Séance du jeudi 5 novembre 1998 à 17h
54e législature - 2e année - 1re session - 45e séance

M 547-A
6. Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Hélène Braun-Roth, Erica Deuber-Pauli, André November et Alain Sauvin concernant la création d'un conseil d'éthique de la recherche scientifique. ( -) M547
 Mémorial 1988 : Annoncée, 6495. Développée, 7200. Adoptée, 7210.

Dans sa séance du 16 décembre 1988, le Grand Conseil a adopté la motion suivante :

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève,considérant :

- la loi sur l'université ;

- les problèmes éthiques liés à la recherche scientifique ;

- les implications sociales des découvertes scientifiques ;

invite le Conseil d'Etat

à étudier la création d'un conseil d'éthique de la recherche scientifique.

Rapport du Conseil d'Etat

En proposant le 25 novembre 1988, la création d'un conseil d'éthique de la recherche scientifique, la motion M 547 soulevait non seulement la question des valeurs morales mises en jeu dans la recherche scientifique, mais également les fins dernières de toute activité scientifique. Nous citons (page 4, paragraphe 5 de la motion) :

"; En fait, l'éthique est la recherche d'un consensus social sur les problèmes moraux qui sont soulevés par la recherche et qui touchent à l'existence de l'homme. Autrement dit, elle est une interrogation permanente sur la condition humaine et sur le choix entre les meilleures options. Comme le dit le professeur Jean Bernard, nous formulons les conseils, nous ne suppléons pas les consciences ".

La liste, non exhaustive, des domaines dans lesquels se pose la question de l'éthique aux yeux des motionnaires confirme cette approche globale, puisqu'elle énumère, par exemple, outre l'utilisation du patrimoine germinal et génétique humain actuellement visé par l'article 24 novies de la Constitution fédérale, le problème de la modification de l'environnement et du climat qui relève de considérations avant tout économiques, sociales et politiques.

La problématique ouverte par la motion, si elle était précurseur en 1988, est devenue largement populaire à la suite des deux grands débats constitutionnels conduits sur le plan fédéral depuis lors (votation populaire du 17 mai 1992, art. 24 novies et votation populaire du 7 juin 1998, art. 24 decies rejeté). Elle reste d'une grande actualité si l'on examine au contraire le champ couvert par la nécessaire mission de l'université dans le domaine de l'éthique (art. 3 de la loi sur l'université).

Le Conseil d'Etat procédera ci-dessous aux rappels chronologiques indispensables qui permettent de comprendre l'évolution constitutionnelle fédérale et la création des différentes commissions ou comités d'éthique. Il consacrera ensuite un chapitre à examiner la question de l'université et l'éthique au travers de l'article 3 de la loi sur l'université, du 26 mai 1973.

L'article constitutionnel introduit le 17 mai 1992 dans la constitution fédérale et la votation populaire du 7 juin 1998

Après bien des débats, et notamment à la suite de l'initiative du Beobachter de 1985 concernant la biologie de la reproduction, la constitution fédérale contient aujourd'hui des dispositions sur l'utilisation du patrimoine germinal et génétique humain, ainsi que sur l'utilisation du patrimoine germinal et génétique d'animaux, de plantes et d'autres organismes.

Cette compétence constitutionnelle fédérale oblige la Confédération à édicter des prescriptions dans ce domaine. Dès lors, les cantons s'ils disposent d'une compétence subsidiaire doivent attendre la mise en place des dispositions fédérales.

Il est absolument évident que de telles dispositions constituent pratiquement une limite aux développements non maîtrisés de la science dans ce domaine et qu'ils sont une réponse indirecte aux motionnaires de 1988.

Trois grands domaines font l'objet de travaux législatifs sur le plan fédéral à partir de l'article 24 novies de la Constitution fédérale et donneront lieu à la mise en place de commissions d'éthique :

• Examiné actuellement par les Chambres fédérales et sur le point d'être adopté, le projet de loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA) prévoit à son article 28 la mise en place d'une commission nationale d'éthique chargée de suivre "; l'évolution dans les domaines des techniques de procréation et du génie génétique " et de donner "; des avis consultatifs d'ordre éthique sur les questions scientifiques, sociales et juridiques qui en résultent " (Feuille fédérale, 1996, vol III, p. 297).

La proposition de création d'une commission nationale d'éthique a été largement approuvée lors de la procédure de consultation et a été soutenue en particulier par l'Académie suisse des sciences médicales. Cette nouvelle commission sera régie par une réglementation indépendante de la LPMA, le Conseil fédéral étant autorisé à élargir les domaines d'activité de cet organisme qui devrait voir le jour en 1999 au plus tard. "; Seules, une composition multidisciplinaire et une représentation légale des deux sexes au sein de la commission permettront de développer des critères normatifs acceptables par tous " (Feuille fédérale, 1996, vol III, p. 271).

En tant qu'organe national de réflexion, la commission sera appelée à conseiller, sur demande, le Parlement fédéral, le Conseil fédéral et les cantons.

On ajoutera que la commission ne pourra ni adopter des lignes directrices avec force juridique contraignante directe, ni prendre position sur des projets de recherches particuliers et concrets. Cette compétence est du ressort des commissions locales ou de la Commission d'éthique suprarégionale pour la recherche clinique (CES).

• Toujours en matière de génétique humaine, un projet de loi fédérale sur les analyses génétiques est en préparation.

• La génétique non humaine : le refus en votation populaire du projet d'article 24 decies permet la poursuite des travaux législatifs autour de l'avant-projet "; GEN-LEX " mis en consultation le 15 décembre 1997.

