Séance du
jeudi 25 juin 1998 à
17h
54e
législature -
1re
année -
10e
session -
30e
séance
No 30/IV
Jeudi 25 juin 1998,
nuit
Présidence :
M. René Koechlin,président
La séance est ouverte à 21 h 20.
Assistent à la séance : Mme et MM. Gérard Ramseyer, président du Conseil d'Etat, Martine Brunschwig Graf, Guy-Olivier Segond, Carlo Lamprecht et Robert Cramer, conseillers d'Etat.
1. Exhortation.
Le président donne lecture de l'exhortation.
2. Personnes excusées.
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance : Mme Micheline Calmy-Rey et M. Laurent Moutinot, conseillers d'Etat, ainsi que MM. Bernard Annen, Claude Haegi, Antonio Hodgers, Armand Lombard, Alain-Dominique Mauris et Chaïm Nissim, députés.
3. Annonces et dépôts :
a) de projets de lois;
Néant.
b) de propositions de motions;
Néant.
c) de propositions de résolutions;
Néant.
d) de demandes d'interpellations;
Néant.
e) de questions écrites.
Néant.
M. P. S. , 1972, Yougoslavie, employé de restaurant, recourt contre la peine d'expulsion judiciaire.
Le président. Je reviens sur le point 8 de notre ordre du jour, à savoir le rapport de la commission de grâce.
Comme l'a dit M. le député Ferrazino, il m'appartenait de trancher au moment du vote en vertu de l'article 36 de notre règlement.
C'est particulièrement difficile, car ce genre de décision implique des considérations plus psychologiques et humaines que politiques.
Je me suis enquis auprès du rapporteur des détails du dossier. J'ai fait de même auprès d'un certain nombre de commissaires et, en ce qui me concerne, je suis enclin à accorder la grâce. (Applaudissements.)
Pendant toute ma jeunesse, je me suis beaucoup préoccupé des délinquants, notamment aux Foyers Feux-Verts conçus uniquement pour eux. Cette période de ma vie, consacrée en partie à l'assistance d'un certain nombre de délinquants sortis de prison, m'a appris que, pour réussir à les réintégrer dans la société, il faut avoir à leur égard plus de clémence que de sévérité, surtout après qu'ils ont purgé leur peine.
Le cas qui nous occupe est précisément celui d'une personne qui a purgé sa peine, et c'est la raison pour laquelle je pense qu'il faut l'aider et non lui enfoncer la tête sous l'eau.
C'est pourquoi, en mon âme et conscience, j'ai pris cette décision. (Applaudissements.)
Le préavis de la commission (rejet du recours) est rejeté.
Le recours contre la peine d'expulsion judiciaire est adopté.
5. Ordre du jour.
Mme Christine Sayegh(S). Lors de la séance de 17 h, j'avais demandé que la résolution 374, concernant le génocide des Arméniens, soit traitée en début de séance, ce qui avait été accepté.
Le président. Elle le sera, Madame, mais je voudrais achever les points en suspens de la dernière séance. Si vous êtes d'accord, nous traiterons votre résolution au point «objets nouveaux». Nous passons donc au chapitre département des finances, point 15, réponse à l'interpellation 2002 .
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. En ma qualité de suppléant de Mme Calmy-Rey, j'ai cru comprendre qu'il avait été convenu de traiter demain, en sa présence, les points de son département.
Le président. Si vous n'avez pas les éléments de la réponse, il en sera fait ainsi. Ce point est donc renvoyé à notre séance de demain.
Nous abordons maintenant la résolution 374.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Notre pays et notre canton préparent les festivités pour commémorer le 150e anniversaire de la Constitution fédérale. Genève, dont le rayonnement international est porteur de justice, de paix, de respect des peuples et du citoyen, ne peut rester insensible aux déclarations des Nations Unies en 1985, du Parlement européen en 1987 et plus récemment à la loi votée par le Parlement français, reconnaissant officiellement le génocide arménien.
Il est aujourd'hui plus que jamais urgent de rappeler les massacres dont a été victime le peuple arménien en Turquie. La mémoire de ce drame de l'histoire doit, comme d'autres drames, rester présente dans la conscience de tous les citoyens, tous ceux et celles à qui un mandat politique a été confié, afin qu'en Europe, et sur l'ensemble de notre planète, de tels agissements ne se reproduisent plus. Ce n'est qu'en déclarant publiquement ces faits intolérables, c'est en luttant contre l'amnésie faussement rassurante qui frappe un peu rapidement les collectivités que la concrétisation de la déclaration des droits de l'homme a une chance de se réaliser et le respect de chacun d'être pris en considération.
Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, en soutenant cette résolution, vous permettrez de réaffirmer l'amitié entre la Suisse, Genève en particulier, et le peuple arménien, de manifester notre attachement aux valeurs démocratiques et notre volonté de contribuer à l'établissement d'une paix durable en Europe et dans le monde. Aussi, nous vous remercions de lui réserver un bon accueil.
Débat
Mme Christine Sayegh (S). Je vous remercie de bien vouloir traiter cette résolution en urgence.
En effet, il y a urgence à reconnaître officiellement le génocide dont a été victime la population arménienne, une urgence d'autant plus grande que le 24 juillet prochain nous rappellera que ce génocide remonte à septante-cinq ans.
Le Traité de Lausanne, signé à l'époque, mettait un terme au conflit gréco-turc. Non seulement il occultait l'existence de l'Arménie, mais il effaçait l'extermination programmée, particulièrement en 1915, des Arméniens par les autorités ottomanes.
La communauté arménienne nous a informés que des festivités seraient probablement organisées pour célébrer le septante-cinquième anniversaire du Traité de Lausanne. Le moment est donc venu de rendre justice au peuple arménien et aux descendants des victimes de cette extermination.
La Suisse n'a pas, quant à elle, occulté la réalité des souffrances du peuple arménien. Elle a notamment soutenu l'école arménienne de Begnins, fondée en 1921. Cette école a reçu, en 1924, la visite du conseiller fédéral Giuseppe Motta et de l'ancien président de la Confédération, alors président du CICR, Gustave Ador. A cette occasion, Giuseppe Motta rappela que chacun des enfants était une tragédie vivante. Ces enfants n'avaient pas d'état civil et ils ont parfois vu leurs parents et leurs grands-parents tomber assassinés.
Gustave Ador, quant à lui, appelait au soutien physique et moral de ces jeunes Arméniens déracinés, sans famille, sans nom, afin qu'ils puissent conserver ce qu'ils possédaient, à savoir la vie et leur titre d'Arménien.
Au moment où nous inaugurons la Maison des droits de l'homme, il y a lieu de mettre en lumière, tout aussi officiellement, les sombres périodes de l'Histoire. La Suisse et Genève, berceaux de la Société des Nations, puis de l'ONU, ont un devoir de mémoire qui est, aujourd'hui, de dénoncer la tragédie du peuple arménien.
Nous vous demandons de soutenir cette résolution invitant le Conseil fédéral et le Conseil d'Etat à reconnaître, par une déclaration solennelle et publique, le génocide commis en 1915 par le gouvernement ottoman à l'encontre du peuple arménien. Je vous en remercie.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée. Elle est renvoyée au Conseil fédéral et au Conseil d'Etat.
Elle est ainsi conçue :
Résolution(374)
sur le génocide des Arméniens
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:
- que le 1er août 1920, l'Arménie a été reconnue comme un Etat libre par le Traité de Sèvres ;
- que le gouvernement ottoman refusa d'appliquer ce traité et que le ministre de l'intérieur de la Turquie, Talaat Pacha, décréta l'extermination de tous les Arméniens habitant en Turquie ;
- que, de 1915 à 1917, 1 500 000 Arméniens, femmes, hommes, enfants et vieillards, furent massacrés par l'armée turque ;
- que le 23 juillet 1923, soit il y a 75 ans, la Turquie signait avec les alliés le Traité de Lausanne qui rayait l'Arménie de la carte ;
- que plus de 5000 Suisses et Suissesses sont d'origine arménienne et qu'ils attendent depuis plus de 70 ans un geste politique reconnaissant le génocide arménien ;
- que cette revendication est légitime et que cette légitimité vient d'être confirmée par l'Assemblée nationale française laquelle a adopté à l'unanimité, le 29 mai 1998, le projet de loi reconnaissant publiquement le génocide arménien de 1915 ;
- que la Suisse a la ferme volonté d'adhérer à la Convention internationale du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide et qu'elle doit manifester clairement sa position face aux massacres subis par le peuple arménien ;
invite le Conseil fédéral et le Conseil d'Etat
à reconnaître dans les meilleurs délais par une déclaration solennelle et publique le génocide commis en 1915 par le gouvernement ottoman à l'encontre du peuple arménien et qui a fait 1,5 million de victimes.
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article unique
La loi sur l'administration des communes, du 13 avril 1984, est modifiée comme suit :
Art. 74, al. 6 (nouveau)
6 En approuvant le budget, le conseil municipal ne peut pas dépasser la somme totale des charges fixées par le maire ou le conseil administratif, sans prévoir concurremment la couverture financière de ce dépassement. L'emprunt ne peut être considéré comme une couverture financière.
EXPOSÉ DES MOTIFS
En matière communale, l'équilibre du budget est la règle (article 77, alinéa 1 de la loi sur l'administration des communes, ci-après : LAC).
Toutefois, depuis le 22 mai 1993, une exception à cette règle est admise : "; la commune peut présenter un budget comportant un excédent de charges, à concurrence maximale de ses amortissements, pour autant que cet excédent soit couvert par sa fortune nette " (article 77, alinéa 2 LAC).
Dans ce cas, la commune doit présenter un plan financier qui démontre un retour à l'équilibre budgétaire dans un délai de 4 ans (article 53, alinéa 2 du règlement d'application de la LAC, B 6 2).
Ces dernières années, certaines communes ont présenté des budgets déficitaires et/ou bouclé leurs comptes avec des déficits.
Il existe actuellement plusieurs éléments permettant de limiter dans le temps et dans son étendue le déséquilibre budgétaire des communes :
- l'excédent de charges ne peut dépasser le montant des amortissements (article 77, alinéa 2 LAC) ;
- l'excédent de charges doit être couvert par la fortune nette (article 77, alinéa 2 LAC) ;
- le retour à l'équilibre budgétaire doit être effectué dans un délai de 4 ans, une prorogation de 4 ans supplémentaires pouvant être accordée par le Conseil d'Etat pour les communes dont le budget excède 500 millions de francs (article 52, alinéas 2 et 3 du règlement d'application de la LAC).
Ces mesures sont toutefois insuffisantes pour préserver le principe de l'équilibre budgétaire et le rétablissement d'une situation financière saine des communes si les exécutifs des communes ne disposent pas des compétences nécessaires pour maîtriser les dépenses budgétisées.
Ainsi, nous vous proposons d'intégrer dans la LAC une disposition autorisant le conseil municipal à ne dépasser la somme totale des charges fixées par le maire ou le conseil administratif qu'à la condition de prévoir la couverture financière de ce dépassement.
Cette règle est déjà applicable au niveau cantonal et prescrite par l'article 81 de la Constitution genevoise.
A titre d'exemple, la loi sur les communes du 25 septembre 1980 du canton de Fribourg contient une disposition similaire.
Tels sont en substance, Mesdames et Messieurs les députés, les motifs qui nous conduisent à soumettre à votre bienveillante attention le présent projet de loi.
Le président. Ce projet est renvoyé à la commission des affaires communales et régionales, puis à la commission des finances.
Ce projet est renvoyé à la commission des affaires communales et régionales.
RAPPORT DE MAJORITE
Le projet de loi 6931 portant sur les articles 73 et 74 de la Constitution a été déposé en date du 2 décembre 1992 par le parti radical. Il a été renvoyé à la Commission des droits politiques et du règlement lors de la séance du Grand Conseil du 14 janvier 1993, en même temps qu'un projet de loi sur l'introduction de députés suppléants et le traitement d'une initiative "; pour des fonctionnaires citoyens à part entière ".er
Sous la présidence de M. J. Dupraz, et en présence de M. Robert Cramer, conseiller d'Etat, la commission a consacré une séance, le 18 mars 1998, à un débat d'entrée en matière, aux termes duquel M. Kronstein, directeur au DIAE, a été chargé de proposer une version modifiée en fonction des observations faites. Lors d'une seconde séance, le 8 avril, la commission est partie de cette nouvelle version et a voté le projet dans la formulation ci-annexée.
Les droits politiques, coeur de la démocratie
L'exposé des motifs du projet de loi 6931 souligne que l'égalité des citoyens devant la loi est un principe fondamental du régime démocratique, et que la privation du droit d'exercer une fonction élective est une atteinte grave à ce principe, partant une restriction importante à la démocratie elle-même. Une telle restriction exige de répondre à une nécessité prouvée et établie.
Ce projet de loi vise à corriger la disposition qui actuellement, suite à une initiative populaire votée en 1901, interdit de manière indifférenciée à tout titulaire d'une fonction à laquelle est attaché un traitement permanent de l'Etat d'exercer le mandat de député au Grand Conseil, et l'oblige à renoncer à son emploi s'il veut néanmoins exercer un tel mandat.
L'exposé des motifs rappelle qu'à l'époque, ce vote reflétait une situation de conflit politique et qu'il s'agissait d'un vote antigouvernemental plus qu'autre chose. Ne pouvant s'en prendre au gouvernement lui-même, on s'en est pris à ses agents. Il rappelle aussi qu'il y avait, voici un siècle, exactement 241 personnes concernées par cette restriction. On pouvait dès lors juger que, pour l'essentiel, les citoyens ne se sentaient pas touchés par la mesure qu'une (courte) majorité des votants d'alors avaient introduite.
L'examen de l'article 73 montre qu'il est totalement dépassé aujourd'hui.
En effet, seule compte l'origine du traitement. Un salarié des TPG, des SIG, des hôpitaux publics, voire, dans certains cas, de l'Université peut parfaitement siéger au Grand Conseil, et le peuple ne s'est pas privé d'en élire. Partant, cet élu peut participer à des décisions concernant l'entité qui l'emploie, et en particulier en voter le budget.
Se trouve-t-il être employé de l'administration dite centrale et non d'une telle entité autonome, rien de tout cela ne lui est possible, alors que par ailleurs sa situation est exactement la même.
Une telle disparité est proprement inacceptable, et rien ne la justifie ; l'article 73 se trouve ainsi être doublement arbitraire puisque l'évolution des choses a fait que de nombreux salariés émargeant, en définitive, au budget de l'Etat n'y sont pas soumis. Personne, d'ailleurs, ne propose qu'ils le soient.
La disparité signalée est d'autant plus choquante que simultanément, et cela est dans la nature même d'un parlement de milice, de nombreux mandataires et personnes exerçant des responsabilités économiques et sociales siègent au Grand Conseil et sont amenés à connaître des situations où leurs intérêts sont en jeu. Il serait absurde et inconcevable d'étendre à toutes les professions le régime valant pour les salariés de l'administration - il n'y aurait plus personne à siéger dans ce Grand Conseil ! Cette seule réflexion illustre le caractère abusif de la restriction des droits politiques instituée par l'amendement constitutionnel de 1901.
