Séance du vendredi 4 décembre 1998 à 17h
54e législature - 2e année - 2e session - 54e séance

R 385
22. Proposition de résolution de Mmes et MM. Christian Brunier, Laurence Fehlmann Rielle, Elisabeth Reusse-Decrey, Alberto Velasco, Fabienne Bugnon, Jeannine de Haller et Antonio Hodgers demandant l'incrimination de Slobodan Milosevic, coupable de crimes contre l'humanité. ( )R385

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

que Monsieur Slobodan Milosevic :

- a été l'un des principaux décideurs du déclenchement des conflits dans l'ex-Yougoslavie ;

- a encouragé ou décidé plusieurs massacres perpétrés durant ce conflit ;

- a défendu activement l'épuration ethnique et le génocide ;

- poursuit sa politique guerrière et totalitaire au Kosove et dans différentes régions de l'ex-Yougoslavie ;

- gouverne son pays sans respecter les droits élémentaires des êtres humains et les règles démocratiques ;

- ne respecte ni la Convention pour la prévention et la répression du Génocide de 1948, signée par 116 Etats dont la Yougoslavie, ni la résolution 96 de l'Assemblée générale de l'ONU qui dit que le génocide est " un crime du droit des gens, en contradiction avec l'esprit et les fins des Nations Unies et que le monde civilisé condamne ",

invite le Conseil d'Etat

- à intervenir auprès du Tribunal international de La Haye afin que Milosevic soit inculpé pour crimes contre l'humanité ;

- à dénoncer Slobodan Milosevic comme un des pires assassins politiques de l'histoire européenne contemporaine ;

- à demander à l'ONU et aux organisations internationales de tout entreprendre pour arrêter ce triste personnage ;

- à inviter la Confédération helvétique à tout mettre en oeuvre pour organiser et soutenir toute démarche internationale en vue d'un règlement du conflit dans l'ex-Yougoslavie ;

- à intervenir auprès du Conseil fédéral afin que la Suisse fasse siennes les lignes politiques défendues dans cette résolution.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les dix dernières années du siècle de l'histoire européenne ont été malheureusement marquées par le conflit en ex-Yougoslavie .

Les crimes perpétrés à l'encontre des populations civiles non serbes sur les territoires destinés à être " nettoyés " de leur présence ont été définis par la Commission des droits de l'homme de l'ONU, en mai 1994, comme relevant de la définition juridique du génocide.

Ils ont inscrit le retour dans l'histoire européenne des destructions de villes et de villages, de monuments patrimoine de l'humanité, des déportations massives, de l'institution d'une législation ethniquement discriminante, des installations de camps de concentration, des massacres de masse et de l'usage des viols systématiques ainsi que d'une extrême cruauté à l'encontre des personnes civiles.

Depuis les Accords de Dayton en décembre 1995, les canons se sont tus en Bosnie. Mais, depuis mars 1998, une agression armée contre la Kosove se produit. Déjà des villages sont rasés, des massacres sont perpétrés et plus de 80 000 personnes ont déjà été chassées de chez elles selon le HCR.

Les plus grandes craintes sont à avoir en ce qui concerne le sort des populations civiles albanaises de la Kosove qui font l'objet, depuis 1989, d'un statut spécial d'inégalité civique dans tous les domaines et qui vivent depuis sous le joug d'une féroce répression. Le projet exprimé publiquement du pouvoir serbe est le nettoyage du Kosove en partie ou en totalité de sa population albanaise (environ 9 habitants sur 10).

L'expérience a montré l'extrême difficulté pour les instances internationales d'une action efficace. Le choix d'une réponse forte aux massacres a toujours été entravé par le jeu des alliances qui bloquent les décisions au plus haut niveau.

La création du Tribunal pénal international de La Haye a été un réel progrès dans l'histoire internationale du droit. Néanmoins, ni son existence ni son travail (remarquable au demeurant) n'empêchent le recommencement en Kosove des crimes de la purification ethnique qu'a vécus la Bosnie.

Ce tribunal, lui-même, ne risque-t-il pas d'être jugé un jour par l'Histoire pour avoir épargné les milices de Belgrade et les responsables politiques majeurs au plus haut niveau ?

Nous demandons donc que ce tribunal puisse instruire le crime contre la paix et qu'il incrimine officiellement Milosevic, faisant ainsi de lui un paria politique mis au ban des nations.