Par décision du 27 avril 1998, le Conseil fédéral a institué la Commission fédérale d'éthique pour le génie génétique dans le domaine non humain.

Déjà nommée et en pleine activité, cette commission compte onze membres, soit des personnalités compétentes en matière d'éthique, des droits de l'Homme, de philosophie, de recherches scientifiques, de médecine... Le professeur Alex  Mauron, professeur ordinaire de bioéthique à l'Université de recherche et d'enseignement en bioéthique du Centre médical universitaire de Genève, en fait partie. Cette commission est présidée par Mme Andréa Arz De Falco de l'Institut interdisciplinaire d'éthique et des droits de l'Homme de l'Université de Fribourg.

Pour être complet, on mentionnera encore que, par ordonnance du Conseil fédéral du 20 novembre 1996, a été créée la Commission fédérale d'experts pour la sécurité biologique (CFSB) en vue d'assurer la protection de l'homme et de l'environnement. Elle conseille les autorités fédérales et cantonales. Chaque année, le CFSB remet au Conseil fédéral un rapport sur ses activités. Elle informe le public à intervalles réguliers sur des questions d'ordre général, en particulier au sujet des nouvelles connaissances scientifiques et des besoins en matière de recherche.

Enfin, par ordonnance du 26 juin 1996 sur les essais chimiques de produits immunologiques, le Conseil fédéral a institué la commission d'éthique de la recherche, dite commission d'éthique.

Foisonnement de commissions fédérales d'éthique

Dans sa réponse du 1er avril 1998 à la consultation sur l'avant-projet GEN-LEX, notre Conseil se prononce en faveur de la création d'une seule commission fédérale d'éthique. En substance, le Conseil d'Etat déclare :

"; Le foisonnement des commissions fédérales d'éthique ne saurait être admis, car il n'est pas susceptible d'aboutir à des résultats satisfaisants. Il représente une solution de facilité et consacre une division arbitraire des compétences. La multiplication des commissions fédérales d'éthique conduira inévitablement à un gaspillage et à une dispersion d'énergies, à une absence de véritable coordination que la motion "; GEN-LEX " n'a pas souhaitée et à une augmentation des dépenses. Elle crée le risque de décisions contradictoires que l'opinion publique ne comprendrait pas et qui ne feraient qu'accroître la méfiance actuelle d'une grande partie du peuple suisse à l'égard des autorités ".

"; Certes, les commissions d'éthique exigent, dans une certaine mesure, un savoir de base et des connaissances scientifiques et pratiques variées. Mais, l'avant-projet "; GEN-LEX " perd de vue que certaines règles et principes généraux sont applicables aux trois domaines particulièrement concernés : la génétique humaine, la génétique non humaine et les procréations médicalement assistées. Or, il existe incontestablement entre eux un certain regroupement dans les enjeux génétiques ".

"; En outre, dans un petit pays comme la Suisse, le nombre des personnalités compétentes en matière d'éthique est forcément limité. D'ores et déjà, les mêmes personnes sont appelées à siéger dans les diverses commissions d'éthique. Le paquet "; GEN-LEX " doit être l'occasion de mettre sur pied une véritable commission nationale d'éthique, absolument indépendante du pouvoir et aux compétences suffisamment larges pour couvrir l'ensemble des enjeux du génie génétique, des procréations assistées et des technologies médicales de pointe ".

"; Alors que l'époque actuelle accuse une nette tendance aux restructurations et que les administrations publiques se veulent de plus en plus performantes, comment plaider en faveur de l'éparpillement des compétences dans des domaines parallèles ? Imaginerait-on créer plusieurs facultés de médecine selon les branches enseignées ? Imaginerait-on plusieurs tribunaux fédéraux selon les domaines du droit pris en considération ? "

"; Pour ces raisons, le Conseil d'Etat recommande vivement l'instauration d'une unique commission nationale qui devrait être formée de personnalités choisies de toute façon par le Conseil fédéral, d'après leurs connaissances et leurs compétences plus qu'en raison d'une stricte représentativité des différents avis politiques sur le génie génétique (rapport explicatif, p. 27). Cette commission devrait s'organiser elle-même en sections selon les domaines considérés et être complètement indépendante. Seul un tel organisme est censé représenter une garantie pour le public et doit jouir d'une haute autorité morale face au pouvoir politique et aux puissances économiques ".

Ces considérations sont aussi valables sur le plan cantonal. La multiplication de commissions d'éthique sur le plan fédéral et cantonal et les inconvénients qu'un tel développement engendrera seront, avec raison, mal perçus par la population.

Les commissions d'éthique au niveau local

L'Académie suisse des sciences médicales (ASSM), bientôt suivie par l'Académie suisse des sciences naturelles (ASSN), ont édicté, dans les années 1970, des directives éthiques concernant la recherche scientifique. La tâche de ces commissions d'éthique généralement internes aux facultés de médecine et aux facultés des sciences consiste à apprécier ou à pondérer des projets de recherche scientifique.

L'ASSM a édicté des directives pour la recherche sur l'être humain. Elle exige que tout projet de recherche médicale soit évalué et approuvé préalablement par une commission d'éthique.

Ces directives ont donné lieu à Genève à la promulgation du "; Règlement concernant les recherches cliniques comportant des interventions relevant du génie génétique humain, du 13 avril 1994 " (K 2 05.16), qui institue le collège autorisant la recherche clinique avec intervention du génie génétique humain. Ce collège statue après avoir obtenu l'avis de la commission d'éthique de la faculté concernée, ainsi que, cas échéant, de la commission de recherche du département universitaire concerné (art. 3, al. 3 du règlement).

