Séance du vendredi 16 mai 2003 à 14h
55e législature - 2e année - 8e session - 47e séance

RD 479
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil concernant la politique de solidarité internationale pour l'année 2002

Débat

Le président. La parole n'étant pas demandée, nous prenons acte de ce rapport.

Une voix. M. Sommaruga demande la parole !

Le président. J'ai pourtant bien regardé, Monsieur Sommaruga ! Bien que nous ayons pris acte de ce rapport, je vous donnerai rapidement la parole !

M. Carlo Sommaruga (S). En ce qui concerne la politique effective du canton en matière de solidarité internationale, je dois avouer que le groupe socialiste est particulièrement déçu par la concrétisation de la loi sur le financement de la solidarité internationale qui a été votée il y a un peu plus de deux ans. Nous sommes en effet bien loin de l'objectif que ce parlement s'était fixé à cette époque. Il conviendrait, afin de mettre en oeuvre cet objectif, d'élaborer une politique cohérente dans le cadre du vote du budget et d'accélérer nettement plus le processus aboutissant à consacrer le 0,7 % du budget de fonctionnement du canton à la solidarité internationale. Il est opportun de rappeler qu'il ne s'agit pas d'une simple figure de style, mais d'un engagement relevant tant de la nécessité d'une solidarité internationale que de la garantie d'une stabilité mondiale. Nous savons que la pauvreté, la maladie et la faim touchent des millions, voire des milliards d'individus. Mais il s'agit également de facteurs d'instabilité mondiale qui, partant, retombent aussi sur la Suisse et sur chacun de ses citoyens. Il nous semble donc opportun que Genève, ville de conventions internationales, puisse atteindre cet objectif de 0,7 % beaucoup plus vite qu'il n'apparaît aujourd'hui. Elle contribuera ainsi, à l'aulne de ses propres moyens, à combattre ces facteurs de pauvreté et d'instabilité afin qu'à terme chaque individu sur cette planète puisse vivre dans la dignité et dans la paix.

M. Pierre Kunz (R). Je ne partage pas du tout le point de vue qui vient d'être exprimé, et un certain nombre de députés sont certainement de mon avis.

Une voix. On s'en fout !

M. Pierre Kunz. Depuis un demi-siècle que les pays occidentaux aident les pays du Sud, nous savons suffisamment combien cette aide a été dilapidée, galvaudée - pire: détournée et retournée dans les coffres d'un certain nombre de banques ! - pour nous montrer extrêmement prudents quant à la manière d'appliquer une loi qui a été, une fois de plus, votée dans des conditions «coup de coeur», mais qui manque manifestement de fondement et de bon sens. Les députés radicaux ne se sentent absolument pas liés par le 0,7 % qui figure dans cette loi, et cela d'autant moins que la situation financière du canton s'est, entre-temps, fortement dégradée. Nous devrons avoir le courage de revenir sur cette loi lorsqu'il s'agira d'engager les économies nécessaires.

Le président. Outre M. Pierre-François Unger, trois orateurs du parti socialiste sont maintenant inscrits sur la liste des intervenants. Je vous rappelle que nous traitons actuellement les points figurant dans les extraits et que nous essayons, par conséquent, d'avancer rapidement ! La parole sera successivement à MM. Sommaruga, Rodrik, Brunier et M. Unger. Mais cela n'est guère sérieux: les chefs de groupe n'arrivent, semble-t-il, pas à discipliner leurs troupes !

M. Carlo Sommaruga (S). J'aimerais simplement rappeler que ce n'est pas parce qu'un point figure dans les extraits de notre ordre du jour que les groupes - et d'autant plus les députés - s'engagent à ne pas prendre la parole !

Le président. Tout à fait, mais il conviendrait de prendre brièvement la parole !

M. Carlo Sommaruga. J'imagine qu'en tant que président de cette honorable assemblée vous avez à même la préoccupation que le débat se déroule de manière sereine et conforme à notre règlement. Ceci dit, je ne peux pas laisser passer les propos de M. Kunz.