Milosevic n'est pas la Serbie. Le pouvoir qu'il détient est fondé sur des coups de force institutionnels marqués par des actes de violence et des abus de pouvoir. Il fut battu en brèche par les votes successifs et les grandes manifestations de l'automne 1996 à Belgrade ainsi que par un mouvement d'opposition électoral victorieux au Monténégro en 1997.

Le Sandjak, la Voïvodine aussi, de manière moins visible, mais surtout la Kosove veulent tous quitter le régime de terreur de Milosevic.

Son pouvoir s'appuie sur une police surarmée, sur ses milices d'assassins et de maffieux, et sur sa mainmise habile sur les moyens d'information. Sa survie politique est due aussi à la légitimité que lui confèrent les instances internationales en le désignant comme " l'homme fort de la Serbie ".

L'opinion internationale doit se souvenir du rôle qu'a joué ce dictateur dans le déclenchement de la guerre de l'ex-Yougoslavie et des massacres qui ont suivi et qui continuent aujourd'hui. L'oubli est une forme de complicité, souvenons-nous en.

Le délégitimer ne demanderait pas un seul coup de canon, et aiderait tous les mouvements d'opposition démocratique ex-yougoslaves.

L'incriminer en tant que criminel contre l'humanité contribuerait à sauver des vies au Kosove et à rendre justice à tous les morts et à toutes les souffrances causées en ex-Yougoslavie. Slobodan Milosevic porte la responsabilité principale de ce désastre.

Le désigner officiellement aux yeux du monde comme un des principaux fauteurs de cette guerre serait aussi le moyen de lutter contre le mensonge historique avec lequel il a déshonoré l'histoire tragique de la Serbie.

Pour toutes ces raisons, nous appelons les instances internationales, le Conseil fédéral et le Tribunal pénal de La Haye à dénoncer politiquement et judiciairement un des pires assassins politiques en Europe.

Débat

M. Antonio Hodgers (Ve). Pour revenir sur l'événement de tout à l'heure, si les députés ont la responsabilité de voter, Monsieur le président, vous avez la responsabilité de regarder la salle lorsqu'elle vote. Vous avez regardé seulement l'Alliance de gauche où il y avait quatre abstentions... (Brouhaha.) ...et vous n'avez pas regardé les bancs de la droite où il y avait quelques députés du parti démocrate-chrétien qui ont voté avec le reste de l'Alternative. C'est pour cette raison que le vote a été contesté. Cette motion sera donc redéposée en urgence pour qu'elle soit traitée tout à l'heure.

J'en viens à la résolution 385 et propose d'entrée un amendement. De l'avis de la plupart de mes collègues, le fait de voter des résolutions concernant le reste de la planète est important. Il nous semble essentiel qu'un modeste canton comme Genève ait son mot à dire à ce sujet. Il est également capital de rester cohérent et de ne pas exagérer dans nos demandes.

Au moment de rédiger cette résolution, nous avons été un peu trop loin dans notre demande. Je propose, par conséquent

de supprimer la première invite : «- à intervenir auprès du Tribunal international de La Haye...»

Ce tribunal est un organe juridique et il semblerait malvenu qu'une institution politique telle que la nôtre lui dicte ce qu'il doit faire. Si ce tribunal n'incrimine pas Milosevic, c'est qu'il n'en a pas la compétence et il serait maladroit de notre part de lui demander d'intervenir.

De même, il convient également de

supprimer la troisième invite : «- à demander à l'ONU et aux organisations internationales...».

Il paraît en effet difficile de demander aux organisations internationales d'arrêter un chef d'Etat élu - dans des circonstances quelque peu douteuses, il est vrai - mais il n'en reste pas moins que M. Milosevic a malheureusement été élu par son peuple.

Il faudrait enfin amender la quatrième invite comme suit :

«- à inviter la Confédération helvétique, l'ONU et les organisations internationales concernées à tout mettre en oeuvre pour organiser et soutenir toute démarche internationale en vue d'un règlement du conflit dans l'ex-Yougoslavie.»

Telle est la teneur de ces trois amendements.

M. Pierre Froidevaux (R). L'Alternative nous propose d'incriminer Slobodan Milosevic en le désignant comme coupable de la situation désastreuse constatée cette dernière décennie dans les Balkans.

