Séance du vendredi 7 novembre 1997 à 17h
54e législature - 1re année - 1re session - 52e séance

PL 7498-A
10. Rapport de la commission fiscale chargée d'étudier le projet de loi de MM. Michel Halpérin et Nicolas Brunschwig relatif à la diminution de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. ( -) PL7498Rapport de première minorité M. René Ecuyer (AG), commission fiscaleRapport de troisième minorité de M. Chaïm Nissim (Ve), commission fiscale
Mémorial 1996 : Projet, 6450. Appel nominal, 6475. Renvoi en commission, 6478.
Rapport de majorité de Mme Micheline Spoerri (L), commission fiscale
Rapport de première minorité de M. Matthias Butikofer (AG), commission fiscale
, remplacé par M. René Ecuyer (AG)
Rapport de deuxième minorité de Mme Micheline Calmy-Rey (S), commission fiscale
Rapport de troisième minorité de Mme Vesca Olsommer (Ve), commission fiscale
, remplacée par M. Chaïm Nissim

RAPPORT DE LA MAJORITE

Le projet de loi 7498 a été déposé le 27 août 1996 et renvoyé à la commission fiscale par le Grand Conseil.

Il a été débattu, sous la présidence de Mme Christine Sayegh, lors d'une première série de séances les 26 novembre et 17 décembre 1996, les 14 janvier, 21 janvier, 28 janvier, 4 février, 18 février, 25 février, 4 mars, 11 mars, 18 mars, 8 et 15 avril 1997.

Toutefois, il convient de préciser ici que, lors de ces mêmes séances, ont été également traités divers projets de loi relatifs à l'imposition des personnes morales ainsi que le projet de loi du Conseil d'Etat sur l'imposition des personnes physiques (LIPP). En effet, la commission fiscale a souhaité, à des fins d'efficacité et pour avoir une vision d'ensemble à propos de la fiscalité dans notre canton, mener ses travaux de front. Dans ce but, elle a élaboré un questionnaire général destiné aux auditions.

Du 22 avril au 17 juin 1997, 9 séances ont été consacrées à la lecture, article par article, du projet de loi 7532 (LIPP) traitant plus généralement de l'imposition des personnes physiques.

En date des 17 et 24 juin 1997, suite et fin ont été données à l'étude du projet de loi 7498.

La commission a bénéficié, au fil des travaux, de l'aide des conseils et avis de M. le conseiller d'Etat Olivier Vodoz, président du département des finances. Elle a été secondée par M. Pietro Sansonetti, directeur des affaires fiscales, M. Georges Adamina, directeur de la taxation, et, lors de sa séance du 26 novembre 1996, par M. Daniel Brauen, directeur, coordinateur de l'Audit.

Teneur initiale du projet de loi 7498

Le poids de la fiscalité des personnes physiques à Genève a atteint un niveau déraisonnable et dissuasif par rapport aux autres cantons suisses. On croit trop souvent que seuls les revenus les plus importants sont soumis à un tel effort, ce qui est inexact.

La progressivité de l'impôt sur le revenu est si rapide que, pour un revenu de 100 000 F par an déjà, un couple marié sans enfant est taxé à 23%, impôts directs fédéral, cantonal et communal compris.

Pour les hauts revenus, la combinaison des impôts atteint 35% dès 200 000 F et 45% dans les tranches plus élevées, sans compter l'impôt sur la fortune. Dès lors, la plupart des contribuables subissent une ponction fiscale extrêmement significative. Pour les indépendants, elle peut atteindre jusqu'à 60% de leurs revenus.

A l'inverse, jusqu'à 60 000 F, les bas revenus bénéficient d'une fiscalité très clémente par rapport à la moyenne suisse. (Tableau annexe 1: Charge fiscale en Suisse.)

Dans notre canton, toutes les tentatives d'augmenter la fiscalité se sont d'ailleurs heurtées ces dernières années à un refus populaire catégorique. La classe moyenne estime, à juste titre, que le fruit de l'effort énorme qu'elle fournit ne doit pas aller en si grande partie dans la caisse de la collectivité.

Par ailleurs, le poids de la fiscalité contribue pour une grande part à l'exode des «actifs» qui fuient Genève au profit de la région voisine.

Les inconvénients qui se sont développés ces vingt dernières années et qui ont fait que certaines entreprises et personnes physiques ont quitté Genève sont: la fiscalité (45% des cas), les problèmes de logement, locaux ou terrains à bâtir (30%), les refus de permis de travail (7%), le reste des motifs étant lié au coût de la vie, de la main-d'oeuvre, des tracasseries administratives, des problèmes de circulation, etc. (Tableau annexe 2: Evolution de la population genevoise.)

L'évaluation de la recette fiscale «perdue» par Genève est de l'ordre de 300 à 400 millions de francs par an.

Quels que soient, par ailleurs, ses avantages, Genève ne soutient donc pas la comparaison puisque, pour s'y installer ou s'y maintenir, il faut consentir à payer en moyenne une charge fiscale supplémentaire de 15% au moins par rapport au canton le plus voisin. Dès lors, il s'impose de placer Genève dans une situation fiscalement comparable à celle des cantons voisins.

L'ambition du projet de loi 7498 par une baisse de 15% d'impôts est de placer Genève, durablement, au niveau de Lausanne dans les prochaines années. Elle est aussi la volonté de réduire l'emprise économique que l'Etat exerce sur les contribuables, conformément aux voeux de la population qui, en refusant toute hausse d'impôts, a clairement indiqué qu'elle jugeait les dépenses de l'Etat objectivement excessives.

La politique de rigueur mise en place par le Conseil d'Etat tout au long de la législature a commencé à porter ses fruits puisque ces dépenses ont été ramenées à une progression annuelle moyenne 4 fois inférieure à celle des années 1980-1990. Il est indispensable que cet effort soit maintenu et accentué.

La conséquence du projet de loi 7498 sur les finances publiques n'est pas négligeable puisque l'estimation de la perte fiscale, selon le département des finances, avoisinerait 332 millions de francs, impôts communaux inclus (impôts à la source non inclus).

Cette opération devrait toutefois contribuer à la relance, sachant que, parmi les personnes physiques, on compte un grand nombre de commerces, de sociétés de personnes et de professions libérales, qui bénéficieraient d'un allégement de charges, propice à une certaine promotion économique.

D'autre part, une partie de l'allégement des charges fiscales sur les contribuables devrait être affectée à la consommation, directement, voire indirectement, par le biais transitoire de l'épargne.

Enfin, il est sensé d'imaginer que l'attractivité d'une fiscalité plus raisonnable, associée à une politique plus attractive de l'habitat, inciterait les personnes physiques à ne pas quitter Genève et à ne pas l'exclure, a priori, comme site d'implantation. A plus long terme, une politique durable pourrait faire revenir certaines d'entre elles qui sont parties.

Ainsi, la perte des ressources fiscales devrait être compensée de manière notable et l'augmentation escomptée de la population active résidente devrait élargir l'assiette fiscale dans notre canton.

Toutefois, pour ne pas placer l'administration et spécialement le département des finances publiques devant une situation abrupte, les auteurs du projet ont imaginé que la présente loi entre en vigueur par tranches. Elle s'effectuerait à peu près de manière égale sur les trois prochains exercices plutôt qu'en une seule fois. Compte tenu de la part respective des trois catégories de contribuables considérées, la diminution des recettes de l'Etat serait progressive et faciliterait l'effort de discipline, par ailleurs indispensable, que l'Etat pourrait devoir s'imposer. C'est ainsi que dans sa teneur initiale le projet 7498 prévoit que

Article 1

L'impôt direct sur le revenu des personnes physiques est diminué de 15%.

Art. 2

Cette diminution prend effet à compter du 1er janvier 1998 pour les personnes dont le revenu annuel imposable est inférieur à 80 000 F, le 1er janvier 1999 pour les personnes dont le revenu imposable est compris entre 80 000 F et 250 000 F, et le 1er janvier 2000 pour les personnes dont le revenu imposable est supérieur.

*

* *

Démarche de la commission et auditions

Malgré quelques réserves émises par les représentants du parti socialiste pour traiter de la fiscalité des personnes physiques, la commission a décidé, sous l'impulsion des commissaires de l'entente, de prendre en considération, de front, les projets de loi et motion ayant trait à la fiscalité des personnes morales et des personnes physiques.

C'est ainsi qu'une liste de questions a été élaborée d'un commun accord et adressée aux personnalités prévues pour les auditions. La teneur du questionnaire (annexe 3) reflète la volonté d'établir les liens prévisibles entre la charge fiscale, l'équilibre des finances, la promotion économique et l'emploi.

Résumé chronologique des auditions

14 janvier 1997: M. Robert Kuster, délégué à la promotion économique

M. Kuster traite des questions relevant de la concurrence et de la promotion économique du canton, le domaine des finances publiques et de l'économie appliquée n'étant pas de sa compétence.

Il relève que: l'implantation d'entreprises répond d'abord à des critères propres à elle-même, que la fiscalité des personnes physiques vient en second lieu mais que, si elle est dissuasive, elle devient un critère de choix d'une certaine importance.

Une fois l'entreprise installée, les cadres choisissent parfois leur domicile dans le canton de Vaud, parfois à Genève, le critère prioritaire étant le logement.

21 janvier 1997: Professeur Jean-Christian Lambelet et M. Jean-Marc Natal, Institut CREA.

Il apparaît que Genève est le champion suisse de la progressivité de l'impôt, notamment vis-à-vis du canton de Vaud. Le taux marginal augmente fortement avec le revenu et influence de façon prépondérante le comportement des ménages et la performance économique: lorsque l'impôt est progressif, l'investissement apparaît comme un risque, un pari. Un taux marginal élevé encourage «l'aversion au risque». Le canton de Genève perd de sa substance par le biais de la fiscalité qu'il faudrait réaménager. La fragilité de la base fiscale genevoise est extrêmement préoccupante: 10% des contribuables paient environ 65% des impôts.

En ce qui concerne les effets d'une baisse de 15% sur les personnes physiques, le professeur Lambelet craint que les agents économiques (les ménages) consacrent l'argent à l'épargne plutôt qu'à la consommation.

Enfin, il confirme que la tendance à se déplacer se fait en fonction de la différence des taux marginaux entre Vaud et Genève. Au vu de la différence importante, l'«exode» vers le canton de Vaud (environ 1 000 départs par année) devrait être plus important. La qualité du système scolaire genevois pourrait être un facteur modérateur, mais les départs sur Vaud ne doivent pas être minimisés.

28 janvier 1997: M. Olivier Vodoz, président du département des finances

Jusqu'à un certain niveau de revenu, la fiscalité genevoise est la plus sociale de Suisse. Puis elle s'élève rapidement avant d'aboutir à un plafonnement.

Genève a la fiscalité moyenne et moyenne-élevée la plus lourde de Suisse et les ménages sont fortement imposés du fait de la progressivité des taux, aggravé par le cumul des revenus.

Il convient d'analyser la fiscalité et le taux d'imposition en regard des prestations offertes par l'Etat. Il faut notamment tenir compte de l'exonération des fonctionnaires internationaux, de l'Aéroport, du niveau salarial, des prestations sociales qui sont les plus généreuses de Suisse. Le président du département doute des effets de l'abaissement fiscal sur la relance et pense que les individus auront plutôt tendance à épargner.

L'objectif du gouvernement est le redressement des finances du canton.

Une baisse d'impôts provoquerait une diminution des recettes fiscales et aurait pour conséquence de couler le canton dans le déficit (actuellement Genève a une dette de fonctionnement de 2 900 millions de francs) et de diminuer les prestations offertes par l'Etat.

Préoccupé par la question des effets migratoires vers les cantons de Vaud, du Valais ou à l'étranger, le président souligne que la fiscalité n'est pas le seul paramètre incitant les individus à partir, l'habitat et le coût de la construction jouant également un rôle. En outre, une solution commune serait dans l'intérêt des cantons de Genève et Vaud, ce qui justifie les interventions de M. Vodoz auprès de son homologue vaudois.

Par ailleurs, la répartition de la manne entre la commune de domicile et celle du lieu de travail serait une piste à explorer.

4 février 1997: MM. Jacques Perrot et Carl Heggli, Chambre fiduciaire

Le départ des catégories relativement aisées en direction des cantons voisins est plus aigu à Genève qu'ailleurs. Un article dans l'AGEFI (juillet 1996) relève que les entreprises procèdent à des comparaisons et qu'à assiette fiscale identique, la modification des taux a des répercussions sur le choix du site d'implantation. Toutefois, la stabilité du pays et la paix du travail sont aussi des facteurs clés. Le canton de Genève doit rester prudent, la mobilité des personnes, l'informatique, le développement économique rendant problématique le fait que Genève a une fiscalité plus élevée que le canton de Vaud. Une baisse de la fiscalité n'entraînerait toutefois pas de façon certaine une augmentation de la consommation dans notre canton.

4 février 1997: Mme Myriam Nicolazzi et MM. Roland Etienne et Yvon de Coulon, Chambre fiduciaire

En ce qui concerne le choix du site d'implantation, les questions importantes portent sur la fiscalité des personnes morales, les coûts sociaux et l'accessibilité de permis de travail. Sur cette base, la Suisse est souvent retenue. Puis une analyse plus approfondie porte sur les conditions-cadres et la fiscalité des personnes physiques. Les sociétés qui s'implantent à Genève font venir leurs cadres. La fiscalité des personnes physiques a donc une grande importance.

Bon nombre de multinationales «équalisent» leurs employés, c'est-à-dire qu'elles prennent en charge le surplus de charge fiscale de l'employé par rapport à son «lieu de base».

Un des incitateurs indispensable au maintien des entreprises à Genève est le maintien de leurs propriétaires, de leurs animateurs, de leurs cadres. Une réduction généralisée et marquée des impôts des personnes physiques représente un outil sérieux permettant de consolider l'activité économique à Genève. Une baisse de moins de 10% n'aurait pas l'impact psychologique attendu et pas véritablement d'effet sensible sur le moteur économique.

18 février 1997: Mme Gabrielle Antille, Laboratoire d'économie appliquée

L'approche est de nature plutôt macroéconomique. En ce qui concerne les individus qui partent pour s'établir dans la région limitrophe, 7% invoquent des raisons économiques. La raison principale semble être, en réalité, le logement.

Si le projet de loi 7498 était appliqué, il faudrait une diminution équivalente des dépenses, en veillant à ne pas toucher aux dépenses d'investissement. Selon le livre du professeur Weber, ancien recteur de l'université de Genève, une augmentation des dépenses publiques entraîne un accroissement du revenu cantonal supérieur à une diminution de même importance des impôts.

Même si la mesure prévue par ce projet de loi paraît neutre au niveau du budget, elle se répercutera dans les faits par une diminution du revenu cantonal et l'effet de relance économique ne se produira pas dans la situation actuelle.

Pour stimuler les individus à consommer plutôt qu'à épargner, il faudrait par ailleurs, dans l'hypothèse d'une baisse de la fiscalité, appliquer une diminution fixe et non pas proportionnelle au revenu.

25 février 199: MM. Charles Beer, Bernard Mathey et Jacques Robert,CGAS

Le phénomène de l'accroissement des inégalités inquiète les représentants de la CGAS. En effet, 27% des ménages se partagent un revenu total de 2 milliards de francs, alors que 1,6% des ménages se partagent un revenu de 2,2 milliards de francs. La fiscalité genevoise est plus élevée que la fiscalité moyenne suisse, mais elle est le fruit d'un choix de redistribution fait par le canton. La redistribution a un coût mais également des avantages, à savoir un climat social propice à un développement économique du canton.

Selon la publication de l'OCDE (décembre 1996) sur les «Perspectives économiques», le développement se crée de façon plus harmonieuse et plus durable dans un pays égalitaire. La volonté de diminuer les impôts au nom de la concurrence fiscale entre les cantons et au nom de la mondialisation entraîne le démantèlement social et ne privilégie que le court terme. La CGAS est opposée à l'économie de l'offre. Selon l'AGEFI, la fiscalité se situe en 4e place des critères retenus par les entreprises.

Les allégements fiscaux devraient être accordés de façon ponctuelle afin d'éviter le tourisme fiscal et la surenchère fiscale. Le projet de loi 7498 ferait subir une moins-value fiscale qui avantagerait les hauts revenus et aggraverait les inégalités. Par ailleurs, il n'a pu être prouvé que la fiscalité était le facteur qui provoquait l'exode en direction du canton de Vaud.

25 février 1997: M. Gérard Beran et Charles Bonvin, CCIG

Les problèmes fiscaux sont particulièrement préoccupants depuis la fin des années 80. Genève perd de son attractivité sur le plan fiscal. Entreprises et personnes physiques ne s'établissent pas dans le canton et tendent à le quitter. Il faut limiter l'augmentation de la fiscalité: c'est un des facteurs de relance parmi d'autres (politique monétaire, augmentation des investissements publics dans les domaines de la formation et la recherche…). Le manifeste des 23 signale que, pour que les encouragements fiscaux aient des effets positifs sur l'économie, il est nécessaire que les moyens supplémentaires qu'ils procurent au contribuable soient dépensés ou investis en Suisse, qu'ils améliorent la confiance, qu'ils contribuent à résoudre les problèmes structurels. Le projet de loi 7498 offrirait à Genève un attrait fiscal qui attirerait les entreprises à Genève en n'imposant pas trop lourdement leurs cadres. La réduction de l'impôt doit être significative afin d'être perceptible par le contribuable.

4 mars 1997: M. Andreas November

Bien qu'il n'y ait pas d'incompatibilité entre le fait d'être membre de la commission d'évaluation des politiques publiques et d'être auditionné, M. November, pour éviter toute ambiguïté, ne se prononce pas sur le projet de loi 7498, la commission étant actuellement à l'examen de l'égalité de traitement entre les contribuables.

11 mars 1997: Professeur Yves Fluckiger, Laboratoire d'économie appliquée

L'augmentation de revenu disponible des ménages consécutive à une baisse de la pression fiscale augmente la consommation. En principe, les deux éléments sont liés, mais depuis 1991, les ménages reportent plutôt leur revenu disponible sur l'épargne ou/et la consommation en France voisine. Si la baisse de la fiscalité se présentait sous forme d'une diminution de 15% de l'impôt sur le revenu, elle réduirait la progressivité du système fiscal genevois et serait, d'un point de vue conjoncturel, défavorable à l'économie. Il faut privilégier une politique active par le biais des dépenses publiques plutôt que par la fiscalité: une diminution des recettes fiscales réduirait durablement la taille du secteur public. Par contre, une augmentation des dépenses publiques provoquerait une augmentation temporaire de la taille du secteur public, ce qui tendrait à relancer le climat de confiance... Le projet de loi 7498 provoquerait une augmentation substantielle du déficit des comptes de fonctionnement.

Par ailleurs, la fiscalité est en réalité la conséquence de la recherche de grands espaces et non une cause d'«émigration». Il est illusoire de vouloir attirer des individus par la fiscalité sans associer cette mesure à une politique d'urbanisme. Il serait préférable de revoir la péréquation financière fédérale et cantonale au lieu de faire de la surenchère fiscale.

11 mars 1997: M. Jean-Paul Aeschimann, Etude Lenz et Staehelin

Il y a un mouvement général dans les pays qui nous entourent, y compris dans ceux qui poursuivent une politique égalitariste, de diminuer les impôts: Grande-Bretagne, Nouvelle-Zélande, France, Inde. Sur le plan genevois, le taux maximum de l'impôt sur le revenu est facilement atteint dans les professions libérales. La situation est aggravée par la combinaison de l'impôt sur la fortune. Ces taux prohibitifs ne supportent pas la comparaison internationale et provoquent l'émigration des contribuables genevois. Ils se dirigent en particulier vers la Grande-Bretagne.