Compte tenu de la situation actuelle dans laquelle se trouvent des millions de personnes sur notre planète, l'on ne peut plus tenir de tels discours, Monsieur Kunz ! L'acte de solidarité de Genève avec le monde que constitue la loi sur le financement de la solidarité internationale qui a été votée par ce parlement - loi conforme à la vocation de la Genève internationale, de la Genève de la solidarité et de la paix - n'est pas destinée, contrairement à ce que vous prétendez, à financer des fonctionnaires ou des dirigeants de pays du Sud ! Il s'agit de financer des projets implantés sur le terrain, s'adressant directement à la population vivant sur place et de projets faisant l'objet d'un contrôle. Vous le savez d'ailleurs parfaitement bien ! Vous avez beau faire des mimiques, il convient de parler de ce que l'on sait et de ce que l'on connaît ! Or, vous ne connaissez malheureusement pas les projets qui sont gérés ! Des ONG basées à Genève - avec certaines desquelles vous êtes d'ailleurs en contact à titre privé - accomplissent un travail destiné directement à la population, que ce soit dans les villes, dans les campagnes, en faveur de femmes et d'enfants handicapés ou victimes de la guerre. Il s'agit de projets individuels et concrets; il n'existe donc aucun gaspillage à ce niveau. Ce n'est pas voir la réalité en face que de prétendre que consacrer le 0,7% du budget de fonctionnement du canton à la solidarité internationale équivaut à jeter de l'argent par les fenêtres. Nous nous interrogeons aujourd'hui sur les causes des flux migratoires en Suisse, et particulièrement à Genève. Or, il s'agit de personnes qui fuient la pauvreté et la guerre pour trouver à Genève des moyens de subsistance. L'engagement de ce 0,7%, c'est aussi de donner aux populations du Sud la possibilité de produire leurs propres richesses et de développer une économie qui réponde aux besoins locaux. Faire l'impasse sur cet engagement, c'est se replier égoïstement sur soi, sans adopter aucune vision à long terme de ce qu'est notre planète. Nous ne sommes pas seuls sur une petite île, Monsieur Kunz: nous sommes liés les uns aux autres au niveau mondial ! Dans ce cadre, il est de notre responsabilité de venir en aide aux populations les plus démunies.

Le président. Je donne maintenant la parole à tous les intervenants dans l'ordre. Se sont encore ajoutés à la liste des orateurs MM. Blanc et Weiss. Je serai désormais beaucoup plus rigoureux dans le choix des extraits qui peuvent donner lieu à discussion. Par ailleurs, je vous annonce que lorsque personne ne s'annonce sur l'écran et que j'ai pris acte du rapport, je ne rouvrirai pas le débat.

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Il ne convient pas de faire dispute à l'occasion de ce rapport. Il convient plutôt de le renvoyer à la commission des affaires régionales, communales et internationales, qui l'étudiera et à laquelle le Conseil d'Etat pourra fournir un certain nombre d'indications concrètes sur les sujets en cours ainsi que sur ceux à venir. En effet, si je ne partage pas complètement l'opinion du député Kunz au sujet de l'aide à la coopération en général et de l'aide humanitaire en particulier, il faut bien convenir que cette aide ne s'improvise pas. C'est la raison pour laquelle la centralisation de cette ligne budgétaire au niveau du DEEE, lequel est en charge des relations internationales, a nécessité la mise en place d'une commission d'évaluation. C'est pour éviter les dérapages auxquels l'on a particulièrement pu assister dans les années 80 et pour faire de cette aide une aide solide et structurante que nous avons convenu de mettre sur pied cette commission d'évaluation pour tous les projets de plus de soixante mille francs. Cette commission ne se contente pas d'évaluer la validité d'un projet, mais elle en assure également l'implémentation et le suivi au cours du temps. C'est ainsi que Genève agit en matière de promotion de la vie et des droits humains, de promotion d'une économie à la fois durable et sociale - par le biais de projets certes limités, mais extrêmement intéressants - dans des coopérations décentralisées en collaboration avec des collectivités locales situées dans des pays en voie de développement, dans des actions et des manifestations d'envergure internationale qui, le cas échéant, peuvent avoir lieu à Genève, et enfin dans l'aide humanitaire - qui constitue sans doute le plus vieux credo de Genève en cette 175e année de la fondation de la Croix-Rouge par M. Henri Dunant.