Pour tous, plutôt que des principes d'exclusion, la commission prône la pratique de la réserve et de la transparence, la déontologie plutôt que les interdits. C'est la seule solution, dans une démocratie où précisément tous les groupes d'intérêts doivent avoir leur chance d'être représentés - à condition d'agir à visage découvert. C'est dans cette direction que se sont peu à peu développées les normes que nous connaissons actuellement tant sur la publication des liens d'intérêt (art. 29A de notre règlement) que sur la récusation lorsqu'on est personnellement concerné par une décision (art. 24), et qui s'appliqueraient naturellement également aux salariés de l'Etat qui seraient devenus députés. L'introduction de ces règles donne d'ailleurs un argument de plus pour justifier de modifier les art. 73 et 74.
Exceptions au droit d'exercer la fonction de député
Comme dit plus haut, le projet de loi 6931 affirme que le droit d'être élu est un droit fondamental, dont on ne peut être privé que pour des motifs précisément et clairement justifiés. Quels sont ces motifs dans le contexte de la démocratie d'aujourd'hui et y en a-t-il, s'est demandé la commission, et c'est sur cette base qu'elle a travaillé.
Constatons d'emblée que, contrairement aux projets de modifier la situation qui l'ont précédé et qui ont échoué, en 1968 et en 1993, le projet de loi 6931 ne vise pas à abroger purement et simplement l'interdit actuel ; il consiste en un compromis entre la levée totale de l'interdit et son maintien. C'est ce qui fait l'élément nouveau de la proposition, qui devrait maintenant l'emporter.
Ainsi, la commission propose certes d'abroger l'article 73, mais pas sans contrepartie. Travaillant sur une liste d'exceptions, elle a cherché à définir les restrictions qui paraissent raisonnablement justifiées eu égard au principe de la séparation des pouvoirs - qui indique que l'on ne peut occuper à la fois la fonction de contrôleur et de contrôlé, de législateur et de gouvernant, d'employeur et d'employé.
Dès lors, la commission a retenu les cinq cas suivants :
- Conseiller d'Etat et chancelier. Il tombe sous le sens que l'on ne peut siéger dans deux pouvoirs à la fois.
- Il en va de même pour les magistrats professionnels du pouvoir judiciaire.
- Parmi les salariés de l'Etat, trois catégories nous semblent devoir être touchées par une incompatibilité, ramenée ainsi à la mesure du nécessaire ce qui correspond également au principe bien connu de la proportionnalité:
* Les personnes dans l'entourage immédiat d'un conseiller d'Etat et du chancelier. Pour cette catégorie de personnes, le lien quotidien et étroit- quasiment organique - avec le pouvoir exécutif, la relation tant de confiance et de subordination directe qui en résulte, rend contradictoire ce statut professionnel et un statut de député. Parmi les personnes en contact constant et direct avec un membre de l'exécutif, nous voyons : leurs secrétaires, leurs chauffeurs, leurs collaborateurs personnels, etc. Ces personnes sont ainsi censées connaître, et garder pour elles, des informations propres à la sphère du pouvoir qu'ils servent.
* Les cadres supérieurs de l'Etat. Les mêmes réflexions (proximité, subordination directe, confidentialité, etc.) valent pour les cadres supérieurs. De plus, ces derniers partagent, dans leur domaine respectif, des responsabilités politiques dans l'exécution des programmes de leur ressort. Dès lors, ils ne peuvent guère faire partie du corps chargé de contrôler ce même pouvoir. Le règlement sur les cadres supérieurs de l'administration cantonale (B 5 1,2) décrit clairement le statut de ces salariés de l'Etat, et permet de définir sans ambiguïté le cercle des personnes concernées. C'est cette définition que la commission retient pour l'alinéa 1 lettre d) de l'art. 74 qu'elle propose.
* Les membres du Service du Grand Conseil. Il est difficile de concevoir qu'une personne employée par le Parlement en fasse simultanément partie, et ceci quelle que soit sa fonction : huissier, sautier, mémorialiste, procès-verbaliste, juriste, etc. et son statut (contrat de droit public ou de droit privé, à temps complet ou à temps partiel) : on ne peut être à la fois au service d'une institution et en être membre. Dans le même ordre d'idées, notre règlement, en instituant les assistants politiques des groupes parlementaires, a prévu qu'on ne pouvait être député et employé d'un groupe parlementaire (art. 40, al. 3).
Relevons pour la clarté du débat, qu'en cas d'élection au Grand Conseil d'une personne répondant aux critères définis ci-dessus, les règles actuelles relatives à l'option entre la fonction et le mandat de député continuent de s'appliquer.
Pour le reste, tout salarié de l'Etat qui ne fait pas partie du cercle étroit des "; décideurs ", que ce soit par proximité physique ou juridique, n'a aucune raison d'être obligé de choisir entre le mandat de parlementaire cantonal et sa fonction professionnelle. Cette situation médiane, de sagesse, est d'ailleurs celle que, sous des formes diverses, la plupart des cantons ont choisie. En termes d'effectifs, la commission constate qu'actuellement 12 858 citoyennes et citoyens sont ainsi, sans motif suffisant, privés d'une partie de leurs droits politiques (voir le tableau des effectifs en annexe).
Ayant ainsi délimité les situations justifiant une exception, rappelons la règle : il appartient au peuple souverain de désigner qui il entend pour le représenter, ce dont en démocratie il est le seul juge. A lui et à lui seul de déterminer l'équilibre entre les forces politiques, mais aussi entre les diverses corporations et intérêts représentés. Restreindre ce droit, c'est porter atteinte au droit d'être élu (droits politiques passifs) mais plus encore à celui d'élire (droits politiques actifs). Il n'est pas acceptable de priver la République de députés de valeur pour le seul plaisir de solder des querelles d'un autre temps !
Pour ces raisons, la commission, à la majorité (radicaux, socialistes, verts, alliance de gauche), contre les voix libérales, et une abstention (DC), vous recommande de rectifier une injustice majeure et de donner droit au principe de proportionnalité dans ce domaine clé de notre régime démocratique.
Le PL 6931-A en bref
* Principe de l'universalité du vote
Au XIXe siècle a été aboli le vote censitaire (vote réservé aux citoyens fortunés), au XXe siècle a été établi le droit de vote des femmes et des jeunes dès 18 ans. Toute restriction des droits civiques doit être clairement et dûment motivée (principe de proportionnalité). La citoyenneté comprend le droit d'élire et celui d'être élu.
* Principe de la séparation des pouvoirs
L'incompatibilité des salariés de l'Etat est justifiée par le principe de la séparation des pouvoirs.
On ne peut en effet être à la fois dans plus d'un pouvoir.
L'examen de la situation montre que plus de 95 % des salariés de l'Etat ne participent pas de la sphère de décision du pouvoir exécutif.
L'application conjointe du principe de proportionnalité et de celui de la séparation des pouvoirs conduit à limiter l'incompatibilité aux personnes participant réellement à l'exercice d'un autre pouvoir que celui du parlement, ou qui sont employées par ce dernier.
* Gestion de la représentation d'intérêts
La démocratie représentative et de milice implique la représentation des intérêts au parlement. Cette représentation obéit à deux cadrages :
- La transparence, soit la publicité des liens d'intérêt (art. 29A du règlement du Grand Conseil).
- La récusation, soit la non-participation aux décisions quand on est personnellement et directement concerné (art. 24).
Ces règles permettent de gérer correctement la représentation des intérêts de toute nature et s'appliqueront également aux députés qui seraient salariés de l'Etat.
Tableau comparatif ANNEXE I
Constitution actuelle
Projet 6931
Rapport 6931-A
Art 73
Le mandat de député au Grand Conseil est incompatible avec toute fonction publique à laquelle est attribué un traitement permanent de l'État.
Art. 73
(Abrogé)
Art. 73
(Abrogé)
Art. 74
1 Les fonctions de conseiller d'Etat, comme celles de magistrat du pouvoir judiciaire, à l'exception des juges des conseils de prud'hommes, sont incompatibles avec le mandat de député au Grand Conseil.
Art. 74
1 Sont incompatibles avec le mandat de député les fonctions :
a) de conseiller d'Etat ;
b) de chancelier d'Etat ;
c) de proche collaborateur des conseillers d'Etat ;
d) de magistrat du pouvoir judiciaire, à l'exception des juges des conseils de prud'hommes ;
e) relevant des administrations d'autorité publique telles qu'elles sont définies dans la loi.
Art. 74
1 Sont incompatibles avec le mandat de député les fonctions :
a) de conseiller d'Etat et de chancelier d'Etat ;
b) de collaborateur de l'entourage immédiat des conseillers d'Etat et du chancelier d'Etat ;
c) de collaborateur du service du Grand Conseil ;
d) de cadre supérieur de la fonction publique ;
e) de magistrat du pouvoir judiciaire à l'exception des juges suppléants et des juges prud'hommes.
2 Les conseillers d'Etat et les magistrats du pouvoir judiciaire dont les fonctions sont incompatibles en conformité de l'alinéa ci-dessus sont néanmoins éligibles au Grand Conseil mais doivent, après les élections, opter entre les deux mandats.
2. Les titulaires des fonctions énumérées à l'alinéa 1 sont néanmoins éligibles au Grand Conseil mais doivent, après les élections, opter entre les deux mandats.
2. Les personnes concernées par l'alinéa 1 sont néanmoins éligibles mais doivent, après les élections, opter entre les deux mandats.
ANNEXE II
Tableau des effectifs
Sur demande du rapporteur, l'Office du personnel de l'Etat a aimablement fourni les derniers chiffres concernant les effectifs touchés, en fonction des différentes situations discutées (chiffres arrêtés au 31.12.97).
I.- Salariés de l'administration centrale, actuellement incompatibles
13 470
II.- Catégories de salariés de l'Etat devant rester incompatibles, à teneur du PL 6931-A :
- collaborateurs de l'entourage immédiat des conseillers d'Etat et du chancelier, soit les postes attribués aux Secrétariats généraux : 150
- cadres supérieurs de la fonction publique, concernés par le règlement B 5 1,2 : 450
- collaborateurs du service du Grand Conseil : 12
III.- Titulaires de fonctions de l'Etat devant rester incompatibles, à teneur du PL 6931-A, soit conseillers d'Etat, chancelier, juges
- Pouvoir exécutif : 8
- Pouvoir judiciaire : 68
IV.- Salariés des établissements publics, y compris médicaux et socio-éducatifs et Hospice Général, compatibles
9680
V.- Salariés des SIG, compatibles
1355
VI.- Salariés des TPG, compatibles
1336
VII. - Salariés de l'Université de Genève, partiellement compatibles
Selon le budget de l'Université pour 1998, 1668,5 postes
Salariés de l'administration actuellement indûment privés de leurs droits civiques passifs : 13 470-612 = 12858
Personnes devant demeurer incompatibles : 688
Total salariés d'établissements publics, actuellement totalement ou partiellement compatibles : 14 040
RAPPORT DE MINORITÉ
La minorité de la commission tient tout d'abord à préciser que le principe de l'incompatibilité est inscrit dans notre Constitution depuis 1901, et qu'il a résisté à quatre votations populaires en 1905, en 1948, en 1968 et en 1993.
Ce rappel historique n'a pour intérêt que de nous montrer que cette notion semble bien ancrée dans notre conception de la vie publique. Certes, les choses ont passablement évolué dans notre République et l'importance de la fonction publique n'a fait que grandir ; cet élément pouvant d'ailleurs être utilisé dans les deux argumentations que l'on peut défendre à cette occasion.
Le projet de loi qui vous est proposé a été déposé avant la votation de 1993 sur l'IN 32 et vient d'être traité par la Commission des droits politiques. Alors que l'IN 32 visait l'abrogation de l'art. 73 de la Constitution, le projet de loi 6931 n'en diffère que peu puisqu'il propose également l'abrogation de l'art. 73 tout en conservant l'incompatibilité pour environ 700 fonctionnaires concernés par l'art. 74 de la Constitution modifié par le projet de loi.
Il s'agit encore de préciser que l'article 73 de la Constitution prévoit l'incompatibilité entre la qualité de fonctionnaire de l'Etat et le mandat de député au Grand Conseil, et non pas l'éligibilité des fonctionnaires, ces deux notions étant trop souvent confondues. Les employés de l'Etat ont bien évidemment la possibilité d'avoir une fonction communale ou fédérale, au même titre que les employés communaux ou fédéraux peuvent briguer un mandat de député.
Cette abrogation de l'article 73 de la Constitution n'est pas un détail cosmétique mais la remise en question d'un principe fondamental de la démocratie, celui de la séparation des pouvoirs.
Les principes de la démocratie ne sont pas si nombreux. Nous vous en citerons trois :
1. le principe de la majorité ;
2. .
3. le principe de la séparation des trois pouvoirs.
Ces principes sont les fondements mêmes de la démocratie. Un Etat qui cesse de les appliquer cesse d'être une démocratie. Ce n'est pas une question d'appréciation politique mais de définition qui apparaît pour la première fois en 1748 dans l'ouvrage de Montesquieu : ";L'Esprit des lois ". Il n'est donc pas récent ! Cette définition de la séparation des pouvoirs est à la base de la Constitution de 1791 et donc de la démocratie. Pour bien des constitutionnalistes, la séparation des pouvoirs est le premier critère de l'Etat de droit. Certes, il existe des exemples de systèmes politiques qui ne connaissent pas ces principes : les dictatures fascistes ou les démocraties populaires communistes.
Nous allons scinder notre réflexion en deux phases :
1. Réflexions quant à l'incompatibilité
2. Est-il possible de limiter cette incompatibilité à certaines catégories de fonctionnaires ?
1. Réflexions quant à l'incompatibilité
Notre argumentation se base sur les principes suivants :
a) La sagesse populaire dit que "; Nul ne peut être juge et partie ". Ce principe a pour signification qu'il ne doit pas y avoir de confusion entre les trois pouvoirs : le législatif, l'exécutif, le judiciaire et que les mêmes individus ne peuvent pas faire partie de plusieurs pouvoirs à la fois. Or les fonctionnaires, du fait de leur appartenance à l'administration, sont par eux-mêmes les porteurs d'une part du pouvoir exécutif. Leur rôle est, dès lors, extrêmement important non seulement dans l'exécution des volontés du gouvernement, mais également dans la préparation des projets de lois dans les départements et la défense de ceux-ci devant les commissions. Dès lors que ce principe de la séparation des pouvoirs serait bafoué, pourquoi ne pas rendre compatible la fonction de juge avec celle de député ? D'autre part, trouveriez-vous normal que les membres de la police, dont le nombre est d'ailleurs fixé dans la loi et donc déterminé par le Grand Conseil, puissent légiférer alors même qu'ils sont chargés de faire respecter les lois et d'exécuter les décisions prises par les autorités judiciaires et administratives ? L'expression de telles propositions concrétise le danger de dérives antidémocratiques qui ont existé dans certaines démocraties dites populaires, dont tout le monde reconnaît aujourd'hui le caractère totalitaire. Même si nous doutons que la Suisse en général, et Genève en particulier, puissent tomber dans de tels excès, il nous paraît philosophiquement faux d'avoir une Constitution qui permettrait de tels dérapages.
Ce principe n'entraîne pas l'incompatibilité d'une façon générale pour les fonctionnaires, mais pour les fonctionnaires communaux à siéger aux conseils municipaux, les fonctionnaires cantonaux à siéger au Grand Conseil, les fonctionnaires fédéraux à siéger aux Chambres fédérales. Il en est naturellement de même pour les conseillers administratifs des communes et pour les juges.