Dans le domaine de l'expérimentation animale, il existe, sur une base volontaire, des commissions d'éthique dans les instituts universitaires et de l'industrie chimique et pharmaceutique. Elles apprécient à titre interne les projets de recherche de l'entreprise impliquant des expériences sur des animaux, y compris des vertébrés modifiés par le génie génétique.

L'ASSM et l'ASSN ont créé ensemble une commission d'éthique pour les expériences sur les animaux, et apprécient des questions fondamentales relatives à l'expérimentation animale et des projets de recherche spéciaux sur le mandat d'universités et d'autorités. Cette commission est en train de réviser les "; Principes et directives éthiques pour l'expérimentation animale scientifique ".

L'université et l'éthique

L'université ne peut se dérober à un questionnement éthique sans être infidèle, non seulement à la mission que lui confie la loi de 1973, mais aussi à sa fonction dans la société. Elle se trouve placée toutefois devant une difficulté scientifique et institutionnelle fondamentale. L'université moderne s'est organisée depuis le XIXe siècle, à partir d'une démarche scientifique qui privilégie la spécialisation, cherchant dans la définition d'objets et de méthodes de plus en plus précis les conditions mêmes du progrès des connaissances. Ce mode d'organisation de la science a permis des progrès à la fois théoriques et pratiques inimaginables; il a conduit aussi aux problèmes essentiels qui préoccupent les motionnaires.

Ainsi la création, depuis les années 70, de centres interfacultaires, la volonté des autorités universitaires de soutenir l'activité de ces derniers, contre le voeu parfois des facultés, est bien plus qu'un phénomène de mode ou l'effet de stratégies individuelles. C'est la réaction indispensable à une nécessité à la fois scientifique et sociale.

A ce sujet, l'Institut romand d'éthique (IRE) a été créé en 1995. L'IRE, présidé par le professeur François Dermange qui a succédé au professeur Eric Fuchs, souhaite faire valoir la place d'une éthique théologique dans la société pluraliste qui est la nôtre. Il promeut une recherche fondamentale et appliquée dans le domaine de l'éthique en lien avec les différentes disciplines concernées : médecine, droit, psychologie, économie, etc. Un groupe de chercheurs se réunit régulièrement pour préciser leurs travaux, leurs méthodes et leurs questionnements. L'IRE encourage également la formation en éthique en Suisse romande par le biais de la coordination des programmes d'enseignement de l'éthique dans les facultés de théologie protestantes, par une offre de formation postgrade commune et par des colloques et journées d'étude. Enfin l'IRE est au service de la cité, ce qui l'amène à accepter des mandats, soit dans des commissions d'éthique existantes, soit dans des projets précis de formation ou d'élaboration de documents. Par exemple, l'IRE est actuellement chargé de la formation à l'éthique des cadres supérieurs de l'Etat de Genève.

A propos de l'université cependant, la motion 547 débouche sur une conclusion tout à la fois trop courte et trop vaste. Trop courte en ce que l'immense perspective qui s'y exprime se traduit en fin de compte par un souci d'information du public, souci louable certes, mais bien mince malgré tout, souci qui ne correspond, en outre, que partiellement aux missions de l'université.

Trop vaste, car s'il s'agit bien, en fin de compte, non pas seulement d'informer, mais de former une nouvelle conscience éthique pour une nouvelle société, ce n'est plus l'université qui est en question, c'est l'école toute entière, c'est la société elle-même qui ne peut à la fois refuser tout jugement moral au nom du pluralisme et du relativisme et attendre de ses membres qu'ils se conforment spontanément à des valeurs qui transcendent leur existence individuelle.

Conscients de cette difficulté, les motionnaires proposent de confier à un conseil d'éthique le soin, d'une part, de coordonner l'activité des différents comités d'éthique existants et de veiller à l'information du public, tâches éminemment respectables et utiles, mais, d'autre part, de définir ce qui devrait devenir le consensus social sur les buts de la recherche et finalement de la société. Le Conseil d'Etat, tout en reconnaissant que la seule curiosité du chercheur, même lorsqu'elle est scientifiquement élaborée, ne peut constituer la fin dernière de la recherche, doit dire ici ses craintes, notamment dans le domaine des sciences sociales.

Confier à la décision politique, au sens large du terme, au suffrage si l'on veut, le soin de dire, en fin de compte, le bien et le mal est soit une entreprise vaine, soit une perspective inacceptable pour des scientifiques. Pas plus que le "; Vrai, la Vertu " ne se décrète pas.

Comme le disait dans un récent article le professeur de bioéthique genevois Alex Mauron : "; Les mentalités contemporaines sont souvent prêtes à évacuer la question de la vérité au profit de considérations pseudo-éthiques ".

Comme l'a récemment démontré le débat populaire sur l'initiative pour la protection génétique du 7 juin 1998, l'université doit s'ouvrir à la société pour démontrer infatigablement qu'elle poursuit en effet la quête de la connaissance du "; Vrai ", tout en respectant les impératifs éthiques qui pourraient découler de la connaissance du "; Bien ". Ce dialogue du "; Vrai et du Bien " ne saurait être réduit à une construction sociale ou à un lieu déterminé dans la cité, détenteur d'une vérité dogmatique.