Est-ce le rôle d'un parlement cantonal ? Assurément pas. Donner des leçons alors que nous sommes nous-mêmes de bien mauvais élèves me gêne tout particulièrement. Vous lancez le débat, alors allons-y. Le terme «incriminer» dans le titre de votre résolution est probablement correct dans la mesure où il signifie, selon le Petit Larousse : la mise en cause de quelqu'un pour un acte blâmable. Quant au terme coupable, il implique qu'un tribunal l'ait désigné comme tel. Selon vous, résolutionnaires, nous pourrions être cette cour. Faut-il alors condamner avant de juger ? Les arènes politiques n'ont jamais rimé avec justice. Les règles démocratiques élémentaires imposent même cette séparation des pouvoirs et je ne pensais pas à avoir à les réaffirmer ici.

Certes, condamner publiquement l'ancien président du parti communiste yougoslave pourrait avoir un sens politique pour ceux qui témoignent régulièrement d'idées contraires. Mais je respecte trop votre légitimité politique, Mesdames et Messieurs les résolutionnaires, pour penser même, un jour, à vouloir condamner vos idées et vos actions ailleurs que dans ce prétoire, car vous avez eu, même temporairement, la légitimité parlementaire. Si la légitimité politique actuelle du dirigeant serbe méritait un réexamen, force serait de constater qu'il a atteint le pouvoir selon les règles constitutionnelles en vigueur dans son pays. Cette constitution est un héritage du communisme. Je suis bien d'accord avec vous, le communisme a laissé de très lourdes hypothèques en Europe, notamment en créant des hommes de pouvoir : les apparatchik dont le qualificatif est parfaitement adapté au dirigeant serbe. Mais Milosevic a aussi hérité d'innombrables actes sanglants tout au long du temps, dont les tenants et aboutissants deviennent impossibles à comprendre tant ils s'intriquent mutuellement.

Les raisons de ce conflit me semblent aussi incompréhensibles que les sept cents ans du conflit irlandais. Il y a cent ans, les historiens évoquaient la situation balkanique en la qualifiant de poudrière. Les dirigeants des autres Etats de la région, eux aussi incriminés dans le conflit, ont aussi quelques difficultés avec la conception helvétique d'un homme de bien. A l'un, historien, on lui a reproché des idées révisionnistes et à l'autre, d'avoir milité dans des partis extrémistes de droite du temps de l'invasion nazie. Or, l'un et l'autre ont aujourd'hui une légitimité indéniable.

D'autres dirigeants à travers le monde, comme Yasser Arafat ou Menahem Begin, ont été considérés comme des terroristes à une période de leur vie. Cela ne les a pas empêchés d'être, l'un et l'autre, les apôtres de la paix, mais après. Ils avaient été entre-temps légitimés dans leur démarche par leur peuple.

Aussi, avant de vouloir juger, il faut chercher à apaiser les drames considérables dont sont victimes les populations de cette région. Pour cela, il n'y a qu'une voie possible : celle de la démocratie. C'est le témoignage que Genève peut donner à ceux qui sont là-bas dans le désespoir. Notre parlement peut ainsi soutenir les démarches de bons offices du Conseil fédéral. Nous pouvons aussi donner un signal clair à nos autorités fédérales en soutenant la réforme de nos institutions militaires qui prévoient dans un proche avenir l'envoi dans de telles régions de soldats pour la paix.

Aussi, je suis sûr que vous réserverez un bon accueil aux propositions d'amendement suivantes. Tout d'abord dans le titre demandant l'incrimination de Slobodan Milosevic, nous proposons

de supprimer le terme «coupable de crimes contre l'humanité.»

Puis de remplacer l'ensemble des invites actuelles de cette résolution par :

- à soutenir les démarches du Conseil fédéral afin de raffermir l'Etat de droit dans la Yougoslavie ;

- à inviter la Confédération helvétique à tout mettre en oeuvre pour organiser et soutenir toute démarche internationale en vue d'un règlement du conflit dans la Yougoslavie ;

- à soutenir la réforme de l'armée faisant la promotion des soldats pour la paix tel que prévu dans Armée XXI.

M. Claude Blanc (PDC). Notre parlement, depuis qu'il est constitué de la manière dont vous savez, préfère s'ériger en chambre d'accusation internationale plutôt que de s'occuper sérieusement des affaires de l'Etat. C'est bien triste mais cela est ainsi ; il faut bien que nous l'acceptions, temporairement, je l'espère.

