se construit. Voilà pourquoi c'est une grande mission de simplifier - dans les faits - l'action de l'Etat. A titre d'exemple, un citoyen, un résident, une entreprise ne devrait transmettre qu'une seule fois aux autorités les informations dont elles ont besoin, par internet pour ceux qui le souhaitent. Le principe de confiance doit prévaloir sur l'automatisme de la méfiance pour favoriser un contact aisé entre l'administration et le citoyen.
Restaurer la confiance, c'est aussi affirmer l'autorité de la puissance publique. La vie au sein de la collectivité impose le partage des droits, mais aussi des devoirs. Il n'y a pas de vraie solidarité sans confiance et pas de confiance sans respect de l'autorité.
Restaurer la confiance, c'est soigner la démocratie qui se juge naturellement à la sauvegarde des libertés, ce qui exige le respect des lois et des règles dont seule la démocratie peut être le garant. C'est la raison pour laquelle notre gouvernement entend s'engager contre tous les types de fraudes, qu'elles soient fiscales ou sociales.
Restaurer la confiance, c'est clarifier les rapports entre les différentes entités publiques, étatiques et communales, petites ou grandes, qui doivent réapprendre «le bien-vivre ensemble». Il est indispensable de construire un nouveau partenariat qui redéfinisse ou confirme les missions, les tâches déléguées, les contrats entre l'Etat et les communes, entre l'Etat et ceux auxquels il délègue des tâches.
Seconde exigence: retrouver la liberté pour innover. Le contrat pour l'avenir que nous vous proposons implique de retrouver des leviers pour construire ensemble une ambition collective.
L'assainissement des finances publiques est le premier levier - et non le moindre - pour retrouver des espaces de liberté pour agir, des conditions pour la création et l'innovation, des ressources pour la solidarité et la cohésion sociales. L'éloge de la mesure doit se substituer à la culture de la plainte; à la logique des besoins s'oppose la logique des moyens.
Notre gouvernement n'entend pas proposer de hausse d'impôts tant qu'il n'aura pas collectivement démontré sa capacité d'accélérer et faire aboutir la réorganisation de l'Etat. Celle-ci sera réalisée selon une méthode qui dotera le Conseil d'Etat, le Grand Conseil et l'administration des instruments qui leur font défaut aujourd'hui pour définir les orientations stratégiques de l'action publique et les adapter à l'évolution des besoins économiques et sociaux en fonction des priorités politiques. Le gouvernement, d'entente avec ses partenaires, présentera donc un plan de mesures solides et crédibles permettant de retrouver en quatre ans l'équilibre budgétaire avant de diminuer la dette. Mais nous n'appliquerons pas une politique aveugle et brutale d'assainissement; ceci mettrait en danger la poursuite des missions indispensables du service public, étoufferait à court terme certains secteurs de notre économie locale et mettrait en danger les personnes les plus vulnérables.
Le second levier afin d'atteindre nos objectifs est de nous donner les moyens indispensables pour offrir les conditions du développement. Cela nécessite un climat favorable pour les investisseurs et, particulièrement dans notre région, pour l'innovation, la recherche et le développement. Les domaines à fort potentiel comme les sciences du vivant - biotechnologies, ingénierie biomédicale, nouvelles techniques de l'information - doivent être soutenus dans une perspective lémanique.
Une nouvelle stratégie de formation et de qualification de la main-d'oeuvre sera nécessaire afin d'assurer une adéquation entre la demande et l'offre. Il faut impérativement favoriser la création d'emplois durables, en particulier pour les chômeurs de longue durée et les jeunes, quelles que soient leurs compétences.
Pour assurer des conditions de vie répondant aux aspirations de nos résidents et de nos concitoyens et soutenir l'économie locale, il faut garder et attirer à Genève celles et ceux qui par leur travail ou leurs investissements créent notre richesse.
Il faut donc, et c'est le troisième levier, construire. En matière de logement, le gouvernement entend promouvoir des projets rapidement réalisables, tout d'abord dans les zones de développement prévues dans le plan d'aménagement et aussi sur le site de La Praille-Acacias. Mais construire à Genève, c'est aussi construire le développement de la région à travers le projet d'agglomération transfrontalière. Ce développement sera celui de l'harmonie, qui doit s'inscrire dans le cadre du développement durable. Il sera créateur de richesses en matière de développement économique, de formation et de culture. Dans une perspective régionale, construire à Genève, c'est aussi préserver les richesses naturelles et agricoles qui contribuent de manière essentielle à notre qualité de vie.
Il est impératif de donner une impulsion forte à la collaboration franco-suisse pour faire de cette région une vraie communauté de destin. Sans oublier que cette ambition ne peut se réaliser sans retrouver le chemin trop souvent déserté de Berne et de la collaboration avec toutes les régions et communautés de Suisse.