Si le Conseil d'Etat rejette l'idée de créer un conseil d'éthique de la recherche scientifique, il a, en revanche, l'intention de suivre de très près tous les travaux qui conduiront à la mise en place d'une législation fédérale d'exécution de l'article constitutionnel 24 novies.

C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous propose de prendre acte du présent rapport.

Débat

Mme Anne Briol (Ve). La réponse du Conseil d'Etat sur la motion concernant la création d'un conseil d'éthique est profondément décevante et réductrice. Selon le Conseil d'Etat, comme la motion débouche sur une conclusion à la fois trop courte et trop vaste, elle ne peut pas être prise en considération, d'autant plus que, toujours selon le Conseil d'Etat, je cite, «le vrai, le vertu ne se décrète pas». Je pourrais continuer à énumérer des extraits de ce rapport qui se veulent philosophiques mais qui sont vides de sens tels que : «Ce dialogue du vrai et du bien ne saurait être réduit à une construction sociale ou à un lieu déterminé dans la cité, détenteur d'une vérité dogmatique», mais je préfère en venir à du concret.

La proposition innovatrice, il y a de cela dix ans, de créer un conseil d'éthique n'est aujourd'hui en aucun cas désuète. Un tel conseil est plus que jamais nécessaire car la complexité des questions concernant les biotechnologies, la «brevetabilité» du vivant, mais également les soins aux personnes en fin de vie ou encore les technologies de l'information, n'a cessé de croître et ni l'article 24 novies de la Constitution fédérale, ni la nouvelle Commission fédérale pour le génie génétique n'y répondent.

Il ne s'agit pas de créer une énième commission mais bien de coordonner des commissions d'éthique sectorielles et d'établir des directives générales en matière d'éthique. Ainsi, ce conseil devrait être interdisciplinaire comprenant des scientifiques des sciences naturelles et humaines, des théologiens, des représentants des ONG, des milieux économiques et du public. Il pourrait par exemple fonctionner auprès du conseil de l'université ou du conseil académique tout en bénéficiant d'une autonomie nécessaire à sa tâche.

Enfin, la proximité d'un tel conseil est importante, car Genève ne peut pas se contenter d'une autorité fédérale lointaine quand il s'agit de questions éthiques qui interviennent dans la vie quotidienne. Dans ces conditions, les Verts vont élaborer un projet de loi allant dans le sens de cette motion et, dans l'intervalle, nous vous invitons à renvoyer le rapport du Conseil d'Etat à son auteur.

Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Comme dernière survivante, Monsieur le président et Mesdames et Messieurs les députés, des auteurs de la motion 747 au Grand Conseil, je prends acte du rapport du Conseil d'Etat et je l'en remercie.

Je ne reviendrai pas sur les paroles que vient de prononcer Mme Briol auxquelles j'adhère totalement. Je rappelle que cette motion a été déposée à la fin des années 80, dans un contexte que le rapport du Conseil d'Etat ne rappelle qu'en partie. A l'époque, nous avons assisté à une course folle au profit, dans un climat qui préfigurait - mais on ne le savait pas encore - le triomphe du néolibéralisme et la réorganisation de l'économie vers ce qu'on appelle désormais la mondialisation. En même temps, les révolutions scientifiques et technologiques dans les domaines de la cybernétique, de la biologie, de la génétique, provoquaient des bonds en avant sans précédent dans le développement des moyens de production, de reproduction et de contrôle de la vie.

La prise en compte de l'exigence du respect de l'environnement et du monde vivant a contribué, à la même époque, à ouvrir les yeux sur les dangers d'une science sans conscience. Le Grand Conseil venait lui-même de traiter notamment de la question difficile de l'expérimentation animale dans les domaines de la recherche médicale et chimique.

Ce moment de rupture dans le processus de progrès continu à laquelle les sociétés occidentales avaient attaché pendant deux siècles une foi inébranlable, - moment de rupture qui, je le rappelle encore une fois, n'était pas pleinement conscient avec toutes ses conséquences dans nos têtes - a suscité la présente motion de la part de députés qui avaient fait l'expérience du combat antinucléaire dans les années 70-80. Ils avaient en particulier fait l'expérience de la légèreté du discours scientifique sur le nucléaire civil ou, si l'on préfère, de l'aveugle croyance au progrès avec laquelle la plupart des scientifiques et des responsables politiques abordaient les questions liées au nucléaire.

La science triomphante, aveugle aux risques, en particulier à ceux des déchets produits dans tous les domaines - et pas seulement ceux du nucléaire - devait à nos yeux être prise avec des pincettes, mais ni les autorités politiques de notre pays ni les autorités du monde universitaire et scientifique, ni a fortiori les dirigeants de l'industrie et de la recherche industrielle ne s'étaient manifestés dans ce débat imposé par la base autrement qu'en renvoyant leurs initiateurs à leurs craintes, à leurs préjugés et, au pire, à leur supposée ignorance.

Si donc les auteurs de la motion concernant la création d'un conseil d'éthique de la recherche scientifique étaient des précurseurs comme le dit très gentiment le rapport du Conseil d'Etat, c'est que nous étions avertis des mensonges et des dissimulations que peuvent servir aux populations des autorités soucieuses avant tout de faire avancer les affaires et les programmes arrêtés, sans se soucier d'information et de concertation démocratique. Pour le nucléaire, on sait comment cela a tourné. Mais quid du génie génétique, de la manipulation de la procréation, du traitement des personnes âgées ? Qui contrôle effectivement la recherche scientifique et ses applications du point de vue de l'éthique, c'est-à-dire du point de vue du consensus social qui peut se dégager sur les problèmes moraux liés à l'existence de l'homme ?