L'argument des tenants du projet de loi est une inégalité de traitement faisant que les citoyens seraient partagés en deux classes. Cet argument ne doit pas être retenu parce que l'inégalité est normalement présente dans notre Etat. Personne ne s'offusque du fait que le taux d'imposition fiscale est extrêmement différent d'une personne à l'autre, que certaines personnes ne paient ou ne paieront que 100 F d'impôts alors que d'autres y consacrent quatre ou cinq mois de leur salaire. On peut trouver beaucoup d'autres exemples. Ces inégalités ne violent pas le principe de l'égalité de traitement qui est parfaitement défini par la doctrine et par la jurisprudence.
Il ne s'agit pas, selon ce principe, de traiter tout le monde de la même manière, mais de traiter de façon égale des situations égales.
b) Le Grand Conseil a une tâche essentielle parmi d'autres, soit le contrôle du travail de l'Exécutif, Conseil d'Etat et Administration. Il serait totalement anormal que ceux qui, de par la Constitution, sont soumis à ce contrôle puissent faire partie de l'autorité chargée justement de cet examen. C'est comme si, dans le cadre d'une société, le conseil d'administration se surveillait et se donnait décharge à lui-même; cela n'est pas satisfaisant.
De plus, estimez-vous possible qu'un membre de l'administration dépendant hiérarchiquement d'un conseiller d'Etat puisse prendre position en totale indépendance en séance plénière ou en commission, sur un sujet concernant le département concerné ? Si sa position était favorable au Conseil d'Etat, ne serait-il pas soupçonné d'être à la solde de son magistrat ? Imaginez que ce dernier prenne une position contraire à celle du Conseil d'Etat. Pensez-vous que la collaboration entre ce fonctionnaire et ses supérieurs puisse continuer sans heurts et dans une confiance réciproque ? Quel que soit le cas de figure envisagé, cette situation est insoutenable et préjudiciable à la fois au bon fonctionnement de l'Etat et à la crédibilité du Conseil d'Etat et du Grand Conseil. Il est vrai que certains membres de la majorité de la commission ont déclaré que les "; députés-fonctionnaires " s'abstiendraient ou s'absenteraient lors des débats et votations les concernant. Nous aurions alors deux catégories de députés, dont les "; députés-fonctionnaires " qui seraient, en fait, "; des demi-députés " car ne pouvant pas s'exprimer sur de nombreux points. De plus, cela remettrait en question la puissance des forces politiques relatives voulues par le peuple. Enfin, il semblerait bien difficile pour le fonctionnaire de déterminer à quel moment il doit s'abstenir de participer. Nous pensons tout particulièrement, mais pas seulement, à la problématique du budget. Dans tous les Etats modernes, deux actes essentiels jalonnent l'année politique. Le premier, c'est l'élaboration et la proposition d'un budget par le gouvernement. Le second, c'est l'examen et le vote de ce même budget par le Parlement. Or, le budget est élaboré par le biais des services de l'Etat et donc par des fonctionnaires. Cela reviendrait à dire que les fonctionnaires, qui élaborent le budget et déterminent le cadre des dépenses et des recettes de l'Etat sous la direction du pouvoir exécutif, voteraient ensuite ce budget dans le cadre du Parlement. A notre avis, il est contradictoire que ceux qui déterminent le cadre des dépenses et des recettes de l'Etat les votent, voire les amendent ensuite. C'est d'autant plus vrai dans une République comme la nôtre où 80 % des dépenses publiques sont le fait du canton, alors que dans d'autres cantons cette répartition varie entre 45 % et 55 %. L'importance du budget du canton, au regard des dépenses totales des collectivités publiques genevoises, est telle qu'il nous apparaît difficile d'avoir des fonctionnaires qui votent le budget dont ils aident à définir le cadre sous les ordres du Conseil d'Etat.
Cette volonté d'éviter les conflits de compétence est partout présente dans notre système législatif. Par exemple, le juge qui est proche d'une des parties doit se récuser, de même s'il a donné un préavis sur l'affaire dont il a charge. C'est pareil pour l'expert. Le témoin qui va être entendu dans un procès s'entend poser la question suivante : ";N'êtes-vous ni parent, ni allié de l'accusé, n'êtes-vous pas à son service et n'est-il pas au vôtre ?". Si le témoin répond oui, il est entendu à titre de renseignement, non pas comme un témoin assermenté. Ces exemples démontrent que ce principe - celui de la séparation des pouvoirs - selon lequel nul ne peut être juge et partie est solidement ancré tant dans les institutions de notre République que dans la sagesse populaire.
2. Est-il possible de limiter cette incompatibilité à certaines catégories de fonctionnaires ?
Il est, à notre avis, extrêmement discutable de déterminer différentes catégories de fonctionnaires. Selon quels critères certains pourraient-ils être éligibles et d'autres pas ? Un directeur de collège a-t-il moins de droit ou plus de devoir de retenue qu'un doyen ou un enseignant en raison de son niveau hiérarchique ? Les multiples situations qui existent en Suisse montrent bien que ce sont souvent des appréciations subjectives qui ont dicté ces choix. Quant à nous, nous estimons qu'aucune des solutions existantes n'est satisfaisante, tout comme la solution proposée par le projet de loi. Nous partageons l'analyse du professeur Knapp qui dit : "; La fonction publique et le traitement permanent doivent être cumulativement réunis pour qu'il y ait incompatibilité. " La concrétisation de ce principe implique l'incompatibilité à la fonction de député au Grand Conseil pour tout fonctionnaire de l'Etat.
Il a souvent été fait état de la non-incompatibilité des mandataires par rapport à l'incompatibilité des fonctionnaires. A ce stade de notre argumentation, il doit apparaître comme relativement évident qu'il s'agit de situations bien différentes. Un mandataire est révocable en tout temps. Il doit affronter une situation concurrentielle et il est choisi en fonction de la qualité de son activité. De plus, dans le cas où il serait directement concerné, il s'absente ou s'abstient, sauf exception regrettable. Il est vrai que cette situation de conflit d'intérêts est beaucoup plus facilement identifiable et en même temps extrêmement peu fréquente. En fait, comme l'a bien déterminé le professeur Knapp, il s'agit "; d'exclure ceux qui sont payés par l'Etat, mais seulement ceux qui sont revêtus de fonction publique ; par opposition par exemple aux fournisseurs de biens, de services ou aux adjudicataires de travaux publics ".
Conclusion
Il est important que nous, élus du peuple, réaffirmions notre volonté de démocratie, surtout aujourd'hui que cette démocratie est si fréquemment battue en brèche dans des pays qui ne sont pas si éloignés du nôtre. Le rôle de notre pouvoir législatif d'exercer un contrôle démocratique sur le pouvoir exécutif n'est pas compatible avec la confusion des pouvoirs. Il en est de notre dignité de ne pas sacrifier un principe aussi fondamental à une tentation électoraliste.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que la minorité de la commission vous recommande de rejeter ce projet de loi, et donc de maintenir les articles 73 et 74 de notre Constitution dans leurs formes actuelles.
Premier débat
M. René Longet (S), rapporteur de majorité. Ce projet de loi étant de nature constitutionnelle, sa discussion par ce Grand Conseil préparera, en quelque sorte, l'argumentaire en vue du débat populaire.
C'est pourquoi je voudrais insister sur les grands principes qui, de l'avis de la majorité de la commission des droits politiques, sont ainsi mis en oeuvre. Ces principes sont au nombre de quatre :
Le premier principe veut que le droit de vote et celui d'être élu soient le noyau dur d'une démocratie dûment affirmée.
Le deuxième principe est celui de la séparation des pouvoirs. Celle-ci consiste en un partage des rôles et au contrôle réciproque des pouvoirs qui, ayant des fonctions différentes, travaillent les uns en regard des autres.
Le troisième principe est celui de la représentation des intérêts qui appartient pleinement à la vie démocratique. L'une des fonctions de nos institutions est, précisément, d'organiser cette représentation.
Le quatrième principe veut que la représentation des intérêts s'exerce dans la transparence, avec une certaine éthique et une certaine retenue.
En fonction de ces principes, nous avons examiné ce projet de loi déposé par les radicaux, voici quelques années. Nous en avons très largement suivi et l'esprit et la lettre, et nous vous proposons ce soir une révision constitutionnelle consistant à abroger l'article 73 et à modifier l'article 74.
Si nous examinons les statuts des quelque vingt-sept mille personnes qui, à Genève, émargent au secteur public, nous constatons que celui de quatorze mille salariés est parfaitement compatible. Ces personnes peuvent siéger parmi nous, à l'instar de certains de nos collègues qui émargent à ce statut. Elles peuvent donc débattre du budget de leurs institutions, des politiques qu'elles conduisent et voter à leur propos. Il s'agit de l'hôpital, des Transports publics genevois, des Services industriels et, pour partie, de l'université.
J'estime que la présence de ces collègues est parfaitement légitime dans cette enceinte, qu'elle enrichit nos débats et ne pose aucun problème. Ces collègues gardent la retenue et la réserve que leur impose l'article 24 de notre règlement, comme doivent le faire tous ceux dont les intérêts directs sont en cause. Cela existe, cela fonctionne.
Je vous prie d'en prendre bonne note, car c'est probablement un des éléments les plus importants du débat.
Outre ces quatorze mille citoyens et citoyennes éligibles au Grand Conseil, il y a treize mille personnes, appartenant également à la fonction publique, dont on a décrété l'incompatibilité a priori. Si certaines étaient élues, elles ne pourraient plus exercer leur profession, d'où des situations absurdes.
On peut assumer des obligations hospitalières tout en étant un excellent député au Grand Conseil. On peut être chargé de quelques heures de cours, dans le cadre du DIP, et pour cela être exclu de nos travaux. Nul besoin de donner des noms, vous êtes tous au courant de cas concrets qui illustrent l'absurdité de cette fausse ligne de partage.
Le rapport de minorité de M. Béné relève un risque de confusion des pouvoirs. Notre solution élimine ce risque. Nous n'avons pas supprimé l'incompatibilité, puisque nous la conservons pour ce qui est des magistrats des pouvoirs exécutif et judiciaire, du personnel du service du Grand Conseil, des collaboratrices et collaborateurs directs d'un magistrat et, également, des cadres supérieurs de l'Etat. En effet, le statut de ces derniers doit être frappé d'incompatibilité, pour les raisons données par M. Béné, ces cadres partageant une parcelle du pouvoir d'exécution et de définition des politiques publiques.
Nous avons donc déplacé la ligne de partage qui divise le secteur public en quatorze mille personnes éligibles et treize mille qui ne le sont pas. Toutes sont compatibles, excepté quelque sept cents personnes qui, si elles étaient élues, dérogeraient au principe de la séparation des pouvoirs.
Ce faisant, nous appliquons un principe élémentaire de proportionnalité. Il est grave et lourd de conséquences de restreindre les droits politiques de citoyennes et de citoyens, il est grave de les empêcher d'exercer un mandat politique. Nous ne pouvons le faire que si les situations des personnes sont passibles de cette restriction. Nous estimons qu'environ sept cents serviteurs de l'Etat seulement sont concernés et que le principe de proportionnalité exige d'exercer l'interdit si nécessaire mais pas au-delà.
Actuellement, treize mille personnes sont potentiellement empêchées de siéger parmi ce Grand Conseil. De plus, le peuple se voit restreint dans le choix des personnes qu'il voudrait voir siéger au Grand Conseil.
C'est une atteinte aux personnes directement concernées et une restriction abusive imposée à l'ensemble des citoyennes et citoyens.
Le compromis trouvé à la commission des droits politiques est bon. Il n'est pas le remake de ce qui a été proposé deux fois au vote populaire, à savoir une abrogation pure et simple. Nous n'abrogeons pas l'incompatibilité, nous l'appliquons selon le principe de la proportionnalité.
C'est pourquoi la majorité de la commission des droits politiques vous demande d'accepter sa proposition et de la soutenir quand elle sera soumise au peuple.
M. Jacques Béné (L), rapporteur de minorité. Il est grave, en effet, de priver une partie de la population de sa représentativité.
Néanmoins, le fait que des personnes peuvent siéger au Grand Conseil tout en émargeant au budget de l'Etat ne signifie pas que d'autres, qui seraient alors juge et partie, puissent y être autorisées.
On tente ici de faire fi de la volonté populaire. Ce projet de loi a été déposé, par certains députés, avant la votation de 1993, et il vient seulement d'être traité par la commission des droits politiques. Certes, on peut débattre chaque année d'un projet de loi sur l'incompatibilité, mais je rappelle que depuis 1901 la population, invitée à maintes reprises à se prononcer, s'est toujours clairement exprimée en faveur de l'inscription du principe d'incompatibilité dans la constitution.
Par conséquent, il faut cesser de forcer la main aux gens. Tout comme moi, ils auront de la peine à comprendre pourquoi on leur repose la question à laquelle ils ont répondu, voici quatre ou cinq ans. Même si le débat politique est intéressant, ils ne croiront pas à nos interventions.
La commission a, certes, effectué un certain travail. Aujourd'hui, nous nous retrouvons avec sept cents fonctionnaires qui n'auraient pas le droit de siéger au Grand Conseil. La commission a tenté de rechercher des solutions raisonnables mais, pour nous, elle n'y est pas parvenue.
M. Albert Rodrik (S). Le groupe socialiste est content, même s'il n'est pas encore convaincu, ce soir, de trouver le bon port, c'est-à-dire l'aval du peuple, dont il espère, cette fois, l'adhésion à cet important effort de réflexion et de mise à jour.
A deux reprises, nous n'avons pas su expliquer le message consistant à revenir sur un article vieillot, excessif, dont le résultat est de priver, depuis un siècle, un nombre impressionnant de citoyens de leurs droits fondamentaux.
Le postulat de base est que les fonctionnaires sont des citoyens comme les autres. Par conséquent, leurs droits fondamentaux, leurs droits civiques, ne peuvent être malmenés avec autant de légèreté et d'excès que le fait l'article 73 de la constitution. Celui-ci a déjà fait l'objet de jurisprudences.
Ce n'est pas par une mansuétude particulière que le personnel des établissements autonomes de droit public est admis à siéger parmi nous, mais c'est parce qu'on s'est rendu compte, à un moment donné, de l'excès de cette disposition. Un arrêt Sutter-Pleines/Schneider-Rime/Meyll nous a rappelé qu'une application extensive ne devait pas encore surcharger une disposition déjà excessive.
De ce point de vue, nous pouvons être contents d'être arrivés, ce soir, à une escale dans laquelle - hors l'affrontement gauche/droite et dans un esprit de collaboration que nous devons à notre président, M. John Dupraz - nous pouvons vous proposer quelque chose d'équilibré et de réfléchi, en partant du constat que des citoyens n'ont pas à être privés d'un droit fondamental, sans plus de considération et de bien-fondé.
Notre réflexion a été de dire que seule la séparation des pouvoirs justifie certaines restrictions proportionnelles, respectant l'égalité de traitement.
C'est notre solution, et je déplore que nous n'ayons pas pu faire l'unanimité parce que c'est raison que de délimiter exactement le champ de ceux qui sont étroitement liés au pouvoir exécutif et en sont les agents, de la multitude de fonctionnaires ou d'agents d'institutions publiques ou parapubliques qui, eux, sont des exécutants qui ne peuvent être assimilés à l'exercice du pouvoir exécutif. Permettez-moi de dire que je sais de quoi je parle en la matière !
