Séance du lundi 5 décembre 2005 à 17h
56e législature - 1re année - 2e session - 9e séance

M. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président du Grand Conseil,

Monsieur le procureur général,

Messieurs les conseillers d'Etat,

Mesdames et Messieurs les députés genevois aux Chambres fédérales,

Monsieur le juge fédéral,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités judiciaires,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités communales,

Madame, Messieurs les anciens conseillers d'Etat,

Mesdames et Messieurs les anciens présidents du Grand Conseil,

Monsieur le chancelier d'Etat,

Mesdames et Messieurs les députés,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités militaires, ecclésiastiques et universitaires,

Mesdames et Messieurs les représentants des organisations internationales,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités diplomatiques et consulaires,

Madame la conseillère d'Etat du canton de Vaud,

Messieurs les représentants des départements de l'Ain et de la Haute-Savoie,

Mesdames et Messieurs,

Chères concitoyennes, chers concitoyens,

Les trente années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale ont vu une période de croissance économique sans précédent dans l'histoire. Elle s'est nourrie d'une distribution nettement plus équitable des revenus que par le passé, par le biais notamment de l'instauration de systèmes de sécurité sociale. Cette période exceptionnelle s'est achevée avec les chocs pétroliers.

Cette période a aussi été caractérisée au niveau mondial par deux phénomènes : la désacralisation des institutions - église, nation, famille - et le déclin des grandes idéologies. Or tout ceci constituait autant de repères conférant aux individus un sentiment d'appartenance donnant un cadre au débat collectif.

Ces phénomènes ont engendré l'affirmation toujours plus prononcée de l'individu souverain contre toute contrainte de nature collective. Et, mine de rien, c'est bien l'alliance insolite entre l'extension de l'économie de marché et de l'Etat protecteur qui a concouru à la propagation de cette domination du « chacun pour soi » : l'économie de marché en cultivant le mythe que tout s'achète et que le client est roi; et l'Etat protecteur qui, se muant en Etat providence, a opéré une déconnexion totale entre droits et devoirs de ses « bénéficiaires ».

Dès le début des années nonante, Genève a subi le contrecoup des problèmes économiques. Faute d'avoir pu s'adapter, l'Etat de Genève vit des difficultés financières et sociales qui l'affaiblissent et le rendent vulnérable. Notre nouveau gouvernement est ainsi confronté à des enjeux cruciaux pour l'avenir de notre communauté. Pourtant, quelle communauté peut se prévaloir d'autant d'atouts ? La situation économique de la région est enviée: une Genève internationale dynamique, des entreprises industrielles de pointe, un secteur tertiaire, notamment bancaire, dont la réputation est mondiale, une agriculture et une viticulture qui ont su se moderniser, une richesse en matière de commerce international et local, des petites et moyennes entreprises diversifiées, un aéroport à succès, une université de renom. Tous ces acteurs ont créé un bassin d'emplois à forte valeur ajoutée, composé de femmes et d'hommes compétents de toutes origines et donc d'une richesse exceptionnelle pour une communauté de 450 000 habitants. Mais, en même temps, l'adéquation entre les emplois offerts, les qualifications requises et les possibilités du marché local de l'emploi n'est pas satisfaisante et notre taux de chômage est inquiétant.

Il faut aussi reconnaître qu'il n'est plus acceptable de continuer à endetter notre canton. Depuis de trop nombreuses années, le train de vie de nos collectivités publiques n'est plus adapté à nos moyens; notre population comme nos Confédérés n'ont pas manqué de le constater, d'abord avec amitié, puis avec surprise, enfin avec incompréhension.

On ne peut pas non plus se contenter de regretter l'augmentation des scènes de violence et des formes de maltraitance, de déplorer la dégradation des immeubles, l'incivilité croissante et la saleté de nos rues. Au coeur de la région, nous bénéficions d'un petit bout de planète où la qualité de vie est reconnue. L'ouverture de cette région au monde doit demeurer une ardente exigence au service de tous.

La richesse des multiples apports culturels, fidèle à notre longue tradition genevoise du refuge, constitue le ciment de notre réussite collective et des droits individuels. Nous n'avons pas le droit de les dilapider en dressant de nouveaux murs et de nouvelles frontières virtuelles, qu'elles soient géographiques ou nichées dans les comportements.