Cette question - le Conseil d'Etat le souligne dans son rapport - n'a cessé et ne cessera d'être débattue. Une attention extrême est donc de rigueur. Elle suppose des organismes compétents du plus haut niveau scientifique et éthique, issus, comme l'a rappelé Mme Briol, des milieux mêmes de la recherche mais aussi des milieux qui s'occupent de morale, de science sociale, de philosophie et de droit des citoyens. C'est le marché mondial qui commande, apparemment aujourd'hui sans retenue, la poursuite des recherches pour la conquête des positions dominantes dans la recherche et dans l'industrie, et vous le savez bien !

Lors du débat de l'année écoulée sur l'initiative concernant le génie génétique, la volonté d'un contrôle éthique de la recherche a fait l'unanimité. Tous les jours surgissent de nouvelles questions. Il y a quinze jours, quand nous devions aborder ce débat, la presse nous apprenait par exemple que des observations étaient faites et des hypothèses formulées sur la présence d'hormones féminines dans l'eau résultant de l'usage de la pilule contraceptive. Ceux qui ont inventé la pilule, ceux qui l'ont commercialisée, ceux qui l'ont utilisée, ceux qui s'en sont servis pour le contrôle des naissances et la régulation hormonale n'avaient pas pensé à cette conséquence possible : la féminisation des espèces par la prise régulière d'hormones féminines, même en quantités infimes. Voilà une belle question d'éthique à débattre !

Il y a trois semaines, j'ai participé au débat organisé par le Grand Conseil et le CERN. J'ai été frappée par la sérénité des réponses des scientifiques face aux questions inquiètes d'un certain nombre de personnes dans le public sur des sujets dont la simple formulation échappe de toute façon aux compétences de tout un chacun. J'ai dit sérénité mais d'autres y ont perçu de l'arrogance. Comment savoir ?

Lorsque notre motion, à laquelle le Conseil d'Etat propose de ne pas donner suite, a été déposée, se discutait le projet de loi sur l'université visant notamment à renforcer les liens entre l'université et la cité. Il y avait fort à craindre que l'éthique traditionnelle commandant les études et les recherches universitaires ne subissent aussi une évolution.

Ce n'était pas mal vu. On vient d'apprendre à l'annonce du départ du recteur Bernard Fulpius - et j'espère qu'il s'agit d'une rumeur sans fondement - que pour le remplacer on ferait appel à un chasseur de têtes. L'on peut se demander si l'université, qui ne serait plus capable de générer ses propres autorités, pourrait être capable d'assurer le contrôle de ses recherches scientifiques du point de vue de l'éthique.

Je ne vais donc pas prolonger mon intervention puisque Mme Briol a brillamment indiqué quelle était la voie à suivre. J'apprends maintenant que les Verts ont l'intention de déposer un projet de loi. J'avais moi-même l'intention de demander que ce rapport soit renvoyé à ses auteurs. Nous nous réservons donc de revenir avec un projet de loi sur cette question.

M. Chaïm Nissim (Ve). Il me reste peu de choses à dire après les deux excellentes interventions d'Erica Deuber et d'Anne Briol. Je voudrais juste les appuyer et les prolonger par quelques considérations.

Je suis un scientifique et je me bats depuis vingt ans pour qu'il y ait un contrôle, une commission d'éthique sur les activités dites scientifiques. Malheureusement, les canaux de communication entre les scientifiques et le grand public sont trop souvent coupés et des questions importantes sont trop peu et trop mal débattues : Où va la science ? Que voulons-nous chercher ? Dans quoi voulons-nous investir ? Dans quel chemin de développement scientifique voulons-nous nous engager ? A mon avis, il est essentiel que le grand public et les milieux politiques soient mieux informés de ce que fait la science, de ce qu'elle peut faire et quels dangers elle recèle.

Ma collègue Erica Deuber vient de vous parler longuement du débat relatif à la question du nucléaire pendant vingt ans. Les «nucléocrates» ont effectivement affiché un certain mépris et une certaine arrogance en voulant faire croire que les critiques étaient scientifiquement peu fondées, alors qu'en réalité nous étions scientifiquement plus fondés qu'eux et économiquement aussi. Je me battrai jusqu'à la fin de ma vie pour que la science ne se développe pas dans n'importe quel sens, dans le sens où l'argent la pousse malheureusement trop souvent, et pour qu'elle se développe un peu plus dans le sens où l'éthique devrait la pousser.

C'est la raison pour laquelle ce rapport est à mes yeux également inacceptable. Comme ma préopinante, j'ai aussi été frappé par le débat entre le CERN et le Grand Conseil, il y a trois semaines environ, car j'ai constaté une fois de plus, au cours de ce débat, que les questions d'éthique étaient trop souvent refusées et trop souvent rejetées sous le tapis.

Je trouve lamentable de lire dans un rapport du Conseil d'Etat que l'université avance dans la quête du vrai. Tout d'abord, c'est faux  ! L'université avance dans la voie qu'on lui indique et ce n'est pas forcément le vrai. Ensuite, il est assez dangereux de vouloir faire croire que l'université cherche le vrai. C'est un mensonge, Madame Brunschwig, je ne sais comment vous avez pu signer une telle phrase. Ce n'est tout simplement pas vrai ! L'université cherche là où on lui dit de chercher et ne cherche pas forcément le vrai. Le vrai, c'est une foule, une espèce de delta aqueux de potentialités et il n'y a pas une seule vérité.