La fiscalité des dirigeants de sociétés influence par ailleurs la décision d'implantation et de départ des sociétés.

Discussion de la commission et propositions d'amendements

L'étude comparative de la fiscalité genevoise par rapport aux autres cantons suisses montre à l'évidence que l'imposition des personnes physiques est la plus lourde de Suisse pour les revenus dépassant 60 000 F. Par contre, au niveau des personnes morales, nous nous trouvons aux alentours de la moyenne helvétique.

Les auditions des experts travaillant dans les chambres fiduciaires internationales sont à cet égard tout à fait démonstratrices, elles ont clairement démontré que le problème principal de Genève pour accueillir de nouveaux résidents ressort de la fiscalité des personnes physiques.

Il est capital de maintenir un équilibre entre l'activité économique du canton, sa population résidente et la fiscalité, si l'on veut, à terme, préserver l'avenir de Genève.

C'est en particulier pour cette raison qu'il a été choisi de s'attacher en priorité à cette problématique qui touche bien évidemment une grande partie de la population genevoise (personnes physiques de condition salariée et rentière), mais aussi toutes les entreprises exploitées sous la forme d'une raison individuelle, de même que l'ensemble des personnes exerçant des professions libérales. C'est dire que nombre de PME sont concernées et désavantagées par rapport aux entreprises concurrentes qui exerceraient dans d'autres cantons suisses et en particulier dans le canton de Vaud voisin.

Comme les auditions l'ont démontré, les avis sur une augmentation de la consommation par le biais d'une diminution fiscale sont partagés, et peu d'experts osent s'aventurer sur le terrain d'une corrélation et du modèle économétrique qui permettraient de l'expliquer.

Par contre, le bon sens ne peut nier le fait qu'une grande partie des quelque 245 millions de francs qui ne seraient pas versés dans les caisses de l'Etat iraient alimenter le circuit économique genevois, en particulier pour la partie qui ne correspond pas à une épargne supplémentaire. Dès lors, les différents arguments développés lors de ces auditions ont clairement démontré que le chemin proposé par les auteurs du projet de loi était légitime et qu'il s'agissait de le poursuivre tout en amenant un certain nombre d'améliorations par le biais d'amendements, qui sont les suivants :

a)  Fiscalité communale

Il est apparu que le principe de l'autonomie communale est un élément essentiel de notre fonctionnement institutionnel et démocratique. Il s'agit, dès lors, de laisser aux communes la liberté d'adapter leur fiscalité aux situations particulières que chacune peut connaître. Il serait donc anormal de leur imposer une diminution de la fiscalité alors même qu'elles ont des corps constitués pouvant agir sur ce levier. C'est pour cette raison essentielle que la majorité de la commission a voté un amendement à l'article 1 qui permet d'agir sur la fiscalité cantonale à l'exclusion de la fiscalité communale par le biais des centimes additionnels cantonaux.

b)  Compatibilité avec le redressement des finances cantonales

Lors du dépôt du projet de loi initial, le projet de budget 1997 n'était pas connu des auteurs dudit projet. Or, il s'agit de rappeler que celui-ci a montré pour la première fois un écart significatif par rapport au plan de redressement prévu par le Conseil d'Etat, puis voté par le Grand Conseil et finalement par le peuple. Les auteurs du projet de loi ont, dès lors, estimé qu'il était important de modifier le projet initial afin que cette diminution fiscale se déroule sur une durée plus importante que celle prévue initialement et s'articule grâce à un mécanisme prenant en considération les résultats du compte de fonctionnement. C'est pour cela qu'une majorité de la commission a voté l'amendement de l'article 2 qui concrétise cette volonté de baisse de la fiscalité tout en respectant des échéances déterminées par le rythme de redressement de nos finances cantonales.

c)  Quel taux ?

Les députés démocrates-chrétiens ont proposé que la baisse ne soit pas comme prévue initialement de 15%, mais de 12% avec une articulation en trois tranches, soit 5% dès le 1er janvier 1999, puis 4% et 3% lors des tranches suivantes. Une majorité de la commission a accepté cet amendement pour démontrer leur volonté de proposer une baisse réaliste et une fois de plus compatible avec le redressement de nos finances. Ce taux global de 12% permettrait à notre fiscalité de se rapprocher de manière significative de la fiscalité vaudoise, et en particulier de celle de la commune de Lausanne.

Le projet de loi amendé a donc la teneur suivante :

Article 1

L'impôt direct sur le revenu des personnes physiques, à l'exception des centimes additionnels communaux, est diminué de 12%.

Art. 2

Cette diminution prend effet, pour une première tranche de 5% de l'impôt, dès le 1er janvier 1999.

Pour une deuxième tranche de 4%, dès l'exercice budgétaire suivant celui où les comptes de l'Etat se seront soldés par un déficit, après amortissement, inférieur à 3% du compte de fonctionnement, mais au plus tard dès le 1er janvier 2003.

Pour une troisième tranche de 3%, dès l'exercice budgétaire suivant celui où les comptes de l'Etat se seront soldés, après amortissement, par un résultat équilibré, mais au plus tard dès le1er janvier 2005.

Concernant l'application de l'article 1 amendé, une discussion d'ordre technique s'est tenue entre le département et la commission.

La taxation cantonale comporte: l'impôt de base, les centimes additionnels cantonaux et les centimes additionnels communaux.

Si la modification de taux portait sur l'impôt de base, cela aurait une incidence sur les centimes additionnels communaux, le montant de ceux-ci étant fonction de l'impôt cantonal de base sur le revenu et la fortune.

La meilleure solution consiste alors à modifier le montant des centimes additionnels cantonaux permettant d'atteindre une baisse d'impôts de 12%, l'impôt de base et les centimes additionnels communaux restant, quant à eux, inchangés.

Une étude simulative (annexe 4) basée sur la taxation 1996 permet d'évaluer que les centimes additionnels cantonaux passeraient

de 48,5 à 41,075 pour la 1re tranche de réduction (5% )

de 41,075 à 35,135 pour la 2e tranche de réduction (4% )

de 31,135 à 30,68 pour la 3e tranche de réduction (3% )

Cela impliquerait une diminution des recettes fiscales

de 84 millions  pour la 1re tranche,

de 152 millions ( 84 + 68 ) pour la 2e tranche et

de 202 millions ( 84 + 68 + 50 ) dès la 3e tranche.

S'ajouterait une diminution de l'ordre de 42 millions de francs ( 18 + 14 + 10 ) concernant l'impôt à la source.

Soit au total une estimation de 245 millions de francs qui ne tient évidemment pas compte de l'effet de compensation escompté par la baisse de la pression fiscale.

Conclusion et vote

La lecture des comptes rendus d'audition laisse apparaître des avis nuancés, que l'on peut résumer ainsi :

- unanimité sur le constat d'une fiscalité excessive et dissuasive sur les personnes physiques;

- avis contraires quant aux effets de la baisse de la fiscalité sur la relance de la consommation et de l'économie;

- avis communs sur la nécessité de compléter les mesures fiscales par un réaménagement de l'habitat.

Souvent, les avis des personnalités «académiques» se sont opposés à ceux des «praticiens» lors de la réponse au questionnaire.

Tout au long des séances de travail et lors de la discussion finale, les commissaires de l'Alliance de gauche, du parti socialiste et du parti des Verts ont montré leur désapprobation vis-à-vis du projet dans sa teneur initiale comme dans la version amendée.

Les représentants du parti radical ont émis diverses réserves notamment sur le montant de la baisse fiscale.

Les représentants du parti démocrate-chrétien ont proposé de ramener le taux de réduction de 15 à 12%.

Interrogés sur la façon dont ils entendaient compenser la perte fiscale, les libéraux ont essentiellement évoqué :

- la réorganisation de l'Etat en fonction de l'audit d'Arthur Andersen;

- l'élimination des doublons entre le canton et les communes;

- la diminution des coûts administratifs liés aux dépenses sociales;

- à plus long terme (2e et 3e tranche), l'augmentation de l'assiette fiscale liée aux retombées du projet de loi.

Soumis au vote final, le projet de loi 7498 amendé a été adopté par 7 oui (5 L, 2 PDC), 6 non (3 ADG, 2 S, 1 Ve) et 2 abstentions (2 R).

PROJET DE LOI

relatif à la diminution de l'impôt sur le revenu des personnes physiques

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

L'impôt direct sur le revenu des personnes physiques, à l'exception des centimes additionnels communaux, est diminué de 12%.

Art. 2

Cette diminution prend effet, pour une première tranche de 5% de l'impôt, dès le 1er janvier 1999.

Pour une deuxième tranche de 4%, dès l'exercice budgétaire suivant celui où les comptes de l'Etat se seront soldés par un déficit, après amortissement, inférieur à 3% du compte de fonctionnement, mais au plus tard dès le 1er janvier 2003.

Pour une troisième tranche de 3%, dès l'exercice budgétaire suivant celui où les comptes de l'Etat se seront soldés, après amortissement, par un résultat équilibré, mais au plus tard dès le 1er janvier 2005.

ANNEXE 1

ANNEXE 2

ANNEXE 3

19

ANNEXE 4

RAPPORT DE LA PREMIÈRE MINORITÉ(ALLIANCE DE GAUCHE)

Rapporteur: M. Matthias Butikofer.

La proposition libérale: baisser le taux fiscal cantonal pendant une période préélectorale, frôle le cynisme politique. En effet, elle surgit dans un moment où les caisses publiques affichent un déficit, avoisinant les 500   millions de francs. La perte échelonnée de ces recettes fiscales doublerait, en quelques années seulement, le déficit budgétaire actuel.

La proposition libérale, qui veut démanteler l'infrastructure étatique, survient dans un moment de restructuration de l'appareil économique privé et qui provoque une dérégulation sans précédant du marché de l'emploi. Genève a perdu entre 1990 et 1996 environ 36 000 postes de travail à plein temps. Actuellement, on compte environ 20 800 chômeurs. Le chômage de longue durée frappe particulièrement les jeunes gens et les personnes entre 50 et 60 ans. Parmi ces chômeurs, nombreux sont contraints de faire appel au RMCAS (1 050 F par mois + le loyer + l'assurance-maladie de base). Les conséquences de cette précarisation de l'emploi ainsi que de cette pression sur les salaires provoquèrent pendant cette même période une contraction du revenu cantonal de 10,6%. Ces quelques chiffres illustrent que l'actuel mode de production capitaliste est loin de satisfaire les besoins d'une large couche sociale.

Dans un pareil contexte, des interventions compensatoires de l'Etat, par le biais d'une politique de redistribution, seraient en principe particulièrement souhaitables. Les libéraux, par leur projet de loi 7498, ne semblent cependant guère s'intéresser au maintien des rudiments d'un Etat social tel qu'il fut créé durant la période de l'après-guerre. L'adoption de cette intervention musclée aurait pour conséquence immédiate la réduction spectaculaire de la marge de manoeuvre de l'Etat en matière d'une politique de redistribution, synonyme de justice sociale. Des mesures restrictives au niveau du traitement de la fonction publique, ou au niveau de la politique sociale, ou encore au niveau des subventions allouées s'imposeraient désormais sans «marchandages» parlementaires à cause du fait accompli budgétaire.

Est-il vrai que la fiscalité genevoise est exorbitante par rapport à d'autres pays étrangers ou par rapport à d'autres cantons, comme les signataires du projet de loi 7498 ne cessent de le souligner? En ce qui concerne les pays étrangers, le tableau ci-dessous tient compte de toutes les charges fiscales, notamment les impôts sur le revenu, la TVA et les cotisations sociales perçues sur le salaire, etc. Les indications démontrent, en outre, que la fiscalité suisse pour les personnes physiques demeure faible comparée à d'autres pays européens.

Pays

En pour-cent du PIB

Allemagne

39,20

Belgique

46,89

France

44,20

Irlande

37,45

Italie

46,26

Pays-Bas

46,40

Royaume-Uni

34,09

Suisse

33,75

Source: «Comparaisons internationales», juillet 1996, page 55.

Comme vous pouvez le constater, la Suisse figure en queue du peloton. Il ressort clairement que la ponction fiscale genevoise, même si celle-ci se situe légèrement au-dessus de la moyenne suisse, demeure extrêmement «attractive» par rapport à la pratique étrangère. (Il n'est pas inutile de souligner que la Suisse figure également en queue du peloton, avec des écarts encore plus manifestes, quand on fait la comparaison avec l'imposition des personnes morales.)

Il faut noter que la période de vaches grasses était en Suisse, comparée à la plupart des pays européens, particulièrement longue et intensive. Les dépenses relativement faibles pendant cette période de haute conjoncture pour la politique sociale en Suisse expliquent en partie cette faible ponction fiscale. La proposition libérale de baisser les impôts apparaît dans cette optique d'autant plus brutale puisqu'on constate que la problématique sociale a revêtu la même tendance que les pays européens.

Il est vrai, cependant, que la moyenne fiscale genevoise, se situe légèrement au-dessus de la moyenne suisse (+8,5%). Un facteur important expliquant ce phénomène résulte du fait que Genève, contrairement à beaucoup d'autres cantons suisses dont le canton de Vaud, est une «Ville-Etat». Son tissu social est profondément urbain. On n'y trouve guère la couche sociale agricole dont l'interdépendance sociale est marquée par des liens familiaux du type patriarcal. La configuration spécifique de notre canton, avec une large couche de salariés et d'employés qui n'ont rien à vendre que leur force de travail, poussa les milieux politiques à créer des rudiments de ce qu'on pourrait appeler un «Etat social». Nous ne racontons rien de nouveau si nous affirmons que la fiscalité constitue en quelque sorte la plaque tournante de ce choix: d'une justice sociale par une politique de redistribution des richesses. Les avantages d'une politique sociale digne, dans un tissu social urbain, furent à juste titre récemment mis en évidence par les signataires radicaux du projet de loi 7537. Ils révèlent, que la paix du travail, la sécurité, la qualité de vie et de l'environnement, etc., sont, quant à la détermination de l'attractivité d'une place économique, des atouts considérables. De ce fait, nous pouvons en déduire que:

- l'atténuation des clivages sociaux, par l'option d'une politique de redistribution des richesses, demeure indéniablement un facteur de croissance économique;

- l'atténuation des inégalités contribue à enrayer un processus de paupérisation et, par là, à rabaisser le taux de criminalité;

- une politique de redistribution permet également le maintien d'une diffusion de masse des savoirs. Une éducation élevée constitue - outre le fait d'être un facteur d'intégration sociale - un atout économique redoutable;

Pour souligner ce rapport étroit entre la justice sociale et la croissance économique, il convient de relever que la majorité des intervenants invités à s'exprimer devant la commission fiscale a également remarqué que l'évaluation des axes d'excellence de l'attractivité d'une place économique dépendent avant tout:

- du niveau de qualification des habitants de Genève;

- de la paix sociale;

- de la stabilité politique;

- des moyens de transport.

Pour ce qui est d'une fiscalité basse, ce facteur ne figure qu'en cinquième ou sixième place. Cette échelle hiérarchique est confirmée quasiment cinq sur cinq par une recherche parue dans le «World Competitiveness Yearbook»:1996, chap. 26).

De ce point de vue, il est évident que la multiplication des freins limitant la démocratisation de l'accès à la formation, par exemple la privatisation de certaines institutions chargées de diffuser les connaissances, avec en parallèle l'appauvrissement de larges couches sociales dû aux restrictions au niveau de la politique sociale, conduirait à la fois à l'abrutissement du niveau culturel genevois, à une diminution du degré de participation à la vie politique et à la création de groupes marginaux, dont l'économie psychique est guidée par le désespoir et par un esprit de débrouillardise.

Pour baisser la charge fiscale genevoise, les libéraux mettent avant tout en évidence la comparaison entre la fiscalité vaudoise et genevoise. Il s'avère effectivement que la pression fiscale vaudoise, pour les moyens et hauts revenus, est légèrement plus faible. Cela amène les libéraux à parler d'un exode vers le canton de Vaud des cadres travaillant à Genève et qui néanmoins ont élu leur résidence officielle dans le canton de Vaud. Le manque de chiffres rend difficile la vérification de cette «hystérie» libérale autour de la «générosité» fiscale vaudoise. Les études entreprises à ce sujet par l'office cantonal de la statistique démontrent autre chose: sur les 8 024  personnes ayant quitté le canton en 1990, seulement 20% se sont installées dans des régions limitrophes. Seul un nombre très restreint de d'immigrants invoquent des raisons fiscales.

En fait, la principale raison de ces départs s'explique par la pénurie de logements qui sévissait à Genève durant les années 80 et début des années 90. A cela s'ajoute que beaucoup de cadres genevois se sont orientés vers des régions campagnardes vaudoises, pour y réaliser leur rêve d'acquérir une maison. «L'exode» en direction des lieux vaudois, pour réaliser un gain fiscal de quelques milliers de francs par an, semble d'autant plus invraisemblable, quand on se rend compte que :

- le temps de déplacement se prolonge journellement d'une heure au minimum;

- le coût du déplacement compromet considérablement le gain fiscal;

- le déchirement entre le lieu de travail et le lieu de résidence - même si notre cadre fugitif est un solide homme de famille - n'est guère un avantage social.

Les libéraux tentent, avec l'argument de l'exode des contribuables, d'exploiter un handicap criant de la fiscalité suisse, son caractère non centralisé. Leur unique but consiste à machiner une concurrence à outrance entre les divers taux d'impositions des cantons. C'est une «histoire de fous», parce que cette offensive contre la perception fiscale cantonale ne se calme, dans le sens logique du terme, que lorsque l'imposition zéro est atteinte.

Selon leur exposé des motifs, les libéraux espèrent en outre qu'une diminution des impôts libérerait une certaine somme pour la consommation et qu'un volume renforcé de la demande donnerait alors un coup d'accélérateur à l'appareil économique. De façon générale, nous répondons tout d'abord que l'argent perçu par le biais de la fiscalité ne «disparaît» pas et qu'il est encore moins thésaurisé. L'Etat peut l'investir, pour autant qu'il reste propriétaire des 360 millions de francs que les libéraux voudraient lui soustraire par étape, dans le cadre d'une manière planifiée des procédures démocratiques. En revanche, si l'argent reste dans les mains des égoïsmes particuliers, les dépenses se feraient de manière beaucoup plus imprévisibles.

Dans le deuxième cas, il n'est d'ailleurs, de loin, pas sûr que l'argent ainsi libéré, affecterait la consommation. Nous verrons plus loin que ce sont essentiellement les revenus élevés qui profiteraient de cette réforme fiscale. Le surplus en argent de cette catégorie irait sans doute vers l'épargne, parce que la tendance des individus pendant cette période de dérégulation du marché de l'emploi tend à freiner la consommation et à économiser un maximum. Vouloir retirer à l'Etat des ressources importantes accélérait donc le processus amorcé de chute de la demande.

A qui profite la diminution fiscale ?