Je peux vous le dire en deux mots, même si ces données figurent dans le rapport du Conseil d'Etat: ce n'est pas moins de quatre millions et demi qui ont été consacrés à des projets de coopération au développement et des projets d'information; un million à des projets d'aide humanitaire; un million à des manifestations liées à la Genève internationale; un million d'aide aux missions des pays les moins avancés; enfin, deux millions et demi à la très fameuse - et à juste titre ! - Fédération genevoise de coopération. Je vous suggère, Mesdames et Messieurs les députés, d'observer et d'écouter en commission les propos qui pourraient vous être livrés en complément à mon intervention de manière à pouvoir dessiner ensemble un 0,7% qui fasse l'unanimité de ce parlement et qui s'avère crédible dans le temps - car nous n'arriverons pas, sauf à bâcler les évaluations, à attribuer une telle somme d'un seul coup. Chacune et chacun sait très bien que, dans un monde coresponsable et codépendant dans la plupart des domaines, notre grandeur aura été d'avoir pu consacrer ce 0,7% dont on est sûr qu'il sera exemplatif et qu'il contribuera au mieux-être des populations les plus concernées.

M. Albert Rodrik (S). Je m'adresse plus particulièrement au président, qui a singulièrement raison: les débats portant sur des points qui figurent dans les extraits doivent être succincts et les interventions mesurées. Il s'agit d'un pacte moral entre nous, pacte qui doit être respecté. Mais, lorsque des personnes comme M. Kunz allient l'ignorance à la provocation en tenant des propos sur des objets dont ils ignorent tout, il faut s'attendre, Monsieur le président, à ce que de telles situations surgissent ! Pour être succinct, je rappellerai que ce pacte moral consiste à ouvrir la bouche pour tenir d'autres propos que le credo réactionnaire qui assimile les tyrans aux peuples ! (Applaudissements.)

M. Christian Brunier (S). Il convient de rappeler à M. Kunz l'origine de ce projet de loi, puisque celui-ci affirme que les radicaux ne se sentent pas liés à cette disposition légale.

Pour commencer, je vous rappelle que ce projet est né de deux députés: une personne de droite - M. Pierre Marti - et une personne de gauche - moi-même. Nous avons en outre travaillé avec l'ensemble des partis politiques, les libéraux étant, je crois, les seuls à ne pas avoir signé. Je crois même qu'ils avaient soutenu ce projet de loi ou s'étaient abstenus à l'occasion du vote final. Ce projet n'était donc nullement polémique. Or, vous êtes en train de casser la dynamique que nous avions créée à l'époque, dynamique qui était la suivante: nous pensions qu'en tant que cité internationale, cité des droits de l'homme et cité humanitaire, Genève devait mettre en place une solidarité internationale et qu'elle possédait largement les moyens d'y consacrer au moins le 0,7 % de son budget d'exploitation. Ce pourcentage correspond à une somme d'une quarantaine de millions - ce qui n'est pas un luxe par rapport à un canton dont le budget total est de six ou sept milliards !

Je vous rappelle également que la vocation de ce projet de loi était d'instaurer une transparence totale quant à la somme exacte consacrée par le canton à la solidarité internationale. Ce montant se trouve en effet disséminé dans plusieurs subventions versées à différentes associations. Or, nous pensions qu'il était sain qu'un canton comme le nôtre puisse connaître la somme précise qu'elle consacre à la solidarité internationale.

Troisième élément, et non des moindres: ce projet de loi instaurait une évaluation des projets soutenus par le canton. Actuellement, de nombreux projets sont en effet soutenus sans faire l'objet d'une évaluation sérieuse. Comme M. Unger l'a dit à juste titre, ces évaluations sont en train de se mettre en place.

Nous avions par ailleurs tous et toutes accepté d'agir progressivement, soit de ne pas passer d'un montant de dix ou quinze millions à un montant de quarante millions, mais d'augmenter progressivement cette somme pour atteindre, à terme et dans les plus brefs délais, cette somme de quarante ou cinquante millions - soit le 0,7 % du budget d'exploitation de l'Etat. Au vu de l'état de la planète et de l'accroissement des différences, nous devons - et nous sommes en mesure - de donner un peu d'argent et de moyens aux pays les plus pauvres. C'est dans cette dynamique que ce Grand Conseil doit travailler. Nous devons absolument sortir des polémiques stériles !