Mesdames et Messieurs les députés, après avoir incriminé Pinochet, voilà que l'on s'attaque maintenant à Milosevic. Combien d'autres dans le monde devraient passer devant notre chambre d'accusation ? Va-t-il falloir que nous siégions toutes les semaines pour en juger un autre ? On demande la mise en accusation mais en fait, comme le disait mon excellent collègue Froidevaux, on a déjà condamné. Je siège de temps à autre à la Chambre d'accusation : on ne se permettrait pas d'utiliser de tels termes pour envoyer le pire des voyous devant une juridiction de jugement. Nous n'avons pas à nous prononcer sur la culpabilité avant d'avoir eu connaissance du dossier et de pouvoir en mesurer les différents éléments. Comme nous n'aurons jamais ce dossier, je ne vois pas comment nous pourrions nous ériger en tribunal.

Si vous voulez continuer, je vous donnerai la liste de tous les potentats sectaires : vous pouvez prendre les bouchers de Tien An Men. Vous pouvez prendre Fidel Castro que vous avez reçu en grande pompe ce printemps. Fidel Castro a fait éliminer je ne sais combien de ses concitoyens, même parmi ses amis politiques, qui ne lui convenaient pas ; le dernier en date qu'il a fait fusiller, il y a quatre ou cinq ans, était son adjoint principal. Ce ne sont pas des crimes contre l'humanité ? Saddam Hussein, que faut-il dire des armes chimiques qu'il stocke ? Et beaucoup d'autres ! Vous pouvez convoquer le Grand Conseil toutes les semaines et vous aurez toutes les semaines un autre chef d'Etat à incriminer.

D'autre part, je lis dans la troisième invite : demander à l'ONU de tout entreprendre pour arrêter ce triste personnage. Hier, Mesdames et Messieurs les députés, vous avez voté comme des moutons une résolution demandant l'adhésion de la Suisse à l'ONU et aujourd'hui vous demandez à l'ONU d'arrêter le chef d'un Etat membre de l'ONU. Il faudra savoir ce que vous voulez aller faire dans cet aréopage, puisque vous voulez y être et que parallèlement vous demandez à cette organisation d'arrêter les chefs d'Etat. Il faut rester sérieux ; il faut commencer, Mesdames et Messieurs les députés, à nous mêler de ce qui nous regarde et laisser les affaires sérieuses à ceux qui savent les traiter.

M. Christian Brunier (S). Les paroles que nous entendons ce soir dans ce parlement sont choquantes... (Exclamations.) M. Froidevaux et M. Blanc prennent beaucoup d'égards envers des gens qui n'en ont eu aucun pour leurs victimes et leurs opposants. La chasse aux dictateurs est ouverte et tant mieux ! Parce que la liberté et la démocratie respirent mieux depuis quelque temps... (Commentaires et rires.) Le sanguinaire Pinochet est arrêté. Maintenant, les Milosevic, les Saddam Hussein et les chefs des différentes juntes ou dictatures doivent subir le même sort.

Mesdames et Messieurs les députés, depuis une dizaine d'années l'ex-Yougoslavie est déchirée, détruite par la guerre et le totalitarisme. Dans ce genre de conflits, les responsables ne manquent pas, c'est certain. Mais un des plus gros fauteurs de guerre, le principal coupable est certainement - et je crois que le mot n'est pas trop fort - le terrifiant Milosevic. Aujourd'hui, malgré les accords de Dayton, l'épuration ethnique continue partout sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. Chaque jour, la démocratie et la liberté sont bafouées. Milosevic écrase le peuple du Kosovo et étend son régime de terreur sur une bonne partie du territoire de l'ex-Yougoslavie.

En mai 1994, la commission des droits de l'homme de l'ONU a qualifié le nettoyage ethnique - inspiré et décidé par Milosevic - de crime contre l'humanité. Aujourd'hui, les accusations que nous portons ne sont pas dénuées de sens. Cet homme, cet assassin doit payer pour ses actes et doit en conséquence être jugé au plus vite par un tribunal international, n'en déplaise à certains.

Une résolution du Parlement genevois semble dérisoire par rapport à ces crimes. Pourtant, c'est bien sous la pression populaire et sous la pression internationale - n'en déplaise à M. Blanc - que les dictateurs finiront par payer. Pour atteindre cet objectif, s'il faut voter à chaque session du Grand Conseil et même chaque semaine des résolutions de solidarité internationale, le groupe socialiste le fera. Le groupe socialiste vous demande de soutenir cette résolution.