Un premier abord superficiel pourrait faire croire que la diminution de l'impôt sur le revenu des personnes physiques profiterait de façon «heureuse» à tous les contribuables genevois. Pour réfuter ces présuppositions fallacieuses, nous mettons en exergue, dans le tableau suivant, cinq catégories de revenus, imposés selon l'article 32B de la loi sur les contributions publiques et ayant à charge deux enfants mineurs:

Revenu

Déductions fiscalese

Revenu imposable

ICC

12% d'économies en 2005

50 000

42 500

7 500

534

64,10

60 000

44 500

15 500

1 846

221,50

70 000

45 500

24 500

3 988

478,60

120 000

50 500

69 500

17 224

2066,90

200 000

58 500

141 500

40 350

4842     

Nous avons choisi surtout les segments des salaires des ménages, dont les revenus gravitent entre 50 000 et 70 000 F., parce qu'ils reflètent la réalité économique d'une couche sociale genevoise très vasteo. Dans ce tableau, il ressort que ladite catégorie profiterait grosso modo d'un allégement fiscal d'un montant annuel allant de 60 à 500 F annuel ! Il suffirait donc que, par exemple, la loi sur les allocations logement soit encore une fois rigidifiée, ou que les taxes d'écolages augmentent (crèches, écoles, université), pour se rendre compte que ces segments sociaux (64,7% des ménages genevoises) sont les grands perdants.

A cela s'ajoute que la refonte générale de la loi sur l'imposition des personnes physiques (PL 7532) prévoit ni plus ni moins la suppression de la déduction sur la rente AVS-AI. Jusqu'à présent, environ deux tiers des 65 000 bénéficiaires de la rente AVS ou AI pouvaient faire valoir cette déduction allant, en 1997, de 2 328 F à 11 640 F (pour rente simple) et de 3 492 F à 17 460 F (rente de couple). D'ici peu, cette catégorie sociale (env. 16% des habitants de Genève) subira une augmentation fiscale sans précédent.

Ces quelques réflexions assez sommaires démontrent que le projet de loi libérale ne fait profiter en aucun cas, et de loin, toutes les catégories sociales. Pour les perdants, le revers de la médaille devient assez manifeste lorsqu'on établit le lien entre les recettes fiscales, d'une part, et la politique actuelle de redistribution en matière d'aide sociale, d'autre part. Mais jusqu'à présent, les signataires libéraux se sont bien gardés de nous expliquer dans le détail sur le dos de qui ils pensent pallier les pertes de recettes. Il est pourtant évident que les prestations ciblées de l'Etat subiraient à tous les niveaux des restrictions retentissantes. A ce stade, il est difficile d'évaluer le déroulement exact de ces restrictions et de même pour ce qui concerne la réaction de la population. Il est cependant certain que les mesures proposées par les libéraux conduiraient à une politique de nouvelles restrictions au sein de la fonction publique et, par là, contribueraient à la montée du taux cantonal de chômage. Il est certain également que les premiers perdants seraient les nombreuses familles genevoises, ainsi que les personnes vivant seules, dont le revenu est faible. Il suffirait de leur couper une partie de l'aide sociale pour que ces prétendus «avantages fiscaux» se retournent contre eux.

Les profiteurs de la nouvelle répartition des charges fiscales seraient une catégorie sociale qui arriverait à réaliser une économie fiscale à partir de 2 500 F environ. Malgré les augmentations prévisibles des frais et des taxes, on peut, bel et bien, supposer que les segments de revenuso à partir de 150 000 F réaliseraient un bénéfice sur leur budget privé.

Quelques remarques sur les alliés historiques et contemporainsde la politique fiscale libérale

Vues sous un angle diachrone, les tentatives néolibérales ressemblent fortement à celles proclamées par la formation de l'Union de défense économique. Ce parti fut créé en 1923 par une poignée d'hommes d'affaires, membres dissidents du parti libéral. Ce parti était en quelque sorte le bras prolongé politique de la Chambre de commerce. La «femme de ménage» de l'idée UDE consistait à vouloir rétablir les finances publiques:

- en refusant un maximum de prestations étatiques;

- en refusant tout intermédiaire entre le pouvoir public et l'économie privée;

- et en préconisant la réduction de la ponction fiscale genevoise (!).

Par cette pression politique agressive, la députation de l'UDE a contribué largement au déchirement du corps social genevois dont l'apogée visible fut les événements des années 30. Les idées de forces de l'UDE relevèrent d'une politique d'extrême-droite économique. Ces visions politiques de l'UDE trouvèrent son complément par son approche au mouvement d'une extrême droite culturelle de Georges Oltramare et son groupuscule fasciste qui se regroupa autour du journal «Le Pilori».

Vu sous un angle «synchrone», nous constatons qu'en France les projets de diminution fiscale, avec la démolition simultanée de la sécurité sociale sous l'égide du Premier ministre Juppé, furent brisés par la résistance populaire. Depuis, la tendance a tourné et le taux fiscal - en l'occurrence pour les personnes morales - est revu à la hausse. En Allemagne, les projets gouvernementaux visant à baisser les impôts pour les personnes physiques et morales se heurtèrent à la première chambre du parlement, le Bundestag. Par contre, en Suisse, sous l'instigation de l'UDC, le parlement zurichois, dans le cadre de l'harmonisation fiscale, a voté récemment une série de lois visant à diminuer l'imposition des personnes physiques. A Genève, c'est le parti libéral qui, désormais, semble vouloir occuper le terrain politique que le parti blochérien occupe à Zurich. Avec un brin de retard, le parti libéral essaie de calquer ses projets de loi sur son homologue zurichois, qui vise toujours au démantèlement de l'Etat en préconisant la diminution des prestations allouées aux défavorisés et en préconisant la privatisation des secteurs étatiques. Le parti libéral va même jusqu'à employer des métaphores chères à Blocher. Par exemple: dans son exposé des motifs il va jusqu'à comparer la perception fiscale avec des mesures confiscatoires !

Il faut reconnaître que l'argumentation libérale demeure dans l'ensemble plus élégante que celle de l'UDC ou de celle du comité Halte aux déficits. En ce qui concerne le contenu politique, on ne voit cependant plus guère de différences particulières. L'avenir nous montrera si la stratégie de défendre leur politique «avec le chien du voisin» demeure une liaison purement électorale ou bien si ce lien harmonieux se poursuit et se resserre.

Conclusions

Genève a un niveau culturel très élevé. La solidarité entre les générations semble rester intacte. Le degré d'intégration de sa population paraît enviable comparé à d'autres cantons suisses et pays étrangers. Le niveau d'éducation élevé de sa population est devenu possible grâce à l'agent de socialisation principal, à savoir les institutions étatiques, d'une part, et, d'autre part, grâce à une politique sociale qui évite l'isolement et l'exclusion de ses membres les plus fragiles.

L'Alliance de gauche refuse catégoriquement toute baisse fiscale. Nous ne serons jamais les alliés d'une politique qui met plus en péril qu'ils ne le sont déjà les acquis sociaux prudemment créés durant quatre décennies. Le projet libéral sous-tend une diminution du rôle de l'Etat. La quasi-rupture d'une politique de redistribution contribuerait en très peu de temps à la croissance des inégalités et, par conséquent, à la destruction, petit à petit, d'une configuration sociale avantageuse, qui est une des caractéristiques de ce canton.

Afin de remédier au déficit budgétaire, l'Alliance de gauche est, entre autres, favorable à:

- Se pencher vers le côté recettes, en taxant par exemple les transactions financières (M 1100).

- Parer à la fraude fiscale, laquelle constitue dans la plupart des pays qui nous entourent un délit pénal grave. En Suisse et à Genève, il n'en est rien. Comme revendication minimum, nous avons demandé pendant toute cette législature l'augmentation de l'effectif des contrôleurs fiscaux. Nos requêtes furent narguées, bien qu'il soit largement prouvé que cela augmenterait les recettes publiques.

- Soutenir en principe les efforts pour harmoniser la fiscalité intercantonale. Nous déplorons cependant que le problème majeur, c'est-à-dire la disparité des barèmes, ne soit, corrigé. La concurrence fiscale fâcheuse pourrait être endiguée par des solutions politiques, c'est-à-dire par la répartition de la manne fiscale entre le canton de domicile et celui du lieu de travail.

Au vu de ce qui précède, nous vous proposons, Mesdames et Messieurs les député(e)s, le rejet de ce projet de loi.

Rapport de la deuxième minorité

Rapporteure: Mme Micheline Calmy-Rey.

«... des inégalités socio-économiques sont justes si et seulement si elles produisent, en compensation, des avantages pour chacun et, en particulier, pour les membres les plus désavantagés de la société.»

John Rawls, Théorie de la justice, page 41

Au moment de commencer la rédaction de ce rapport, j'entends encore résonner dans ma tête les propos de M. Michel Halpérin, auteur du projet 7498, affirmant en commission, je cite de mémoire: «Nous déposons ce projet parce que nous sommes convaincus de ses effets positifs en faveur de la relance économique et de l'emploi. Si les auditions devaient révéler que ce n'est pas le cas, nous sommes prêts à le retirer.»

Les auditions nous ont permis d'entendre MM. O. Vodoz, chef du département des finances, et R. Kuster, du service de la promotion économique de l'Etat, des économistes, tel-le-s Mme G. Antille, MM. Y. Flückiger, J. Ch. Lambelet, J. M. Natal, les représentants de la Communauté genevoise d'action syndicale, qui toutes et tous ont déclaré la mesure inadéquate en l'état des finances publiques et inefficace pour ce qui est de la relance économique.

Deux fiduciaires de la place et la Chambre fiduciaire sont venues s'exprimer en faveur du projet de loi, l'estimant opportun, car pouvant inciter leurs clients à s'installer ou à rester à Genève, mais nuançant leurs conclusions en précisant que, d'une façon générale, la fiscalité n'est pas le facteur clé qui incite les entreprises et les personnes à s'installer en un lieu plutôt qu'en un autre.

Les auditions n'ont donc manifestement pas permis de conclure au bien-fondé de cette loi considérée du point de vue de l'emploi et de la relance économique. Les libéraux n'ont quand même pas retiré leur projet. Ils ont, au contraire, poussé la majorité de la commission à en accélérer le traitement.

Vous comprendrez, Mesdames et Messieurs, que le dialogue en commission a pu se révéler fort difficile et qu'on puisse légitimement se poser la question de savoir ce qui a motivé les libéraux dans cette affaire. Ne souhaitant pas être désobligeante, je vous laisse le soin de vous prononcer. Je me contenterai de mettre en exergue les faits ci-après :

1. Le projet propose une réduction linéaire de 12% des impôts sur les revenus des personnes physiques, réduction en trois temps étalée de 1999 jusqu'en l'an 2005. Tel quel, il présente un avantage financier pour toutes les catégories de revenus. L'avantage est cependant plus important pour les hauts revenus : pour 43% des contribuables disposant d'un revenu imposable après déductions personnelles et pour charges de familles de moins de 30 000 F, l'économie d'impôt est en moyenne de 203 F par contribuable et par an alors que pour 0,9% des contribuables dont le revenu imposable après déductions est de plus de 300 000 F par an, l'économie se monte à 26 358 F en moyenne par contribuable et par an. En outre, les revenus les plus modestes ne sont pas concernés par ce projet puisque 50 000 d'entre eux se situent en dessous du seuil d'imposition.

2. Le projet diminue les recettes fiscales, y compris le produit de l'impôt à la source, de 234 millions de francs au total, de 100 millions de francs à court terme. Compte tenu du déficit de l'Etat (comptes 1996, 461 millions de francs), l'option des libéraux est de réduire les prestations pour compenser les pertes d'impôt. S'ils ont été clairs sur ce point, ils sont, par contre, restés d'une discrétion exemplaire sur les économies à réaliser, et on les comprend. Sachant que les révisions à la baisse dans les dépenses toucheront au premier chef des catégories de contribuables à faibles et moyens revenus, des petites et moyennes entreprises, tributaires du volume de commandes de l'Etat, ils n'ont pas voulu, en complétant leur projet par une liste de coupures dans les dépenses, diminuer en même temps l'attractivité de ce dernier.

3. Le projet est techniquement ambigu, pour ne pas dire mauvais:

- Dans son mécanisme d'application, il prévoit une première baisse de 5% en 1999 et deux tranches complémentaires devant intervenir sous conditions, la deuxième de 4% étant liée à un rapport entre déficit après amortissement et compte de fonctionnement de 3% et la troisième à un résultat équilibré, mais au plus tard respectivement en 2003 et 2005.

 On ne sait si le rapport déficit/compte de fonctionnement concerne les dépenses ou les recettes, mais en tout état de cause, le déficit après amortissement se situe aujourd'hui à 9,11% rapporté aux dépenses et à 8,98% rapporté aux recettes, de sorte qu'il faut bien constater qu'il n'y a pratiquement aucune chance que les deuxième et troisième tranches de baisses n'interviennent avant 2003 et 2005 et que donc la seule baisse à considérer à court et, moyen terme est celle de 5%, soit la plus forte et qui intervient dans la période du plus important déficit public.

- L'article premier du projet stipule que «l'impôt direct sur le revenu des personnes physiques, à l'exception des centimes additionnels communaux, est diminué de 12%». L'application de cet article n'est pas sans difficultés. En effet, une modification du barème intégrant la diminution prévue entraînerait ipso facto une diminution du produit des centimes additionnels communaux, même si, nominalement, ils restent inchangés. La majorité de la commission a par conséquent souhaité que le calcul de la baisse porte seulement sur le montant des centimes additionnels cantonaux permettant d'atteindre une baisse de l'impôt cantonal total.

Exemple ( baisse de 5%) impôt de base 100

 centime additionnel 40,13 (47,5×95)

  _____

  140,13

 L'ambiguïté réside dans le fait que le montant des centimes additionnels cantonaux est fixé d'année en année dans la loi budgétaire votée par le parlement, que nous ignorons quel sera le montant des centimes en 1999, donc sur quelle base (rien n'interdit d'ici là d'augmenter ou de diminuer le nombre de centimes cantonaux) s'appliquera la baisse de 5%, si bien que nous ne sommes pas en mesure d'affirmer aujourd'hui si les contribuables genevois vont bénéficier d'une baisse de leurs impôts en regard de ce qu'ils paient actuellement et dans quelles proportions.

 Chacun d'entre nous, tel Janus, présente face à l'impôt un double visage. Le sujet fiscal, c'est-à-dire le contribuable, veut que l'Etat lui épargne des charges financières. C'est particulièrement vrai dans une période de crise, dans une période où les conditions de travail et de revenus sont fortement remises en cause et où le chômage sévit. Mais, si le contribuable désire une charge fiscale aussi allégée que possible, le citoyen, lui, veut voir accroître les moyens financiers dont la collectivité a besoin pour se développer. Le projet de loi libéral s'attache à séduire le contribuable. Le présent rapport tente une approche plus objective de la proposition et dans ce but met en avant ses inconvénients du double point de vue de l'efficacité économique et de la justice sociale.

La baisse d'impôt est-elle la bonne mesure ?

Le poids de la dette est très directement lié au poids et à la répartition dans le temps de la fiscalité. La théorie admet généralement qu'une marge d'autofinancement positive ou nulle est la condition d'une gestion équilibrée des finances publiques. En effet, dans le cas d'une marge d'autofinancement négative, le canton s'endette pour couvrir ses dépenses courantes et répercute sur les contribuables futurs la charge du remboursement de la dette accumulée, et cela sans contre-prestations de sa part. Genève est dans ce cas de figure. Or, la proposition libérale, en diminuant les recettes fiscales de 12% au total, de 5% dès 1999, rétrécit encore la marge d'autofinancement du canton et porte atteinte à la capacité des finances cantonales de maintenir à long terme une distribution équitable du fardeau fiscal entre les générations de contribuables.

Le bon sens voudrait que nous ne décidions pas de cadeaux fiscaux sans avoir les moyens de les financer.

A court terme, c'est la marge de manoeuvre des autorités cantonales qui se voit ainsi réduite et réduite aussi leur capacité d'investir. A Genève, la somme des intérêts passifs représente d'ores et déjà un montant supérieur à 15% des recettes fiscales structurelles de l'Etat (voir J. M. Natal, «Finances des cantons», 1997, page 19). Qu'on nous comprenne bien: il ne s'agit pas ici de nier l'existence d'une quelconque marge d'action en faveur de la relance économique, mais bien de signifier que le choix des mesures doit être d'autant plus attentif et fondé sur un critère d'efficacité et de rentabilité que la situation financière est difficile. En d'autres termes, la baisse d'impôt est-elle la bonne mesure pour relancer l'économie et créer des emplois ?

De l'inefficacité économique du projet libéral

La doctrine libérale affirme l'utilité de la concentration des richesses, concentration qui devrait conduire à la création d'emplois: s'il y a davantage de contribuables aisés, on épargne et on investit davantage. Il convient en conséquence d'aménager la fiscalité afin d'attirer à Genève plus de hauts revenus et d'éviter que ceux qui y sont soient dissuadés d'y rester. Le raisonnement est correct en théorie, mais

1. la fiscalité n'est pas le seul critère, ni même le critère déterminant d'une décision de s'établir ou de rester à Genève. A savoir : 106 contribuables genevois paient en moyenne par année 1 million de francs d'impôt chacun. En 1995 et 1996, aucun d'entre eux n'a quitté Genève ;

2. ce n'est pas d'épargne dont a besoin notre économie en ce moment, l'épargne interne est suffisante, les flux de capitaux provenant de l'étranger aussi. C'est la demande intérieure qui peine.

A ce propos, on peut lire dans l'exposé des motifs du projet de loi 7498 : «Il tombe sous le sens que la plus grande partie de l'économie ainsi réalisée par les contribuables devrait être affectée à la consommation.» Précisément, Mesdames et Messieurs les député-e-s, cela ne tombe pas sous le sens. Selon l'Office fédéral de la statistique, le taux de consommation des revenus aisés, ceux pour lesquels l'économie d'impôt serait la plus forte est relativement faible, de l'ordre de 50% pour les revenus entre 300 000 et 500 000 F, alors que pour des revenus plus modestes, ce même taux s'accroît jusqu'à plus de 100%.

La minorité de contribuables aisés que le projet de loi avantage a une propension à épargner plus élevée que la majorité des ménages à revenus plus faibles. Elle n'alimenterait la demande intérieure que dans la mesure où elle investit dans le canton. Or, il est tout à fait impossible de dire si la baisse d'impôt conduira à un tel résultat, au surplus ciblée qu'elle est sur le canton. Au contraire, on peut prédire avec une assez grande certitude que la conséquence à court terme sera négative dans la mesure où la plus grande part de l'économie d'impôt sera affectée à l'épargne. Enfin, si effets positifs il y a, ils seront faibles et décalés dans le temps. Une baisse d'impôt décidée aujourd'hui n'aura de conséquence qu'au moment où les gens paient leurs impôts, c'est-à-dire trop tard.

En tout état de cause, la proposition libérale favorise les hauts revenus. Elle induit en conséquence une modification de la distribution des revenus en faveur des contribuables aisés, ce qui est de nature à ajouter un élément dépressif sur la demande intérieure. Si l'objectif était réellement de faire démarrer la demande intérieure et d'aider à la relance, alors la proposition de baisse des impôts devrait donner du pouvoir d'achat aux seules catégories de revenus moyennes et peu favorisées de contribuables. Les 12% de baisse devraient être ciblés, par exemple, sur les revenus imposables inférieurs à 60 000 F.