M. Claude Blanc (PDC). Je suis, tout comme M. Rodrik, quelque peu navré de la tournure prise par ce débat. Je regrette que l'on ait immédiatement polémiqué sur des éléments qui ne le méritent pas. Il est vrai qu'il existe dans le monde pas mal de corruption à tous les niveaux... mais pas uniquement dans les pays en voie de développement, Monsieur Kunz: la corruption existe malheureusement partout, y compris dans nos pays ! Par conséquent, avant d'aller balayer devant la porte des autres, nous devrions peut-être nous préoccuper de balayer devant nos propres portes ! Quant au projet de loi sur le financement de la solidarité internationale, M. Brunier a aimablement rappelé que le PDC figurait parmi les initiateurs de ce projet, ce dont je le remercie. Notre groupe pense effectivement que l'on ne peut pas rester les bras croisés devant les événements qui se produisent dans le monde. Il juge inacceptable d'affirmer, comme le font M. Kunz et quelques-uns de ses amis, que la barque est pleine et que nous ne pouvons accepter plus d'immigrants étrangers tout en refusant d'aider ces personnes à participer au développement de leur pays chez eux plutôt que chez nous. On ne peut pas suivre deux politiques inconciliables: ou bien on s'efforce d'aider les gens dans le pays où ils se trouvent, ou bien on les accepte dans notre pays. Or, comme l'on sait fort bien que nous ne pourrons pas tous les accepter, il est de notre devoir de participer autant que faire se peut au développement des pays émergents.

Par ailleurs, nous nous gargarisons toujours du slogan «Genève, ville de paix». Or, tout le monde sait que la paix se construit également par la diminution des injustices et par le progrès de l'ensemble des peuples. Je me rappelle avoir entendu un jour l'un des amis de M. Kunz, M. Pasqua, alors ministre de l'Intérieur, déclarer qu'il ne fallait pas s'étonner que les populations qui crèvent de faim cherchent à venir cultiver les terres que nous laissons en jachère. Il s'exprimait dans le cadre du problème agricole de la communauté européenne. Cette phrase m'avait frappé: nous laissons des terres en jachère, car nous avons trop à manger et nous empêchons les autres de venir cultiver ces terres alors qu'ils crèvent de faim ! Nous devons savoir que nous possédons des devoirs humains, devoirs qui découlent également du rôle que nous voulons jouer dans le monde. L'on ne peut pas simplement se gargariser du slogan «Genève, ville de paix» ! (Applaudissements.)

M. Pierre Weiss (L). J'espère que vous me pardonnerez de ne pas me transformer en télé-évangéliste. Je voudrais vous faire savoir que je ne partage dans cette affaire ni la position de M. «Niet», ni celle de M. «Béni-oui-oui»... Il convient de prendre acte d'un rapport qui expose un sujet extrêmement complexe. Ce sujet fort complexe peut, dans certains cas, donner lieu à des dévoiements de l'aide; il peut, dans d'autres cas, fournir aux entreprises suisses la possibilité de percevoir des avantages du fait des circuits commerciaux ainsi créés; il peut parfois donner lieu à certains problèmes pour les organisations locales. Le rapport mentionne notamment les conséquences à certains égards négatives posées à la Fédération genevoise de coopération par le rassemblement en un seul lieu institutionnel. Il s'agit, en matière d'aide au développement, d'adopter une approche à la fois ouverte et qui prenne en compte les diverses priorités. Si l'objectif du 0,7 % est fixé dans la loi, il conviendra peut-être, compte tenu de l'état des finances cantonales, de remettre en cause d'autres objectifs afin d'atteindre celui-ci.

M. Pierre Kunz (R). Je souhaite simplement relever que ce sont ceux qui ont trouvé dans les paroles que j'ai prononcées des tendances réactionnaires du type «la barque est pleine» qui sont les véritables polémistes. Vous permettrez tout de même à un député de défendre un avis différent du vôtre, Monsieur Rodrik ! Un avis différent du vôtre, Monsieur Brunier ! Un avis différent du vôtre, Monsieur Blanc ! Et les gargarismes, ce sont vous qui les avez eus, en l'occurrence ! Je tenais simplement à souligner ce point pour le Mémorial. Lorsque vous le relirez, vous constaterez que mes propos ne contenaient absolument rien de ce que vous avez voulu y trouver ! C'est de la mauvaise foi !

Le président. Nous avions pris acte de ce rapport, après quoi la parole a été demandée. Comme M. le conseiller d'Etat Unger ne s'oppose pas à un renvoi en commission, je fais voter ce dernier. Si les députés le refusent, nous prendrons simplement acte de ce rapport.

Mis aux voix, ce rapport est renvoyé à la commission des affaires régionales, communales et internationales.