M. Alberto Velasco (S). Je voudrais apporter une précision aux propos tenus par M. Froidevaux quand il parle de légitimité. Effectivement, Hitler avait été élu en 1936 et il était tout à fait légitime. Cela ne l'a pas empêché de mettre en place un holocauste assez impressionnant. Voyez-vous, la légitimité, cela dépend de ce que l'on en fait.

M. Michel Halpérin (L). Nous avons voté avec les résolutionnaires, il y a un mois, la proposition concernant M. Pinochet parce que les circonstances justifiaient que notre parlement se mobilisât autour de cette cause-ci. Non pas parce que M. Pinochet était moins sympathique ou plus sympathique que M. Milosevic, mais parce qu'il était arrêté, parce qu'il était l'objet d'une demande d'extradition présentée par notre propre canton et parce que la question se posait de savoir comment les autorités politiques se profilaient par rapport à une situation nouvelle sans précédent.

Aujourd'hui, nous retombons dans nos petites habitudes. Celles dont j'ai eu l'occasion de parler hier - et visiblement, Monsieur Brunier, au rythme où vous nous conduisez, j'aurai l'occasion d'en parler à chaque séance - celles qui consistent à se prétendre les orateurs les mieux placés pour instruire tout un chacun. Je vous ferai quelques observations rapidement.

La première : en 1451, lorsque les Turcs assiégeaient Byzance, on discutait à l'église centrale Sainte-Sophie du sexe des anges, un peu comme aujourd'hui à Genève : au moment où, sur vos propres bancs, on nous affirme - et probablement à juste titre - que la République est en danger pour toutes sortes de raisons, on choisit de s'occuper de tout le reste sauf de cela. Je suis frappé de voir avec quelle constance dans ce Grand Conseil on s'occupe de tout ce qui est essentiel à travers le monde, y compris du sexe des anges, et pas des affaires de la République.

Quand vous étiez dans l'opposition il y a encore quelques mois, nous nous étions accoutumés à votre filibustering, c'est-à-dire à vos manoeuvres de traverse pour vous venger de n'être que minoritaires. Aujourd'hui, vous êtes majoritaires et vous continuez avec la même méthode, qui est étrange parce que la responsabilité des affaires du canton est aujourd'hui dans vos mains et qu'au lieu de traiter les affaires du canton vous nous faites traiter en urgence, comme vous l'avez proposé à 5 h ce soir dans une troisième tentative, M. Milosevic, les Kurdes et Dieu sait quels sujets majeurs, mais qui ne sont pas des sujets majeurs du canton. Pendant ce temps, nos affaires à nous ne sont jamais traitées. C'est une remarque que je tenais à faire.

Deuxièmement : je voulais vous faire observer que, à juste titre, MM. Froidevaux et Blanc ont dit tout à l'heure : vous n'avez pas froid aux yeux ! Vous qui hier, au débat de fin de soirée, avez répété que vous étiez pour le droit de la défense, que vous étiez pour le droit de chaque accusé de se défendre convenablement, vous voilà qui vous érigez simultanément, à l'occasion d'un réquisitoire extraordinairement violent - et je ne vise pas seulement le texte de cette résolution 385 mais les propos de M. Brunier qui confondait l'argumentaire avec le volume vocal - vous voilà à la fois les accusateurs, les témoins et les juges. Cela, Messieurs et Mesdames, c'est tout à fait insupportable. C'est un déni de justice et je ne concoure pas à un déni de justice.

C'est la raison pour laquelle, si nous sommes prêts - par gain de paix et en vous suppliant à l'avenir de nous épargner des sujets qui nous égarent - à nous rallier à l'amendement proposé par M. Froidevaux pour que nous votions quelque chose et ne donnions pas l'impression de soutenir des attitudes et des actes que nous réprouvons, sans cet amendement nous rejetterons la résolution. Pas par affection pour M. Milosevic, pas non plus par affection pour M. Trudjman qui, au titre des anciens Oustachi, aurait pu mériter votre attention aussi - mais nous avons compris vos manières sélectives - nous la refuserons parce que nous en avons assez que vous nous fassiez prendre pour ce que nous ne sommes pas : des bourriques ! (Applaudissements.)