Le gouvernement entend mener son action de façon déterminée et soudée. La tâche est exigeante, elle est aussi exaltante. Nous voulons proposer un contrat pour l'avenir, fondé sur l'analyse de nos forces comme de nos difficultés. Ce contrat pour l'avenir nous réunira dans l'action autour de trois grandes exigences: restaurer la confiance et l'autorité de l'Etat, retrouver la liberté pour innover, gouverner autrement.

Restaurer la confiance, c'est impérativement innover parce que le monde change. Restaurer la confiance, c'est réformer les institutions, améliorer leur fonctionnement, notamment au plan des rapports que l'Etat et ses services entretiennent avec la population. La confiance ne se décrète pas, elle se construit. Voilà pourquoi c'est une grande mission de simplifier - dans les faits - l'action de l'Etat. A titre d'exemple, un citoyen, un résident, une entreprise ne devrait transmettre qu'une seule fois aux autorités les informations dont elles ont besoin, par internet pour ceux qui le souhaitent. Le principe de confiance doit prévaloir sur l'automatisme de la méfiance pour favoriser un contact aisé entre l'administration et le citoyen.

Restaurer la confiance, c'est aussi affirmer l'autorité de la puissance publique. La vie au sein de la collectivité impose le partage des droits, mais aussi des devoirs. Il n'y a pas de vraie solidarité sans confiance et pas de confiance sans respect de l'autorité.

Restaurer la confiance, c'est soigner la démocratie qui se juge naturellement à la sauvegarde des libertés, ce qui exige le respect des lois et des règles dont seule la démocratie peut être le garant. C'est la raison pour laquelle notre gouvernement entend s'engager contre tous les types de fraudes, qu'elles soient fiscales ou sociales.

Restaurer la confiance, c'est clarifier les rapports entre les différentes entités publiques, étatiques et communales, petites ou grandes, qui doivent réapprendre «le bien-vivre ensemble». Il est indispensable de construire un nouveau partenariat qui redéfinisse ou confirme les missions, les tâches déléguées, les contrats entre l'Etat et les communes, entre l'Etat et ceux auxquels il délègue des tâches.

Seconde exigence: retrouver la liberté pour innover. Le contrat pour l'avenir que nous vous proposons implique de retrouver des leviers pour construire ensemble une ambition collective.

L'assainissement des finances publiques est le premier levier - et non le moindre - pour retrouver des espaces de liberté pour agir, des conditions pour la création et l'innovation, des ressources pour la solidarité et la cohésion sociales. L'éloge de la mesure doit se substituer à la culture de la plainte; à la logique des besoins s'oppose la logique des moyens.

Notre gouvernement n'entend pas proposer de hausse d'impôts tant qu'il n'aura pas collectivement démontré sa capacité d'accélérer et faire aboutir la réorganisation de l'Etat. Celle-ci sera réalisée selon une méthode qui dotera le Conseil d'Etat, le Grand Conseil et l'administration des instruments qui leur font défaut aujourd'hui pour définir les orientations stratégiques de l'action publique et les adapter à l'évolution des besoins économiques et sociaux en fonction des priorités politiques. Le gouvernement, d'entente avec ses partenaires, présentera donc un plan de mesures solides et crédibles permettant de retrouver en quatre ans l'équilibre budgétaire avant de diminuer la dette. Mais nous n'appliquerons pas une politique aveugle et brutale d'assainissement; ceci mettrait en danger la poursuite des missions indispensables du service public, étoufferait à court terme certains secteurs de notre économie locale et mettrait en danger les personnes les plus vulnérables.

Le second levier afin d'atteindre nos objectifs est de nous donner les moyens indispensables pour offrir les conditions du développement. Cela nécessite un climat favorable pour les investisseurs et, particulièrement dans notre région, pour l'innovation, la recherche et le développement. Les domaines à fort potentiel comme les sciences du vivant - biotechnologies, ingénierie biomédicale, nouvelles techniques de l'information - doivent être soutenus dans une perspective lémanique.

Une nouvelle stratégie de formation et de qualification de la main-d'oeuvre sera nécessaire afin d'assurer une adéquation entre la demande et l'offre. Il faut impérativement favoriser la création d'emplois durables, en particulier pour les chômeurs de longue durée et les jeunes, quelles que soient leurs compétences.