C'est pourquoi, face à une solution équilibrée et raisonnable, le groupe socialiste espère qu'une très large majorité de ce parlement adoptera ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Esther Alder (Ve). Les Verts soutiendront ce projet de loi. M. Longet a fort bien souligné, dans son rapport de majorité, l'inadéquation de la loi actuellement en vigueur.
Pour les Verts, il ne peut y avoir deux poids et deux mesures. Plutôt que d'utiliser l'origine du traitement comme critère d'incompatibilité, il faut suivre l'évolution des institutions et, par conséquent, mettre cette incompatibilité en relation avec la fonction occupée.
Ce projet de loi a l'avantage de clarifier la situation. Il permettra que les uns et les autres soient sur un pied d'égalité. De plus et sauf exception, il permettra d'éviter que certains soient encore confrontés au dilemme de choisir entre leur mandat de député et leur activité professionnelle.
M. John Dupraz (R). Ce projet de loi a été déposé par quelques députés de notre groupe en 1992, mais notre commission n'en a terminé le traitement que tout récemment. C'est alors que nous nous sommes aperçus qu'il était difficile de voter le projet original tel quel, la législation ou la réglementation actuelle de la fonction publique ne faisant pas la distinction entre les administrations d'autorité publique et celles de prestations de services.
Après un très court débat, la majorité de la commission a exprimé sa volonté d'obtenir des références claires à faire figurer dans la loi ou dans le règlement, d'où la rédaction du projet actuel.
Certains peuvent s'étonner qu'il mentionne, par exemple, des chauffeurs comme faisant partie de l'entourage immédiat des conseillers d'Etat. Il est vrai que le chauffeur d'un conseiller d'Etat ou d'un ministre en sait souvent bien plus qu'un subalterne dans la hiérarchie de l'administration. Tous ceux qui sont au contact permanent de l'exécutif connaissent les processus et la façon dont les décisions sont prises par le conseiller d'Etat ou le ministre. C'est pourquoi il semble juste qu'ils soient exclus de la fonction de député.
La lecture du rapport de M. Béné m'a laissé quelque peu circonspect. Par exemple, M. Béné parle de mandataires révocables qui, s'ils étaient directement concernés, s'abstiendraient... «sauf exception regrettable» ! Je dois dire que ce libellé est des plus curieux. Certains verraient une incompatibilité à ce que des fonctionnaires puissent accéder à la députation, parce qu'ils pourraient voter leur propre salaire. Je rappelle que les rapports entre la fonction publique et le gouvernement sont réglés par des accords entérinés par notre Grand Conseil. Les conditions de travail des fonctionnaires se règlent lors de discussions contractuelles, comme cela se fait dans le privé entre patrons et représentants des salariés, et je ne vois pas là un empêchement quelconque à ce que des fonctionnaires siègent dans notre parlement. Dans des situations difficiles comme celle que nous traversons, ils pourraient collaborer à la recherche de solutions, ils seraient un plus pour notre parlement.
Ce qui me convainc vraiment - et l'excellent rapporteur de majorité l'a relevé - c'est que les fonctionnaires éligibles sont bien plus nombreux que ceux qui ne peuvent l'être. Il y a là une inégalité de traitement dans la fonction publique même.
Il est temps d'adapter notre législation aux temps actuels. Ce projet de loi restitue l'entier de la citoyenneté à nos fonctionnaires, ce qu'ils méritent bien !
Mme Micheline Spoerri (L). Monsieur le rapporteur de majorité, notre objectif n'est pas de cultiver les interdits aux dépens de la transparence et de la déontologie.
Je n'aurai pas de difficulté à vous le faire admettre, car vous savez que les libéraux, en privilégiant la responsabilité individuelle, n'aiment pas les interdits, et que les vertus de la transparence et de la déontologie vont de pair avec la prise de responsabilité individuelle.
Notre objectif n'est pas non plus de priver la République de députés de valeur pour le seul plaisir de solder des querelles d'un autre temps ou, Monsieur le député Rodrik, de mettre fin à des articles vieillots.
Par essence, la constitution doit comporter, à mon avis, le moins de critères temporels possible et le plus de valeurs fondamentales possible.
Parmi ces valeurs fondamentales, celle de la séparation des pouvoirs nous paraît bien indiquée pour sauvegarder la pérennité de la démocratie, quelles que soient les formations et les personnalités politiques en place, et nous n'admettons pas que l'on y touche si peu soit-il, même pour une petite escale.
Entrouvrir la porte en concédant un régime plus nuancé - ce que vous suggérez avec la majorité de la commission, Monsieur le rapporteur - c'est prendre le risque de voir un jour s'écrouler une des garanties les plus fondamentales de la démocratie. Ce risque, nous ne sommes pas prêts et pas d'accord de le prendre ni pour notre canton ni pour notre pays, quitte à être totalement minorisés.
Sur le fond, me semble-t-il, vous souhaitez démocratiser l'accès à la fonction quand nous voulons, nous, préserver intégralement, pour la collectivité, le principe constitutionnel de sa démocratie.
Notre rapporteur, M. Jacques Béné, et moi-même entendons souligner que notre position très ferme n'atteint pas pour autant, dans sa vision globale, le droit d'accès de chacun à la vie publique. Elle ne prive pas, Monsieur le député Rodrik, les fonctionnaires en général d'un droit qui serait accordé, on ne sait trop pourquoi, à des non-fonctionnaires.
En revanche, nous tenons à l'incompatibilité d'un fonctionnaire communal à siéger dans un conseil municipal, d'un fonctionnaire cantonal à siéger au Grand Conseil et d'un fonctionnaire fédéral à siéger aux Chambres fédérales. On ne peut pas être juge et partie. Je ne suis d'ailleurs pas convaincue que l'on rendrait d'éminents services aux personnes concernées en les mettant en situation de dualisme. Par contre, j'ai la certitude que cette volonté de représentativité que vous défendez comporte des effets pervers largement décrits par le rapporteur de minorité.
Une chose est sûre, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés : ce parlement cherche à défendre et à protéger la démocratie. Nous sommes tous animés du même désir, mais nous divergeons sur les moyens. En général, les libéraux préfèrent innover plutôt que de ne rien changer, mais dans le cas particulier ils se montrent conservateurs, ayant le sentiment profond de mieux assurer ainsi notre patrimoine démocratique.
M. Bernard Lescaze (R), rapporteur. A juste titre, le rapporteur de majorité a fait allusion verbalement au projet que le parti radical avait déposé, alors qu'il n'en a quasiment pas parlé dans son rapport.
Il a sans doute appris qu'une partie importante du groupe radical n'est plus d'accord avec le projet qui est ressorti de la commission. Pourquoi ? Parce que, contrairement à ce que vient de dire le rapporteur de majorité, il n'en retrouve ni la lettre ni l'esprit.
Je vous rappelle que la suppression des incompatibilités, pour le groupe radical, s'articulait sur deux principes fondamentaux qui étaient :
- La distinction entre fonctionnaires d'autorité et fonctionnaires de prestations. Pour la commission, qui n'a travaillé que deux séances, cette différence était difficilement définissable, mais nous restons persuadés qu'il est possible de la déterminer. Tout à l'heure, je vous donnerai un exemple que la commission, dans sa majorité, a écarté.
- La modification du statut de la fonction publique. Pour nous, elle représentait la contrepartie nécessaire à la levée des incompatibilités.
Historiquement, le parti radical a toujours été favorable, dans son principe, à la levée des incompatibilités. C'est contre son avis que ces incompatibilités ont été introduites, en 1901, pour prévenir certains abus. Au XIXe siècle et pendant près de soixante ans, même des juges pouvaient siéger au parlement. C'était le principe de la liberté absolue, il n'y avait aucune incompatibilité.
Aussi quand Mme la députée Alder déclare qu'il faut suivre l'évolution des institutions, je lui réponds que cette évolution est cyclique et que les incompatibilités ont précisément été introduites parce qu'il y avait eu des abus.
Aujourd'hui, nous ne retrouvons ni la lettre ni l'esprit de notre projet. Le représentant du parti socialiste a parlé de la légèreté de l'article 73 de la constitution. Qu'il me permette de lui répliquer que le peuple, à plusieurs reprises et récemment encore, a confirmé cet article et qu'en aucune façon on ne peut dire d'une décision populaire qu'elle est prise à la légère.
En revanche, nous trouvons que cet article mérite d'être repris, car, effectivement, il y a problème. Malheureusement, nous ne saurions nous satisfaire de ce qui ressort du rapport de majorité qui se base sur le seul principe de réduire au maximum la liste des personnes incompatibles aux dépens de tous les autres.
Or, nous persistons à penser que certains fonctionnaires d'autorité ne peuvent pas siéger dans ce parlement en raison même de la parcelle d'autorité étatique dont ils sont revêtus. Nous visons très clairement la police et la gendarmerie. Ce projet de loi comporte une grave lacune, puisqu'il autorise un gendarme ou un policier, qui revêtent une parcelle d'autorité étatique, à siéger dans ce parlement. Le principe de la séparation des pouvoirs, invoqué par M. Rodrik, est violé en l'occurrence.
Ne voulant pas renvoyer le projet à votre commission qui a certainement bien travaillé et ne doutant pas que chaque député se soit prononcé en son âme et conscience, j'ai le regret de vous dire qu'une partie importante de notre groupe refusera le rapport de majorité. Nous espérons que le peuple tranchera, car, malgré les arguments avancés par ses défenseurs, nous pensons que ce projet de loi est extrêmement semblable à ceux qu'il a déjà refusés.
Peut-être nos concitoyens changeront-ils d'avis. Dans ce cas, nous devrons l'accepter, mais il est quand même curieux qu'à plusieurs reprises le peuple se soit exprimé négativement alors que l'incompatibilité atteignait déjà douze à quinze mille fonctionnaires.
Nous n'épiloguerons pas, ce débat sur les incompatibilités étant un débat de droit constitutionnel qui revient périodiquement dans les démocraties et notamment à Genève.
Le Grand Conseil devant se déterminer aujourd'hui sur les propositions soumises, nous tenons à réaffirmer que le parti radical ne retrouve pas du tout l'esprit et la lettre de son projet. D'ailleurs, notre collègue et ami, M. John Dupraz, a bien dit qu'il s'agissait d'un compromis.
Il est des compromis qui réussissent parce qu'ils plaisent et satisfont toutes les parties. Il en est d'autres qui réussissent moins parce qu'ils ne plaisent pas. Nous avons affaire ici à un compromis de la seconde catégorie.
M. Pierre Vanek (AdG). M. Lescaze déplore que ce projet de loi radical n'ait pas été respecté dans son esprit et sa lettre.
Relevons d'abord que ce projet a été déposé en 1992. Vous ne l'avez pas fait avancer entre-temps, Mesdames et Messieurs les radicaux, alors que vous apparteniez à la majorité durant toute une législature.
Nous ne pouvons donc que rendre hommage à la nouvelle commission et à son président radical d'avoir traité et mené à terme un projet que le plénum du Grand Conseil lui avait renvoyé en son temps. Il en est ressorti une solution simple et claire pour rétablir des milliers de personnes, dans cette République, dans leurs droits démocratiques intégraux de citoyens, comportant le droit d'élire et d'être élu. De plus, cette solution élargit le choix du peuple lui-même.
En effet, non seulement des fonctionnaires et des employés de l'Etat sont aujourd'hui empêchés de siéger, mais, de ce fait, des citoyens sont privés de la possibilité d'élire certains représentants. La solution adoptée suscitera un élargissement indubitable des droits démocratiques. Nous la saluons et nous travaillerons à l'aboutissement de ce projet de modification constitutionnelle.
M. Lescaze a dit que le projet initial comprenait aussi une modification du statut de la fonction publique. Je ne reviendrai pas sur ce chapitre. Nous y avons travaillé, et le Conseil d'Etat monocolore a présenté une proposition de modification du statut de la fonction publique qui a eu les conséquences que l'on sait, votée par l'ancien Grand Conseil. C'est pourquoi la commission n'a pas jugé utile de remettre sur le métier cet élément qui n'est pas lié au problème fondamental et démocratique d'éligibilité d'un certain nombre de personnes.
J'insiste sur le fait qu'il ne s'agit d'aucune manière de décider d'un quota de fonctionnaires pouvant siéger dans ce parlement, même si certains le font déjà, mais d'offrir une possibilité aux citoyens d'élire qui ils veulent. Ainsi, Messieurs les libéraux, ils seront libres d'élire un parlement composé entièrement de banquiers privés genevois ou de personnes travaillant dans la fonction publique. Ce n'est pas une tare ! Elles accomplissent un travail socialement nécessaire. Je pense aux gendarmes, aux instituteurs, par exemple, et il n'y a aucune raison de les priver de s'exprimer dans cette enceinte, alors que le font des avocats d'affaires, des régisseurs et d'autres représentants de catégories sociales fort respectables elles aussi.
M. Béné me fait remarquer que ces gens s'expriment ailleurs. Effectivement, et ils en ont le droit, et syndicalement et politiquement ! Ils ont le droit d'avoir un avis. Monsieur Béné, voici un de vos arguments exposés dans votre rapport pour ne pas admettre des fonctionnaires à siéger au parlement : «Estimez-vous possible qu'un membre de l'administration dépendant hiérarchiquement d'un conseiller d'Etat puisse prendre position en totale indépendance, par rapport à ce conseiller d'Etat ?». Je crois savoir que la fonction publique genevoise a démontré qu'elle savait faire la part des choses et faire preuve d'une certaine initiative malgré ses rapports de dépendance hiérarchique avec le Conseil d'Etat et la parcelle de pouvoir exécutif détenue par certains fonctionnaires. Si elles sont élues, ces personnes feront aussi preuve d'indépendance dans cette enceinte.
Je reconnais le bon travail de la commission et l'excellence du rapport de M. Longet. Néanmoins, je voudrais encore m'exprimer sur les dérives extrémistes. Selon le rapport de M. Béné, les propositions issues de la commission concrétiseraient «le danger de dérives antidémocratiques qui ont existé dans certaines démocraties dites «populaires».
Ce n'est pas sérieux, Monsieur Béné ! Il est excessif et ridicule de penser qu'une proposition issue de la majorité d'une commission de ce parlement transformerait notre canton en «démocratie populaire», du fait qu'elle donnerait la possibilité de siéger à un certain nombre de travailleurs de la fonction publique.
Lors de votre intervention, vous avez dit, Monsieur Béné, que l'on faisait fi de la volonté populaire en revenant sur un sujet qui, sous une forme un peu autre, a fait l'objet de votations à plusieurs reprises. Non, Monsieur ! Nous donnons l'occasion au souverain de s'exprimer. Dans ce pays, un certain nombre de propositions, de conquêtes démocratiques, notamment le droit de vote et d'éligibilité des femmes, ont été remises systématiquement sur le métier et ceux qui y travaillaient ne faisaient pas fi de la volonté populaire ni ne «forçaient la main aux gens», pour employer votre expression.
Les citoyens se prononceront après avoir étudié le projet de loi. C'est un procédé normal en démocratie.
Nous pouvons donc approuver ce projet de loi que pour ma part je voterai des deux mains si cela se pouvait. Nous irons devant le peuple et nous verrons ce qu'il décidera.
M. Pierre Marti (PDC), rapporteur. Je remercie le rapporteur de ses tableaux synoptiques et de son rapport qui nous informent avec précision de l'enjeu du projet.