M. Antonio Hodgers (Ve). Je m'étonne de voir ici ce soir les partis de droite vouloir, en quelque sorte, défendre quelqu'un qui se dit socialiste. Vous nous accusez d'être sectaires alors qu'aujourd'hui l'Alternative se propose de condamner quelqu'un qui se dit socialiste ; on fait du progrès ! Concernant M. Fidel Castro dont vous parlez souvent, si vous avez suivi l'actualité - mais peut-être ne suivez-vous que l'actualité genevoise - vous devez savoir qu'il y a effectivement une demande d'incrimination qui a été déposée auprès du même tribunal d'Espagne où a été déposée celle contre M. Pinochet, M. Videla d'Argentine, et d'autres dictateurs. Les très sérieux magistrats qui vont certainement juger M. Pinochet se sont penchés sur le problème de Castro : ils ont étudié les preuves en présence et ils n'ont pas conclu à un crime contre l'humanité... (Protestations.) ...tel que défini dans les différentes résolutions des Nations Unies, dans les différents traités.

Une voix. Retourne à l'école !

M. Antonio Hodgers. Justement à l'école on étudie le droit international ; il est assez clair à ce niveau-là. Je vous invite à lire les documents à ce sujet.

Deuxième remarque à propos de ce qu'ont dit MM. Halpérin et Blanc : notre parlement devrait plutôt s'occuper des affaires de Genève. Messieurs, c'est ce que nous faisons la plupart du temps. Nous avons un ordre du jour comportant une centaine de points environ dont un ou deux concernent le reste du monde. Je vous invite à la réflexion suivante : si tous les parlements cantonaux ou nationaux ne se préoccupent que des problèmes sur leur territoire et que les diverses organisations internationales qui ont quelques compétences comme les Nations Unies se préoccupent seulement des intérêts des grandes puissances que sont les Etats-Unis entre autres, qui se préoccupe de l'humanité ? Qui se préoccupe de ce monde dans son ensemble ? Qui pense globalement ? Seulement les multinationales ? Il n'y qu'elles pour s'occuper du reste du monde. C'est pour cela qu'il est important que tous les parlements - et pas seulement celui de Genève - commencent à se préoccuper de toutes ces affaires. L'économie s'est mondialisée, il faut aussi mondialiser la politique tout simplement pour maintenir cet équilibre.

Dernière observation concernant les amendements : M. Blanc a fait une remarque sur la troisième invite : «à demander à l'ONU...». S'il avait écouté en début de débat, il aurait su que cette invite avait été supprimée. Nous avons allégé les invites. Je vous propose de voter cette résolution telle qu'amendée.

M. Christian Brunier (S). Mesdames et Messieurs les députés, la droite nous dit très souvent qu'elle a beaucoup d'ambition pour Genève et particulièrement pour la Genève internationale. Pourtant ce soir, vous vous comportez comme des élus d'un village replié sur lui-même. (Protestations.) Genève a une vocation internationale et un certain nombre d'entre nous avons des contacts réguliers avec les ONG, celles qui s'occupent des droits de l'homme. Je vous assure que, lorsque le parlement genevois vote une résolution en faveur de la solidarité internationale, cette résolution a du poids et bien plus de poids que nombre de résolutions votées par des villes beaucoup plus grandes. Certains nous accusent de nous ériger en juges ce soir. Eh bien non ! Par rapport à certains dictateurs qui ont du sang sur les mains, je crois utile que des démocrates leur disent clairement qu'ils sont des salauds !

Mme Magdalena Filipowski (AdG). Je souhaite intervenir très brièvement dans ce débat pour dire que la position telle qu'exprimée par le parlementaire M. Halpérin - applaudi par une grande partie de la droite tout à l'heure - démontre tout simplement que les victimes du régime de l'ex-Yougoslavie, du Kosove et d'Albanie, ceux qui aujourd'hui se noient dans la mer pour tenter de passer en Italie, ceux qui traversent les frontières d'Italie pour venir en Suisse, ces victimes-là - qui constituent également un problème interne des pays européens, de la Suisse, de notre ville et de notre canton - ne constituent pas, pour les gens qui ont applaudi, un problème interne genevois. Je m'élève fortement contre cette position.