Le seul effet certain et à court terme du projet sera l'augmentation du déficit public ou des coupures dans les prestations. Le choix des libéraux les conduit à préférer les économies budgétaires. Il faut souligner ici que l'option des économies accrues accentue la dépression et, dans la mesure où elle porte sur une diminution des dépenses d'investissement et/ou des dépenses salariales ou de transfert, elle concourt en retour à réduire les rentrées fiscales. Dont acte. Mais qu'on ne vienne pas nous dire, la main sur le coeur, que le dépôt de ce projet obéit à des motifs économiques et de création d'emplois.

Dans un manifeste publié récemment, des économistes suisses emmenés par le professeur J. Ch. Lambelet proposent un stimulus économique sous forme d'investissements publics et d'aide financière directe de la collectivité aux ménages de faibles et moyens niveaux de revenu avec l'avantage de la prévisibilité et de l'efficacité, car l'Etat peut choisir les secteurs dans lesquels il investit ou les aides qu'il souhaite augmenter. On connaît les dépenses, on peut en mesurer les effets. Manifestement, l'efficacité économique de cette méthode d'aide à la relance est jugée supérieure à une baisse linéaire d'impôt telle que celle proposée par les libéraux.

Qui est avantagé par la loi 7498 ou la prise en comptedu critère de la justice sociale ?

Il existe un modèle de l'Etat minimum dans lequel les jeux des contre-pouvoirs entre des institutions publiques, toutes indépendantes les unes des autres, ne font que de la régulation. Il s'agit d'un modèle de société dans lequel il n'y a rien d'autre qu'une juxtaposition d'individus et de communautés en concurrence les uns avec les autres.

Puis, il existe un modèle de l'Etat qui donne priorité au lien social et à la cohésion, qui fonde la citoyenneté sur l'équilibre entre la liberté individuelle et l'exigence collective. La justice sociale est la première vertu d'un tel système. Vu sous cet angle, le projet 7498 et ses compléments avoués sous forme d'économies posent problème et ce dans la mesure où leurs bénéficiaires sont d'ores et déjà les personnes les plus favorisées financièrement et que les personnes les plus désavantagées de ce point de vue sont celles qui auraient à en subir quasi-exclusivement les effets négatifs.

Explications en deux temps:

1. Le projet accentue les inégalités: si l'on considère en effet la répartition des contribuables personnes physiques par tranches de revenus, telle que détaillée par les rapports de gestion du Conseil d'Etat, on constate qu'en 1993, 46% des contribuables déclaraient un revenu imposable inférieur à 50 000 F. En 1996, le pourcentage s'élève à 61% de contribuables pour les mêmes catégories de revenus. La base de la pyramide des revenus s'élargit, à savoir que le nombre de contribuables dont le revenu imposable est inférieur à 50 000 F augmente sensiblement. Cette situation est significative de diminution de pouvoir d'achat, de chômage et de précarité.

 Or la proposition libérale renforce encore la tendance en accordant aux revenus élevés une économie d'impôt plus importante qu'aux revenus plus modestes.

2. Les économies souhaitées par les libéraux pour «compenser» les baisses d'impôt défavoriseront les mêmes catégories de revenus, à savoir au premier chef, celles qui ont le plus recours à l'aide de l'Etat ou qui utilisent le plus ses institutions ( hôpitaux, écoles, aide sociale, etc.).

L'option des libéraux : le financement de la baisse d'impôtpar des diminutions de prestations

Les commissaires libéraux n'ont pas indiqué clairement en commission quelles prestations ils souhaitaient supprimer. On peut regretter que l'article de loi qui oblige les député-e-s proposant une dépense d'en prévoir simultanément la couverture par des recettes correspondantes ne soit pas réversible et n'oblige pas les député-e-s proposant des pertes de recettes d'en prévoir la couverture en termes de suppression de prestations. Cela dit, M. Nicolas Brunschwig a donné en commission quelques pistes d'économies, je cite: «restructurer l'Etat en fonction des conclusions de l'audit Arthur Andersen, éliminer les doublons entre le canton et les communes (la Ville de Genève en particulier), réviser certaines dépenses sociales». Les deux premiers points supposent manifestement études et discussions et en ce qui concerne les possibilités d'économies mentionnées par Arthur Andersen, le Conseil d'Etat a dû, tant elles étaient vagues, écrire à la fiduciaire pour lui demander de bien vouloir les rendre opérationnelles.

Reste pour le court terme la révision des dépenses sociales. Un éditorial du bulletin de la Chambre de commerce et d'industrie de Genève (no 18, septembre 1996) consacré à la proposition de diminution des impôts apporte quelques précisions bienvenues (sic !) sur la question: «Il faut réexaminer, cas par cas, les prestations qu'il (l'Etat) doit fournir, afin qu'elles atteignent leur but, mais qu'elles restent adaptées aux possibilités financières existantes. Il appartient en particulier au Grand Conseil, de revoir les lois qui entraînent des charges trop lourdes.»

Conséquence de la baisse d'impôt : des coupuresdans les dépenses sociales

Mesdames et Messieurs les député-e-s, dans l'esprit du projet libéral, 234 millions de francs de pertes de recettes générant 234 millions de francs d'économies, dont 100 millions à court terme portant sur les dépenses sociales, le message est clair: seront susceptibles d'être touchés rapidement les postes de dépenses liés au chômage, aux allocations aux personnes âgées, aux subsides d'assurance-maladie, au logement social, aux allocations d'étude, à l'Hospice général, à l'assistance médicale et à l'aide à domicile ou aux subventions à des institutions sociales ou hospitalières, si le projet de loi devait être adopté.

Par exemple, l'objectif des libéraux pourrait être atteint en ramenant le revenu minimum cantonal genevois pour les rentiers AVS-AI au niveau de ce qui est prévu au plan fédéral. En diminuant de 22 500 à 17 000 F le revenu de 25 000 personnes, l'économie pour l'Etat est de 102 millions de francs. Par exemple, il est possible d'économiser environ 100 millions de francs sur le budget de fonctionnement en fermant l'Hôpital de Loëx (34,9 millions de francs), l'Hôpital de Beau-Séjour (28,9), la Clinique de Montana (9,4) et la Maternité ( 32,6).

Il est, de surcroît, assez évident que, dans l'hypothèse d'une diminution forte des recettes fiscales, les lois d'aide aux petites et moyennes entreprises votées récemment par notre parlement ne pourraient déployer tous leurs effets.

Mesdames et Messieurs, loin de moi l'idée de vouloir grossir le trait: 100 millions de francs d'économies sur un total de dépenses sociales de 871 millions de francs c'est 11,5% en moins et ce dans une période où ce type de dépenses est en phase ascendante, car les besoins, du fait de la crise et de la mauvaise situation économique, ne cessent d'augmenter. Manifestement, le parti libéral poursuit envers et contre toute raison, et avec obstination, son rêve du moins d'Etat. Et pour atteindre cet objectif, réduit les recettes de l'Etat et crée «une pression inexorable tendant à la compression budgétaire» (Jacques-Simon Eggly, «Journal de Genève»). Que l'on cherche à favoriser un électorat aisé, que des personnes déjà dans une situation difficile puissent se trouver touchées par les économies envisagées, et que, de ce point de vue, le projet soit très injuste, n'est manifestement pas une préoccupation dominante. Nous le savons d'ailleurs fort bien depuis que la théorie libérale a été mise en pratique: les Etats-Unis de M. Reagan et l'Angleterre de Mme Thatcher en ont été les involontaires cobayes.

Pour aider à la reprise : un autre projet

Les auteurs du projet de loi 7498 ont pour objectif de diminuer les moyens financiers de l'Etat et, partant, son pouvoir d'intervention direct. D'un côté, ils dénoncent l'ampleur des déficits et militent en faveur d'un rééquilibrage rapide des finances publiques, d'un autre, ils proposent des baisses sensibles des recettes. Ce faisant, ils nourrissent le déficit public et puis, constatant son aggravation, réclament des coupures dans les dépenses. Cette politique est peut-être idéologiquement pertinente pour les milieux libéraux, elle ne l'est en tout cas pas sous l'angle économique et encore moins sous l'angle social.

Les socialistes avancent un autre projet que je me permets de caractériser ici en quelques points forts :

- Réforme de l'Etat: le développement technologique allié à une concurrence accrue et à des augmentations de productivité créent chômage, exclusions, inégalités et donc des besoins d'aide. Il convient que l'Etat soit actif pour traiter les problèmes d'insuffisance de revenu, d'éducation, de santé, de logement notamment, toutes rubriques qui augmentent fortement dans les budgets successifs. Cela exige des services publics plus forts, plus efficaces, plus structurés en termes de champ de couverture et de qualité que les services publics actuels. Cela pose, particulièrement aujourd'hui parce que la situation financière de l'Etat est difficile, la question de l'efficience de l'Etat et celle de la nécessité de réformer son organisation d'ensemble. Nous avons le sentiment que les libéraux mettent la charrue avant les boeufs, tant il nous paraît que la réforme de l'Etat est un préalable indispensable à une décision telle que celle de baisser la charge fiscale.

- Stabilité de l'impôt sur le revenu des personnes physiques: à Genève, la charge fiscale diminue pour les bas revenus et augmente pour les revenus moyens et élevés, ce qui indique une tendance au renforcement de la progressivité de l'impôt et, par conséquent, de son effet redistributif. Comme le barème le l'impôt n'a pas connu de changements majeurs, ni dans sa forme, ni dans sa progression, l'accroissement de la progressivité est principalement du à l'augmentation des inégalités de revenus. Dans cette situation, pas plus la baisse de l'impôt que la correction de la courbe de progressivité ne paraissant opportunes, la solution la plus sage est celle de la stabilité. Quant à l'imposition du bénéfice des sociétés, nous avons proposé l'instauration d'un taux fixe pour rééquilibrer la répartition de la charge fiscale entre les banques, les assurances, sociétés financières et immobilières et les autres entreprises. La proposition est traitée actuellement par la commission fiscale. Pour le reste, nous sommes ouverts à la discussion, mais en tout état de cause, le rendement de l'impôt peut être sensiblement amélioré dans le cadre de la loi actuelle et par un fonctionnement plus performant de l'administration fiscale elle-même.

- Maintien des dépenses sociales et réduction du temps de travail: dans la période que nous connaissons les besoins sociaux augmentent. Diminuer les dépenses sociales est par conséquent humainement inacceptable, au surplus économiquement inopportun, ces dernières jouant un rôle lorsqu'il s'agit de soutenir la consommation et d'aider à l'innovation sociale. Sur ce dernier point, les difficultés financières résultent d'abord de la montée du chômage et de la précarité. Elles ne peuvent décroître qu'au moyen d'une politique de partage du travail, par ailleurs condition nécessaire mais non suffisante.

- Coup de pouce supplémentaire à la machine économique: il s'agit d'avantager les petites et moyennes entreprises ainsi que les secteurs de l'économie sociale et associative, créateurs d'emplois et porteurs de développement durable, et pour cela d'augmenter les investissements (mandats publics, bonus à l'investissement), de mener une politique budgétaire active pour aider les entreprises à se moderniser et à affronter les mutations (réforme de l'imposition sur le bénéfice, accès et diffusion des innovations technologiques aux petites et moyennes entreprises, formation et perfectionnement professionnel) et de lutter contre la stagnation des crédits (capital-risque).

- Rééquilibre des finances publiques: le souci de rééquilibrer les finances publiques ne pouvant pas être abandonné, il exige la mise en place d'un mécanisme de rééquilibrage à terme qui permettra d'affecter en priorité les augmentations futures de recettes dues à la reprise économique à l'absorption du déficit et à la création de réserves et non à des dépenses nouvelles.

Mesdames et Messieurs les député-e-s, s'il faut admettre que l'engagement politique a pour objectif le mieux être général quelle que soit la sensibilité ou l'appartenance partisane, le centre de la question doit alors être transféré sur les moyens. Les femmes et hommes politiques font des choix de moyens qui ont pour but de convaincre les électrices et les électeurs. Pour le parti libéral, c'est un processus irrationnel et qui vise à satisfaire le plus large spectre possible de personnes mais avant tout sa clientèle électorale. Il s'inscrit dans cette logique en usant de démonstrations sélectives pour prouver la nécessité de son projet de loi et renforcer son attractivité. Au terme de ce rapport j'espère, quant à moi, vous avoir convaincus de son faible intérêt et je vous remercie, en conséquence, de bien vouloir le refuser.

RAPPORT DE LA TROISIÈME MINORITÉ

Rapporteure: Mme Vesca Olsommer.

Introduction

Chacun d'entre nous, bien sûr, applaudirait des deux mains à l'idée de payer moins d'impôt (surtout les fractions les plus aisées de la population, que ce projet avantage d'abord), mais gare, «tel qui rit le matin, pleure le soir»: chacun d'entre nous a-t-il réfléchi à ce que cela signifierait en terme :

- d'augmentation du déficit, donc de la dette de l'Etat, qui s'alourdit continuellement, avec les énormes intérêts passifs qu'il faut payer aux créanciers de l'Etat;

- de brèche dans la solidarité avec ceux qui ont des difficultés, notamment dues à la crise;

- de diminution des tâches de l'Etat et des prestations qu'il fournit à toute la population genevoise;

- de responsabilité par rapport à nos enfants qui devront reprendre nos dettes?

- d'aggravation de la conjoncture, déjà fort mauvaise, le rôle d'agent économique de l'Etat s'affaiblissant;

- de frustration pour les fonctionnaires, qui ont consenti des sacrifices, en vue du rétablissement des finances publiques, et qui peuvent se demander, à juste titre, si ces efforts ne sont pas inutiles...

Ces considérations méritent une réflexion sérieuse, d'autant plus que le projet libéral se fonde sur une analyse partielle des faits, et que les objectifs poursuivis sont inatteignables au moyen de celui-ci; ce projet est en fait un miroir aux alouettes électoral: gare au piège.

Quels sont ces objectifs? D'abord, relancer l'économie par la consommation au moyen du «bonus» d'impôt conservé; puis retenir à Genève, ou faire venir, des contribuables, surtout les gros contribuables, qui s'installent dans le canton de Vaud, et éventuellement provoquer le retour de ceux qui sont partis. C'est, entre autres, le problème des actifs résidant dans le canton de Vaud, mais travaillant à Genève.

Discussion

Il convient de reprendre les points relevés dans l'introduction.

Le projet de loi des libéraux creuse le déficit

Déficit et dette

Il faut quand même savoir que les impôts des personnes physiques (revenu et fortune) constituent le 78% des recettes de l'Etat. Or, ces recettes sont en diminution (chômage, travail au noir, hausse des cotisations des caisses-maladie déductible, hausse des charges salariales, mesures antérieures prises contre la spéculation foncière...; baisse de la masse salariale dans le canton, baisse des subventions de la Confédération...). Diminuer encore les recettes de l'Etat, c'est donc creuser le déficit de celui-ci. Car chacun a pris conscience dans cette République, nous l'espérons, que l'Etat vit à crédit. Et on voit bien où cela mène: l'Etat devra emprunter davantage et emprunter pour ses besoins courants, alors qu'il a déjà une dette de près de 3 milliards de francs pour son fonctionnement (déficits cumulés depuis 1989) et qu'il doit verser près d'un demi-milliard de francs d'intérêts à ses créanciers: ces intérêts passifs représentent plus que l'aide aux personnes âgées, plus que le coût de l'école primaire... tout ça dans les poches des créanciers, tout ça en moins pour la population du canton. Combien de postes de travail cela repré-sente-t-il?

Ce qu'il faut comprendre, c'est que, parallèlement à la diminution des recettes, les dépenses sociales prioritaires augmentent, à cause de la crise notamment, pour des raisons démographiques aussi (vieillissement de la population) et qu'augmente aussi le report de charges de la Confédération sur les cantons... Moins de recettes, plus de charges et c'est dans ce contexte-là que les libéraux proposent un projet de loi pour diminuer les impôts, dont profiteront principalement les hauts revenus.

Tout amendé qu'il soit, ce projet coûtera 100 millions de francs au canton la première année de sa mise en vigueur, puis plus de 200 millions de francs lorsqu'il déploiera entièrement ses effets... (Il faut rappeler que d'autres projets de loi sont à l'étude, qui pourront encore diminuer les recettes de l'Etat: celui des radicaux pour baisser la charges fiscale des entreprises - moins 80 millions de francs de recettes - et une proposition contenue dans la LIPP (loi sur l'imposition des personnes physiques), à l'étude en ce moment, d'augmenter la déduction pour charge de famille - moins 30 millions de francs).

Et cela ne sert à rien de déclarer «l'Etat peut très bien supporter une baisse d'impôt... il n'a qu'à réduire ses dépenses pour ne pas aggraver le déficit». Depuis le début de la crise, les fonctionnaires ont perdu 10% de leur pouvoir d'achat, plus de 2 000 postes ont été supprimés (écoutez les infirmières de l'hôpital); les dépenses générales, depuis 1993, sont en constante diminution, et selon le Conseil d'Etat lui-même, on approche d'un plancher: le fonctionnement de l'administration risque bientôt d'être bloqué. Quant aux restructurations proposées par l'audit Andersen, tous les partis sont d'accord d'étudier certaines propositions (avec la fonction publique), mais il faut du temps...

Si l'on veut, dans ces conditions, diminuer les recettes de l'Etat en baissant les impôts, il faut annoncer la couleur: on est prêt à couper dans les prestations et à réduire le rôle de l'Etat.

M. le conseiller d'Etat Vodoz, non sans courage, devant la commission fiscale également, s'est déclaré opposé à ce projet en cette période de crise économique: «L'Etat ne peut pas simultanément redresser les finances afin que la dette de fonctionnement pèse moins lourd sur la collectivité, réduire les recettes fiscales et offrir des prestations identiques». Il faut comprendre que c'est la volonté de rétablir l'équilibre des finances qui permet d'obtenir des conditions d'emprunts correctes. Le professeur Lambelet n'est pas d'un autre avis, lui qui déclarait dans une interview à la «Tribune de Genève» (16 décembre 1996): «Vaud et Genève ne disposent d'aucune marge de manoeuvre, il est impossible d'y envisager une baisse des recettes fiscales, même temporaire...»

Certes, on a pu entendre dire à la commission fiscale par la Chambre fiduciaire, ainsi que par un représentant de l'étude Lenz et Stahelin, qu'une baisse d'impôts serait un signal positif, c'est vrai; mais c'est vrai aussi que ce signal à lui seul n'est pas opérant, en tout cas pas dans le court terme, alors que le projet libéral, lui, c'est bien à court terme qu'il fera des dégâts.

Rôle et prestations de l'Etat

Toute la population genevoise bénéficie des prestations (au sens large) de l'Etat: la politique de l'éducation et de la formation est bonne, celle de la santé aussi, la sécurité et la justice sont assurées... les conditions-cadres et les infrastructures sont assez appréciées... Il faut ajouter à ces tâches de l'Etat, les transferts de solidarité (aide à domicile, subsides pour abaisser les coût des primes des caisses-maladie, chômeurs, personnes âgées, handicapées, aide au logement)... (peut-être faut-il rappeler ici que l'Etat ne peut pas tout, et que sur le plan économique par exemple, «les bonnes nouvelles seront européennes ou ne seront pas»). Ce rôle important de l'Etat a été voulu au fil des années, il a même été conquis, il trouve en partie son fondement dans des lois, dans la crise profonde et la morosité ambiante que nous vivons. Il ne faut pas se tromper de cible et attaquer l'Etat en le privant de moyens: celui-ci, par son rôle redistributeur, pallie quelque peu les inégalité sociales et quoi qu'on en dise, trace encore une limite à ce que d'aucuns appellent ironiquement le «dieu marché». Et de plus, par ses importants investissements, il joue un rôle économique réclamé à grands cris par le secteur privé... Et c'est là qu'on vous attend, Mesdames et Messieurs les libéraux, dites-nous concrètement dans quel domaine vous voulez faire des économies? Mais c'est là aussi où l'on attend la population genevoise, si elle devait être consultée, comme l'annonçait l'un des auteurs de ce projet de loi: à quelles prestations sera-t-elle d'accord de renoncer?