Pour ma part, je vous laisse le soin de définir les contours de l'incompatibilité des personnes non éligibles. Je vous laisse dresser cet inventaire à la Prévert qui stipulerait si le chauffeur au service du Conseil d'Etat a ou non le droit d'être député. D'où le risque de nombreux recours à chaque élection ! Mais le fond de mon propos n'est pas là.
M. Dupraz, président de la commission, a parlé d'un «très court débat»: c'était en fait un trop court débat, Monsieur le président. Quand nous avons voulu discuter de la modification du statut de la fonction publique, on a balayé notre proposition d'un revers de main en nous répondant que nous n'avions pas en parler maintenant. Et pourtant l'incompatibilité est liée à la modification de ce statut.
C'est bien là le noeud du problème ! Quand nous devons nous prononcer sur le budget - la décision la plus importante que nous ayons à prendre en tant que députés - nous votons les salaires du personnel et d'autres points directement liés à la fonction publique.
On dit maintenant qu'il n'y a plus de problème du fait de l'article 24. Cependant, je ne vois pas les députés issus de la fonction publique refuser de voter le budget ! C'est difficile à concevoir. Vous dites que la séparation des pouvoirs ne serait pas atteinte, qu'il ne faut pas deux poids et deux mesures, mais être sur le même pied d'égalité. Oui, il faut l'être pour voter au Grand Conseil !
M. Longet dit vouloir réparer une injustice majeure. Dans les temps que nous vivons, ne pensez-vous pas que l'injustice majeure est ailleurs ? Qu'elle peut ressortir des avantages sociaux, des salaires suffisamment élevés, des annuités des fonctionnaires ? Voulez-vous vraiment en discuter ? C'est également une question d'incompatibilité, et je la pose à un certain nombre de personnes : commerçants, entrepreneurs, indépendants et cadres. S'agissant d'une loi constitutionnelle, vous aussi serez obligés de la leur poser, à eux et aux ouvriers.
Vu les difficultés économiques, il est possible qu'avec ce projet de loi nous voyions s'installer progressivement dans cette enceinte une oligarchie de fonctionnaires, un terme que vous aimez bien utiliser. C'est vrai que cela pourrait arriver et que l'on nous impose ici la problématique salariale. Un de mes préopinants a fait remarquer que ce n'est qu'après des discussions contractuelles entre la fonction publique et le Conseil d'Etat que l'on peut débattre du budget et le voter. Mais s'il n'y a pas eu d'accord, comment réagirons-nous face à un lobby extrêmement important qui nous obligerait à aller beaucoup plus loin ? (L'orateur est interrompu.) Si vous voulez la parole, je vous la laisse un instant, et vous dites ce que vous avez à dire...
Le président. Veuillez vous adresser à l'assemblée, Monsieur l'orateur !
M. Pierre Marti. Je conclus. Nous voulons absolument la séparation des pouvoirs. Laissons le peuple en décider. Personnellement, je suis certain du résultat.
M. Pierre Meyll (AdG). Dans des moments pareils, je suis obligé de prendre la parole, ayant été victime, en 1983, de cette situation.
Je rappelle que 12 858 personnes sont des demi-citoyens dans notre République. Cette situation dure depuis plusieurs années.
Quand le Tribunal fédéral a jugé de mon cas, il a estimé que le peuple genevois et le Grand Conseil en premier lieu devaient se pencher sur ce problème car il lui apparaissait, effectivement, que le système, en l'occurrence, ne fonctionnait pas.
M. Lescaze a rappelé que l'introduction des incompatibilités datait de 1901. A cette époque, les conditions étaient différentes et l'on ne pouvait pas obtenir ce que l'on peut actuellement.
Si nous suivions le rapport de M. Béné, nous pourrions nous trouver dans une situation d'interdits professionnels qui deviendraient des interdits politiques puisqu'il dit : «Pensez-vous que la collaboration entre ce fonctionnaire et ses supérieurs puisse continuer sans heurts dans une confiance réciproque ?». Cela signifie que le fonctionnaire qui travaille sous les ordres d'un chef hiérarchique ne pourrait pas prendre de positions politiques sous peine de se voir sanctionner. C'est ouvrir la porte à des abus inadmissibles !
L'on présume que ces fonctionnaires pourraient influencer le budget. J'ai entendu cette chanson lors de la discussion de mon cas dans ce Grand Conseil. On avait l'impression que je pouvais modifier le budget de la fonction publique, notamment celui du département de l'instruction publique. C'était complètement ahurissant !
Nous devons admettre que les fonctionnaires ont un certain droit à la parole. Sinon auraient-ils celui de payer la moitié de leurs impôts ? Je l'ignore.
Ce problème a été évoqué en Ville de Genève et les électeurs de la Ville ont répondu affirmativement. Il n'y a pas eu plus de fonctionnaires élus pour autant. Il faut requérir une autorisation pour être admis à siéger, en tout cas dans les communes. La chose n'est donc pas impossible.
Si l'on écarte d'office tout fonctionnaire, je souhaite que l'article 73 qui traite de l'incompatibilité et qui stipule : «Le mandat de député au Grand Conseil est incompatible avec toute fonction publique à laquelle est attribué un traitement permanent de l'Etat», soit modifié ainsi : «...sont attribués un traitement permanent de l'Etat et tout mandat de l'Etat.» Ainsi, nous aurions moins de députés qui profitent, par ricochet, de certains mandats de l'Etat. Nous pourrions en parler !
Si vous n'acceptez pas que les fonctionnaires puissent être élus sous certaines conditions, il faut ajouter à l'article 73 : «...et tout mandat de l'Etat.» Ainsi il n'y aura ni fonctionnaires ni mandataires, ces derniers étant trop nombreux.
Ce projet constitue un petit pas en avant. Il permettra à certains de s'exprimer d'une manière claire et nette. C'est pourquoi nous le voterons tel qu'il est présenté.
M. Jacques Béné (L), rapporteur de minorité. Je reviens sur vos propos, Monsieur Meyll.
M. Rodrik l'a dit, il ne s'agit pas d'un affrontement gauche/droite, mais d'un débat portant sur la définition de l'égalité de traitement.
En vertu de ce principe, vous dites que tout le monde doit être traité de la même manière. Certes, mais pour autant que les situations soient similaires.
Nos fonctionnaires «députés» feront grève au mois de septembre ou au mois d'octobre, comme annoncé par le Cartel intersyndical. Par conséquent, je ne vois pas où est l'égalité de traitement par rapport au député ingénieur ou architecte qui, lui, est mandaté par l'Etat sur la base d'une mise en concurrence. Franchement, je vois mal ce député ingénieur ou architecte défiler sur le pont du Mont-Blanc pour demander que les prix des travaux à lui adjugés soient revus à la hausse.
Quand on parle d'égalité de traitement, il faut se rappeler qu'elle ne peut exister que dans des situations similaires.
Le peuple a compris que nous ne voulions pas d'un régime totalitaire pour cette République. Contrairement à la vision à court terme qui caractérise ceux des bancs d'en face, la nôtre est à long terme.
Aussi pensons-nous que ce projet de loi, s'il est accepté, déviera peu à peu le fonctionnement de notre parlement dans le sens d'un régime populiste et totalitaire.
Vous arguez que les fonctionnaires qui appartiennent à des établissements autonomes ont la possibilité de siéger parmi nous, et c'est ce qu'ils font. Mais ce n'est pas une raison pour rendre tous les fonctionnaires éligibles. Dans ce cas, nous pourrions déposer un projet de loi - qui aurait toutes les chances d'être adopté en votation populaire - stipulant qu'en vertu de l'égalité de traitement les fonctionnaires des établissements autonomes ne sont plus admis à siéger dans notre parlement.
Les dérives sont prévisibles. N'avons-nous pas vu, lors du jubilé de l'OMC, des députés en tête des manifestations ? N'avons-nous pas entendu M. Velasco, malheureusement absent, s'insurger...
Une voix. Il est ici, mais ce n'est pas le sujet !
M. Jacques Béné, rapporteur de minorité. Précisément, nous y sommes en plein ! Des députés se sont érigés en autorités publiques pour expliquer à la police ce qu'elle devait faire. Par conséquent, des députés fonctionnaires pourraient représenter la fonction publique en tête de manifestations, organisées sur le pont du Mont-Blanc ou sur la place Neuve, pour la préservation des acquis sociaux, puis la défendre devant ce parlement.
Il a été dit que la position de certains députés de l'Entente était à contre-courant et ne correspondait plus aux conditions actuelles.
De mémoire, je rappellerais qu'en 1901 l'initiative, déposée à l'époque et acceptée par le peuple, avait été traitée de rétrograde. Le Mémorial en fait foi.
Je suis donc persuadé que la sagesse populaire balaiera de nouveau ce projet de loi, comme elle l'a fait en 1993.
M. Roger Beer (R). Chaque fois que nous débattons des incompatibilités, les esprits s'enflamment et les arguments évoqués il y a quelques années ressortent.
En tant qu'auteur radical du projet de loi, je suis évidemment mal placé par rapport à la position de mon groupe. Néanmoins, je tiens à m'exprimer brièvement.
Lors du dépôt de ce projet de loi, le parti radical entendait débloquer la situation par rapport à l'initiative «Pour des fonctionnaires citoyens à part entière» qui demandait l'abrogation de l'interdit. Notre groupe jugeait qu'elle allait trop loin. C'est pourquoi nous avions proposé de différencier l'autorité des prestataires.
Durant la dernière législature, les députés et les différents présidents de la commission des droits politiques ont tellement été débordés qu'ils n'ont pas pu traiter de cet objet. Je remercie M. Dupraz d'avoir ressorti ce projet de son tiroir, même si nous aurions dû passer deux ou trois séances, plutôt qu'une, à l'étudier. Mais les choses étaient déjà préparées et je pense que ce projet représente un bon compromis et surtout un progrès dans la situation actuelle.
Monsieur Béné, vous pouvez déposer votre projet de loi pour abroger le droit d'éligibilité de certains fonctionnaires. Ainsi, nous recommencerons les mêmes débats, évoquerons les mêmes arguments et le peuple votera de nouveau.
Ce projet de loi, qui exclut sept cents personnes proches du pouvoir effectif que représente un conseiller d'Etat, est raisonnable et pourrait être accepté par la population.
Les députés de l'Entente n'ont pas tort de se gausser en disant que le peuple jugera. Malheureusement, la fonction publique sera tellement sous pression à la fin de l'été qu'elle descendra dans la rue et qu'elle produira un mauvais effet auprès des citoyens, quoi qu'en pensent M. Vanek et ses troupes. L'amalgame sera vite fait : des fonctionnaires dans la rue d'accord, mais ils ne seront pas députés ! Je le regrette infiniment, car le débat politique est totalement stérile dans ces conditions.
Je conclus en remerciant et en rendant hommage à M. Longet qui, contrairement au rapporteur de minorité, a étudié l'historique et l'évolution de la situation. Il a rendu compte objectivement de ce qui s'est passé au fil de ces trois votations populaires. Finalement, il a démontré que cette proposition pouvait réellement faire avancer les choses. L'égalité des femmes n'a pas été votée tout de suite et par tous. J'ai donc bon espoir que, si cette proposition n'est pas acceptée cette fois, elle le sera la prochaine. (Brouhaha.)
Le président. Je décrète trente secondes de brouhaha général ! Bien entendu, c'est dans l'espoir d'obtenir le silence ensuite. (Brouhaha.) Il reste huit orateurs inscrits, à savoir MM. Visseur, Longet, Rodrik, Lorenzini, Balestra, Mme Charrière Debelle, MM. Vanek et Brunier. Je vous remercie de l'attention silencieuse que vous leur prêterez.
M. Pierre-Pascal Visseur (R). Un radical peut en suivre un autre sans pour autant lui ressembler ! Je ne puis que le répéter : le projet de loi radical entendait que les fonctionnaires aient les mêmes droits et les mêmes obligations que les autres citoyens.
Ce projet distinguait les fonctionnaires d'autorité des autres. Simultanément, il prévoyait une révision en profondeur du statut de la fonction publique.
Les mêmes droits, mais aussi les mêmes obligations ! Or la commission des droits politiques propose uniquement une augmentation des droits. En tant qu'ancien fonctionnaire pendant sept ans je sais de quoi je parle ! La fonction publique bénéficie de nombreux avantages, dont les plus importants sont la sécurité de l'emploi et le niveau élevé des salaires. Plus de la moitié des fonctionnaires et des parafonctionnaires, tels les employés des hôpitaux, sont déjà éligibles. Retirons-leur ce droit à l'éligibilité !
En effet, les fonctionnaires devraient être astreints à toutes les obligations imposées aux autres citoyens. Ils devraient être soumis au code des obligations, aux lois du marché et remplir des critères de qualité. Aucun conseil d'administration d'une entreprise qui fonctionne n'est composé de ses propres employés. Si nous écartons ces principes, allons jusqu'au bout et ayons le courage politique de proposer, en même temps, la révision du statut de la fonction publique !
En attendant, refusons ce projet de loi et suivons le rapporteur de minorité. Attelons-nous à donner à nos fonctionnaires, dont la plupart le méritent, un statut qui leur permette de mettre réellement leurs qualités en valeur.
M. René Longet (S), rapporteur de majorité. Dans un parlement, il est normal que des opinions différentes soient exprimées. En revanche, on ne peut pas dire n'importe quoi, n'importe quand et présenter des arguments à géométrie variable.
J'ai entendu des interventions de qualité et d'autres strictement opportunistes. Il est des arguments que l'on ne saurait laisser passer.
MM. Lescaze et Visseur disent ne plus reconnaître leur enfant. Ils disent avoir déposé un projet de loi en 1992, estimé électoraliste par leurs amis de l'Entente. Je les laisse en juger, ils connaissent la situation mieux que nous. M. Lescaze affirme donc que ce projet de loi ne ressemble plus à celui qui avait été déposé.
Monsieur Lescaze, vous dites avoir proposé de distinguer la fonction d'autorité de celle qui ne l'est pas. Mais c'est bien ce que nous avons fait ! Ne venez pas nous reprocher d'avoir travaillé efficacement ! Ce serait le comble, pour une fois qu'une commission a travaillé vite et bien. On nous rétorque qu'elle n'a travaillé que quatre heures et que ce n'est pas sérieux.
Grâce à M. Dupraz, nous avons travaillé vite et bien. Nous le soulignons ici. (Applaudissements.)
De plus, Monsieur Lescaze, vous nous reprochez de n'avoir pas précisé que ce projet était vôtre. Lisez l'intitulé, lisez la première ligne du rapport. Nous avons écrit que ce projet a été déposé par le parti radical et qu'il émane de députés radicaux; qu'il demande la distinction entre fonctionnaires d'autorité et fonctionnaires d'exécution.
Actuellement, seule compte l'origine de la rémunération. C'est complètement absurde, et nous avons fait la distinction que vous vouliez.
Maintenant, vous avez peur de votre propre projet de loi. Vous avez peur d'être cohérents, les élections étant passées et les prochaines n'ayant lieu que dans trois ans.
Aujourd'hui, nous vous disons avoir rempli notre mandat comme vous nous l'avez demandé.
M. Béné évoque l'installation d'un régime totalitaire comme conséquence de cette éligibilité, parce que trois à cinq fonctionnaires de l'administration centrale viendraient s'ajouter aux trois ou quatre de nos collègues qui appartiennent aux statuts hospitalier, des Services industriels ou des TPG.