Le président. Merci pour votre clarté, Monsieur le député !

M. Alain Etienne (S). Dix ans, il a fallu dix ans pour que le Conseil d'Etat réponde à la motion 547 concernant la création d'un conseil d'éthique de la recherche scientifique.

Il est un peu facile aujourd'hui de venir s'appuyer, seulement quelques mois après, sur les résultats de la votation populaire du 7 juin 1998, en réponse à l'initiative pour la protection génétique. Je ne reviendrai pas sur les conditions dans lesquelles s'est passée la campagne.

Dans ce rapport, on nous parle de la promulgation à Genève du «Règlement concernant les recherches cliniques comportant des interventions relevant du génie génétique, du 13 avril 1994». Pourquoi alors ne pas avoir traité cette motion beaucoup plus tôt ?

Il a été fait état du souci d'information du public. Qu'entend faire le Conseil d'Etat pour rendre plus perceptible la recherche scientifique auprès de la population ? Pourquoi toujours ces craintes du dialogue ?

Vous ne répondez pas non plus au souci de protéger les chercheurs contre les pressions venant des milieux économiques ainsi qu'au souci qu'avaient les motionnaires par rapport à l'application des découvertes. La motion mettait aussi l'accent sur l'interdisciplinarité. De cela pas un mot, vous nous renvoyez aux commissions d'éthiques sectorielles existantes. A la fin des débats sur cette motion, M. Dominique Föllmi, conseiller d'Etat, était d'accord sur l'idée de la mise en place d'un centre d'éthique interfaculté. Est-ce que cette idée a fait son chemin ?

Au vu de ces interrogations, je regrette votre décision de ne pas adhérer à l'idée de créer un conseil d'éthique de la recherche scientifique. Le parti socialiste prend acte de ce rapport mais nous poursuivrons notre travail parlementaire dans ce domaine, comme les Verts le proposent.

Pour terminer, j'ajouterai que le parti socialiste déposera prochainement un projet de loi sur l'université et que cette question pourra être abordée en même temps.

M. Michel Halpérin (L). J'aimerais dire très brièvement que le groupe libéral accueillera avec plaisir et intérêt le rapport du Conseil d'Etat. Je n'ai pas très bien compris, probablement parce qu'il n'avait pas sous les yeux le même texte que moi, ce que nous a dit tout à l'heure notre collègue Nissim. Il a dû avoir une mauvaise édition. Il faudra, Madame le sautier, que vous veilliez à ce que M. Nissim ait les mêmes textes que nous ! En effet, quand j'ai lu le rapport du Conseil d'Etat, je n'ai pas trouvé que ce dernier avait décrété que l'université découvrait ou disait la vérité.

Le Conseil d'Etat nous a fait quelques belles pages sur la comparaison et le combat que peuvent se livrer le vrai et le bien. C'est un vrai débat même si cela n'est pas toujours bien dit. Cela pose un vrai problème et c'est précisément tout le problème de l'éthique, parce que la recherche de la vérité ou en tout cas la recherche de la connaissance, c'est aussi la connaissance du bien et du mal, Monsieur Nissim. Depuis la création du monde, l'homme s'intéresse à la connaissance du bien et du mal et pas seulement à la connaissance du savoir.

Dans ce débat qui met aux prises le savoir et la connaissance du bien et du mal, nous sommes privés du paradis d'Eden depuis Adam et Eve, Monsieur Nissim. Vous n'allez pas les reconstituer sous la forme d'un conseil de l'éthique et nous n'allons certainement pas les reconstituer au sein de ce Grand Conseil qui n'a ni le savoir, ni la connaissance du bien, ni même hélas la connaissance du mal.

Alors, Mesdames et Messieurs les députés, nous allons accueillir avec faveur le rapport du Conseil d'Etat, non pas parce qu'il nous apporte le bien ni parce qu'il nous apporte le vrai, mais parce qu'avec une humilité qui sied aux circonstances il prétend ne nous imposer ni l'un ni l'autre.

M. Chaïm Nissim (Ve). Je remercie mon collègue Halpérin d'avoir relancé ce débat et de me donner l'occasion de clarifier quelque peu les considérations dont le président sous-entendait tout à l'heure qu'elles étaient un peu floues.

Monsieur Halpérin, la phrase à laquelle je me référais et à laquelle ma collègue Anne Briol s'est également référée, se trouve à l'antépénultième paragraphe : «...l'université doit s'ouvrir à la société pour démontrer infatigablement qu'elle poursuit en effet la quête de la connaissance du Vrai, tout en respectant - je lis la fin de la phrase, et là vous avez raison, Monsieur Halpérin - les impératifs éthiques qui pourraient découler de la connaissance du Bien».

S'imaginer que l'université cherche «le» vrai est à mon avis un leurre. C'est ce que j'ai essayé d'exprimer avec l'image du delta; je pensais au delta du Rhône qui se sépare en arrivant à la Méditerranée en toute une série de sous-petits courants, de petits ruisseaux qui, pour finir, se jettent chacun à sa manière dans la Méditerranée. Il y a toute une série d'approches du vrai et il n'y en a pas qu'une. Ces approches sont malheureusement aujourd'hui orientées par des décideurs. Or, nous voudrions que ces décideurs ne soient plus les décideurs actuels, qui s'imaginent pouvoir proposer une seule possibilité de recherche à la science, mais qu'ils soient aussi des décideurs éthiques, c'est-à-dire qu'ils évaluent avec les moyens dont ils disposent dans quel sous-courant, dans quel sous-petit ruisseau, il vaut la peine d'investir de l'argent, dans quel sous-courant, il faut orienter la science.