Responsabilité vis-à-vis de nos enfants

Les écologistes sont profondément attachés à laisser une planète vivante et habitable aux générations futures. Cependant, il ne suffit pas qu'elle soit écologiquement habitable, il faut qu'elle le soit aussi socialement et il serait trop injuste de leur laisser une lourde dette qui rendrait tout à la fois misérables les prestations que tout Etat moderne doit fournir à sa population et qui grèverait lourdement leurs revenus, car il y a un lien évident entre la dette d'un Etat et la charge d'impôts: un Etat endetté est un Etat dont pâtit la fraction la plus fragile de la population; un Etat endetté n'est pas à même de prendre les mesures nécessaires en matière de protection de l'environnement.

Morosité ambiante aggravée

Nombre d'économistes entendus sont convaincus qu'en cette période de crise, l'Etat doit être un agent actif dans l'économie; il a un rôle à jouer tant par les dépenses d'investissement que par le biais des dépenses de transferts à la population et par celui des salaires qu'il verse: selon M. Flückiger (faculté des sciences économiques et sociales), une diminution d'impôt serait ressentie comme une augmentation substantielle du déficit et provoquerait à court terme un mouvement de panique, du fait de la peur d'une diminution des dépenses publiques... le message serait que l'Etat n'est plus à même d'assurer les prestations.

Pour ces mêmes économistes (dont Mme Gabrielle Antille, Laboratoire d'économie appliquée) il vaut mieux favoriser une action de relance par le biais de dépenses publiques, l'impact en est plus rapide et plus fort, plutôt que par la baisse des impôts.

Frustration de la fonction publique

On l'a dit, elle a consenti des sacrifices pour redresser les finances. Ceux-ci vont-ils être inutiles, le déficit va-t-il continuer à se creuser à cause du projet libéral et avant tout au profit des classes les plus aisées? Le moins qu'on puisse dire, c'est que, pour ce groupe politique, les efforts pour l'équilibre des finances ne doivent pas être partagés par tous...

Le projet de loi des libéraux est inutile et inefficace

Inutile:

De gros contribuables ne fuiront plus Genève ou reviendront...

Lors de l'étude de ce projet de loi, la commission a entendu M. le conseiller d'Etat Vodoz dire qu'il n'y a pas eu de fuite, en 1996 en tout cas, de gros contribuables genevois vers le canton de Vaud. «C'est vrai que la pyramide fiscale est pointue, 105 contribuables ont payé 250 millions de francs, mais aucun départ de ces contribuables n'a été comptabilisé en 1996» (Voir procès-verbal, page 65). Cela fut affirmé également à d'autres reprises (comptes 1996, page 50), voir également la «Tribune de Genève» du 26 mars 1997.

Qu'il y ait un certain nombre d'actifs travaillant à Genève, et habitant Vaud, c'est statistiquement incontestable. Mais d'après nombre de spécialistes entendus à la commission fiscale (MM. Flückiger, M. Kuster, office de la promotion économique...), la première raison du départ vers le canton de Vaud tient quand même au besoin d'espace, au coût et à la disponibilité des logements, et non pas à la fiscalité. Il faut fonc grandement nuancer les propos du parti libéral.

Il y a donc un faisceau convergent d'analyses selon lesquelles la fiscalité ne joue pas le rôle dissuasif important que veulent lui attribuer les libéraux, quant à l'installation de contribuables dans le canton de Vaud plutôt qu'à Genève. Qu'elle joue un rôle, bien sûr, mais en tout cas pas au point d'en faire un projet de loi qui met à mal les efforts pénibles déjà consentis en vue de l'équilibre des finances.

Et si tourisme fiscal il y a, plutôt que de régler par la modification des lois fiscales, il vaudrait mieux passer par des accords intercantonaux et une vision régionale, moins néfaste qu'une perpétuelle sous-enchère fiscale qui finit par affaiblir les collectivités publiques. Miser sur l'amélioration des conditions-cadres est aussi une des ripostes proposées à ceux qui craignent à tort ou à raison l'exode fiscal. Il faudrait également revoir la peréquation financière fédérale et cantonale. La Chambre fiduciaire a relevé que la fiscalité vaudoise est plus avantageuse pour les familles avec enfants... or il se trouve justement que la LIPP susmentionnée se propose d'augmenter la déduction pour charge de famille.

Inefficace

Une diminution d'impôt va relancer la consommation... mais à entendre quasiment tous les spécialistes (qu'ils soient intellectuels ou praticiens, comme les avaient catalogués les libéraux), et comme le fait entendre le bon sens tout court, dans une période aussi angoissante que celle que nous vivons à cause de la crise économique (il faut rappeler que la masse salariale en termes réels a diminué de 11% depuis le début de la crise, que la crainte d'un chômage qui ne se résorbe pas et des licenciements est largement répandue, notamment au vu des entreprises qui disparaissent, ou des fusions qui éjectent des salariés), la population procède à une épargne de précaution: entre 1990 et 1995, le revenu des ménages a crû légèrement, de 0,5%, mais il y a eu baisse de la consommation de 2%. De plus, il faudrait viser, par la baisse d'impôt, les classes de population à faible revenu, car ce sont elles qui consomment davantage. Il est bien évident qu'une réduction linéaire favorise les hauts revenus. Les sommes ainsi libérées pour les fractions les plus aisées de la population risqueraient encore, non seulement d'aller à l'épargne, mais à la bourse. On peut introduire ici une observation transmise à la commission tant par la CGAS que par le professeur Flückiger: il a été constaté que l'augmentation des inégalités est un facteur de ralentissement de la croissance économique (perspectives économiques de l'OCD, décembre 1996).

Toujours sur le thème de la relance par le biais de la consommation, il convient aussi de remarquer que le revenu conservé, s'il ne devait pas être épargné, risquerait d'être dépensé en dehors du canton, en France notamment. Et le bon sens indique que pour faire reprendre confiance à la population, il vaudrait mieux qu'elle puisse tabler sur du travail pour chacun (partage du travail), voire sur l'allocation universelle, sur une augmentation de salaires, sur le respect des conventions collectives, sur le maintien du rôle de l'Etat. L'une des causes de la crise est bien l'accroissement des inégalités et la confiscation des gains de productivité par le capital au détriment du travail.

En fin de compte, même la Chambre du commerce et de l'industrie déclare que la fiscalité, à elle seule, ne peut fonder la relance, il faut conjuguer plusieurs moyens. Pour notre ancien collègue, le professeur November, une mesure fiscale ne fait pas le printemps... Quant aux représentants de la Chambre fiduciaire, ils ont ni plus ni moins déclaré à la commission qu'il n'existe pas de véritables études permettant de mesurer comparativement les effets de la fiscalité sur la vie économique.

Bref, le projet de loi 7498 rate sa cible (à moins, bien entendu, de considérer qu'il est un cadeau fiscal aux revenus élevés...). Les auditions ont démontré qu'il n'y a pas de lien vraiment direct entre la relance par la consommation et la fiscalité, surtout pas en période de crise. Il est préférable d'aménager la fiscalité à moyen terme plutôt que de parler de relance économique par la baisse des impôts, selon plusieurs auditions. Pour sa part, la CGAS pense également qu'il faudrait une révision fiscale générale, incluant dans sa réflexion la taxe professionnelle, les impôts indirects et la peréquation intercommunale. D'ailleurs, il semble juste de considérer que la fiscalité n'est pas une cause du développement économique, mais plutôt une conséquence.

Une remarque en passant: la logique eût sans doute voulu que les libéraux, qui veulent baisser les impôts, commencent par refuser la progression à froid rétablie, mais en période électorale, cette mesure a moins de panache...

Pour clore ce paragraphe en partie consacré à la relance par la consommation, disons encore, en matière de rappel, que, pour les écologistes, la «spirale production-consommation» ne saurait être un objectif en soi, ils en voient trop les limites, ne fût-ce que dans son impact sur l'environnement. Mais il ne s'agit pas ici d'exposer les principes qui fondent l'action écologiste, mais bien de se prononcer sur un projet de loi libérale qui trace le cadre de la discussion.

Conclusions

Si la population genevoise se laisse attirer par la trompeuse séduction du projet libéral, elle s'en mordra les doigts: ce projet de loi n'aura pas, à terme, les effets escomptés ni sur la relance par la consommation, ni sur le maintien et/où l'arrivée de gros contribuables dans le canton du moins, les effets seront minimes, par contre, le gouffre déficitaire va s'aggraver et c'est bien l'Etat social qui risque la déroute, avec une brutale dégradation du climat politique.

Premier débat

M. René Ecuyer (AdG), rapporteur de première minorité ad interim. L'Etat de Genève affichant un déficit de près de 700 millions, il est insensé de proposer des diminutions d'impôts, dérisoires pour les contribuables de situation modeste et profitables à ceux ayant de gros revenus et de grosses fortunes.

Comme notre canton compte vingt mille huit cents chômeurs, le parti libéral devra nous expliquer comment il entend procéder. Veut-il supprimer des prestations aux familles, entraver l'effort consenti pour l'assurance-maladie ? Entend-il diminuer, comme il l'a dit, les prestations aux personnes âgées ? Moins d'argent dans les caisses de l'Etat équivaut à moins de redistributions, et il le sait ! Il devra dire clairement si les personnes âgées seront prétéritées !

Le parti libéral et ceux qui soutiennent le projet ne nous ont pas fourni la moindre précision en commission. Veulent-ils diminuer les prestations aux chômeurs ? Il serait intéressant de savoir de combien et à quel niveau.

Nous recommandons le rejet de cette proposition. Genève jouit d'un niveau culturel élevé; la solidarité entre les générations semble intacte et l'intégration des diverses couches de la population est remarquable par rapport à ce qui se passe dans d'autres cantons suisses et à l'étranger.

L'Alliance de gauche refuse catégoriquement toute baisse d'impôts. Nous ne serons jamais les alliés d'une politique qui met en péril, plus qu'ils ne le sont déjà, les acquis sociaux obtenus au cours de plusieurs décennies.

Le projet libéral sous-entend la diminution du rôle de l'Etat. La quasi-rupture d'une politique de redistribution contribuerait, en très peu de temps, à la croissance des inégalités et, par conséquent, à la destruction d'une configuration sociale avantageuse, l'une des rares caractéristiques de ce canton.

En ce qui nous concerne, nous proposons de taxer les transactions immobilières pour redresser les finances de l'Etat. A ce sujet, nous avons été minorisés en commission et dans ce parlement à réitérées reprises. Maintenant, nous devons chercher l'argent où il se trouve. Exemple : la fraude fiscale qui n'est pas considérée comme un délit pénal en Suisse mais qui l'est dans la plupart des pays qui nous entourent. Durant toute cette législature, nous avons eu, pour revendication minimum, l'augmentation des contrôleurs fiscaux. On s'est moqué de nous, alors qu'il est largement prouvé que la lutte contre la fraude fiscale rapporterait de l'argent à l'Etat.

Les efforts en faveur d'une harmonisation de la fiscalité intercantonale doivent être soutenus. Nous déplorons, néanmoins, que la disparité des barèmes - un problème majeur - n'ait pas été corrigée. Cette fâcheuse concurrence fiscale pourrait être endiguée par une solution politique, à savoir la répartition fiscale entre le canton du domicile et celui du lieu de travail.

Nous vous demandons instamment de rejeter ce projet de loi d'émanation libérale.

Mme Micheline Calmy-Rey (S), rapporteuse de deuxième minorité. L'idée de baisser les impôts pour stimuler la reprise économique a toutes les caractéristiques d'une dangereuse sottise. Les libéraux proposent une diminution de 12%, soit l'équivalent de 234 millions de francs.

Leur premier argument est l'exode des contribuables aisés qui partiraient du canton de Genève pour des raisons fiscales. C'est faux ! Le phénomène des Genevois, partis pour le canton de Vaud, était lié à la haute conjoncture et aux difficultés de se loger à des prix raisonnables à Genève. Les départs ont culminé en 1985, au plus fort de la spéculation immobilière. Le desserrement du marché du logement dans notre canton, les difficultés financières des ménages et la prise en compte des coûts de la délocalisation font que les Genevois reviennent. Au vu des tableaux publiés par l'office cantonal de la statistique, nous constatons que le solde migratoire s'est réduit et s'est même récemment inversé en faveur de Genève. Ces mouvements de population, Madame Spoerri, n'obéissent pas prioritairement à une logique fiscale, étant entendu que les barèmes fiscaux n'ont pas été modifiés depuis plusieurs années et que divers allégements fiscaux ont même été consentis à Genève, notamment par le biais de la suppression de la progression à froid, lors du grand exode à la fin des années 80.

Deuxième argument avancé par les libéraux : l'utilité de la concentration des richesses. S'il y a davantage de riches, on épargne et on investit davantage, d'où l'intérêt de favoriser les hauts revenus avec leur proposition d'une baisse d'impôts de 12%. En tant que telle, l'assertion est correcte, sauf que ce n'est pas d'épargne dont notre canton a besoin aujourd'hui. L'épargne est suffisante, de même que les flux de capitaux en provenance de l'étranger. De l'avis général, c'est la demande intérieure qui est trop faible.

Vous affirmez que la plus grande partie de l'économie réalisée par les contribuables sera affectée à la consommation. Franchement, cela ne tombe pas sous le sens ! Par ce projet, vous favorisez les hauts revenus dont le taux de consommation n'atteint que la moitié de celui des revenus modestes. Il est donc prévisible que l'essentiel de l'économie réalisée sera épargné.

Si votre projet avait pour but de relancer l'économie par la demande, il aurait dû cibler les revenus modestes, ce qu'il ne fait pas.

Troisième argument : les économies. Votre projet aggrave le déficit public de 234 millions, dont 100 millions à court terme. Qui va payer ce cadeau aux contribuables aisés ? Vous n'en dites rien, Madame Spoerri ! Vous parlez d'Arthur Andersen, mais vous savez fort bien qu'Andersen a suggéré quelques pistes suffisamment floues pour que le Conseil d'Etat l'ait prié, par écrit, de les préciser. Vous parlez d'éliminer les doublons entre cantons et communes. Bien sûr ! Mais vous savez que cette discussion prendra du temps, parce que liée à des répartitions différentes de compétences.

Restent, à court terme, c'est-à-dire pour 1999, les dépenses sociales. Et là, vous devez être clairs ! Pour que 100 millions soient économisés à court terme, le revenu de vingt-cinq mille personnes, dépendant de l'OCPA, devrait passer de 22 500 F à 17 000 F. Ou il faudrait fermer l'hôpital de Loëx, l'hôpital Beau-Séjour, la clinique de Montana et la maternité. Je tiens à vous entendre sur ce point.

En d'autres termes, les économies voulues par les libéraux touchent les personnes les plus modestes, c'est-à-dire celles qui recourent le plus à nos institutions.

Enfin, ce projet de loi est techniquement pauvre, pour ne pas dire nul. Dans son mécanisme d'application, on excepte les centimes additionnels communaux et on prend, pour base de calcul, le montant des centimes additionnels cantonaux. D'où une triple ambiguïté :

1. Le montant des centimes additionnels est de 48,5, y compris le centime supplémentaire pour les soins à domicile. Si celui-ci n'est pas reconduit en 1999, le problème ne se posera pas. En revanche, s'il l'est, sera-t-il intégré dans la base de calcul ? Dans l'affirmative, cela supposera que la dotation pour les soins à domicile diminuera automatiquement en proportion de la baisse d'impôts, puisque ce centime additionnel y est affecté, et ce en contradiction avec la volonté populaire qui a voté ce centime additionnel supplémentaire pour les soins à domicile.

2. Le montant des centimes additionnels cantonaux est le même pour le revenu et la fortune, d'où une difficulté d'application, puisqu'il faudra les différencier pour calculer la baisse d'impôts.

3. Le montant des centimes additionnels n'est pas fixé une fois pour toutes. Il est voté chaque année dans la loi budgétaire. Nous ignorons quel sera ce montant en 1999, en 2003 et en 2005, de sorte que nous ne pouvons affirmer aujourd'hui que les contribuables verront leurs impôts baisser en regard de ce qu'ils paient actuellement.

Le projet de loi présenté par les libéraux est socialement choquant, économiquement inefficace et faux dans son argumentation. Je vous remercie de bien vouloir le refuser.

M. Chaïm Nissim (Ve), rapporteur de troisième minorité. Je voudrais m'adresser à tous les Genevois qui apprécient votre initiative, Mesdames et Messieurs les libéraux.

Je leur demande de réfléchir, les pseudo bénéfices immédiats se traduisant souvent par des pertes à long terme. C'est ce que Vesca Olsommer signifie dans son rapport quand elle cite le dicton «tel qui rit le matin, pleure le soir».

Mesdames et Messieurs les Genevois, pensez à vos enfants ! Voulez-vous leur léguer plus de dettes que celles qu'ils sont déjà appelés à gérer ?

Si c'est cela que vous voulez, Mesdames et Messieurs les libéraux, Mesdames et Messieurs les démocrates-chrétiens, Mesdames et Messieurs les radicaux, votez ce projet de loi !

Mme Micheline Spoerri (L), rapporteuse de majorité. Je réponds à Mme Calmy-Rey à propos de l'exode des contribuables.

J'ignore vos sources, Madame...

Mme Micheline Calmy-Rey, rapporteuse de deuxième minorité. L'office cantonal de la statistique !

Mme Micheline Spoerri, rapporteuse de majorité. En ce qui me concerne, je me réfère à la page 21 du numéro 106 du mois d'août 1996 où je lis : «Ce sont quotidiennement plus de dix-huit mille émigrés qui se rendent dans le canton de Genève pour y travailler, chiffre plus de deux fois et demi plus élevé qu'en 1980. Parmi ces navetteurs, plus de 93% viennent du canton de Vaud. Les échanges Vaud/Genève sont donc fortement déséquilibrés. Pour un Genevois travaillant dans le canton de Vaud, on compte huit Vaudois actifs à Genève.» Je ne vois pas comment ce rapport aurait pu s'inverser en si peu de temps.

Pour appliquer le principe de cette loi, l'idéal serait de procéder au réaménagement de la fiscalité et de la courbe fiscale. Politiquement, ce n'est pas une mince affaire, particulièrement dans une période économique difficile.

En réalité, ce qui nous importe, c'est que la pyramide fiscale genevoise ne soit pas fragilisée davantage, sachant que 10% des contribuables paient 65% des impôts; que les classes à revenus moyens ne soient pas découragées, elles qui perdent de leur pouvoir d'achat, de leur enthousiasme au travail et, plus grave, de leur esprit de solidarité dont vous parlez si souvent.

Il est vrai que nous n'avons jamais cité, dans le détail, les mesures compensatoires auxquelles nous pensons recourir. Nous avons effectivement cité des mesures liées à l'audit d'Arthur Andersen, l'élimination des doublons entre canton et communes. Nous savons que tout cela prend du temps, mais nous savons aussi que faute de courage politique d'aller dans ce sens, les dépenses ne seront jamais maîtrisées.

