Séance du vendredi 4 décembre 1998 à 17h
54e législature - 2e année - 2e session - 54e séance

M 1217-A
21. Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Louiza Mottaz, Yvonne Humbert, Janine Hagmann, Anita Cuénod, Caroline Dallèves-Romaneschi, Mireille Gossauer-Zurcher, Laurence Fehlmann Rielle, Danielle Oppliger, Jean-Marc Odier, Louis Serex, Hubert Dethurens, Luc Barthassat et Olivier Vaucher concernant le délai de péremption pour l'indemnisation des victimes d'infractions. ( -) M1217
Mémorial 1998 : Développée, 3495. Adoptée, 3500.

1. Le 12 juin 1998, le Grand Conseil a adopté et renvoyé au Conseil d'Etat la motion 1217 concernant le délai de péremption pour l'indemnisation des victimes d'infractions.

Cette motion invite le Conseil d'Etat:

" à introduire dans le Règlement cantonal genevois J 4 10.02 la réglementation que le canton de Zurich a adoptée dans sa loi d'introduction de la LAVI du 25 juin 1995 à savoir : pour les victimes mineures ou les victimes vivant en ménage commun avec l'auteur de l'infraction, le délai de péremption de deux ans commence à courir seulement dès la majorité ou avec l'abandon du ménage commun. "

2. L'exposé des motifs souligne que la brièveté du délai de péremption prévu par la loi fédérale pour l'introduction de la demande d'indemnisation ou de réparation morale (deux ans à compter de la date de l'infraction : art. 16, al. 3 LAVI) peut constituer pour la victime une entrave à l'obtention de la réparation pour les dommages qu'elle a subis. Tel est en particulier le cas dans les domaines des infractions d'ordre sexuel sur des enfants ou de violences conjugales : pouvoir dénoncer son agresseur, afin de recevoir de l'aide, implique pour la victime de dépasser la peur et la honte consécutives à la situation de violence, d'où la nécessité de reporter le point de départ du délai de péremption, à l'instar du canton de Zurich.

3. Le paragraphe 13 de la loi zurichoise d'introduction de la LAVI, du 25 juin 1995, dispose en substance ce qui suit :

" Si l'infraction a été commise dans le canton et que la victime y était domiciliée à l'époque et lors de l'introduction de sa demande d'indemnisation ou de réparation morale, le délai de l'article 16, alinéa 3 LAVI commence à courir :

a) pour les victimes mineures lors de l'infraction : dès leur majorité ;

b) pour les victimes faisant ménage commun avec l'auteur de l'infraction lors de la commission de cette dernière : dès la cessation du ménage commun " (traduction libre).

L'exposé des motifs à l'appui de cette disposition, qui émane du Conseil d'Etat du canton de Zurich, reflète bien les préoccupations exprimées par les auteurs de la motion 1217. On y lit en effet ce qui suit :

" (....) Pour certaines catégories de délits, comme l'inceste ou les infractions contre l'intégrité sexuelle, la brièveté du délai prévu par le droit fédéral est de nature à empêcher l'exercice du droit à l'indemnisation. En effet, les victimes de ces délits se trouvent fréquemment dans un lien de dépendance envers leur auteur, ou font ménage commun avec lui, et elles ne sont souvent en mesure de décider de faire valoir leurs droits que lorsque cette dépendance a pris fin, soit parce qu'elles sont devenues adultes, soit parce que la cohabitation a cessé. C'est pourquoi il se justifie, pour les victimes mineures et celles faisant ménage commun avec l'auteur de l'infraction, de ne faire partir ce délai qu'à la majorité, respectivement l'abandon du ménage commun. Si la victime mineure habite encore avec l'auteur de l'infraction lorsqu'elle atteint sa majorité, le point du départ du délai sera la fin du ménage commun, la règle la plus favorable devant s'appliquer. " (traduction libre).

4. Il est intéressant de relever que le Conseil fédéral, dans son projet de révision partielle du code pénal concernant les infractions contre l'intégrité sexuelle mis en consultation à la fin août 1998, propose l'adoption d'une réglementation analogue pour la poursuite des abus sexuels commis sur des enfants : la prescription de l'action pénale ne commencera à courir qu'à partir de la majorité de la victime. A l'appui de son projet, le Conseil fédéral explique qu'il convient de tenir compte du fait qu'un nombre croissant d'abus sexuels dénoncés provient de l'entourage familial et que dans de tels cas, où la pression familiale tendant à faire taire l'enfant est forte, il faut laisser à la victime le temps d'atteindre la majorité ou d'être sorti du cercle familial pour porter plainte.

Logiquement, les considérations qui précèdent devraient conduire l'autorité fédérale à adopter une réglementation similaire pour le calcul du délai de péremption de la demande d'indemnisation de la victime LAVI, ce d'autant que plusieurs cantons, dont Genève, ont déjà attiré l'attention de l'Office fédéral de la justice sur ce problème. Dans l'intervalle, il se justifie de remédier à la brièveté du délai prévu dans la loi fédérale par l'adoption de dispositions cantonales, ainsi que le demande le Grand Conseil. On peut considérer que le principe de la force dérogatoire du droit fédéral ne fait pas véritablement obstacle à une telle mesure, puisqu'elle émane de la collectivité publique en faveur de laquelle le délai de péremption de 2 ans a été institué et que l'instance d'indemnisation s'est d'ores et déjà déclarée prête à l'appliquer.