Monsieur Béné, le canton de Vaud, qui autorise les enseignants à être députés, est-il un canton totalitaire ? Il me semble que les libéraux ont toujours parlé en bien du canton de Vaud. Jamais ils n'ont dit qu'il avait changé de nature parce que ses fonctionnaires étaient éligibles !
La plupart des cantons connaissent le statut que nous proposons. Direz-vous qu'ils connaissent un régime de démocratie populaire ? Ce serait absolument ridicule ! Par conséquent, cessez de dire n'importe quoi.
Le groupe radical nous dit encore ne pas reconnaître son enfant, parce qu'il voulait, en contrepartie, modifier le statut de la fonction publique.
Mesdames et Messieurs, nous n'avons pas affaire à un marchandage. La démocratie ne s'achète pas. On ne peut pas exiger le prix du droit à l'éligibilité ! C'est absurde ! C'est comme si nous avions demandé aux femmes de payer un prix pour avoir le droit de vote ! La démocratie a pour règles de base le droit d'être éligible, le droit de se présenter au choix du peuple et d'être élu sans devoir renoncer à son travail. C'est la règle ici pour ceux qui exercent une profession libérale et qui peuvent être liés par des intérêts contraires à l'intérêt général. C'est la règle ici pour ceux qui, percevant des subventions, pourraient les voter. C'est la règle ici pour ceux qui sont mandatés par l'Etat.
Pour pallier toute dérive, nous avons mis en place un code d'éthique qui est l'article 24, la récusation, et l'article 29A, la transparence. Il n'y a aucune raison pour que ce code d'éthique, valable pour les entrepreneurs, ne le soit pas pour les fonctionnaires. Il n'y a aucune raison pour que les fonctionnaires ne soient pas traités comme les autres citoyens. C'est aussi simple que cela et tout le reste est un discours que même les jésuites n'oseraient plus tenir.
Soyons cohérents, soyons démocrates ! La démocratie revendique le droit à l'éligibilité et la restriction en est l'exception.
Le marchandage consistant à modifier le statut de la fonction publique est complètement à côté de la plaque. Je le répète : la démocratie revendique le droit à l'éligibilité et la restriction en est l'exception.
C'est pourquoi nous devons adopter ce projet.
M. Albert Rodrik (S). Permettez-moi de vous dire que la manière dont nous débattons est aussi importante que le texte sur lequel nous débattons.
Je ne veux pas allumer des brandons, mais je crois que nous sommes bien loin des propos et du travail modeste de la commission qui a essayé de régler, avec modération, un problème précis.
Nous avons travaillé pendant deux séances entrecoupées d'une demande de proposition de texte à l'administration du département de M. Cramer. Nous avons essayé de cerner le problème en nous demandant comment le droit des citoyens pouvait être limité, à quel usage et où passait la séparation des pouvoirs.
Monsieur Lescaze, nous n'avons pas cherché à avoir un nombre maximum de fonctionnaires éligibles. Nous avons essayé de déterminer où s'arrêtait l'adhésion ou «l'adhérence» au pouvoir exécutif. C'est de cela qu'il s'agit.
Cet exercice est tout autre chose que les deux votes populaires où l'on demandait d'abroger simplement l'article 73. Si, à cause de cela, certains parlent de démocratie populaire, c'est que véritablement le sens de notre travail n'est pas compris.
Monsieur Lescaze, nous n'avons pas trouvé une manière fiable de libeller la distinction entre fonctionnaires d'autorité et fonctionnaires de service, mais nous avons bel et bien essayé d'explorer cette piste.
M. Longet a bien fait de traiter de marchandage la modification du statut contre l'octroi des droits. On l'a d'ailleurs imposé aux femmes avec la dixième révision de l'AVS et l'âge de la retraite ! Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude !
Le président. Je prie les députés qui ont des conversations privées de les tenir hors de cette enceinte. Messieurs Pagani, Grobet, Ferrazino et Clerc, votre discussion est certainement passionnante, mais si vous la teniez à l'extérieur, cela dérangerait moins nos débats. Je vous en remercie par avance.
M. Olivier Lorenzini (PDC). Je regrette de ne plus faire partie de la commission des droits politiques, car la discussion a dû y être passionnante. J'en veux pour preuve le débat contradictoire, mené dans le parti radical, par M. Lescaze et M. Beer. M. Lescaze ne tient pas à conférer des droits aux fonctionnaires vu l'échéance d'avril prochain, tandis que M. Beer y est plutôt favorable, vu l'opportunité qui peut se présenter à lui d'ici trois ans. Mais là n'est pas le problème...
Laissez-moi vous rassurer ! Le parti démocrate-chrétien n'est pas opposé au droit de vote des fonctionnaires, ce qui est déjà bien. (Rires.) Je m'étonnais que personne ne se réveille pour applaudir cette position du parti démocrate-chrétien !
Cela dit, j'estime que l'avenir financier de notre canton tient essentiellement à la table ronde organisée par notre Conseil d'Etat qui demande de repenser les traitements de l'administration publique cantonale.
Que trouvons-nous dans notre République ? Quarante-six communes. Et que nous apprend l'Annuaire officiel ? Que 80% des communes ont un exécutif composé de fonctionnaires de l'administration publique. Par conséquent, ces gens sont relativement bien représentés dans le système politique de notre République.
Où est le danger ? C'est que le Conseil d'Etat propose, par le biais de la table ronde - que vous avez quittée parce qu'elle vous gênait - une réflexion à ce sujet. Mais il serait difficile de la mener en omettant les fonctionnaires des administrations municipales, des Services industriels, des Transports publics genevois et de l'Hospice général.
Finalement, c'est le rassemblement de tous ces exécutifs qui devrait faire que les administrations, en général, soient repensées pour le bien de notre République et de ses institutions. Jusque-là, nous sommes d'accord.
Une voix. Bravo !
M. Olivier Lorenzini. Mais compte tenu de la représentation dont je viens de parler, des problèmes de communication possibles, des différences, des avantages que ceux-ci peuvent avoir, je pense que ce projet de loi n'est pas bon. L'article 73 avait l'avantage d'être clairement libellé en stipulant que «le mandat de député au Grand Conseil est incompatible avec toute fonction publique à laquelle est attribué un traitement permanent de l'Etat». C'est ce que nous propose la majorité de la commission en des définitions vagues que nous ne parviendrons jamais à trancher, comme celle de «cadre supérieur». Qu'est-ce qu'un cadre supérieur, Mesdames et Messieurs les députés ? Qu'est-ce qu'un cadre supérieur, Monsieur Longet ? Ce n'est pas à la loi de le déterminer, mais au règlement, et vous l'avez fort bien dit. Un cadre supérieur est une définition aléatoire. Nommé en tant que tel dans un service, il ne pourrait pas l'être dans un autre. Il y a donc danger, Monsieur Longet !
J'ai bien entendu tout ce qui s'est dit pour et contre ce projet de loi qui devrait être renvoyé là où il se trouvait en 1992. Il y était bien, parce qu'il ne faisait pas de bruit et pas de mal à la République ! Nous aurions ainsi le temps de la réflexion, car, visiblement, la commission n'en a pas eu assez.
Quand ce projet nous reviendra en 2017, il sera vraisemblablement mieux conçu !
M. Michel Balestra (L). Il n'y a pas que la loi sur les incompatibilités qui soit aléatoire, les mandats le sont aussi.
Par définition, un mandat n'est pas permanent. Un mandat est issu d'une mise au concours, avec ouverture publique, et il est unique et compétitif.
Si vous voulez rendre les mandats permanents incompatibles, je signe la loi avec vous, parce qu'un mandat permanent devient un traitement permanent et réciproquement. Bref, comme le disait si justement mon penseur préféré, «quand plus rien ne tourne rond dans le carré de l'hypoténuse, c'est le moment de prendre les virages en ligne droite». (Rires.)
Soyons sérieux cinq minutes ! Notre Grand Conseil a deux fonctions principales. La première est de légiférer afin de définir le cadre juridique qui permet à notre collectivité de fonctionner harmonieusement. Notre serment définit très clairement la mission de la manière suivante : «Faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.» Je préférais la précédente version qui disait : «...à la prospérité de la patrie qui nous a confié ses destinées.» Cette première fonction est claire.
Notre deuxième fonction est de voter des budgets et de contrôler leur utilisation lors des comptes. A quoi servent ces budgets ? Essentiellement à donner à l'exécutif les moyens de faire respecter les lois par une administration aussi compétente qu'indispensable. Je partage cette idée avec vous.
C'est par rapport à cette deuxième fonction que le projet de loi soumis ce soir n'est pas bon du tout. Comment un employé de la fonction publique pourrait-il se donner à lui-même les moyens d'accomplir sa tâche et de contrôler la bonne utilisation des deniers publics dans l'exercice de ladite tâche ?
Un député ne pouvant pas s'exprimer sur le budget et les comptes ne serait qu'un demi-député. Quelle promotion que celle de passer du statut de demi-citoyen à celui de demi-député ! C'est un bien mauvais cadeau que le vôtre ! Et c'est une bien mauvaise loi pour la collectivité tout entière !
Ce projet comporte un deuxième point faible touchant à la représentativité du souverain. Celle-ci diminuera dans le Grand Conseil dans la mesure où ceux chargés d'appliquer les lois auront à les voter. Par conscience, et je ne doute pas qu'ils en auront, ils s'abstiendront sur certains sujets et passeront ainsi de demi-député au quart de député !
Un Grand Conseil composé en majorité de membres incompatibles par rapport à une grande partie des objets est un Grand Conseil affaibli et peu représentatif. Nous n'en voulons pas pour Genève.
Ce projet est mauvais, et je ne doute pas que la majorité de la population genevoise, majorité de la fonction publique comprise, saura vous le dire en votation populaire.
Mme Liliane Charrière Debelle (S). A quoi tient cette peur viscérale des fonctionnaires ? Que vous ont-ils fait de si épouvantable ? Est-ce vraiment eux qui ont «enfoncé» vos comptes ?
Il est vrai que les cantons de Vaud, du Valais et de Neuchâtel - le pire ! - sont des cantons totalitaires, leurs fonctionnaires étant éligibles. Il n'y a qu'à voir comment ils sont dirigés, comment ils sont excessifs et prennent des décisions qui mettent leur Etat en péril ! C'est une plaisanterie !
Vous avez dit, Monsieur Beer, qu'il faudra souvent remettre l'ouvrage sur le métier. C'est une évidence ! Ce fut le cas de la loi sur le vote des femmes. Ce sera sûrement celui de la loi sur l'université - cinquante-quatre ans ! C'est parti pour durer !
Monsieur Béné, si vous vous référez aux décisions de 1901, je préfère, quant à moi, penser à 2001. Je préfère penser au futur parlement et aux fonctionnaires qui y siégeront. J'aimerais vous citer quelques exemples.
Vous savez tous que parmi nous siègent des personnes qui, de par le caractère de leur établissement, sont en réalité des fonctionnaires. Vous savez parfaitement que nous ne pouvons que nous féliciter de leur collaboration. Qu'il s'agisse des hôpitaux ou d'autres établissements, vous savez parfaitement que leur collaboration et leurs compétences sont indispensables. Vous savez aussi que nous avons commis, voici quatre ans, la sottise de nous priver de la collaboration d'un député radical des plus compétents en matière de santé qui, pour les deux heures de cours qu'il donnait, a dû quitter cette enceinte. Résultat : une collaboration précieuse nous a été enlevée et elle n'a pas pu être remplacée.
Voyez ici même. Nous sommes deux anciennes fonctionnaires et, comme par hasard, chacune sur des bancs opposés. Avez-vous vraiment l'impression que nous pesons sur la situation et que nous mettons le budget en danger ?
Il y a parmi les fonctionnaires, et c'est heureux, des gens qui représentent les différentes sensibilités de la population. Souvenez-vous de cet ancien député Vigilant également fonctionnaire. Cela ne l'a pas empêché d'être élu, mais il a dû attendre l'âge de la retraite pour l'être.
Il est vrai que la population craint quelque peu cette éligibilité. Ce sentiment provient certainement des campagnes menées. Monsieur Lescaze, si vous ne doutez pas de la réponse du peuple, cela signifie que nous devons faire une campagne intelligente, motivée et motivante, pour que la population change d'opinion et ne voie pas dans les fonctionnaires des nantis qui réclament encore une augmentation de leur part de gâteau, ce qui serait complètement ridicule.
Monsieur Visseur, votre proposition est une alternative. Le salaire ou l'éligibilité ! C'est une prise en otage, une façon de traiter un sujet important en maniant la carotte et le bâton ou en marchandant comme dans un souk, ce que le parlement n'est pas ou, du moins, pas encore.
Ce projet est judicieux. Il n'est peut-être pas parfait, mais qu'est-ce qui peut l'être ? Le projet et le rapport de la majorité constituent des propositions intéressantes. Vous n'ignorez pas l'intérêt de pouvoir compter sur la compétence et la collaboration de gens qui, effectivement, sont à l'intérieur de la maison. Pour cela même, ils peuvent dire comment les choses fonctionnent et présenter des propositions intelligentes pour qu'elles fonctionnent mieux. Ne les considérez pas, s'il vous plaît, comme des gens qui veulent arrondir leur pécule en venant au parlement.
M. Pierre Vanek (AdG). Je ne ferai ni un long discours ni un exposé philosophique, la question ayant déjà été longuement discutée.
Tout à l'heure, j'ai surtout parlé du rapport de M. Béné. Maintenant, j'en viens à la logique de son discours.
J'aime beaucoup M. Béné, parce qu'il dit sincèrement ce qu'il pense. Il a dépeint la situation de septembre, avec des fonctionnaires députés en grève et manifestant. Eh oui, le droit de grève fait partie des droits des travailleurs et des salariés ! Il sera sous peu, je crois, inscrit dans la Constitution helvétique. Il est donc possible qu'un député soit fonctionnaire et fasse grève. Ce faisant, il utiliserait un droit que vous n'appréciez pas, Monsieur Béné, et votre intervention trouve là sa logique, à savoir la restriction d'un certain nombre de droits sociaux fondamentaux.
Vous avez enchaîné en disant ne pas imaginer un député architecte ou un député ingénieur en grève. Je vous rappelle que des députés des bancs d'en face, appartenant aux syndicats patronaux, ont manifesté, devant ce Grand Conseil, avec l'appui de leurs troupes, à propos de tel ou tel problème du bâtiment. Et ils ont eu raison ! Les gens ont encore le droit de manifester dans notre République.
Vous avez commencé votre intervention en motivant votre refus d'octroyer un droit supplémentaire et vous l'avez poursuivie en disant que la grève posait un problème à ce niveau. C'est toute la logique de votre position ! Cela a fait tilt dans votre tête et vous avez dénoncé le prétendu scandale de députés défilant en tête des huit mille personnes qui ont manifesté contre l'OMC. Mais c'est normal, Monsieur Béné ! Il aurait été au contraire inquiétant de ne pas trouver des députés dans ce défilé composé, pour les trois quarts, de gens de Genève !
Puis vous avez parlé de l'éligibilité de certains de vos collègues qui travaillent dans des établissements publics autonomes. Vous avez conclu en déclarant que leur droit d'éligibilité devrait être supprimé. Toute la logique de votre intervention consiste ainsi bien à dire que l'on devrait supprimer un maximum de droits. Si vous maintenez vos arguments, vous devez demander à M. Unger - excusez-moi, Monsieur Unger, de vous citer en exemple - de se retirer de cette assemblée, et déposer votre projet de loi dans ce sens.