En ce qui concerne la distribution et la répartition des prestations sociales, vous savez que, pour nous prononcer, nous avons déposé une motion à traiter en commission des affaires sociales, motion à laquelle vous avez adhéré et qui demande l'instauration d'un carnet social. Nous sommes persuadés que ces prestations engendrent un excès de coûts administratifs et, cas échéant, un «arrosage» systématique dont pourraient découler quelques économies, d'où la nécessité de ce carnet social.

Madame Calmy-Rey, ne rendez pas cette assemblée dupe de votre raisonnement en matière de calcul de centimes additionnels ! Le centime additionnel affecté aux soins à domicile n'est pas touché. Cela n'a fait l'ombre d'aucun doute, ni en commission ni dans l'esprit du législateur. Quant à vos projections par rapport aux centimes additionnels cantonaux, vous savez qu'il s'agit d'un moyen technique pour ne pas toucher à l'impôt lié aux communes.

Voilà ce que j'entendais dire pour l'instant.

M. Daniel Ducommun (R). Tout ou presque a été dit à ce sujet. La position radicale a été présentée à maintes reprises : nous sommes opposés à toute baisse et à toute hausse de la charge fiscale.

Néanmoins, la clarté de notre position ne doit pas nous faire renoncer à la réflexion. Le monde entier s'interroge à propos de sa fiscalité et des effets possibles d'allégement de la charge contributive.

Genève ne doit pas se dérober à cette réflexion. Notre population a besoin de reprendre confiance pour retrouver le goût d'entreprendre. Au-delà de leur démarche opportuniste préélectorale, nos cousins libéraux ont raison sur un point : nous payons trop d'impôts et nous sommes en condition d'extrême faiblesse par rapport à la concurrence intercantonale, suisse en général, vaudoise en particulier. Les classes moyennes sont particulièrement pénalisées.

Malgré cela, le projet libéral est principalement critiquable sur deux points :

Premièrement, il est incomplet et manque d'honnêteté vis-à-vis de la population, car il ne précise pas la baisse équivalente ou partielle des prestations de l'Etat à ses citoyens. Est-ce le social ou la rémunération de la fonction publique qui devront être élagués en conséquence ? Nous l'ignorons !

Deuxièmement, et en référence avec la politique économique, je partage en grande partie les observations des rapporteurs de minorité. La masse critique de notre canton n'est pas suffisante pour agir efficacement sur la consommation. La relance par la fiscalité est une utopie. En situation de crise, les moyens disponibles s'orientent plutôt vers l'épargne. A-t-on suffisamment mesuré les effets d'une baisse d'impôts de 12% sur les finances de nos communes ?

Non, décidément non, nous ne pouvons pas soutenir votre démarche. Nous restons solidaires et cohérents par rapport à l'engagement prioritaire du gouvernement sortant qui, nous l'espérons, sera celui du gouvernement entrant : le redressement des finances publiques. M. Olivier Vodoz s'est constamment battu pour cela, et c'est pourquoi nous le respectons. Un Etat financièrement faible est un Etat socialement faible.

Voilà, en substance, l'essentiel des arguments qui justifient notre refus.

M. Pierre-Alain Champod (S). Le groupe socialiste s'oppose à ce projet; Mme Micheline Calmy-Rey l'a écrit dans son rapport et l'a déclaré tout à l'heure.

Après le dépôt de leur projet de loi, les libéraux ont lancé une initiative populaire qui propose exactement les mêmes choses. Il est vrai que la période préélectorale se prête à ce genre de démarche !

Personne ne prend plaisir à payer ses impôts. Néanmoins, il est extrêmement regrettable que la constitution n'oblige pas les initiants, parallèlement au dépôt de leur projet de loi, d'indiquer clairement les prestations qui seront supprimées.

Au-delà de l'effet démagogique et électoraliste de leur projet, les libéraux ont comme but principal et inavoué de réduire le rôle de l'Etat en matière de redistribution. En d'autres termes, ils veulent offrir un cadeau aux riches en supprimant des prestations octroyées à ceux qui ne le sont pas.

Mesdames et Messieurs les libéraux, vous devriez avoir l'honnêteté de dire à la population quelles prestations vous entendez réduire, voire supprimer. Vous surfez sur les dernières vaguelettes du libéralisme. En effet, la grande vague libérale qui a déferlé ces dix dernières années a disparu. On l'a constaté dans les pays voisins, notamment en Angleterre et en France.

Votre projet n'est pas combattu par la gauche seule. Il l'est aussi par vos cousins de l'Entente et même au sein de votre parti. Vos conseillers d'Etat le refusent et M. Vodoz a dit à la presse tout le mal qu'il en pensait. M. Vodoz est, en effet, bien placé pour savoir que l'on ne peut pas redresser les finances de l'Etat en le privant de ses recettes.

La sous-enchère fiscale entre les cantons est absurde. Il est temps que les cantons, qui connaissent tous des difficultés financières, cessent de jouer à ce jeu stupide.

Les raisons qui poussent les gens à quitter le canton de Genève sont multiples. La fiscalité n'est, de loin pas, la plus importante. L'emploi et l'immobilier jouent un rôle prépondérant dans ce choix.

Vous espérez, avec ce projet, attirer en masse les gros contribuables. Cela ne sera pas le cas pour les raisons que je viens d'évoquer : emploi, difficulté de trouver à Genève un logement ou une villa à des prix abordables. En revanche, le trou que vous proposez de creuser dans les caisses de l'Etat pénalisera fortement et longtemps les bénéficiaires des prestations sociales, diminuera la qualité de l'enseignement, etc.

Pour toutes ces raisons, ce projet est inacceptable, et nous vous invitons à le renvoyer à l'endroit d'où il n'aurait jamais dû sortir, à savoir les tiroirs du parti libéral !

M. Claude Blanc (PDC). Tout a été dit, je crois, sur le fond du problème. Venons-en à la tactique ! A la veille des élections législatives, les libéraux ont cru bien faire en lançant une initiative. Maintenant, la gauche trouve judicieux d'en débattre d'urgence à la veille de l'élection du Conseil d'Etat.

Une voix. Cela t'étonne ?

M. Claude Blanc. Pas du tout, parce que des deux côtés on argue d'une philosophie qui n'a rien à voir avec la fiscalité mais tout avec la campagne électorale ! Les libéraux ont appuyé leur projet de loi en lançant une initiative populaire qui a probablement abouti, puisque le nombre nécessaire de signatures a été atteint.

Par conséquent, je propose d'arrêter ce vain débat, puisque l'initiative qui porte le même texte nous sera soumise dans quelques mois.

Stoppons là notre débat ! Renvoyons le projet à la commission fiscale qui nous rendra un seul rapport sur le projet et l'initiative, et passons à un travail plus sérieux !

Je demande formellement le renvoi du projet en commission.

Le président. Cette demande étant formelle, je signale aux prochains intervenants qu'ils ne pourront débattre que du renvoi en commission.

M. David Hiler (Ve). J'interviendrai donc sur le renvoi en commission. Néanmoins, je ne partage pas l'avis de M. Blanc sur cette question particulière. Nous devons nous prononcer sur un projet de loi longuement étudié. Les opinions sont faites, et nous devons trancher. Dans un deuxième temps, nous examinerons l'initiative libérale qui sera soumise au peuple dont nous ne savons pas si elle sera ou non accompagnée d'un contreprojet.

Maintenant, il importe de donner un signal clair sur une affaire qui a beaucoup occupé les esprits. Par conséquent, je vous invite à refuser cette manoeuvre qui permettrait au parti démocrate-chrétien de ne pas dire ce qu'il pense de la fiscalité. Nous l'avons tous compris !

Mme Micheline Calmy-Rey (S), rapporteuse de deuxième minorité. Je vous demande de ne pas accepter le renvoi en commission. Je comprends que le parti démocrate-chrétien fasse une pareille proposition, puisqu'il a voté ce projet en commission et changé d'avis ensuite. Maintenant, il ne sait plus très bien où il en est !

Mesdames et Messieurs les démocrates-chrétiens, une prochaine échéance électorale s'annonce et vous présentez un candidat. Dès lors, je pense que les électrices et électeurs du canton de Genève ont le droit de connaître votre position sur un point aussi important que celui-ci.

En fait d'électoralisme, Monsieur Blanc, je me demande qui s'en sert le plus dans cette enceinte... Je pense que c'est vous !

Mme Micheline Spoerri (L), rapporteuse de majorité. Comme j'ai demandé la parole depuis longtemps, mon intervention ne portera pas sur le renvoi en commission... (Contestations.) Je tiens à dire deux mots sur les propos infondés quant à l'électoralisme que l'on nous prête.

Une chose est sûre : si le gouvernement a su maîtriser ses charges durant ces dernières années, il n'en demeure pas moins que l'évolution des recettes, pendant la même période, a fait qu'elles ont diminué deux fois plus vite que les dépenses. Cette situation est suffisamment préoccupante pour motiver la prise de position des libéraux. Si l'on reproche à ces derniers de ne pas se préoccuper de la maîtrise des dépenses - un scoop, puisqu'ils s'en sont toujours souciés ! - on pourrait également adresser des reproches à ceux que la chute importante des recettes indiffère.

Le président. Je prie les intervenants de se prononcer sur le renvoi en commission et pas sur le fond. Quand nous y viendrons, vous pourrez, Madame, reprendre la parole. Monsieur Nicolas Brunschwig, veuillez vous exprimer sur le renvoi.

M. Nicolas Brunschwig (L). Ce projet de loi aborde un sujet des plus importants; les nombreuses séances et auditions que nous avons eues en commission le démontrent amplement.

Pendant longtemps, nous avons cru à une majorité au sein de ce Grand Conseil. C'est pourquoi nous avions retardé le lancement de notre initiative populaire en tant que telle. Il ne nous a été guère facile de comprendre la situation, les partis radical et démocrate-chrétien ayant émis des opinions différenciées.

Je vous rappelle, Monsieur Ducommun, que dans un article de l'édition dominicale du «Matin» vous vous étiez prononcé, en tant que chef de groupe radical, en faveur d'une baisse de 5% de l'impôt sur les personnes physiques... (Contestations, brouhaha.) Monsieur le président, je veux bien me prononcer sur le renvoi en commission pour autant que je puisse m'exprimer tout court ! M. Unger, président du parti démocrate-chrétien, est l'auteur d'un éditorial, dans le journal de son parti, prônant la nécessité d'une fiscalité efficace à Genève, particulièrement pour les familles des classes moyennes à supérieures. Par conséquent, les avis ne sont pas aussi clairs et tranchés que certains le prétendent.

La question étant fondamentale, nous avons estimé nécessaire de lancer une initiative populaire. Le nombre des signatures recueillies démontre l'intérêt qu'elle suscite. D'ailleurs, la plupart des pays occidentaux se posent la même question et ceux qui ont pu créer des emplois sont ceux-là même qui ont eu le courage de diminuer la fiscalité. En effet, c'est un acte courageux.

Nous ne nous opposons pas au renvoi en commission... (Rires.) ...dans la mesure où il est cohérent d'aborder en même temps le projet de loi et l'initiative. Cela dit, c'est relativement peu important, puisque le peuple sera appelé à se prononcer sur le fond.

Le président. Le Bureau a décidé, à l'unanimité, d'interrompre le débat pour passer au vote sur le renvoi en commission. (Contestations.) Selon notre propre règlement, cette décision est valable si elle est unanimement prise par le Bureau.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer ce rapport en commission est rejetée.

Le président. Nous poursuivons le débat sur le fond. Je donne la parole à M. le député Gilles Godinat.

M. Gilles Godinat (AdG). Je rappelle qu'en 1993 la réduction des déficits a été définie comme la priorité absolue, afin de rééquilibrer le budget dans les plus brefs délais. Cet objectif devait être atteint avant la fin du siècle. Ce plan quadriennal avait fait l'objet de nombreuses controverses à l'époque. En fait, vous vous êtes démasqués, comme Bernard Clerc l'avait souligné en son temps.

En réalité, ce n'est pas la réduction du déficit budgétaire qui vous intéresse, mais bien la réduction du budget de l'Etat. Et vous en avez fait votre projet.

Je ne reviendrai pas sur les arguments économiques déjà suffisamment développés : ils ne tiennent pas la route ! Si on prend l'exemple particulièrement choquant de l'Angleterre, où les dogmes libéraux ont été appliqués à la lettre pendant vingt ans, on relève, parallèlement aux dettes fiscales, un accroissement jamais vu des inégalités sociales. Voilà le résultat concret de la politique que vous préconisez pour ce canton !

Je ne reviendrai pas non plus sur les travaux menés en commission. Leur issue est claire. Le président du département des finances s'est lui-même prononcé sur ce projet. Nous le suivrons pour une fois, car sa sagesse nous guide. Ce projet est néfaste pour le canton. La spirale de la concurrence fiscale mène à l'asphyxie budgétaire et votre projet n'est qu'une suite de cadeaux aux privilégiés.

M. Bernard Clerc (AdG). Je ne partage pas le point de vue de ceux qui pensent que le parti libéral ne fait, en l'occurrence, que de l'électoralisme.

Le parti libéral est en accord avec ses positions fondamentales. Ce n'est pas un vain débat, Monsieur Blanc, c'est un débat de fond sur la question du rôle et de la nature de l'Etat, par le biais de son financement.

Bien sûr, les élections sont propices au lancement d'une initiative, mais l'orientation libérale demeure la question de fond.

Tout en étant heureux de l'attitude du parti radical et de celle, plus ambiguë, du parti démocrate-chrétien, je rappelle que, lors du débat de préconsultation sur ce projet de loi, ces deux partis ont refusé la discussion immédiate que nous proposions. Ils ont soutenu le renvoi en commission avec l'idée de coller, si ce n'est totalement, du moins en bonne partie, aux options du parti libéral. Dès lors, je me demande, aujourd'hui, qui est le plus électoraliste, mais ne vous méprenez pas, je n'interviens pas pour faire l'apologie du parti libéral...

Permettez-moi cette citation : «L'allégement fiscal est une stratégie libérale que je partage entièrement mais, comme économiste, j'émets des doutes quant à la capacité d'une telle baisse de dégager des effets à court terme.» C'est l'avis de votre candidate libérale au Conseil d'Etat !

La stratégie libérale fait apparaître clairement une orientation de fond qui consiste à réduire le rôle de l'Etat en réduisant ses recettes, l'Etat étant considéré comme l'obstacle majeur au fonctionnement normal de l'économie de marché.

En dehors des effets concrets relevés par M. Ecuyer et d'autres intervenants, c'est par rapport à cette orientation que nous disons non au projet de loi.

M. Jean Spielmann (AdG). Cette situation pose un problème crucial que nous devrons régler d'ici quelques années. Nous ne nous épargnerons donc pas un débat et une prise de position parlementaires sur la proposition du parti libéral, les appréciations du rapport de majorité et l'argumentation portant sur le poids de la fiscalité des personnes physiques. Effectivement, il y a distorsion.

A l'occasion d'une proposition de modification de la loi, il serait judicieux d'examiner les motifs qui ont conduit aux différentes demandes et analyses faites dans le rapport de majorité en matière de comparaisons intercantonales des impôts sur les personnes physiques. Et c'est ainsi que nous reconnaissons le fruit de la politique des libéraux et de leurs amis qui, au cours des années précédentes, ont modifié considérablement l'assiette fiscale cantonale en augmentant uniquement l'impôt sur les personnes physiques et en épargnant toutes les autres sources de revenus.

Paradoxalement, ceux qui sollicitaient, au moment du budget, l'augmentation des impôts sur les personnes physiques, relançant ainsi la progression à froid, sont ceux-là même qui proposent, aujourd'hui, de diminuer lesdits impôts dans leur initiative et leur projet de loi. Je reviendrai sur cette dualité.

Au cours de la dernière législature, ils ont supprimé les impôts sur les bénéfices immobiliers, exonéré les propriétaires après quelques années de possession et modifié les lois sur les prélèvements fiscaux. Ils se sont bien gardés de présenter de telles statistiques en tant qu'éléments de comparaison !

Effectivement, on a quelques gains avec les salariés vaudois, et ce jusqu'à Lausanne, mais les milieux représentés par les libéraux, qui se portent à merveille avec leurs millions de bénéfices, sont épargnés. Le canton de Genève taxe le tiers de ce que prélèvent les cantons de Vaud, de Zurich et de Bâle en matière d'impôts sur les bénéfices des sociétés et les flux financiers.

Reprenez les statistiques de l'ouvrage déjà présenté. Nous ne disposons plus des chiffres, qui ne sont d'ailleurs plus valables, puisqu'ils concernent l'impôt 1995 et qu'à ce moment-là les modifications fiscales, avec déduction pour un enfant, n'avaient pas encore été introduites. Vous avez pris volontairement le tableau comparatif avec Zurich relatif à une personne mariée ayant deux enfants, parce que c'était le seul pouvant appuyer votre démonstration. Depuis, la loi a changé, mais n'entrons pas dans les détails, puisque c'est l'ensemble de votre démonstration qui est erroné.

C'est pourquoi j'attends sereinement les débats sur la modification de l'assiette fiscale, car il faudra corriger les erreurs politiques que vous avez faites et imposer les gens qui peuvent et doivent payer. C'est une question de justice, car il n'est pas normal que l'on taxe, jusqu'au dernier centime, ceux qui travaillent et que l'on exonère totalement les spéculateurs qui ne produisent rien pour la société. C'est un problème de fond et nous devrons prendre l'argent là où il se trouve. Pour ce faire, je sais que vous ne serez pas à nos côtés.

Dernier argument. Durant quatre ans, vous avez eu la majorité absolue au Conseil d'Etat; durant des années vous avez eu celle de ce Grand Conseil, et tout le monde vous a suivis. Dès lors, pourquoi diable avons-nous une fiscalité qui ne vous convient pas ? C'est vous qui l'avez mise en place ! Quand nous avons proposé de la modifier, vous avez fait opposition.

Vous avez proposé par voie d'initiative, au moment où nous en discutions, un contreprojet pour supprimer la progression à froid, avec la responsabilité politique d'en trouver les contreparties financières. Vous avez donc modifié le projet et le peuple a voté le contreprojet qui proposait de supprimer, purement et simplement, tous les effets de la progression à froid sans que la collectivité ait les moyens de trouver les compensations nécessaires.

Vous avez déclaré à ce moment-là - il suffit de reprendre le Mémorial pour s'en assurer - que vos propositions ne tiendraient pas la route et que vous seriez obligés de revenir sur vos décisions.

Voilà trois ans de suite que vous décidez de la reprise de la progression à froid. Vu la façon dont vous tenez vos engagements, je suis persuadé que vos propositions actuelles ne valent pas plus que celles relatives au bonus-loyer et aux élections. Elles ont néanmoins la vertu de ne plus augmenter le nombre de vos députés, parce que les gens commencent à saisir la nature de vos discours.

M. René Ecuyer (AdG), rapporteur de première minorité ad interim. Madame Spoerri, vous ne répondez pas aux questions concrètes, consciente que vous êtes de priver la collectivité de centaines de millions. A qui les ferez-vous payer ? Qui seront les victimes de votre politique ? Les chômeurs, les personnes âgées, les personnes en difficulté ? Vous ne répondez pas !