5. Après consultation de l'instance d'indemnisation LAVI, le Conseil d'Etat a donné suite à la motion 1217, en modifiant l'article 3 du règlement topique. Le nouveau texte adopté est annexé à la présente réponse. Il appelle les commentaires suivants :

- selon des informations communiquées par la Direction de la justice du canton de Zurich, la réglementation zurichoise conduit dans certains cas à un résultat qui n'a pas été voulu. En effet, comme la LAVI assimile à la victime, pour ce qui est du droit à l'indemnité et à la réparation morale, le conjoint, les enfants, le père et la mère, ainsi que d'autres personnes unies à elle par des liens analogues (art. 2), il est arrivé que ces tiers bénéficient, sans que cela soit justifié, de la protection particulière instaurée en faveur de la victime directe de l'infraction. Le règlement genevois tient compte de cet écueil (art. 3, al. 2) ;

- l'alinéa 1 de l'article 3 (nouvelle teneur) se distancie de la loi zurichoise sur un autre point : il n'exige pas que la victime soit domiciliée dans le canton lors de l'infraction ou du dépôt de la demande d'indemnisation. Priver une victime du bénéfice de cette disposition pour le seul motif qu'elle n'était pas domiciliée dans le canton à l'époque des faits pourrait en effet conduire à une inégalité de traitement choquante ; que l'on songe, par exemple, à deux soeurs victimes de la même infraction, l'une habitant Genève et l'autre Nyon : la seconde verrait alors sa requête jugée irrecevable contrairement à la première. Par ailleurs, il n'y a pas de raison de priver du bénéfice de cette disposition la victime devenue majeure et ayant choisi de s'installer dans un autre canton que celui où, par hypothèse, elle a été violentée pendant son enfance ;

- pour couper court à tout problème d'interprétation lié à la notion de majorité, qui peut varier en fonction de la nationalité, ce terme est remplacé par le critère de l'âge (18 ans révolus) ;

- pour déterminer la fin du ménage commun, l'autorité pourra se fonder, s'il s'agit d'époux, sur la date du divorce, de la séparation de corps ou de des mesures provisoires ordonnées par le juge ;

- si la victime mineure habite encore avec l'auteur de l'infraction lorsqu'elle atteint sa majorité, le point de départ du délai sera la fin du ménage commun.

6. Selon l'instance d'indemnisation LAVI, il n'est pas possible d'estimer les coûts induits par cette " prolongation " du délai de péremption puisque, le délai actuel étant connu, les demandes d'indemnisation et de réparation morale potentielles ne sont pas déposées. Signalons que, depuis sa création (1.9.1993) jusqu'au 31 décembre 1997, l'instance d'indemnisation a reçu 249 dossiers et ordonné, au total, le versement de 1 896 000 F à titre d'indemnités et de réparations morales (dont 851 000 F pour 93 dossiers en 1997).

Quoiqu'il en soit, le Conseil d'Etat estime, à l'instar du Grand Conseil, que le correctif apporté à l'article 16, alinéa 3 LAVI répond à un impératif de justice à l'égard des victimes d'infractions concernées, dans l'attente d'une modification de la loi fédérale sur ce point.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir accepter le présent rapport.

Annexe p 5

Débat

Mme Louiza Mottaz (Ve). J'espère ramener un peu de sérénité dans cette assemblée ! Mesdames et Messieurs les députés, c'est avec satisfaction que nous avons pris connaissance du rapport sur la motion 1217-A. Nous tenons à remercier le Conseil d'Etat pour sa diligence dans le traitement de notre motion et pour les mesures prises qui répondent largement à nos attentes. Merci.

M. Jean-Marc Odier (R). A partir du moment où notre société se dote d'une disposition d'aide aux victimes d'infractions, il devient absurde que les victimes soient empêchées de déposer leur demande en raison de modalités d'application inadaptées. Tel a été le constat des signataires de la motion à laquelle le Conseil d'Etat a rapidement donné une suite favorable en modifiant le règlement d'une manière adéquate. Nous lui en savons gré et prenons acte avec satisfaction de son rapport en saluant l'introduction de cette nouvelle disposition qui répond à l'impératif de justice sociale.

M. Gérard Ramseyer. Je vous remercie de l'accueil favorable que vous réservez à ce rapport. Il faut souhaiter qu'un correctif analogue soit apporté à la LAVI elle-même, afin qu'elle s'applique dans toute la Suisse et non pas seulement dans quelques cantons. J'aimerais vous faire savoir que plusieurs cantons, dont Genève, sont déjà intervenus dans ce sens auprès des autorités fédérales, ce qui va dans le sens de vos préoccupations.

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.