Séance du vendredi 23 janvier 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 4e session - 4e séance

M 1176
13. Proposition de motion de MM. Roger Beer, Jean-Marc Odier, Alain-Dominique Mauris, Jean-Claude Dessuet, Hubert Dethurens et Luc Barthassat visant au maintien des activités agricoles liées à l'arrosage sur le canton de Genève. ( )M1176

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève

considérant:

- l'augmentation du prix de l'eau de 10% décidée par le Conseil d'Etat le 19 novembre 1997 et qui entrera en vigueur le 1er janvier 1998;

- le rapport des SIG du 13 novembre 1997 faisant état de trois hausses de 10% planifiées pour 1998, 1999 et 2000;

- la baisse des prix des produits agricoles de 30% en moyenne de 1990 à 1996;

- la situation particulière de l'agriculture genevoise qui, n'ayant pas besoin d'une eau potable, et n'en consommant qu'une partie de l'année, n'utilise qu'une partie du service proposé par les SIG;

- la nécessité de garder cette clientèle tant pour des raisons économiques qu'écologiques,

invite le Conseil d'Etat

- à fixer une politique tarifaire propre aux agriculteurs qui, en tenant compte de ses spécificités, ne leur porte pas un préjudice grave;

- à étudier, puis à soutenir, avec les milieux intéressés, toutes les possibilités techniques pour maintenir le coût de l'approvisionnement en eau adapté aux capacités économiques.

EXPOSÉ DES MOTIFS

De la situation économique de l'agriculture genevoise

De 1993 à fin 1997, le prix des légumes à la production aura baissé en moyenne de 13% (OFS, prix à la production en agriculture, 10.97). Durant la même période, et en comptant la hausse prévue dès le 1er janvier 1998, celui de l'eau aura augmenté à Genève de 24,4% (1.58/m3 au lieu de 1.27/ m3).

Cette évolution résume à elle seule la situation actuelle de l'agriculture suisse, prise en otage entre une baisse continuelle des prix, et une augmentation suivie des coûts de production sur lesquels elle ne peut agir.

Soyons clairs: la présente motion ne vise pas à l'amélioration des revenus des agriculteurs. Il s'agit aujourd'hui bien plus d'éviter la disparition d'un pan entier de notre économie. Les données suivantes le démontrent :

- de 1989 à 1996, le revenu net de l'activité agricole pour la main-d'oeuvre familiale a diminué en Suisse de 26% (USP, rapport de situation, 1997);

- en 1995 et 1996, la consommation de la famille sur les "; exploitations témoins " (Station de recherche fédérale FAT, in op. Cit.) a été plus élevée que le revenu agricole réalisé, ce qui signifie que les agriculteurs ont soit consommé leur capitale propre, soit ont eu recours à des revenus annexes;

- dans le canton de Vaud, Prométerre (Chambre vaudoise d'agriculture) a pu, sur la basse des comptabilités agricoles, estimer les cas de faillites à court terme à 10% des exploitations. La situation pourrait être plus grave encore à Genève, tout particulièrement dans les secteurs des maraîchers et de la fleur;

- l'endettement actuel de l'agriculture genevoise est de Fr. 90 mio pour 450 exploitations. Ou encore de Fr. 8.-/m2 de surface agricole. Le prix du m2 en zone agricole est aujourd'hui de Fr. 4.-;

- la part du prix de l'eau dans les coûts de production est de 1,1% pour une laitue pommée, de 2,6% pour un concombre et de 4,8% pour une tomate (combinaison des chiffres SIG calculés à partir des prix des produits chez le détaillant et de la quote-part de 27% revenant au producteur);

- la production des légumes les plus gourmands en eau, tels le cardon, le céleri pomme ou le fenouil sont progressivement abandonnés aux cantons et pays voisins;

- à Genève, plus aucun producteur ne pratique aujourd'hui déjà la production de légume en plein champ, gourmande en eau mais économe en énergie, comme branche principale. Sa rentabilité n'est assurée que par l'utilisation de facteurs fixes mis à disposition par d'autres branches de productions (cultures couvertes transformation de légumes, etc.).

