Séance du
vendredi 21 janvier 2005 à
17h
55e
législature -
4e
année -
4e
session -
22e
séance
RD 479-A
Débat
La présidente. S'il vous plaît, un peu de silence ! (La présidente agite la cloche.)Le rapporteur de majorité, M. Jacques Baudit, est remplacé par Mme Anne-Marie von Arx-Vernon. Madame la rapporteure de majorité, avez-vous quelque chose à ajouter à votre rapport ?
Mme Anne-Marie Arx-Vernon Von (PDC), rapporteuse de majorité ad interim. Oui, Madame la présidente, je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, le rapport qui nous occupe ce soir date de 2002. On peut le regretter, et cela montre le retard pris dans les travaux de notre Conseil...
Bien entendu, le groupe PDC s'attend également que certains choisissent l'approbation de ce rapport pour refaire le débat budgétaire de décembre dernier... J'espère que nous pourrons l'éviter !
De plus, l'année 2002 n'est pas pertinente pour remettre en cause le principe de 0% d'aide, puisqu'elle fut une année de transition, plus précisément de mise en place du service de la solidarité internationale en tant que telle. Et je crois qu'il est important de relever que personne ne remet en cause - et même pas, bien sûr, le rapport de minorité - la qualité de ce rapport.
En tant que rapporteure de majorité à la place de M. Baudit, je me permets de reprendre à mon compte la citation de Vaclav Havel, reprise par mon éminent collègue dans son rapport de minorité. Cet éminent collègue de l'Alternative - ou de la complémentarité, si j'ose me permettre - ne m'en voudra pas si je lui dis qu'il n'a pas le monopole de l'art de vouloir nous rendre meilleurs, nous et le monde ! Mais, voilà, comment gérer nos utopies, nos désirs et nos besoins de pragmatisme en matière d'aide internationale ? C'est la substantifique moelle de ce rapport.
Utopie de vouloir le monde meilleur, Madame la présidente, et de se donner les moyens de mettre en oeuvre cet immense chantier - obligatoirement interminable chantier de la solidarité internationale - et le pragmatisme en opposition à l'utopie lorsque l'on met en place une politique de solidarité internationale réaliste ! Ce rapport, Madame la présidente, met en exergue la volonté de développer cette politique de solidarité internationale en tenant compte de la réalité financière genevoise.
Le travail du département est exemplaire, car il doit s'équilibrer entre le respect de la loi d'octobre 2001 - qui a été votée à l'unanimité, je le rappelle - et la réalité des faits, c'est-à-dire le mauvais état de nos finances.
Alors, même si nous sommes tous frustrés de ne pouvoir tout faire tout de suite dans le domaine de la solidarité internationale, restons humbles et réalistes et rappelons ce que nous avons en commun dans la Bible, le Coran et la Torah: sauver un enfant, c'est sauver l'humanité ! Avec les moyens que nous mettons progressivement en oeuvre, le canton de Genève est exemplaire à cet égard.
C'est donc avec beaucoup de conviction que je vous demande de voter ce rapport de majorité.
La présidente. Merci, Madame la rapporteure. Avant de passer la parole au rapporteur de minorité, je voudrais signaler la présence, à la tribune, de M. Cristin, ancien collègue député. (Applaudissements.)
M. Christian Brunier (S). Merci, Madame la présidente. Ma collègue, rapporteure de majorité, n'était pas là lorsque nous avons voté la loi en 2001, et c'est peut-être pour cela qu'elle ne connaît pas bien le sujet... En 2001, la plupart des députés avaient soutenu - ce n'était malheureusement pas à l'unanimité - ce projet de loi et l'avaient voté avec un grand enthousiasme. La dynamique en faveur de la solidarité internationale était véritablement importante, puisque le parlement a voulu se doter d'une loi accordant 0,7% du budget de fonctionnement de l'Etat à cette cause. Cela veut dire, en termes de chiffres, que l'ambition était de passer de 10 à 40 millions. Ce montant peut sembler élevé pour les gens qui nous écoutent, mais je rappelle qu'il s'agit de 40 millions sur 7 milliards - 7 milliards ! C'est une petite goutte d'eau dans un océan de solidarité internationale qu'on demandait à Genève de verser, Genève qui se veut la capitale des droits de l'Homme et de l'humanitaire.
Tout le monde avait considéré qu'il était possible de faire cet effort et, en 2001 d'ailleurs - c'est-à-dire une année avant l'élaboration de ce rapport - une petite partie des radicaux avait proposé d'augmenter progressivement le montant de 10 millions à 40 millions. Mais une grande majorité de ce parlement, dont le PDC, avait refusé catégoriquement ce mode de faire en disant qu'il voulait cette somme - 40 millions - tout de suite. Or, la situation financière de 2001 n'était pas si différente de celle de 2002, et, donc, les députés ont pris cette décision en toute connaissance de cause.