En effet, Monsieur Halpérin, nous sortons aujourd'hui d'un combat dans lequel - pour reprendre l'exemple que citait Mme Deuber sur le nucléaire - nous avons investi cinquante ans de moyens industriels; pendant cinquante ans nous avons investi plusieurs centaines de milliards dans une recherche qui s'avère aujourd'hui inappropriée, injustifiable et injustifiée. Nous voudrions donc éviter qu'à l'avenir d'autres recherches nous embarquent dans de telles dépenses et orienter la recherche en fonction de critères éthiques. C'est là où je voulais en venir.

M. Alain Vaissade (Ve). Je ne puis m'empêcher de prendre la parole à la suite de l'intervention de M. Halpérin parce qu'il nous a cité des valeurs comme le bien, le mal, le vrai, en parlant d'éthique. Je crois qu'il y a tout de même une certaine confusion au niveau de la hiérarchie de ces valeurs. Je suis d'accord, et vous partagerez mon avis, Monsieur le député, que la primauté revient évidemment aux sciences et aux techniques quand on y adjoint l'économie. Mais cet ordre numéro un doit être contrôlé par un ordre numéro deux qui est le politique et tout l'appareil législatif. Il faut ensuite contrôler celui-ci par la morale et on rejoint là ce que vous avez dit au niveau des valeurs du bien et du mal, valeurs qui sont traitées par la morale. Mais ici nous parlons d'éthique et les valeurs qui sont traitées par l'éthique sont l'amour et la haine.

Dans ce sens, Monsieur le député, vous avez confondu l'éthique et la morale. Or, ce n'est pas du tout la même chose. Je sais que vous êtes un magnifique orateur, mais permettez-moi de rectifier et d'ajouter que nous sommes confrontés, dans la société, à deux courants inverses, à savoir que l'individu préfère les valeurs de l'éthique pour remonter à celles de la science et que les groupes aiment d'abord les valeurs qui touchent à la raison, c'est-à-dire à la science, pour arriver à l'éthique.

Il m'apparaît donc que, pour arriver à un parlement politique qui traite de la raison, il convient d'avoir un conseil qui traite, lui, de l'éthique, c'est-à-dire de l'amour et de la haine.

M. Michel Halpérin (L). J'aimerais tout d'abord remercier M. Vaissade de relancer à son tour cette partie de ping-pong. Monsieur le député, vous avez certainement raison de distinguer la morale et l'éthique. Quand je fais de la politique, j'essaie d'avoir cette référence que vous évoquez à l'ordre supérieur au nom duquel chacun d'entre nous essaie d'ajuster sa pensée et de la formuler.

Si je me souviens bien, les fondements de la raison pure et de la raison pratique de notre ami Kant sont que tout acte que nous accomplissons doit être fait comme s'il était possible de l'appliquer à l'ensemble du bien commun. Nous devons, par conséquent, adapter nos conduites à ce que nous imaginons être le bien commun et il faut donc faire preuve d'imagination pour le définir. Nous sommes d'accord sur ce point.

En revanche, nous sommes aussi probablement d'accord - mais vous n'avez pas eu le temps de le dire, Monsieur Vaissade - sur le fait que notre assemblée n'est pas capable de se mettre d'accord pour définir le bien commun. Preuve en est que nous sommes en désaccord sur presque tout et que je ne vois pas comment notre assemblée dans cet état-là pourrait désigner un conseil de l'éthique pour qu'il fasse mieux qu'elle. Le plus incompétent d'entre nous n'arrivera jamais à faire de son délégué plus compétent que lui. (Brouhaha.)

Je ne voudrais pas terminer sans remercier M. Nissim d'avoir complété son exposé précédent au sujet du delta. J'aimerais lui rappeler ce verset dont il fera le meilleur usage : tous les fleuves vont à la mer mais la mer n'est jamais remplie ! (Rires.)

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. J'avais presque envie d'en rester là après la déclaration du député Halpérin mais j'aimerais tout de même vous dire plusieurs choses.

Je comprends bien que les signataires d'une motion qui souhaitaient la mise en place en 1988 d'une commission d'éthique et qui sont représentés par les députés qui se sont exprimés ce soir puissent être déçus que le Conseil d'Etat ne suive pas leurs recommandations. Je comprends moins bien, en revanche, que vous accueilliez ce rapport de la façon dont certains l'ont exprimé tout à l'heure.

Premièrement, je relève - et je pense que nous pourrions nous mettre d'accord sur ce point - que certains députés ont défini à travers l'éthique leurs positions politiques sur un certain nombre de sujets. Cette position leur appartient. Or, il serait préférable de ne pas utiliser l'éthique comme plate-forme de nos combats politiques. Si vous me permettez cette remarque, et je pense qu'elle est en l'occurrence indispensable, il importe peu de savoir si les chercheurs qui, à l'époque, ont cherché quelque chose qui aboutissait à la mise en place de l'énergie nucléaire respectaient une éthique ou non. Je pense en effet que, pour la plupart d'entre eux, ce qu'ils ont fait était probablement dans la recherche du bien commun, de la même façon que - comme l'a rappelé le député Halpérin - nos actes et nos décisions ici devraient s'inscrire dans la même recherche.

Définir ce qui est éthique ou non sur la base d'une position politique dans un domaine donné me paraîtrait déjà amoindrir le sens que nous voulons donner à l'éthique.