Une hausse qui coûte cher et ne rapporte rien

En d'autres termes, lorsqu'un secteur est en difficulté économique, il ne saurait être le rôle d'une entreprise publique que de le noyer définitivement.

Car que gagneraient les SIG à augmenter le prix de l'eau à l'agriculture ?

- Dans un premier temps, la disparition des cultures de légumes en plein champs avec disparition d'emplois et importation des marchandises produites ailleurs;

- en même temps, l'accroissement du nombre de tunnels, de serres, et la réalisation d'immenses bassins de rétention avec pompage électrique en zone agricole;

- ensuite, la disparition de la production maraîchère et horticole en général sur le canton.

Les SIG perdraient alors une rentrée annuelle de près de Fr. 1,3 mio alors que le coût du réseau de l'eau ne serait diminué d'aucune façon.

En revanche, l'attribution d'un prix particulier de l'eau d'arrosage, comme le font les Services Industriels de la Ville de Lausanne, permettait de garder ces clients en adaptant le coût de l'eau aux capacités économiques des producteurs.

Renoncer à l'augmentation du prix de l'eau en 1998 pour les agriculteurs représente en soit et indépendamment des effets induits susmentionnés une diminution de recettes de près de Fr. 120 000.- pour un budget global des SIG de plus de Fr. 728 mio.

Un traitement privilégié pour l'agriculture?

L'agriculture est consciente que l'eau est un bien précieux qui a son prix. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle a déjà totalement épuisé son potentiel d'économie d'eau. L'arrosage des grandes cultures sur le réseau est révolu, le goutte à goutte a été généralisé.

Mais l'agriculture, à la différence des autres utilisateurs, ne nécessite pas d'eau potable pour son arrosage. Ensuite, elle ne bénéficie en zone rurale pas de la même pression qu'en zone urbaine. Enfin, elle n'utilise de l'eau qu'une partie de l'année. Ainsi, elle n'utilise qu'une petite partie du service qui lui est fourni par les SIG. Pourtant, elle paie aujourd'hui la même taxe de débit que tout autre utilisateur, et le même prix au m3 que celui qui boit de l'eau ou l'utilise pour ses besoins ménagers.

Pourquoi alors ne pas créer un réseau parallèle d'eau non potable? Parce qu'il est plus judicieux d'amortir les frais du réseau des SIG par le biais de l'ensemble des utilisations d'eau: lutte contre le feu, arrosage, consommation industrielle et consommation des ménages. Des solutions techniques pour apporter de l'eau ";brute" aux agriculteurs seraient plus chères, et pour les agriculteurs, et pour les consommateurs d'eau potable.

Conclusion

La fixation d'une politique tarifaire propre à l'agriculture est donc justifiée par les spécificités de ce secteur.

Demander aujourd'hui un gel du prix de l'eau par le biais d'une politique tarifaire particulière, même si cela correspond à une minime diminution directe des recettes au départ, c'est donner aux SIG la possibilité de garder pour client un secteur rapportant Fr. 1,3 mio par an.

Une décision contraire serait lourde de conséquences pour l'équilibre budgétaire de ces prochaines années, et signifierait que Genève n'est plus capable d'approvisionner son propre marché de fruits et légumes, alors qu'elle borde le plus grand lac d'Europe.

En vertu de ces explications, nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un accueil favorable à cette proposition de motion.

Débat

M. Roger Beer (R). Comme vous le savez, j'étais intervenu dans le cadre du débat du budget par rapport à ce problème. Nous n'avions bien sûr pas pu traiter cette motion, et elle arrive seulement aujourd'hui. Entre deux, nous avons eu des discussions avec M. le conseiller d'Etat Cramer et M. le président Fatio, et nous avons pris la décision, les motionnaires et moi, de la retirer provisoirement. (Applaudissements.)

Le Grand Conseil prend acte du retrait de cette proposition de motion.