Alors, pourquoi refusons-nous aujourd'hui le rapport du Conseil d'Etat, c'est-à-dire le premier bilan de la loi après une année d'existence ? Pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, parce que la loi n'est pas respectée. Alors que l'ambition de ce parlement, dont le PDC, était de porter cette somme à 40 millions, on nous propose une diminution: de 12 à 10 ou 11 millions ! Par conséquent, la volonté de ce parlement n'est pas respectée - et, d'ailleurs, il n'y a pas eu de débat à ce sujet au cours du débat budgétaire, cela a été adapté par la suite, bien que, il faut le reconnaître, le conseiller d'Etat concerné, M. Lamprecht a toujours été relativement favorable à cet objectif de 0,7% - en tout cas en paroles... Dans la pratique, cet enthousiasme s'est révélé moins grand. Pour nous, il est tout à fait anormal de ne pas respecter la loi, surtout dans un domaine aussi essentiel pour Genève: la solidarité internationale. C'est la première raison.
Deuxième raison de s'opposer au rapport du Conseil d'Etat: le manque de transparence dans ce domaine, alors que nous demandions à l'époque - nous le demandons toujours parce que cela n'est pas résolu - de rassembler tous les montants consacrés à la solidarité internationale dans les différents départements. En 2002, le travail avait à peine commencé et nous n'étions pas satisfaits du manque de dynamisme en la matière. Depuis, je reconnais que le Conseil d'Etat a fait un effort. Ce n'est pas encore parfait, mais la situation s'est améliorée, c'est vrai, par rapport à 2002. Mais, je le répète, en 2002, la transparence financière en matière de solidarité internationale n'était vraiment pas au rendez-vous, et c'est aussi une raison de notre opposition au rapport 2002. Je pense que les citoyennes et les citoyens de ce canton, quel que soit leur avis sur la solidarité internationale, souhaitent plus de transparence sur les montants attribués.
Enfin, troisième raison: la ligne budgétaire «Solidarité internationale» est une sorte de fourre-tout. On s'était mis d'accord en commission, et le sens de la loi était important à ce niveau-là pour définir ce qu'était la solidarité internationale. C'était bien sûr l'humanitaire, mais c'était aussi la défense des droits de l'Homme et de la paix. C'est une définition assez large; néanmoins, le règlement d'application - et sur ce point le Conseil d'Etat n'a pas joué le jeu - a été encore beaucoup plus large, ce qui lui permet d'y mettre tout et n'importe quoi.
Je rappelle tout de même qu'en 2002 - et c'est encore le cas, malheureusement - peut-être pour compléter la somme et montrer que nous faisions un effort, on y a inclus, par exemple, la subvention du Festival Black Movie «Cinémas des autres mondes». Mais ce n'est pas de la solidarité internationale ! Il faut soutenir ce festival, certes - il est éminemment important - mais je ne pense pas qu'il puisse être englobé dans la solidarité internationale. D'ailleurs, ce n'est pas le sens de la loi qui avait, je le rappelle, été votée massivement. Même chose pour le Festival Media Nord-Sud qui a beaucoup été axé sur le Japon... Or, il ne me semble pas que le Japon ait besoin de l'aide internationale. En 2002, encore, une partie des frais de délégation pour l'exposition Telecom a été couverte par ce fonds.
Je trouve normal que le canton, dans le cadre de la Genève internationale, soutienne des délégations de pays relativement défavorisés pour qu'ils puissent venir exposer, mais ce ne sont pas des causes qui doivent être englobées dans la solidarité internationale au sens où nous l'avons définie.
Enfin, certaines délégations diplomatiques qui s'établissent à Genève ont reçu des subventions. Là encore, si nous pensons que Genève doit faire un effort financier pour encourager la Genève internationale, il ne doit pas se faire sur le budget de la solidarité internationale.
Nous refusons donc ce rapport et nous proposons de le renvoyer au Conseil d'Etat. Depuis - comme je l'ai déjà dit - quelques efforts ont été faits, heureusement, mais il y a un problème dans la chronologie de nos travaux... En effet, si nous étions en train de juger le rapport de cette année, nous ne serions vraisemblablement pas aussi critiques. Mais, à l'époque, on travaillait avec un peu de retard, et il est normal de refuser ce rapport, puisque la dynamique au niveau du gouvernement était largement insuffisante.
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur. Le Bureau vous propose de clore la liste. Sont inscrits: M. Antoine Droin, Mme Anne Mahrer, Mme la rapporteure Anne-Marie von Arx-Vernon, et M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat, qui terminera.