M. Michel Halpérin (L). Je ne permets à personne dans cette enceinte de me donner des leçons de droits de l'homme. J'ai une sensibilité même si je suis plus pudique que d'autres pour l'afficher sur les murs. J'estime que j'ai droit à mon opinion sur tel personnage et sur tel autre. J'estime cependant, Monsieur Brunier, que nous avons le devoir - si nous voulons atteindre les sphères que vous dites avec un minimum de crédibilité - de nous interpeller les uns les autres en nous invitant à la tempérance, à la pondération, à la réflexion et à l'intelligence. Le brouillon, l'affirmation, l'éructation ne sont pas des arguments dignes de ce parlement.

Le président. Nous sommes en présence de plusieurs amendements : l'un présenté par M. Froidevaux qui consiste à remplacer les invites actuelles ; l'autre présenté par M. Hodgers qui vise à supprimer la première et la troisième invite et à modifier la quatrième.

Conformément au règlement, je soumets à vos suffrages la proposition la plus éloignée du texte original, c'est-à-dire l'amendement présentés par M. Froidevaux qui vise à remplacer les cinq invites de la proposition originale par les invites suivantes :

- à soutenir les démarches du Conseil fédéral afin de raffermir l'Etat de droit dans la Yougoslavie ;

- à inviter la Confédération helvétique à tout mettre en oeuvre pour organiser et soutenir toute démarche internationale en vue d'un règlement du conflit dans la Yougoslavie ;

- à soutenir la réforme de l'armée faisant la promotion des soldats pour la paix tel que prévu dans Armée XXI.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Le président. Nous nous prononçons maintenant sur les amendements présentés par M. Hodgers. Tout d'abord sur la suppression de la première invite : «- à intervenir auprès du Tribunal international...».

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Le président. Le deuxième amendement de M. Hodgers consiste à supprimer la troisième invite : «- à demander à l'ONU ...».

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Le président. Le troisième amendement vise à modifier la quatrième invite ainsi :

«- à inviter la Confédération helvétique, l'ONU et les organisations internationales concernées à tout mettre... »

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

M. Michel Halpérin (L). Quel que soit le sort de cette résolution, je demande que l'on modifie son titre parce que je ne peux pas accepter l'idée que nous votions une résolution décrétant «coupable de crimes contre l'humanité» quelqu'un qui n'a pas été jugé. Je demande par conséquent que ces mots soient supprimés du titre.

Mme Christine Sayegh (S). Je propose un complément à cet amendement. Il n'est pas possible de demander l'incrimination de quelqu'un sans en donner la raison.

Le président. Nous sommes en présence de deux amendements. Je mets aux voix l'amendement le plus éloigné du texte d'origine, celui de M. Halpérin, consistant à

supprimer dans le titre : «coupable de crimes contre l'humanité».

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Le président. Nous passons au vote de l'amendement de Mme Sayegh, visant à

remplacer dans le titre : «coupable de crimes contre l'humanité» par : «pour crimes contre l'humanité».

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Le président. Je mets aux voix l'ensemble de cette proposition telle qu'elle a été amendée par les votes successifs.

Mise aux voix, cette résolution ainsi amendée est adoptée. Elle est renvoyée au Conseil d'Etat.

Elle est ainsi conçue :

Résolution(385)

demandant l'incrimination de Slobodan Milosevic pour crimes contre l'humanité

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

que Monsieur Slobodan Milosevic :

- a été l'un des principaux décideurs du déclenchement des conflits dans l'ex-Yougoslavie ;

- a encouragé ou décidé plusieurs massacres perpétrés durant ce conflit ;

- a défendu activement l'épuration ethnique et le génocide ;

- poursuit sa politique guerrière et totalitaire au Kosove et dans différentes régions de l'ex-Yougoslavie ;

- gouverne son pays sans respecter les droits élémentaires des êtres humains et les règles démocratiques ;

- ne respecte ni la Convention pour la prévention et la répression du Génocide de 1948, signée par 116 Etats dont la Yougoslavie, ni la résolution 96 de l'Assemblée générale de l'ONU qui dit que le génocide est " un crime du droit des gens, en contradiction avec l'esprit et les fins des Nations Unies et que le monde civilisé condamne ",

invite le Conseil d'Etat

- à dénoncer Slobodan Milosevic comme un des pires assassins politiques de l'histoire européenne contemporaine ;

- à inviter la Confédération helvétique, l'ONU et les organisations internationales concernées à tout mettre en oeuvre pour organiser et soutenir toute démarche internationale en vue d'un règlement du conflit dans l'ex-Yougoslavie ;

- à intervenir auprès du Conseil fédéral afin que la Suisse fasse siennes les lignes politiques défendues dans cette résolution.