La troisième exigence impose une nouvelle manière de gouverner ensemble. Le gouvernement a modifié les départements de manière à rééquilibrer leurs budgets et à imposer une transversalité accrue dans l'approche des tâches politiques et administratives. Le Conseil d'Etat entend gouverner en appliquant systématiquement une approche décloisonnée, transversale et globale, c'est-à-dire en faisant primer l'action du gouvernement sur celle des départements. Pour faciliter cette nouvelle façon de travailler ensemble, les bureaux et les secrétariats généraux des sept conseillers d'Etat seront regroupés dans la rue de l'Hôtel-de-Ville dès le 30 janvier 2006.
Le Conseil d'Etat prendra aussi les mesures et moyens pour améliorer la communication et les échanges formels avec les partis, les représentants de la société civile, les partenaires sociaux et avec l'interlocuteur privilégié qu'est le parlement, avec lequel il aspire à retrouver le chemin des décisions politiques efficaces et respectueuses des rôles de chacun.
Nous entendons fonder notre stratégie sur une définition claire des missions de chaque service, l'amélioration de l'organisation de l'Etat, une simplification des procédures et des hiérarchies, un allègement de la bureaucratie et de la technocratie. Nous favoriserons la culture de l'évaluation régulière des actions menées.
La qualité du service public dépend - autant que des budgets - de l'état d'esprit et de la motivation de ses collaborateurs. A ce titre, une politique du personnel axée sur la valorisation des compétences, la formation, le perfectionnement et la participation constituent autant de leviers nécessaires à notre ambition commune. De plus, le Conseil d'Etat développera durant la législature une politique volontariste permettant aux femmes d'accéder aux postes à responsabilité.
Le Conseil d'Etat proposera au parlement - après avoir procédé aux consultations nécessaires - d'ici au 15 mai prochain, comme l'a fait le gouvernement neuchâtelois six mois après son entrée en fonction, un plan de mesures et un calendrier pour la législature alliant audace politique, efficience de l'action publique et gestion rigoureuse. Dans ce cadre, il nous apparaît nécessaire que le projet de budget 2006 soit reconsidéré.
Mesdames et Messieurs, ce contrat pour l'avenir n'est aujourd'hui pas un «inventaire à la Prévert». Il se concentre autour de trois exigences: restaurer la confiance et l'autorité de l'Etat, retrouver la liberté pour innover, gouverner autrement. Il identifie les leviers nécessaires à cet effet et cite quelques mesures concrètes. Nous n'avons ni le choix ni le droit de l'inaction et de la plainte. Chaque personne qui perd aujourd'hui son emploi, c'en est une de trop; chaque acte délictueux qui attente au bien privé ou public, c'en est un de trop; chaque détresse sociale, chaque suicide d'un jeune, chaque victime de violence, chaque accidenté de la route, chaque jeune non formé, chaque vieillard ignoré, c'en est un de trop. C'est cela qui justifie notre engagement politique commun.
Nous invitons donc les habitantes et habitants, les élus, les corps constitués, les collaborateurs de la fonction publique à se rassembler pour mieux servir et, ensemble, faire gagner Genève.
Vive Genève, vive la Suisse ! (Applaudissements.)
Le président. Nous avons le privilège unique d'entendre Charles Aznavour. Monsieur Charles Aznavour, vous avez accepté, avec la simplicité, la générosité et la gentillesse qui vous caractérisent, de chanter Genève et donc de lui rendre hommage dans le cadre cette cérémonie.
Cela nous permet de vous exprimer à notre tour l'admiration de tous les Genevois. Vous avez fait, depuis de nombreuses années, le choix de vivre parmi nous. A ce titre, vous êtes représentatif de ces étrangers qui, au fil du temps, ont si largement contribué à faire de Genève ce qu'elle est. Sans leur apport, leur intelligence, leur talent, leur engagement dans tous les domaines de la vie - science, pédagogie, art, etc. - nous ne serions qu'une cité marginale. Ce sont les étrangers - que nous sommes tous, depuis un temps plus ou moins récent - qui font Genève.
Nous saluons donc votre immense talent d'auteur et d'interprète. Avec cette voix unique dont nous sommes tous imprégnés, vous évoquez le temps des uns et le temps des autres; l'amour, la bohème, la jeunesse, les comédiens - on en rencontre quelques-uns parfois en politique - mais aussi, la marginalité, la solitude, les enfants de la guerre, le martyr de l'Arménie dont vous êtes un fils.
La diversité de votre inspiration, la finesse de votre plume et son exactitude, font de vous un citoyen du monde et donc un membre à part entière de la communauté genevoise qui se réjouit aujourd'hui de l'honneur que vous lui avez fait en la choisissant comme cité d'adoption.
(M. Charles Aznavour interprète une chanson, accompagné par l'Orchestre de la Suisse Romande.)
Le président. En votre nom à tous, je remercie infiniment M. Charles Aznavour. Je déclare close la cérémonie de prestation de serment du Conseil d'Etat.
(Pendant que les officiels quittent la cathédrale en cortège, M. François Delor, aux orgues, interprète la Toccata de la cinquième symphonie de Charles-Marie Widor.)
La séance est levée à 18h20.