M. Antoine Droin (S). J'aimerais reprendre ici un propos tenu tout à l'heure par la remplaçante du rapporteur de majorité. Mme Von Arx a en effet parlé d'utopie pour un monde meilleur... Je m'inscris en faux: on ne peut pas parler d'utopie à propos de solidarité internationale et d'une loi votée par le Grand Conseil ! Il s'agit bien d'un choix politique: investir une certaine somme de notre budget de fonctionnement dans la solidarité internationale, reporter une part de nos richesses vers les pays en difficulté, vers des populations qui ont d'énormes difficultés pour vivre simplement mais dignement, avec le minimum nécessaire pour se loger, pour se nourrir, pour envoyer les enfants à l'école, etc.
Le mot «utopie» associé à la notion de monde meilleur me semble donc déplacé. J'accepte le monde meilleur, mais pas l'utopie. Je le répète, ce n'est pas une utopie, c'est un choix politique de société que nous avons fait, et il est temps aujourd'hui - le rapporteur de minorité l'a dit - de mettre en pratique cette loi que nous avons tous voulue dans ce Grand Conseil en 2001, en tout cas une grande majorité d'entre nous.
Comme l'a également dit M. Brunier, nous sommes aujourd'hui largement décalés dans le temps, puisque ce rapport fait état de 2002 et que nous sommes en 2005.
Mais il est aussi intéressant de relever que le budget 2005, qui a été voté au mois de décembre et qui, normalement, aurait dû aller dans le sens de la loi qui a été votée pour respecter les engagements du Grand Conseil - c'est-à-dire une augmentation des crédits dévolus à la coopération - a été raboté d'un tiers, ce qui est tout de même considérable, par le parlement et l'Entente en particulier, sur l'initiative de l'UDC. Le Conseil d'Etat a proposé un amendement en décembre pour relever la somme de 2 millions, ce qui, à mon avis, est un choix un peu frileux. En fait, on aurait pu s'attendre à ce que le Conseil d'Etat présente un amendement de la valeur de ce qui avait été enlevé par les députés.
Il faut aussi prendre en considération qu'avec cette baisse des subventions non seulement on ne respecte pas nos engagements mais que cela pose un certain nombre de problèmes par rapport aux associations, aux gens du Sud membres de certaines dynamiques qui sont engagées parfois depuis plusieurs années. Des projets en cours vont forcément devoir être arrêtés, mettant ainsi à néant les investissements et les efforts déployés jusqu'à présent.
Mais restons sur une fin positive en se disant que, si cette loi portant la subvention au taux de 07 % du budget de fonctionnement n'est pas respectée, on peut s'attendre à ce que le parlement respecte ses engagements pour le budget 2006, pour que nous puissions, à terme, rejoindre certains pays du Nord de l'Europe qui ont, eux, voté des lois de ce type, mais basées sur le PNB et non sur le budget de fonctionnement. Si nous faisions de même, la somme dévolue à la coopération internationale serait bien plus élevée.
Nous sommes certes un peu décalés dans le temps, c'est dommage, mais tirons-en des leçons pour les années à venir !
Mme Anne Mahrer (Ve). Comme vient de le rappeler M. Droin, c'est un choix politique qui a été fait en octobre 2001.
En votant cette loi notre Grand Conseil s'engageait à consacrer 0,7% de son budget annuel de fonctionnement pour financer une politique active en faveur de la solidarité, montant qui devrait être atteint dès 2006 si l'on veut respecter la loi. Ce n'est pas le cas: force est de constater que cet engagement n'est pas tenu, et nous mesurons la modestie de notre actuelle contribution. Je ne comprends pas pourquoi, dans nos sociétés dites «développées», où nous avons besoin de 10 à 70% plus d'énergie que dans les pays du Sud pour fonctionner, où nous consommons toujours 80% des ressources de la planète, nous ne pourrions pas consacrer 0,7% de notre budget de fonctionnement à la coopération au développement. Cela me semble tout à fait incroyable ! Il me semble que nous pourrions faire l'apprentissage du moins et augmenter notre contribution.
En conséquence, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons à renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)
M. Robert Iselin (UDC). Je voudrais simplement faire deux remarques. Je rappellerai tout d'abord à M. Brunier que le règlement d'exécution, en son article 5, avec la sagesse de celui qui l'a rédigé - je ne sais pas de qui il s'agit - prévoit que la loi s'applique à condition que la situation financière de l'Etat le permette.