Deuxièmement, si vous avez bien lu ce rapport, vous aurez constaté que le Conseil d'Etat partage, en matière d'éthique, les préoccupations de celles et de ceux qui se sont exprimés ici. Ce rapport dit - et on peut le contredire sur ce point - qu'il estime qu'il ne faut pas multiplier les commissions d'éthique. Le fait qu'il y ait, au niveau national, la mise en place d'une commission d'éthique précisément appelée à répondre à leurs préoccupations devrait nous conduire, en termes de références, à préférer qu'il y en ait une plutôt que vingt-six !

Troisièmement, j'aimerais dire au député Nissim que je ne crois pas que l'image de l'université soit véritablement celle qu'il a décrite. Il y a, comme dans tout corps constitué, des gens qui sont appelés à répondre de leurs actes. Certains peut-être - cela a été le cas par le passé et c'est notamment ce qui a donné naissance à quelques démarches - n'ont pas répondu à notre attente.

J'ose dire ici que, du fait même de la loi sur l'université, la liberté académique en matière de recherche existe bel et bien; que la recherche à l'université de Genève, et en particulier la recherche fondamentale, n'est pas décrétée. Dans ce domaine, les décisions appartiennent bien aux chercheurs et non pas aux groupes multinationaux et à tout autre intervenant extérieur tel que vous l'imaginez. Cette université, comme la plupart des universités de ce pays, a en permanence veillé à ce que ce voeu puisse véritablement se réaliser.

Tout cela ne rend pas le monde plus parfait. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, d'entente avec d'autres universités, l'Institut romand d'éthique a été créé, ce dont vous me semblez faire vraiment bon marché, Mesdames et Messieurs les députés. Je réponds là au député Etienne qui s'étonnait et demandait pourquoi nous n'avions pas répondu en 1994 déjà. J'ai souhaité répondre, Monsieur le député, à ce rapport en ayant des éléments concrets, réalisés et vrais de ce qui s'était fait dans le domaine de l'éthique depuis le moment où la motion a été déposée. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)

L'Institut romand d'éthique est présidé par le successeur du professeur Eric Fuchs et vous conviendrez avec moi que cette lignée-là est une lignée de qualité, qui devrait nous conduire non pas à instaurer une commission qui juge, mais un lieu de réflexion permanent et une référence pour l'ensemble de nos actions. C'est d'ailleurs bien comme cela que fonctionne cet institut puisqu'il est justement dit dans le rapport qu'il vise le terrain pluridisciplinaire et interdisciplinaire et que c'est dans ce sens qu'il travaille et entend travailler à l'avenir.

Les uns voudront peut-être une commission sur le plan cantonal, ce que je comprends bien. Mais, à travers vos débats, je comprends aussi, quelles que soient vos interventions, que vous n'êtes pas d'accord sur ce que devrait faire ou ne pas faire une telle commission. Pour les uns, il s'agit de juger du bien-fondé des recherches, en contradiction avec la liberté académique. Pour d'autres, il s'agit de définir des principes dans lesquels doivent s'inscrire des actions et, pour d'autres encore, d'autres arrière-pensées ou d'autres volontés s'exprimeront sans doute en commission.

J'aimerais toutefois que nous prenions garde à l'essentiel. Il est important que cette université, la nôtre, se préoccupe, en matière de formation et de recherche, de mettre l'éthique au centre de ses préoccupations dans toutes les disciplines. C'est une action que le recteur actuel a d'ailleurs conduite, affirmée et renforcée. Mais il importe également de ne pas mettre sur pied des tribunaux d'éthique car nous serions alors en plein dérapage et je crains fort, malheureusement, que cette vision puisse prévaloir à un moment donné.

Vous allez déposer un projet de loi et il y aura lieu d'en débattre en commission. Je crois qu'il serait très injuste, au vu de ce qu'explique ce rapport, de le renvoyer au Conseil d'Etat par agacement, car ce que dit ce rapport est tout à fait respectable. Je vous demande de prendre acte de ce rapport par respect pour ce qui se fait déjà, étant entendu que vous avez la liberté de déposer le projet de loi annoncé.

Pour répondre encore à Mme Deuber-Pauli et terminer par là, je trouve, Madame la députée, qu'il n'y a pas lieu de faire de lien entre le futur choix du recteur et l'éthique. J'aimerais vous dire, en tout état de cause, qu'il n'a jamais été question de confier à un consultant extérieur le soin de choisir le recteur. La seule chose qui a été évoquée et proposée à la commission élective était de s'offrir le soutien et l'accompagnement d'un consultant extérieur dans la réflexion qui permettait de définir un profil. Mais la commission n'a pas souhaité le faire, dont acte. Je vous propose de ne pas faire d'amalgame, d'en rester au sujet tel que vous l'avez posé au départ, d'accepter ce rapport et d'en prendre acte, puis de travailler en commission sur le projet de loi que vous souhaitez déposer.

Pour ma part, je dis ici très clairement que la préoccupation du Conseil d'Etat est réelle et qu'elle rejoint la vôtre, même si les moyens que vous souhaitez ne sont pas ceux que nous préconisons.

Le président. Nous sommes en présence d'une proposition de renvoi au Conseil d'Etat. Je mets aux voix cette proposition.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cette proposition recueille 40 oui et 40 non.

Le président. Il m'appartient de trancher : je me prononce contre le renvoi du rapport au Conseil d'Etat.

La proposition de renvoi au Conseil d'Etat est rejetée.

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.