Vous vous défendez d'électoralisme. Pourtant, l'affaire du bonus-loyer, voilà quatre ans, avait quand même quelque chose d'électoraliste. A peine le projet voté, vous l'avez abandonné et vous vous êtes fait élire à cause de ce bonus-loyer. Beaucoup de gens vous avaient suivis, pensant que vous leur apporteriez quelque chose, et vous ne leur avez rien donné. C'était juste pour vous faire élire. Aujourd'hui, vous poursuivez le même but avec la baisse des impôts.

S'il ne s'agissait que d'une manoeuvre électorale, passe encore, mais nous avons affaire à une dérive du parti libéral. Je n'hésite pas à reprendre les propos de notre excellent camarade Butikofer qui reviendra très prochainement dans cette enceinte. Il a dit ceci : «...les tentatives néolibérales ressemblent fortement à celles proclamées par la formation de l'Union de défense économique. Le parti [de défense économique] a été créé en 1923 par une poignée d'hommes d'affaires, membres dissidents du parti libéral. Ce parti était en quelque sorte le bras politique prolongé de la Chambre de commerce.» Maintenant, nous pouvons dire que vous êtes, à votre tour, le bras politique de la Chambre de commerce. Rien n'a changé !

Quel était le programme électoral dudit parti ? Le rétablissement des finances publiques et l'abandon d'un maximum de prestations étatiques, le refus de tout intermédiaire entre le pouvoir public et l'économie privée, la réduction de la «ponction fiscale genevoise.»

A Zurich, l'UDC est parvenue à faire admettre une diminution de l'impôt sur les personnes physiques. A Genève, le parti libéral semble vouloir occuper le terrain politique, à l'instar des blochériens zurichois. Le langage utilisé de part et d'autre ne manque pas de similitudes, puisque le parti libéral parle de «mesures confiscatoires» quand il parle d'impôts.

Un parti libéral pratiquant une politique d'extrême droite est inquiétant pour l'avenir démocratique de ce canton. Je vous invite à réfléchir et surtout à ne pas accepter, en matière de baisse d'impôts, les propositions du parti libéral que le parti démocrate-chrétien - il y a des girouettes dans ce parlement ! - avait allègrement votées. Sentant le vent venir, le parti libéral avait alors dit : «Non, n'allons pas aussi loin, arrêtons-nous à 5% !». Mais personne n'a dit qui devraient se passer des sous manquant dans la caisse !

Fort heureusement, seuls les imbéciles ne changent pas d'avis. C'est pourquoi je vous demande de rejeter massivement ce projet de loi. Il aurait été stupide de le renvoyer en commission où nous avons eu beaucoup de séances et alors que nous avons eu la chance d'entendre des spécialistes qui, tous, nous ont donné raison.

Mme Micheline Calmy-Rey (S), rapporteuse de deuxième minorité. Je voudrais juste apporter une précision à Mme Spoerri. Je ne conteste pas le nombre de dix-huit mille navetteurs qui viennent régulièrement travailler dans le canton de Genève. Mon propos portait sur les mouvements migratoires annuels, c'est-à-dire les Genevois qui partent pour aller se domicilier dans le canton de Vaud et les Vaudois qui s'établissent à Genève. Ce seuil migratoire, d'après les derniers chiffres disponibles, est positif pour Genève.

Deuxième remarque par rapport au poids de la charge fiscale qui serait plus lourde à Genève qu'ailleurs. Il est exact que le montant des impôts acquittés à Genève se situe au-dessus de la moyenne suisse, mais il est également vrai que les revenus y atteignent des niveaux sensiblement plus élevés. Pour comparer ce qui est comparable, il faut ramener les niveaux genevois au niveau suisse. Dès lors, nous constatons que le fardeau de la charge fiscale totale à Genève, c'est-à-dire impôts communaux et cantonaux, est de 8,5% plus élevé que la moyenne suisse.

En fait, ce sont les petits contribuables qui tirent la moyenne vers le bas. En revanche, les contribuables aisés supportent une charge fiscale nettement plus élevée que la moyenne.

Nous avons voulu cette progressivité en raison de ses effets redistributifs. Si elle s'accroît aujourd'hui, c'est en raison d'une redistribution de plus en plus inégalitaire des revenus.

Cette progressivité pourrait effectivement poser problème si elle incitait les contribuables aisés à partir, mais ce n'est pas le cas.

Je tiens à dire enfin que la gauche et les Verts sont pour la stabilité des impôts sur les personnes physiques, c'est-à-dire ni pour une hausse ni pour une baisse. Quant au reste, nous souhaitons mettre fin à des privilèges existants ou à des privilèges accordés par l'Entente au cours de la dernière législature.

M. Chaïm Nissim (Ve), rapporteur de troisième minorité. Je viens à l'aide de nos collègues démocrates-chrétiens pour qu'ils accouchent d'une position. (Rires.) Imaginez, Monsieur Carlo Lamprecht, que je sois l'un de vos électeurs et que je vous rencontre lors d'un débat. En proie à deux désirs contradictoires, payer moins d'impôts et jouir d'un maximum de prestations, je vous demanderais, si vous êtes élu, ce que vous décideriez par rapport au vote de ce projet de loi.

Le président. Monsieur Lamprecht, si vous désirez intervenir, vous levez la main et nous vous donnons la parole.

M. Nicolas Brunschwig (L). Voici quelques remarques concernant les propos de Mme Calmy-Rey et de M. Spielmann.

Madame Calmy-Rey, votre analyse quantitative des mouvements migratoires doit être remplacée par une analyse qualitative. Calculer le nombre de personnes arrivant à Genève par rapport à celles qui en partent est largement insuffisant. Il faut connaître la qualité, notamment en matière de revenus, de ceux qui viennent dans le canton et de ceux qui le quittent. Ce faisant, vous constaterez que votre analyse est moins positive que vous ne le dites.

Un autre élément doit être considéré. Il est vrai que les personnes quittant définitivement notre canton ne constituent pas une majorité. En revanche, nombreuses sont celles qui ont un emploi à Genève et choisissent de s'établir dans le canton de Vaud. La plupart des cadres des multinationales et des grandes banques, tour à tour mutés à New York, à Paris et à Londres, recourront aux services d'un conseiller fiscal avant de venir chez nous. Je présume, Monsieur Ecuyer, que vous étiez absent lors de l'audition, en commission, de la Chambre des fiduciaires genevoises. Elle nous a fait savoir que le problème principal de Genève, en termes de promotion économique, réside dans la fiscalité des personnes physiques. Le tableau figurant à la page 16 du rapport de majorité montre, à l'évidence, que notre fiscalité est catastrophique, en matière de compétitivité avec les autres cantons suisses, notamment celui de Vaud qui, géographiquement, nous gêne le plus.

Monsieur Godinat, nous ne voulons pas sousenchérir en entrant dans une concurrence fiscale acharnée, mais reconnaissez que notre canton est le plus cher de tous pour les revenus dépassant 80 000 F. Le parlement doit le savoir avant de voter, et la population le saura avant de s'exprimer.

Est-il normal que l'on paie autant d'impôts à Genève dès que l'on a un revenu supérieur à 80 000 F ? Personne ne peut dire que c'est faux. Quiconque appartenant à la commission fiscale, quiconque ayant étudié les comparaisons faites par l'administration fédérale, peut affirmer - que l'on soit célibataire, marié, parent de deux enfants, et quoi qu'en dise M. Spielmann - que l'on paie beaucoup plus d'impôts à Genève dès que l'on touche un revenu supérieur à 80 000 F. Les écarts se creusent significativement pour les revenus de 80 000, 100 000 et 120 000 F. C'est un fait et non un dogme !

Monsieur Spielmann, vous dites que l'imposition des personnes morales est trois fois moins forte à Genève qu'à Zurich. J'ignore si vous êtes troublé par votre incompétence naturelle ou par vos vingt-huit ans de parlement, mais vous commettez une grave erreur. Il s'agit d'un mensonge ou d'un oubli ou encore d'une méconnaissance totale du phénomène. D'ailleurs, on ne vous a pas souvent vu à la commission fiscale.

M. Jean Spielmann. Je me suis longuement exprimé.

M. Nicolas Brunschwig. Je ne comprends pas pourquoi, puisque vous ne dites que des âneries...

Ce projet a deux aspects importants. Le premier est qu'en dix ans le nombre de personnes habitant dans le canton de Vaud et travaillant à Genève a augmenté de dix mille, soit mille par an. L'administration a estimé que la perte de substance fiscale, de 300 à 400 millions, équivaut à peu près à notre déficit. Nous n'avons pas l'ambition de faire revenir ces dix milles personnes, du moins pas à court terme. Par contre, nous avons celle de stopper cette hémorragie qui n'est pas arrêtée, contrairement à ce que disent certains et contrairement aux données du tableau de la page 17 de notre document. J'en ai d'ailleurs discuté longuement avec M. Clerc. Les derniers chiffres valables remontent au recensement de 1990. Il n'y en pas eu d'autres depuis.

Personne ne peut dire que le nombre de quinze mille Vaudois recensés qui travaillent à Genève correspond à la réalité actuelle. Sur ce point, le document n'est pas fiable.

Le deuxième aspect est très important. Nous avons beaucoup travaillé en commission et amendé le projet de loi initial. Le parti libéral a une responsabilité gouvernementale. Il tient autant que vous, sinon plus, au redressement des finances publiques. Nous avons trouvé un système compatible avec ce redressement. Certes, la première tranche doit avoir un impact psychologique important, d'où le pari de 5% du projet amendé ressorti de la commission; sa teneur figure à la page 15 du rapport. En revanche, les deux diminutions suivantes seront effectives pour autant qu'un certain seuil de réduction des déficits soit atteint pour la première tranche, et d'équilibre pour la deuxième.

Notre proposition est donc parfaitement compatible avec le redressement des finances publiques. Ceux qui la dénigrent avouent, en fait, qu'ils ne rééquilibreront jamais les finances publiques. Je crois, d'ailleurs, que c'est le souhait de la nouvelle majorité. La population, appelée à se prononcer, devra le savoir.

Ce projet a deux objectifs :

- redonner une certaine compétitivité fiscale, en termes de promotion économique, ceci au sens large, c'est-à-dire pas seulement aux entreprises, mais aussi à leurs cadres et leurs employés;

- la compatibilité avec les finances publiques. Vous aurez constaté que les cantons suisses qui se portent le mieux sont ceux qui ont la fiscalité la moins lourde. Bien sûr, il ne faut pas comparer Glaris à Zoug, mais on peut comparer Genève à Vaud ou à Zurich. Libre à vous d'exprimer par un vote négatif vos doutes et votre mauvaise humeur. L'important, pour nous, est que la population se prononce après avoir été correctement informée, ce qui n'a pas été le cas ce soir.

Le président. Madame la députée Spoerri, je vous rappelle que la parole est accordée en priorité aux rapporteurs au début du débat. Ensuite, elle est donnée dans l'ordre des demandes. Madame, vous avez la parole.

Mme Micheline Spoerri (L), rapporteuse de majorité. Je demanderai à M. Ecuyer, qui parle d'ultra libéralisme, de lire le programme publié par les libéraux avant les élections du Grand Conseil. Une fois qu'il en aura pris connaissance, je discuterai volontiers avec lui. Ce programme comporte vingt-deux points dont un seul sur la fiscalité.

M. Ecuyer m'a demandé à qui j'entendais faire supporter les économies ainsi réalisées. Monsieur, si nous le savions d'avance, nous n'aurions pas rédigé un programme et ne serions pas là ce soir !

Aujourd'hui, nous voulons plus de transparence dans certaines dépenses sociales, afin de prendre des mesures qui, précisément, ne soient pas socialement injustes. Il faut admettre, ce que je fais à titre personnel, une aggravation transitoire du déficit, compte tenu de l'éventuelle application de notre projet de loi.

Je réitère une question demeurée sans réponse. En dépit des efforts fournis par notre gouvernement, notamment sous la conduite de M. Olivier Vodoz que vous venez de citer, les recettes ont diminué deux fois plus vite que les dépenses. Aussi je demande à la nouvelle majorité de ce parlement ce qu'elle entend faire pour augmenter les recettes de l'Etat.

M. Bernard Lescaze (R). Nous voici au coeur du débat et je tiens à confirmer la position du parti radical. Il est favorable au maintien des prestations actuelles, donc au maintien de la fiscalité telle que nous la connaissons. C'est pourquoi nous ne voterons pas le projet du parti libéral.

Je tiens à citer un paragraphe figurant à la page 6 du rapport de Mme Spoerri : «Une baisse d'impôts provoquerait une diminution des recettes fiscales et aurait pour conséquence de couler le canton dans le déficit (actuellement Genève a une dette de fonctionnement de 2 900 millions de francs) et de diminuer les prestations offertes par l'Etat.» Ces propos, que nous partageons, sont de M. Olivier Vodoz, chef du département des finances.

Je rappelle à M. Nicolas Brunschwig que certes la fiscalité genevoise, à partir de 80 000 F, est l'une des plus élevées de Suisse, sinon la plus élevée, mais que 80 000 F n'est pas un petit revenu - sans doute n'avons-nous pas la même échelle des valeurs - et, surtout, que le canton de Genève et les communes genevoises font un effort, probablement à nul autre pareil, en matière de prestations sociales, culturelles, hospitalières et éducatives. Cela doit être pris en considération quand on pondère les choses.

Maintenant, je m'amuse en m'adressant à M. le député Spielmann. En effet, je constate qu'il est pour la baisse des impôts, mais que ne l'ayant pas bien compris sans doute, il fait l'éloge aussi du maintien des dispositions contre la progression à froid. Par conséquent, il a un discours quelque peu incohérent, puisqu'il refuse le projet libéral, d'une part, et semble appeler des diminutions d'impôts, de l'autre.

Je sais bien que ce n'est pas la même chose, mais je souhaiterais plus de cohérence, en général, sur tous les points relatifs à la fiscalité.

M. Brunschwig a développé des arguments parfaitement exacts quant aux flux migratoires évoqués par Mme Calmy-Rey. Il faut pondérer qualitativement les contribuables aisés quittant notre canton et les travailleurs venant s'y établir, parce que Genève offre des prestations sociales ou des prestations en matière de chômage des plus intéressantes. Une étude des flux migratoires entre le canton de Vaud et le canton de Genève, notamment entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas, serait particulièrement bienvenue.

Enfin, je ne voudrais pas manquer de relever, à l'intention de M. Ecuyer, qu'en ce qui concerne l'évolution de la Chambre de commerce on ne saurait comparer son actuel président, dont chacun sait qu'il est au bout de sa carrière politique, à feu M. Edmond Turrettini qui l'a dirigée avant de devenir l'un des leaders de l'Union de défense économique, en 1923, et d'être élu au Conseil d'Etat où il a rétabli des finances publiques bien plus obérées que celles d'aujourd'hui. Je tenais à le dire par respect historique envers Edmond Turrettini.

En conclusion, le groupe radical votera contre le projet libéral, conformément à ce qu'il a laissé entendre en commission fiscale, tout en s'abstenant par égard pour ses alliés.

M. Christian Brunier (S). Proposer une diminution d'impôts alors que les finances publiques vont mal est totalement irrationnel ! Soyons clairs : au-delà des considérations fiscales, nous avons affaire à un projet «uniquement» électoraliste.

La recette est simple. Vous présentez un projet reluisant, qui fait fantasmer l'opinion publique, et vous évitez soigneusement de présenter la facture qui l'accompagne. Elle sera salée, surtout pour les plus défavorisés de notre canton.

La fiscalité genevoise est la plus sociale de Suisse. C'est M. Vodoz qui le dit. Et les libéraux cherchent à la démolir ! Ils ne la supportent pas ! Or cet équilibre social est l'une des principales richesses de notre canton. Ce projet ne créera qu'une instabilité sociale dommageable pour tout le monde.

Oui, Mesdames et Messieurs les libéraux, on paie plus d'impôts à Genève que dans d'autres cantons mais, en échange, nous disposons de structures scolaires que tout le monde nous envie. Nous avons une activité culturelle que beaucoup n'ont pas. Nous avons des services sociaux que la plupart des cantons ne possèdent pas.

Ayez donc le courage d'indiquer les prestations que vous souhaitez supprimer, car il est certain que nous n'arriverons pas à les préserver toutes avec un coût de plus de 332 millions.

Ce projet de baisse des impôts nous place, en fait, devant un choix de société. Voulons-nous une société solidaire et équilibrée ou préférons-nous élever l'égoïsme et la compétition en dogmes ? Nous avons constaté les désastres que pouvaient provoquer de telles politiques pour nous enlever toute envie de commettre les mêmes erreurs.

Les libéraux se soucient désormais des personnes qui ont quitté notre canton pour aller habiter dans le canton de Vaud, par exemple. C'est un peu tard ! Vous n'avez pas bougé quand, dans les années 80 et 90, la gauche et les Verts vous ont mis en garde contre la surchauffe immobilière qui incitait une partie de la population genevoise à quitter le canton, surchauffe dont les gens de ma génération ont souffert. Pire ! Vous avez continué à soutenir la spéculation effrénée. Prétendre maintenant qu'une bonne partie de cet exode s'explique par une fiscalité trop lourde est tout simplement un mensonge.

Un autre de vos arguments est de dire que cette baisse fiscale relancera la consommation. Les travailleuses et les travailleurs aimeraient vraiment entendre les mêmes propos, dans votre bouche, quand nous luttons contre les licenciements abusifs ou quand nous nous battons pour assurer des salaires décents.

C'est bien en assurant des conditions salariales convenables, en soutenant les PME créatrices d'emplois et en menant une politique active d'investissement des collectivités publiques que nous relancerons véritablement la consommation.

Pour relancer l'économie genevoise, la tendance majoritaire du parti libéral a été de rechercher un remède dans les thèses ultralibéralistes les plus ringardes. L'ultralibéralisme, ce concept immoral, qui asphyxie le monde au profit d'une infime minorité, est-ce le choix de société que les Genevoises et les Genevois souhaitent ? Je n'en crois rien ! Aujourd'hui, notre société a besoin d'audace, d'imagination, et non d'aveuglement. (Les députés de droite entonnent l'Internationale, les députés de gauche applaudissent.)

M. Bernard Clerc (AdG). Je reviens sur trois aspects du débat, notamment celui soulevé par M. Nicolas Brunschwig.

Je parlerai tout d'abord de l'exode - le terme est fort ! - des contribuables dans le canton de Vaud. Jusqu'à ce jour, personne n'a pu produire un chiffre démontrant la part des résidents du canton de Vaud, actifs à Genève, mais ayant habité à Genève auparavant, et la part de ceux qui ont toujours habité dans le canton de Vaud et sont venus travailler à Genève quand elle offrait plus d'emplois que le canton de Vaud.

Si nous poussons plus loin le raisonnement, Monsieur Brunschwig, nous constatons qu'il y a davantage de personnes actives à Genève qui résident ailleurs que dans le canton de Vaud : ce sont les frontaliers. Il y en a trente mille, soit le double de celles qui résident dans le canton de Vaud. Mais les frontaliers, eux, sont imposés ! Le problème que vous soulevez indirectement est celui d'une collaboration avec le canton de Vaud, non pour créer des machins du type RHUSO, mais en vue d'un accord en matière de fiscalité. C'est à cela qu'il faut travailler.

Les chiffres publiés à la page 17 du rapport pour démontrer la stabilité des quinze mille résidents actifs ressortent - et vous le savez, Monsieur Brunschwig ! - de la documentation fournie par le parti libéral pendant la campagne électorale. Aujourd'hui, vous dites qu'ils sont faux. Nous prenons donc acte que le parti libéral publie des chiffres inexacts.