Je terminerai en posant une question à M. Béné, bien que je sache devoir m'adresser à l'assistance. Mais M. Béné étant le rapporteur d'une certaine tendance, je le prends en exemple, Monsieur le président.
Bien que contredisant vos propos qui laissent entendre que les fonctionnaires ne pourraient voter qu'en fonction de leurs intérêts, tous vos arguments, Monsieur Béné, tendent non seulement à leur refuser un droit nouveau, mais aussi à leur interdire d'élire les députés de notre Grand Conseil, les fonctionnaires étant susceptibles de donner un signal à l'Etat quant au budget, aux traitements de la fonction publique, etc. Devrait-on alors insérer dans la constitution un article 24 d'exception supprimant le droit de vote des fonctionnaires ? Cela découle logiquement de votre position, Monsieur Béné, droit de vote et droit à l'éligibilité allant de pair. C'est cette unité de principe qui existe partout, y compris dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, que nous voulons rétablir avec ce projet de loi constitutionnelle. Et quand je dis «nous», j'entends la majorité de la commission et celle, sans doute, de ce parlement qui en appellera au peuple.
M. Christian Brunier (S). Ce débat est hallucinant ! Les libéraux et leurs «ombres» jouent les vierges effarouchées en nous donnant des leçons d'éthique en matière d'incompatibilité.
Personnellement, je trouve moins grave de voir des fonctionnaires siéger dans cette enceinte que d'apercevoir, de temps en temps, des députés y venir chercher des mandats.
Si vous voulez être conséquents avec vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les libéraux, bloquez les mandats publics attribués aux acteurs de la politique genevoise. Certes, comme M. Balestra l'a dit, ces mandats ne sont que momentanés, mais il a oublié d'ajouter qu'ils étaient souvent très lucratifs.
Je lance un défi ! Mesdames et Messieurs les députés de l'Entente, êtes-vous prêts à établir l'inventaire des mandats de vos amis politiques ?
Une voix. Oui, oui !
M. Christian Brunier. Alors, allez-y ! (Brouhaha. L'orateur est interrompu par M. Michel Balestra.) Monsieur Balestra, puisque nous sommes en train...
Le président. Adressez-vous à l'assemblée et pas à un député en particulier, Monsieur l'orateur. Merci !
M. Christian Brunier. Monsieur le président, je lance un deuxième défi à nos adversaires de l'Entente. Monsieur Balestra, êtes-vous prêt à abandonner, au nom de l'éthique, les déménagements d'entreprises publiques, par exemple ? (M. Michel Balestra ne répond pas.) M. Balestra gagne la boîte de jeu et ne reviendra pas en deuxième semaine ! Lors de la campagne électorale, nous avons dû remplir une liste de liens d'intérêts. Ce document, publié également dans la «Feuille d'avis officielle», nous apprend que, si nous voulons faire de la politique pour obtenir des compensations, ce n'est pas à gauche qu'il faut adhérer mais bien à vos partis. (Applaudissements.)
M. Bernard Lescaze (R). Pour avoir fait un rapport pseudo historique des positions radicales, le rapporteur de majorité croit que nous avons peur, alors que nous ne sommes simplement pas satisfaits par ce projet de loi.
Nous n'avons pas peur. Nous prenons ouvertement nos responsabilités face à ce que nous considérons comme un mauvais projet.
M. Rodrik nous a dit que la commission avait cherché à connaître «l'adhérence» de certains fonctionnaires à l'exécutif. Je prétends, et personne ne m'a répondu sur ce point, que des gens revêtus d'une parcelle d'autorité publique, ce qui est le cas des gendarmes et des inspecteurs de la sûreté, ne devraient pas pouvoir être députés.
A la page 3 de votre rapport, vous insistez - et nous pourrions vous donner raison en théorie - sur le fait que la pratique de la réserve et de la transparence est plus importante que l'exclusion. Malheureusement, nous voyons bien, Monsieur le rapporteur de majorité, que vous êtes un véritable théoricien.
Je donnerai exprès des exemples pris plutôt dans mon camp que dans le vôtre : je n'ai jamais vu autant de médecins qu'à la commission de la santé. Les avocats, eux, se précipitent à la commission judiciaire. Les enseignantes, car nous en avons, vont à la commission de l'enseignement. C'est normal, et personne ne songe à leur en faire grief. Ils sont spécialistes dans leur domaine. Est-ce toujours sain pour le débat politique ? C'est une autre question.
L'Assemblée nationale française, où il n'y a pas d'incompatibilités, comprend, actuellement, 75% de fonctionnaires ! Les trois quarts des députés de l'Assemblée nationale française appartiennent à la fonction publique. Je ne suis pas sûr que c'est exemplaire.
En revanche, un député socialiste, M. Christian Brunier, a développé l'idée de la double incompatibilité que je partage entièrement. L'incompatibilité de l'éligibilité pour les fonctionnaires et l'incompatibilité des mandats publics pour des personnes privées désirant être élues. D'ailleurs, il y a huit ans, j'ai fait adopter cette double incompatibilité au Conseil municipal de la Ville de Genève et ce n'est que depuis quatre ans qu'elle a été abandonnée, parce que certains préféraient que des fonctionnaires municipaux soient élus. Pour cela, ils étaient prêts à renoncer à l'interdiction des mandats publics de la Ville de Genève faite aux conseillers municipaux.
Par conséquent, cette double incompatibilité est une bonne idée, et j'attends une proposition du président du parti socialiste à ce sujet. Je présume que j'attendrai longtemps...
Pour faire court, je citerai ce qui me paraît la meilleure des conclusions. Je l'emprunterai au rapporteur de majorité. La voici : «Il appartient au peuple souverain de désigner qui il entend pour le représenter.» Nous nous retrouverons donc, avec votre projet, devant le peuple souverain.
M. Jacques Béné (L), rapporteur de minorité. Ayant été fonctionnaire pendant quelques années à temps partiel, je me sens bien placé pour parler du sujet. Mes idées n'ont pas changé. Elles étaient les mêmes que celles dont je viens de vous faire part.
Heureusement que nous n'avons eu que deux séances en commission des droits politiques ! Nous en aurions eu plus, le débat aurait été le même que celui que nous menons sur ce mauvais projet de loi.
M. John Dupraz. Ce n'est pas le projet qui est mauvais, c'est toi !
M. Jacques Béné, rapporteur de minorité. Dupraz, ce projet est mauvais ! Vous n'êtes même pas d'accord entre vous, les radicaux ! Alors, mettez-vous d'accord, on discutera ensuite ! (L'orateur est interrompu par M. John Dupraz.) Tu l'as défendu parce que tu étais président ! Les radicaux l'ayant déposé, il fallait bien que tu le défendes !
M. Rodrik a rappelé que l'administration avait proposé des textes à la commission. Et c'est là que je vois la dérive ! On dit que nous avons fait un bon travail et rédigé de bons textes d'après les propositions de l'administration. Vous confirmez, Monsieur Rodrik ?
M. Albert Rodrik. Non, Monsieur !
M. Jacques Béné, rapporteur de minorité. Je m'exprime sans doute mal...
Le président. Monsieur l'orateur, veuillez vous adresser à l'assemblée.
M. Jacques Béné, rapporteur de minorité. On a demandé à l'administration de proposer des textes reflétant les idées de la majorité. Et l'on affirme maintenant que ces textes sont bons, précisément parce qu'ils ont été proposés par l'administration. Voilà bien une dérive ! Un député fonctionnaire pourrait ainsi, sous l'égide d'un conseiller d'Etat, suggérer une façon de faire à une commission, puis venir ensuite défendre son propre projet de loi dit de qualité parce qu'émanant de l'administration.
Le rôle de l'administration est de faire appliquer les projets de lois. Il se limite à cela, contrairement à ce que votre intervention laisse sous-entendre.
Il semble que nous soyons les seuls, ici, à conserver la foi en nos institutions. Pour illustrer mon propos, je citerai l'article 72, passé sous silence jusqu'ici. Il décrète que «sont éligibles tous les citoyens laïcs jouissant de leurs droits électoraux». De ce fait, les curés, les pasteurs et autres représentants de religions officielles ne peuvent pas être élus. Personne ne les a défendus, ceux-là...
Une voix. Pourquoi n'as-tu rien dit ?
M. Jacques Béné, rapporteur de minorité. ...et nous comprenons pourquoi. Ils sont moins défendables que les fonctionnaires puisqu'ils ne descendent pas dans la rue pour préserver leurs acquis sociaux. En fait, vous aimez que les mouvements que vous représentez vous donnent une certaine légitimité en se manifestant dans la rue. Nous verrons bien ce qu'en pense le peuple.
Nos ancêtres ont su faire preuve de sagesse, en 1901, en pressentant qu'une présence massive de fonctionnaires - comme c'est le cas à l'Assemblée nationale française - pourrait noyauter le parlement. Et pourtant, à l'époque, il n'y avait que deux cent quarante et un fonctionnaires pour cent trente-deux mille habitants. Je vous laisse imaginer ce qui va arriver d'ici 2001 ! Actuellement, nous avons quatre cent mille habitants et vingt-huit mille fonctionnaires.
Encore une fois, nos ancêtres ont eu la sagesse d'éviter la situation que vous voulez instituer avec ce projet de loi.
M. Claude Blanc (PDC). Beaucoup de choses ont été dites et certaines doivent être rectifiées.
Quand Mme Françoise Saudan et d'autres députés radicaux, dont M. Dessimoz ici présent, ont eu l'idée de ce projet de loi en 1992, nous en avions discuté et nous étions tombés d'accord sur le fait qu'il constituerait une avance importante à la condition d'être assorti de l'abandon du statut de droit public. Je rends hommage aux députés radicaux qui l'ont rappelé ici, car on ne peut pas être au four et au moulin en même temps.
Le statut de la fonction publique est un statut particulièrement favorable dont ne bénéficie pas l'ensemble des citoyens de ce pays. Ce statut a un prix, à savoir qu'en tant que salarié de l'Etat on dispose d'une protection notoire et qu'on renonce à faire partie du parlement. C'est inhérent à l'équilibre que nous avons toujours maintenu. Aussi les radicaux, en présentant leur projet, entendaient accorder le droit d'éligibilité aux fonctionnaires tout en remettant leur statut en cause.
Je vous rappelle que le statut de droit public est remis en cause dans plusieurs cantons. La Confédération le remet également en cause. Il faudra bien que nous y passions un jour, malgré toutes les récriminations prévisibles, car ce statut est antédiluvien et n'a plus de valeur dans le monde actuel.
C'est pourquoi, à l'époque, j'avais donné mon accord aux radicaux. Je suis content qu'ils aient compris, à part quelques irréductibles, que l'on ne pouvait pas avoir l'un sans l'autre. Et je sais pourquoi ils ne reconnaissent plus l'enfant qu'ils avaient présenté au baptême.
Du baptême, je passe à l'allusion faite aux ecclésiastiques. J'affirme qu'ils n'ont rien à faire dans ce parlement. Leur mission est d'un autre ordre. Ils n'ont donc pas à être députés.
J'en viens à l'article 74 nouveau de la constitution. Les articles constitutionnels concernant les incompatibilités sont certainement ceux qui ont été portés le plus souvent devant le Tribunal fédéral pour faire préciser l'incompatibilité de M. Tartempion ou de Mme Tartemplusse. En effet, nous ne savions jamais où nous en étions, malgré la clarté de l'article actuel.
Si l'on veut un nouvel article constitutionnel délimitant les incompatibilités, il ne faut pas vous gratter le nez, Monsieur Longet ! Vous auriez dû y réfléchir plus tôt et rédiger un article constitutionnel précis qui ne donne pas lieu, à chaque élection, à des procès sans fin devant le Tribunal fédéral.
Je m'explique. L'article 74, nouvelle teneur, stipule que sont incompatibles avec le mandat de député les fonctions de proche collaborateur des conseillers d'Etat et du chancelier d'Etat. Qui sont ces gens, Mesdames et Messieurs les députés ? Le rapporteur de majorité vous le dit à la page 4, je cite : «Leurs secrétaires, leurs chauffeurs, leurs collaborateurs personnels, etc.» Inscrire «etc.» dans la constitution, c'est nous envoyer au Tribunal fédéral pour qu'il nous dise qui est «etc.» ! (Applaudissements.) Monsieur Longet, vous auriez dû réfléchir avant d'écrire ! Vous l'avez fait avec beaucoup de légèreté, vous n'êtes pas sérieux et, par conséquent, vous ne pouvez pas introduire dans la constitution une disposition aussi désinvolte.
D'autre part, vous avez évoqué ce qui se passe dans d'autres cantons. Vous avez dit, Monsieur Longet, que les enseignants sont éligibles dans le canton de Vaud. Je vous informe que la grande majorité des enseignants vaudois du cycle primaire sont des fonctionnaires communaux. Une fois de plus, Monsieur Longet, vous avez été mal renseigné. Je vous répète que dans le canton de Vaud la grande majorité des enseignants du cycle primaire sont des fonctionnaires communaux. Vous pouvez dire tout ce que vous voulez, vous gratter le nez, cela n'y changera rien.
Enfin, la cerise sur le gâteau ! Elle nous est offerte par Mme Charrière. Autorisez, Madame, avant que vous nous quittiez, un échange...
Une voix. Affectif !
M. Claude Blanc. Je dirais «aimable». Madame, vous avez cité le Valais. Je suis le seul à pouvoir vous répondre, mon parti étant encore très influent dans ce canton, et cela ne nous honore pas toujours. Pourquoi ? Précisément pour la raison que vous avez évoquée, Madame ! Dans ce canton, on confond tout ! On confond le mandat de député avec le mandat de fonctionnaire, voire avec un contrat de mandataire...
M. John Dupraz. C'est démo-chrétien tout ça !
M. Claude Blanc. Débouchez vos oreilles, Dupraz ! Je viens de dire qu'il n'y avait que moi pour déclarer cela et affirmer, en toute sincérité, que je ne suis pas d'accord avec ce qui se passe en Valais. On a pu lire dans tous les journaux que l'Etat valaisan était parfois un Etat mafieux. Si c'est cela que vous voulez à Genève, je vous donne rendez-vous devant le peuple !
M. Michel Halpérin (L). Je pense être demeuré suffisamment farouche même si le temps que j'ai passé à faire de la politique dans cette enceinte m'a probablement fait perdre, Monsieur Brunier, une part de ma virginité... (Rires.) ...pour que je sois, au moins, à moitié autorisé à m'exprimer au nom des libéraux. Je ne suis pas un demi-citoyen, mais je ne suis plus qu'un demi-libéral parce qu'il me manque, précisément, un peu de cette candeur que j'avais, il y a longtemps, quand je croyais la politique exempte d'arrière-pensées. Tempi passati...
Aujourd'hui, j'ai un peu l'impression que dans cette histoire le souci de démocratie est moindre que le souci de clientélisme. Ce n'est pas très original, mais il faut quand même le rappeler. Il se trouve qu'il y a beaucoup de fonctionnaires inéligibles, et vous en déduisez qu'il y a beaucoup de demi-citoyens. D'autres, moins bien intentionnés, pourraient dire qu'il y a trop de fonctionnaires qui représentent une trop grande proportion de la population, ce qui explique pourquoi les demi-citoyens sont de plus en plus nombreux.