Pour assurer des conditions de vie répondant aux aspirations de nos résidents et de nos concitoyens et soutenir l'économie locale, il faut garder et attirer à Genève celles et ceux qui par leur travail ou leurs investissements créent notre richesse.

Il faut donc, et c'est le troisième levier, construire. En matière de logement, le gouvernement entend promouvoir des projets rapidement réalisables, tout d'abord dans les zones de développement prévues dans le plan d'aménagement et aussi sur le site de La Praille-Acacias. Mais construire à Genève, c'est aussi construire le développement de la région à travers le projet d'agglomération transfrontalière. Ce développement sera celui de l'harmonie, qui doit s'inscrire dans le cadre du développement durable. Il sera créateur de richesses en matière de développement économique, de formation et de culture. Dans une perspective régionale, construire à Genève, c'est aussi préserver les richesses naturelles et agricoles qui contribuent de manière essentielle à notre qualité de vie.

Il est impératif de donner une impulsion forte à la collaboration franco-suisse pour faire de cette région une vraie communauté de destin. Sans oublier que cette ambition ne peut se réaliser sans retrouver le chemin trop souvent déserté de Berne et de la collaboration avec toutes les régions et communautés de Suisse.

La troisième exigence impose une nouvelle manière de gouverner ensemble. Le gouvernement a modifié les départements de manière à rééquilibrer leurs budgets et à imposer une transversalité accrue dans l'approche des tâches politiques et administratives. Le Conseil d'Etat entend gouverner en appliquant systématiquement une approche décloisonnée, transversale et globale, c'est-à-dire en faisant primer l'action du gouvernement sur celle des départements. Pour faciliter cette nouvelle façon de travailler ensemble, les bureaux et les secrétariats généraux des sept conseillers d'Etat seront regroupés dans la rue de l'Hôtel-de-Ville dès le 30 janvier 2006.

Le Conseil d'Etat prendra aussi les mesures et moyens pour améliorer la communication et les échanges formels avec les partis, les représentants de la société civile, les partenaires sociaux et avec l'interlocuteur privilégié qu'est le parlement, avec lequel il aspire à retrouver le chemin des décisions politiques efficaces et respectueuses des rôles de chacun.

Nous entendons fonder notre stratégie sur une définition claire des missions de chaque service, l'amélioration de l'organisation de l'Etat, une simplification des procédures et des hiérarchies, un allègement de la bureaucratie et de la technocratie. Nous favoriserons la culture de l'évaluation régulière des actions menées.

La qualité du service public dépend - autant que des budgets - de l'état d'esprit et de la motivation de ses collaborateurs. A ce titre, une politique du personnel axée sur la valorisation des compétences, la formation, le perfectionnement et la participation constituent autant de leviers nécessaires à notre ambition commune. De plus, le Conseil d'Etat développera durant la législature une politique volontariste permettant aux femmes d'accéder aux postes à responsabilité.

Le Conseil d'Etat proposera au parlement - après avoir procédé aux consultations nécessaires - d'ici au 15 mai prochain, comme l'a fait le gouvernement neuchâtelois six mois après son entrée en fonction, un plan de mesures et un calendrier pour la législature alliant audace politique, efficience de l'action publique et gestion rigoureuse. Dans ce cadre, il nous apparaît nécessaire que le projet de budget 2006 soit reconsidéré.

Mesdames et Messieurs, ce contrat pour l'avenir n'est aujourd'hui pas un «inventaire à la Prévert». Il se concentre autour de trois exigences: restaurer la confiance et l'autorité de l'Etat, retrouver la liberté pour innover, gouverner autrement. Il identifie les leviers nécessaires à cet effet et cite quelques mesures concrètes. Nous n'avons ni le choix ni le droit de l'inaction et de la plainte. Chaque personne qui perd aujourd'hui son emploi, c'en est une de trop; chaque acte délictueux qui attente au bien privé ou public, c'en est un de trop; chaque détresse sociale, chaque suicide d'un jeune, chaque victime de violence, chaque accidenté de la route, chaque jeune non formé, chaque vieillard ignoré, c'en est un de trop. C'est cela qui justifie notre engagement politique commun.

Nous invitons donc les habitantes et habitants, les élus, les corps constitués, les collaborateurs de la fonction publique à se rassembler pour mieux servir et, ensemble, faire gagner Genève.

Vive Genève, vive la Suisse ! (Applaudissements.)