Je demanderai simplement à la gauche - c'est ma deuxième remarque - de nous aider à mettre de l'ordre dans l'Etat et son organisation au lieu de nous mettre des bâtons dans les roues. Et l'UDC applaudira, lorsque la situation sera meilleure - on ne demande pas qu'elle soit absolument parfaite - à notre participation à la solidarité internationale. Quand il s'est agi d'événements dramatiques comme les tsunamis en Asie, elle n'a pas hésité à voter comme un seul homme pour les 2 millions versés directement dans cette région, ce qui représente, entre parenthèses, la moitié - la moitié ! - de ce qu'ont donné tous les cantons suisses !
Mme Anne-Marie Arx-Vernon Von (PDC), rapporteuse de majorité ad interim. Je voudrais revenir sur la notion d'utopie. Ce n'était pas une vague idée philosophique... Je crois que nous avons tous besoin de cette utopie pour ne pas être découragés, mais nous avons aussi besoin de pragmatisme. Et j'ai fait allusion au pragmatisme qui nous fait dire aujourd'hui qu'il faut, bien sûr, mettre en oeuvre tout ce que nous pouvons pour atteindre le taux de 0,7%. Mais que nous devons absolument le faire progressivement, sinon nous déroulerions le tapis rouge aux sensibilités politiques qui mettent toujours en avant les problèmes financiers de Genève. Ce serait la pire des choses: cela pourrait même remettre en question cette loi.
Nous devons absolument travailler de manière coordonnée, avec les valeurs que nous avons en commun. Et je partage totalement vos valeurs, Monsieur Droin, Madame Mahrer ! Vous avez fait référence à des élans de coeur tout à fait magnifiques, comme ceux que nous avons pu voir récemment avec l'Asie. Ce sont des élans de coeur et, même, de charité, mais cela n'a rien à voir avec la justice sociale - j'en conviens avec vous - la justice au niveau de la solidarité internationale.
Ce serait un non-sens de refuser ce rapport, qui a été établi sur une année intermédiaire. Il est extrêmement important de montrer du bon sens: en adoptant ce rapport nous donnons un signe fort d'encouragement. Et nous savons aujourd'hui, comme cela a déjà été dit, que les années 2003 et 2004 ont été tout à fait exemplaires. A nous de faire le mieux possible pour les années à venir !
M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Je peux très bien comprendre les arguments de celles et ceux qui disent aujourd'hui qu'ils ne peuvent pas accepter ce rapport parce qu'il ne respecte pas la loi, la volonté du Grand Conseil qui s'était exprimée en 2001... Je peux le comprendre !
Mais le rapport qui vous a été remis porte sur les six premiers mois d'activité en matière de solidarité internationale, ce qui est peu. Il a fallu prendre des contacts avec les partenaires pour les premiers projets... Des mesures ont été mises en place, avec un règlement d'application... Vous trouvez-là un résumé de tout ce qui a été fait. Le travail de la Fédération genevoise de coopération est aussi inclus dans ce rapport: l'argent qui lui a été attribué et les actions qui ont été réalisées. En l'occurrence, il ne me semble pas justifié de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat... Très franchement, si vous nous renvoyez ce rapport, je ne vois pas ce que je pourrais vous dire de plus !
Maintenant, s'il y a eu des lacunes au cours de ces six premiers mois - comme l'a dit le rapporteur de minorité - les choses se sont améliorées depuis: les travaux se déroulent avec une commission interdépartementale, avec des experts, et, à mon sens, les choses fonctionnent bien. Il faudrait avoir plus d'argent, bien entendu, même si certains pensent qu'il faudrait en verser moins. Mais ce n'est pas parce qu'il y a quelques lacunes qu'il faut dire que le travail qui réalisé est mauvais. Cela serait punir, en définitive, toutes celles et ceux qui se sont engagés - sans relation avec la somme octroyée - et qui se sont impliqués avec énergie pour mettre en route ce projet de loi.
Je vous suggère, Mesdames et Messieurs, d'attendre le rapport 2003 pour porter un jugement et débattre à nouveau sur ce sujet. D'ici là, certains éléments auront été ajustés, des erreurs de départ corrigées, les collaborations entre les différents départements de l'Etat, qui vous plaisent ou vous déplaisent.
Mais je souhaiterais, par rapport au département, par rapport aux personnes qui ont travaillé, que ce rapport provisoire 2002 soit accepté. Nous sommes prêts, par ailleurs, à nous asseoir autour d'une table pour discuter de ce problème avant le rapport 2003, rapport qui vous sera bientôt remis.
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons procéder au vote: ceux qui acceptent de prendre acte de ce rapport voteront oui; ceux qui veulent le renvoyer au Conseil d'Etat voteront non.
Mises aux voix, les conclusions du rapport de majorité (prendre acte du rapport) sont adoptées par 37 oui contre 32 non et 1 abstention.