A la fin du processus que vous préconisez, il n'y aura plus que des demi-citoyens, parce que vous nous proposez, ni plus ni moins, un système qui s'auto-alimente jusqu'à l'anémie finale.
M. Dupraz, fier de ses travaux et de ceux de sa commission, a eu tort, comme souvent. (Rires et applaudissements.) Cela vient peut-être du fait qu'il confond parfois sa sensibilité, que je crois versatile, avec une conviction politique. La réalité, Monsieur Dupraz, c'est que vous croyez sentir le vent. Moi, j'essaie plutôt de vous rappeler quelques principes élémentaires... (Remarque et rires.)
Cette grossièreté qui vous est naturelle ne m'affecte pas trop. Nous avons beaucoup parlé de la séparation des pouvoirs, puis d'incompatibilité, et nous avons eu de la peine à nous faire une raison de référence entre l'une et l'autre. Cela s'explique assez bien.
A vrai dire, lorsque Montesquieu décrivait ces trois pouvoirs - l'exécutif, le législatif, le judiciaire - c'est parce qu'on n'avait pas encore compris - mais on le sait depuis une trentaine d'années - qu'il y en a un quatrième : l'administration. Les politiques passent, l'administration reste. Généralement, elle est plus forte que le pouvoir politique, et la dernière étape de ce processus, inévitable dans une société aussi technique et complexe que la nôtre, c'est que l'administration finisse par incarner, à elle seule, tous les pouvoirs.
C'est un peu le risque que vous nous faites courir. Le problème n'est pas tant de savoir si les fonctionnaires dépendent ou non de l'exécutif. La question est de savoir s'il est normal que, dans un système comme le nôtre, l'Etat parvienne à l'inverse de ses propres fins. Le bien commun est le but de notre Etat. Les moyens par lesquels ce bien commun est trouvé relèvent d'une organisation, laquelle est confiée à certains d'entre nous qui ne sont pas obligés de revendiquer, de porter leur candidature ou d'accepter des fonctions. S'ils les acceptent, ils consentent certains sacrifices. C'est dans l'ordre des choses.
A partir du moment où ils acceptent des fonctions, ils deviennent les serviteurs de l'Etat. On ne peut pas être serviteur et maître, et on ne peut pas être son propre maître en même temps que son propre serviteur. Voilà le problème, une forme de quadrature du cercle, comme je l'ai dit tout à l'heure.
Vous voterez comme vous voudrez, mais si, par chance pour vous et par malchance pour la République, votre projet était accepté ce soir et ratifié par la population - ce que je ne crois pas - je vous garantis que nous verrons ici, comme en France, une majorité de fonctionnaires siéger au parlement. Ils ne me dérangent pas, ils ne me font pas peur, Madame Charrière, j'en connais quelques-uns, y compris dans mon entourage immédiat, avec lesquels je m'entends bien, mais je dois dire que nous aurons effectivement porté un coup fatal à la démocratie. (Applaudissements.)
M. Olivier Vaucher (L). J'ai malheureusement une mauvaise manie, je suis conservateur et très ordonné dans le classement de certains documents.
J'ai ici un document qui date de la précédente législature, relatif à notre débat sur la motion 1115 du 27 février 1997. M. Brunier réclamant, à cor et à cri, l'inventaire de tous les mandats décernés par l'Etat à certains députés, je lui suggère de prendre connaissance de ce document émis par l'un des services de l'ancien département des travaux publics et de l'énergie. Il comporte la saisie informatique de tous les mandats, avec les cumuls et le montant des honoraires, attribués aux bureaux d'architectes et d'ingénieurs par ledit département.
Vous devriez consulter ce document, Monsieur le président du parti socialiste. Vous constaterez que les montants les plus importants ont été attribués à des membres de votre parti.
Par conséquent, je souhaite que l'on mesure la portée des propos que l'on tient dans cette enceinte.
M. Albert Rodrik (S). M. Béné, qui est un membre éminent de la commission, ne doit pas induire ses collègues en erreur.
Nous n'avons pas demandé un texte à l'administration et nous ne nous glorifions pas de sa qualité parce que nous le lui aurions demandé.
Nous avons essayé d'être soutenus dans nos efforts pour traduire, en termes juridiquement fiables, ce que M. Lescaze considère comme l'essence du projet radical.
C'est en cela seulement que M. Kronstein nous a aidés. Monsieur Béné, vous ne devez pas induire en erreur les quatre-vingt-cinq autres députés. Merci !
M. René Longet (S), rapporteur de majorité. Nous avons l'habitude de vos interventions, Monsieur Blanc. A une certaine heure, vous croyez faire de l'esprit mais, en fait, vous perdez vos esprits !
Vous auriez mieux fait de vous taire. Je ne me lancerai pas dans une polémique pour répondre à la polémique. Le tout constituera la matière d'un vote populaire.
En revanche, je ne peux pas laisser dire que l'article constitutionnel provoquerait la situation que vous avez décrite. Monsieur Blanc, vous avez fait un faux et un usage de faux. Vous avez sorti une citation de son contexte. Vous avez fait rire une partie de nos collègues et vous vous êtes fait applaudir facilement en disant que l'on inscrivait des choses vagues, des «etc.», dans la constitution.
Monsieur Blanc, vous confondez le commentaire et le texte. Vous êtes depuis assez longtemps ici pour savoir qu'un article constitutionnel a parfois besoin d'une loi d'application et que celle-ci peut avoir plus de deux ou trois lignes. Nous nous sommes efforcés de l'expliciter dans un commentaire.
Je pense que les députés, contrairement à vous, sont assez grands pour faire la différence entre le texte constitutionnel et son commentaire.
Monsieur Blanc, ne faites pas croire que nous ne savons pas ce que nous voulons. Nous le savons très bien.
C'est à vous de juger votre propre camp en Valais, mais ce n'est en tout cas pas le droit d'éligibilité des fonctionnaires qui, dans ce canton, a posé problème. Vous savez fort bien que des confusions énormes ont eu lieu entre le privé et le public et pas du tout à l'intérieur de la fonction publique.
Nous prenons acte de votre diagnostic quant à la situation à terme de votre propre camp, mais il ne concerne pas le projet dont nous parlons.
Vous prétendez que je ne connais pas la situation du canton de Vaud où la plupart des instituteurs sont des fonctionnaires communaux, ce qui est le cas, d'ailleurs, dans la plupart des cantons suisses alémaniques. Par contre, vous n'avez pas précisé que beaucoup d'enseignants ne sont pas instituteurs. Ces personnes, qui représentent plus de la moitié du corps enseignant, sont parfaitement éligibles. Certaines sont élues, elles sont de toutes les tendances politiques et travaillent très bien.
D'autres ont cité la France en parlant de son parlement de fonctionnaires. Mais savent-ils que le parlement français est un parlement de professionnels ? Ses élus, quel que soit leur métier, ne fonctionnent pas dans un système de milice où l'on peut être député tout en exerçant une profession. Leur situation est similaire à celle de nos conseillers d'Etat qui doivent se réinsérer dans une vie professionnelle, une fois leur mandat échu.
Il est vrai que leur place est réservée alors qu'ils sont encore dans la fonction publique. Mais cela n'a rien à voir avec l'article constitutionnel.
Vous confondez, exprès et abusivement - et ceux qui applaudissent démontrent qu'ils n'ont absolument rien compris à l'enjeu - le parlement professionnel français, où le problème d'une double fonction ne se pose pas, et notre Grand Conseil destiné à demeurer un parlement de milice.
Dès lors, nos fonctionnaires vivraient exactement ce que vivent leurs collègues des Services industriels, des TPG et des établissements hospitaliers, qui se comportent bien et respectent la déontologie.
Comparons ce qui est comparable. Je tenais à le dire, non à l'adresse des personnes que l'on ne peut décidément pas convaincre à partir d'une certaine heure, mais pour que certaines choses inexactes ne restent pas sans réplique jusqu'au vote populaire.
M. Claude Blanc (PDC). Je ne m'attarderai pas sur les propos malveillants de M. Longet qui dévoilent sa grandeur d'âme, sa haute stature, en plus de son ignorance.
Monsieur Longet, excusez-moi de revenir sur l'article constitutionnel, mais vous parlez comme un enfant qui n'a rien compris.
Quand un article constitutionnel est vague au point de nécessiter l'intervention du Tribunal fédéral, les juges se réfèrent aux motifs et au rapport de la commission du Grand Conseil pour connaître la volonté du législateur. Et vous ne faites rire que vous-même, Monsieur Longet, si vous considérez que la volonté du législateur est «etc.» !
Vous dites que ces cas-là sont assortis d'une loi d'application. Une fois de plus, Monsieur Longet, je vous rappelle que, lorsque la constitution émet un certain nombre de généralités, elle précise chaque fois : «La loi réglera les modalités.»
Or, vous n'y avez pas pensé. Vous avez fait le travail à moitié et vous me reprochez de vous traiter d'âne aux approches de 23 h 30 !
M. John Dupraz (R). Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage ! Et je constate que ceux qui s'acharnent contre ce projet s'opposeraient de toute façon, quel que soit le projet de loi ou le texte débattu, à ce que les fonctionnaires de l'administration centrale puissent participer à une élection et être élus au Grand Conseil.
Nous avons entendu M. Halpérin nous faire la leçon avec brio, prétextant que j'étais fier des travaux de la commission. J'essaie, modestement, de faire mon travail de député et, dans le cas présent, de président de la commission.
Nous avons adopté une méthode de travail qui a été approuvée par tout le monde. Nous avons inventorié les problèmes, nous avons donné aux collaborateurs du Conseil d'Etat le mandat de rédiger un texte, puis, sur la base de ce dernier, nous avons voté le projet qui vous est présenté ce soir.
De plus, Monsieur Halpérin, je vous trouve bien mal placé pour nous donner des leçons en matière de clientélisme. Quand vous proposez une baisse d'impôts de 20%, nous nous sentons comme de petits écoliers face à votre professionnalisme. Vous dites que c'est du clientélisme de vouloir accorder l'égalité de traitement à onze mille personnes empêchées d'accéder au Grand Conseil. Je vous réponds que nous faisons un acte d'équité et de justice sociale. Il est vrai que pour M. Balestra la justice sociale n'a d'égal que le poids de ses camions !
On pourrait discuter toute la nuit de ce projet de loi. Les avis sont partagés. J'ai l'intime conviction que ce projet est bon et qu'il répond aux principes posés par le projet radical initial. Je le voterai sans états d'âme, sans clientélisme, mais simplement par souci d'équité et de justice sociale.
Le président. L'appel nominal a été demandé (Appuyé.), nous allons y procéder.
Celles et ceux qui acceptent le projet en premier débat répondront oui, et celles et ceux qui le rejettent répondront non.
Ce projet est adopté en premier débat par 50 oui contre 38 non et 2 abstentions.
Ont voté oui (50) :
Esther Alder (Ve)
Charles Beer (S)
Roger Beer (R)
Fabienne Blanc-Kühn (S)
Marie-Paule Blanchard-Queloz (AG)
Dolorès Loly Bolay (AG)
Anne Briol (Ve)
Christian Brunier (S)
Fabienne Bugnon (Ve)
Pierre-Alain Champod (S)
Liliane Charrière Debelle (S)
Bernard Clerc (AG)
Jacqueline Cogne (S)
Jean-François Courvoisier (S)
Pierre-Alain Cristin (S)
Anita Cuénod (AG)
Caroline Dallèves-Romaneschi (Ve)
Régis de Battista (S)
Jeannine de Haller (AG)
Marie-Françoise de Tassigny (R)
Hervé Dessimoz (R)
Erica Deuber-Pauli (AG)
John Dupraz (R)
Alain Etienne (S)
Laurence Fehlmann Rielle (S)
Christian Ferrazino (AG)
Magdalena Filipowski (AG)
Luc Gilly (AG)
Alexandra Gobet (S)
Gilles Godinat (AG)
Mireille Gossauer-Zurcher (S)
Marianne Grobet-Wellner (S)
Dominique Hausser (S)
David Hiler (Ve)
René Longet (S)
Pierre Meyll (AG)
Louiza Mottaz (Ve)
Danielle Oppliger (AG)
Rémy Pagani (AG)
Véronique Pürro (S)
Elisabeth Reusse-Decrey (S)
Albert Rodrik (S)
Martine Ruchat (AG)
Christine Sayegh (S)
Françoise Schenk-Gottret (S)
Jean Spielmann (AG)
Alain Vaissade (Ve)
Pierre Vanek (AG)
Alberto Velasco (S)
Salika Wenger (AG)
Ont voté non (38) :
Michel Balestra (L)
Florian Barro (L)
Luc Barthassat (DC)
Jacques Béné (L)
Janine Berberat (L)
Madeleine Bernasconi (R)
Claude Blanc (DC)
Nicolas Brunschwig (L)
Juliette Buffat (L)
Christian de Saussure (L)
Gilles Desplanches (L)
Jean-Claude Dessuet (L)
Hubert Dethurens (DC)
Daniel Ducommun (R)
Pierre Ducrest (L)
Henri Duvillard (DC)
Marie-Thérèse Engelberts (DC)
Bénédict Fontanet (DC)
Pierre Froidevaux (R)
Jean-Pierre Gardiol (L)
Nelly Guichard (DC)
Janine Hagmann (L)
Michel Halpérin (L)
Yvonne Humbert (L)
Bernard Lescaze (R)
Olivier Lorenzini (DC)
Pierre Marti (DC)
Jean-Louis Mory (R)
Geneviève Mottet-Durand (L)
Jean-Marc Odier (R)
Barbara Polla (L)
Stéphanie Ruegsegger (DC)
Louis Serex (R)
Walter Spinucci (R)
Micheline Spoerri (L)
Olivier Vaucher (L)
Jean-Claude Vaudroz (DC)
Pierre-Pascal Visseur (R)
Se sont abstenus (2) :
Thomas Büchi (R)
Pierre-François Unger (DC)
Etaient excusés à la séance (6) :
Bernard Annen (L)
Claude Haegi (L)
Antonio Hodgers (Ve)
Armand Lombard (L)
Alain-Dominique Mauris (L)
Chaïm Nissim (Ve)
Etaient absents au moment du vote (3) :
René Ecuyer (AG)
Christian Grobet (AG)
Jean-Pierre Restellini (Ve)
Présidence :
M. René Koechlin, président.
Deuxième débat
Mis aux voix, ce projet est adopté en deuxième débat.
Troisième débat
Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
Loi constitutionnelle(6931)
modifiant la constitution de la République et canton de Genève
(A 2 00)
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article unique
La constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, est modifiée comme suit:
Art. 73 (abrogé)
Art. 74 (nouvelle teneur)
1 Sont incompatibles avec le mandat de député les fonctions :
a) de conseiller d'Etat et de chancelier d'Etat ;
b) de collaborateur de l'entourage immédiat des conseillers d'Etat et du chancelier d'Etat ;
c) de collaborateur du service du Grand Conseil ;
d) de cadre supérieur de la fonction publique ;
e) de magistrat du pouvoir judiciaire, à l'exception des juges suppléants et des juges prud'hommes.
2 Les personnes concernées par l'alinéa 1 sont néanmoins éligibles mais doivent, après les élections, opter entre les deux mandats.
La séance est levée à 23 h 40.