J'en viens aux effets de la diminution fiscale que vous proposez. Tout à coup, vous prenez la défense de la classe moyenne. Aussi vais-je vous donner deux exemples.

Le premier a trait aux personnes âgées, bénéficiaires de l'OCPA. Avec votre proposition, ces personnes auront, en 2005, une diminution d'impôts de 15 F par mois. Monsieur Brunschwig, quand vous avez proposé, l'année dernière, de ne pas indexer les prestations complémentaires aux personnes âgées, savez-vous ce que cela représentait par mois ? 30 francs ! Vous voulez offrir aux personnes âgées un cadeau mensuel de 15 F en 2005, mais l'an passé vous étiez prêt à leur enlever 30 F par mois ! C'est dans la logique de ce que je viens de décrire, vous voulez diminuer l'imposition pour favoriser les hauts revenus, puisque ce que vous allez accorder d'un côté, vous le reprendrez plus fortement de l'autre.

Parlons de la classe moyenne et de ses revenus de 80 000 F, dont certains pensent qu'ils sont extraordinaires. Tout dépend de la grandeur des familles. Considérons, et c'est là mon deuxième exemple, des contribuables acquittant 10 000 F d'impôts. Avec votre système, ils paieront 100 F de moins chaque mois. Ce que vous oubliez de dire c'est que vous avez introduit pour ces contribuables, au cours des quatre années écoulées, les taxes universitaires, la fin de la gratuité du parascolaire, la suppression des allocations familiales pour les jeunes en formation au-delà d'un certain revenu, précisément celui de nos contribuables, et vous avez révisé les barèmes des logements subventionnés. Avec votre proposition, ces contribuables sont perdants, il suffit de faire l'addition !

Je conclurai par l'assiette fiscale. On parle toujours de l'assiette fiscale existante, essentiellement basée sur les revenus du travail. Or, maintenant, le gros de la richesse, ici et ailleurs, provient des revenus des capitaux. C'est donc la taxation de ces derniers qui résoudra la crise des finances publiques, Monsieur Brunschwig. Très prochainement, nous présenterons une proposition dans ce sens.

Il n'y a aucune contradiction de notre part quant à la progression à froid. Nous avons toujours combattu sa réintroduction pour la simple et bonne raison que nous avions lancé une initiative populaire à cet effet. Un vote populaire s'en est suivi, et nous le respectons. Il était tout à fait anormal qu'une simple adaptation des revenus au coût de la vie, c'est-à-dire le maintien du pouvoir d'achat, induise une hausse d'impôts.

M. Albert Rodrik (S). Quand René Ecuyer a demandé, à trois reprises, quelles prestations seraient diminuées, j'ai eu le scoop de ma vie politique, parce que mon amie, Mme Spoerri, a répondu : «Si nous le savions, nous ne serions pas là !».

Ce fut un grand moment pour un militant de gauche qui, depuis des décennies, se voit continuellement servir par un certain nombre de messieurs et dames de l'Entente le fait que nous proposons toujours des dépenses sans savoir comment les financer.

Il y a vingt-cinq ans, un certain nombre de théoriciens et d'hommes politiques ont pris en otages des grands pays du monde anglo-saxon au nom de cette théorie simple : diminuez les impôts, les entreprises seront à l'aise; elles auront plus de trésorerie; elles investiront et créeront des emplois.

A la suite de dix années de cette chimère, nous sommes entrés dans la crise économique et le marasme les plus grands, les plus inextricables, que l'histoire récente de l'humanité a connus.

Je veux bien croire que des gens, dans ces pays, y ont cru il y a vingt ans. Dès lors que l'on nous ressert la même recette, en sachant que même s'il y a un mieux en matière de situation économique, il n'y en aura en tout cas pas en matière de création d'emplois, je trouve que nous atteignons la limite de ce que l'on peut dire et raconter à la population.

M. Clerc a mis le doigt sur l'affaire. Il y a peut-être de l'électoralisme. Je suis indulgent et dis que celui qui, en politique, n'en a jamais fait jette la première pierre. Mais il y a surtout cette vieille veine de vouloir revenir à l'Etat du XIXe siècle, l'Etat gendarme et diplomate dont rêve une certaine partie de l'échiquier politique.

Or, aujourd'hui, le parti libéral va méditer ce que le roi David a dit : «Seigneur, occupez-vous de mes amis, je m'occuperai de mes ennemis». Et c'est bien fait pour lui !

La théorie a été mise à l'épreuve et, le 1er mai 1997, pas un seul député conservateur n'a été élu au Pays de Galles et pas un seul en Ecosse. Je nous souhaite le 16 novembre que nous méritons. (Applaudissements.)

Mme Barbara Polla (L). Je parlerai d'abord d'électoralisme. Généralement, on le mentionne quand un projet s'applique plus particulièrement à l'électorat d'un parti.

Tout à l'heure, dans le taxi qui m'a amenée ici, j'ai demandé au chauffeur s'il voulait signer notre initiative. Il m'a répondu qu'il était désolé de ne pouvoir le faire. Il m'a dit que bien que travaillant à Genève il avait pris domicile ailleurs en raison des impôts trop élevés qu'il devait payer.

A moins de considérer que l'ensemble des habitants du canton de Genève tout entier constitue l'électorat du parti libéral, on ne peut pas considérer ce projet comme étant électoraliste. Il est vrai qu'il concerne tout un chacun et que tout le monde s'y intéresse. C'est peut-être pour cette raison que l'accusation d'électoralisme vous séduit autant.

Ce qui, à moi, me paraît très électoraliste, c'est le fait de ne cesser de demander qui va payer la diminution transitoire des recettes fiscales causée par cette proposition de baisse des impôts. L'Alliance de gauche a insisté sur le fait que les chômeurs en pâtiraient particulièrement. Je m'inscris en faux contre cette assertion et j'ajoute que l'Alliance de gauche est particulièrement électoraliste en s'adressant à un électorat spécifique de partis. S'il est une chose que le parti libéral et l'Entente ont vraiment faite durant ces quatre dernières années, c'est de veiller à ce que le soutien social ne soit pas simplement maintenu, mais augmenté.

Je prends un exemple unique, mais probant : la loi sur le chômage, dont M. Nicolas Brunschwig était rapporteur, votée avec la gauche, au cours de la législature.

J'en viens à l'accusation de néolibéralisme. Le fait de proposer une diminution des impôts n'a strictement rien de néolibéral. C'est un classique des doctrines libérales. Nous serions «néo» si nous proposions de supprimer carrément les impôts. Dès lors, vous pourriez vous exciter et nous accuser de libéralisme sauvage. Vu ce projet raisonnable, progressiste et classique, vous pourriez parler tout aussi bien de paléolibéralisme !

Concernant le maintien des prestations évoqué par M. Lescaze, je répète ce que je viens de dire. Durant les quatre ans où nous étions majoritaires, nous avons amplement démontré que le maintien des prestations sociales, voire leur augmentation, nous tenait à coeur. L'objectif de ce projet n'est pas le maintien, mais le progrès. Quelqu'un a fait référence à Mme Brunschwig Graf qui, en bonne libérale, nous enjoint de voir à long terme et non à court terme.

Or, à long terme, il est évident que le projet, tel qu'il est proposé, aura comme retombées de nouvelles recettes fiscales. Par rapport à la recherche des compensations, que nous n'avons pas encore définies, comme l'a reconnu Mme Spoerri, je dirai que l'audit Andersen, qui nous a tous enthousiasmés, nous offre de multiples occasions de faire d'excellentes économies, en dehors de toute atteinte aux prestations sociales.

Nous voulons le progrès. Nous savons que seul un Etat qui dispose des moyens nécessaires peut assurer son rôle de prise en charge sociale de ceux qui en ont besoin. On ne peut distribuer que l'argent qu'on a et l'objectif du projet est d'augmenter, à terme, les recettes fiscales.

Je ne résiste pas au désir de donner l'exemple de Zoug, le canton où on paie le moins d'impôts. Je pense que c'est le canton qui a le moins de difficultés. Je reviens sur ce que M. Rodrik a dit de l'Angleterre. Nous avons beaucoup d'exemples qui prouvent que la baisse de la fiscalité a développé, à terme, un effet extrêmement positif sur l'économie. Pour ce faire, je reprends, a contrario, l'exemple de l'Angleterre. Tony Blair et les siens dirigent un pays en pleine expansion économique, mais celle-ci ne s'est pas faite en trois mois. M. Rodrik a parlé de dix ans de thatchérisme et Tony Blair - outre ses qualités intrinsèques et ses capacités de communication que je ne dénierai en aucun cas - a la chance de cueillir les fruits des graines semées par Mme Thatcher. La prospérité économique actuelle de l'Angleterre qui bénéficie, en termes d'image, à Tony Blair, résulte de ce qu'a fait Mme Thatcher au cours des années précédentes.

Ce projet a un autre objectif - et là nous rejoignons la question de l'électoralisme, parce que cet objectif concerne l'ensemble des habitants de ce canton. Cet objectif est de redonner confiance. Nous sommes dans une situation de crise, tout le monde est touché, et la confiance est un élément essentiel à la relance économique. Le fait de montrer qu'on retrousse ses manches et que notre proposition de réduire la fiscalité n'est qu'une parmi beaucoup d'autres pour sortir de la crise - et quand je dis «nous», je veux dire l'ensemble du parlement. Comme d'autres dans cette enceinte, nous travaillons pour les PME et la qualité de la formation. Notre proposition de réduire la fiscalité est un des éléments qui nous aideront à sortir de la crise. La confiance qu'il apportera, le fait qu'il augmentera à court terme le pouvoir d'achat, sans parler de ses effets positifs à long terme, auront un impact psychologique essentiel pour la relance.

C'est pourquoi... (Quelqu'un éternue très fort.) Messieurs et Mesdames, je vous souhaite santé et vous recommande de voter avec enthousiasme ce projet pour réduire la fiscalité. Même s'il est rejeté, nous serons appelés à rouvrir le débat, quand notre initiative aura abouti.

M. Jean Spielmann (AdG). Monsieur Lescaze, avant de parler pour les autres en les caricaturant, il faut bien les écouter pour éviter de dire des âneries.

Vous ne pouvez pas interpréter la suppression de la progression à froid comme une diminution d'impôts. Nuance, il s'agit d'une non-augmentation ! Pour éviter d'augmenter la charge fiscale des petits et moyens contribuables, on recourt à la progression à froid, parce que c'est à ces niveaux-là que la progressivité de l'impôt est la plus forte. Dès lors, la progression à froid s'apparente à une hausse d'impôts. Vous en avez vécu pendant deux décennies !

Vous en avez abondamment profité, les effets de la progression à froid ayant frappé les revenus jusqu'à 70 000 F. Au-delà, elle ne s'exerçait plus. Une fois la fiscalité corrigée et modifiée, il a fallu introduire des centimes additionnels spéciaux sur les gros revenus. Pour défendre leurs détenteurs, le parti libéral avait lancé un référendum contre l'introduction desdits centimes, lequel a échoué devant le peuple.

Ensuite, nous avons adopté un nouveau système de progressivité de l'impôt sur les personnes physiques. Reste à modifier l'assiette fiscale. En effet, tous les revenus, hors ceux du travail, ont été négligés, d'où l'augmentation de l'impôt sur les personnes physiques.

Je n'interviens pas sur le présent projet qui sera balayé tout à l'heure, mais pour préparer le terrain politique et nous opposer à l'initiative libérale, autrement plus pernicieuse. Par conséquent, il faut établir un contreprojet pour prendre l'argent où il se trouve.

Monsieur Brunschwig, n'étant pas membre de la commission fiscale, je n'y suis pas allé. Vous dites que je suis incompétent ? Je me réjouis de vous prouver qu'en matière de fiscalité je connais bien mes dossiers. Quant à vos comparaisons intercantonales, je saurai vous donner tort en mettant en place un contreprojet qui permettra de trouver l'argent. Pour ce faire, j'utiliserai un ensemble de comparaisons intercantonales fiables et non celles, prélevées de manière passionnelle, qui apparaissent dans le rapport de majorité : Mme Spoerri n'a ciblé que celles qui lui servaient.

Des moyennes générales, il ressort que l'impôt sur les personnes physiques est plus élevé à Genève que dans les autres cantons, parce que les autres sources de revenus sont négligées. Vous avez exonéré vos amis et, ce faisant, vous avez mené une politique à rebours du bon sens. Nous combattrons votre initiative en lui opposant un bon contreprojet. Ainsi nous pourrons chercher l'argent où il se trouve, c'est-à-dire dans les milieux que vous défendez.

Le président. Nous débattons de ce sujet depuis une heure et demie. Quatre orateurs sont encore inscrits. Je les remercie de bien vouloir être brefs. Monsieur Unger, vous avez la parole.

M. Pierre-François Unger (PDC). Ce débat, typiquement dogmatique, semble faire fi de ce que les démocraties ont appris depuis deux siècles.

Monsieur Nissim, je vous réponds à la place de M. Lamprecht. Vous connaîtrez sa position, car je ne doute pas que vous demanderez l'appel nominal.

Je ne voterai pas ce projet de loi. Les choses sont claires et je vais vous expliquer pourquoi.

M. Chaïm Nissim, rapporteur de troisième minorité. Ça m'intéresse !

M. Pierre-François Unger. Vous m'en voyez ravi ! Demandez à votre voisine de se taire. Madame Calmy-Rey, vous empêchez M. Nissim de m'entendre ! Personne ne nie, sur tous les bancs, que la fiscalité genevoise sur les personnes physiques est lourde à partir d'un certain seuil de revenu. Elle est très élevée parce que les tranches touchées le sont aussi.

Même M. Spielmann, si je l'ai bien compris, a trouvé cela relativement inéquitable et relevé que trop de personnes étaient totalement exonérées. C'est là une forme d'impôt négatif extrêmement destructrice pour la démocratie, puisque certains ne contribuent pas au fonctionnement de l'Etat tout en bénéficiant de ses infrastructures. Je partage entièrement cet avis. La pente est trop raide. La charge fiscale des personnes physiques est trop lourde à partir d'un certain seuil et probablement trop légère pour certains revenus qui ne participent pas à la marche générale de l'Etat.

Le point essentiel est le déficit public actuel. Il est intolérable et serait aggravé si le projet était accepté. Je ne parie pas, comme les libéraux, sur une relance à terme, sauf à considérer que nous prenions d'autres mesures d'accompagnement. Cette baisse temporaire serait insupportable en ceci que nos enfants devraient payer la facture des prestations actuelles.

C'est pourquoi nous avons déposé un projet de loi constitutionnelle visant à interdire le déficit. Nous nous réjouissons du soutien que vous lui apporterez.

La réflexion du groupe démocrate-chrétien est assez simple. Compte tenu du déficit, la masse globale de la fiscalité ne peut pas être entamée. En revanche, l'imposition des personnes physiques est trop élevée. Il faut donc prévoir un remaniement fiscal beaucoup plus complet que celui qui nous est proposé, un remaniement qui tienne compte, d'une part, de l'intérêt des familles totalement négligé actuellement et, d'autre part, de la masse fiscale beaucoup trop importante prélevée sur le revenu du travail.

Ne voulant ni augmenter ni diminuer les impôts, nous préconisons une réflexion générale fiscale «à enveloppe fermée» qui offre un plus aux familles et un moins à l'impôt sur le revenu du travail.

Encore un mot sur l'initiative en tant que telle. J'ai dit pourquoi je ne la voterai pas. Comme M. Halpérin se réjouit déjà de me contredire, j'ajoute que je comprends la constitution comme un citoyen et non comme un juriste. Je lis ceci dans l'article 96 : «Lorsqu'un député dépose un projet de loi comportant une dépense nouvelle, ce projet de loi doit prévoir la couverture financière de cette dépense...». C'est logique et n'importe quel individu sensé comprendrait, a contrario, que lorsqu'on renonce à une recette, on doit indiquer la prestation que l'on entend abandonner.

En termes sensés, à défaut d'être juridiques, je me permets d'affirmer que cette initiative est anticonstitutionnelle.

M. Jean-François Courvoisier (S). Personne au monde n'estime ne pas payer trop d'impôts ! C'est vrai pour les petits et les gros contribuables.

Le seul résultat de ce projet sera une baisse de 250 millions de recettes pour l'Etat de Genève. Tout le reste n'est que suppositions.

Comme M. Vodoz l'a dit en commission, une baisse d'impôts provoquerait une diminution des recettes fiscales et, par conséquent, une diminution des prestations sociales offertes.

Les auteurs de ce projet auraient été plus honnêtes s'ils avaient proposé tout d'abord une suppression de prestations qui affecterait les différentes classes sociales de la population. Les plus aisés auraient pu suggérer de fermer le Grand Théâtre qui, malgré des subventions de plusieurs dizaines de millions, ne profite qu'à un petit nombre de privilégiés. Dans le même domaine, il serait possible d'envoyer l'Orchestre de la Suisse Romande à Lausanne. On pourrait aussi annoncer aux milieux moins aisés que pour diminuer les impôts de 12% les TPG devraient doubler leurs tarifs et les effectifs des classes scolaires augmenter de 50%. Présenté ainsi, le projet de loi remporterait certainement moins de succès, car, si tout le monde se plaint de payer trop d'impôts, personne ne regrette de bénéficier d'un maximum de prestations.

A la lecture des conclusions des experts, qui figurent dans le rapport de la commission fiscale, je ne comprends pas comment la rapporteuse de majorité peut écrire que «les auditions des experts [...] ont clairement démontré que le problème principal de Genève pour accueillir de nouveaux résidents ressort de la fiscalité des personnes physiques» et que «...une grande partie des quelque 245 millions de francs qui ne seraient pas versés dans les caisses de l'Etat iraient alimenter le circuit économique genevois...».

Si je suis ce raisonnement, je ne comprends pas pourquoi le parti libéral ne propose que des économies dans la fonction publique, car, si les fonctionnaires disposaient de revenus supérieurs, cet argent dépensé par l'Etat pourrait aussi «alimenter le circuit économique genevois».

Ce projet n'est pas sérieux et, en période électorale, il n'est que démagogique. Il ne mérite pas d'être discuté plus longuement. Pour l'honneur de notre parlement, il serait souhaitable que ses auteurs aient la sagesse de le retirer.

M. Michel Halpérin (L). Je suis frappé du caractère passionnel de ce débat.

Surpris aussi, parce que nous avons voulu, nous les auteurs du projet, aborder une réflexion technique sur un problème technique et économique avant que d'être idéologique. Vous avez préféré y déceler une démarche d'une autre nature. Chacun voit les choses à sa manière, certes, mais je voudrais vous rappeler quelques données élémentaires à partir desquelles il faudrait peut-être commencer par réfléchir.

1. L'argent des contribuables n'est pas le nôtre, tout le monde en sera d'accord. Il a droit à un certain respect dans la manière dont il est prélevé et géré. Par conséquent, il n'y a rien d'extraordinaire, à l'occasion d'une réflexion sur la fiscalité, à se demander s'il est acceptable ou pas de maintenir l'impôt à un niveau tel que des contribuables, dont le nombre va croissant, aient le sentiment d'avoir en face d'eux un Etat excessif et confiscatoire. Les exemples cités tout à l'heure, notamment par M. Rodrik, ont omis certaines démonstrations en provenance des pays du nord de l'Europe où la fiscalité a atteint des sommets historiques dans les années 60 et au début des années 70 avec, pour résultats connus et prouvés, la fuite des plus gros contribuables et la nécessité, dans les années 80, d'une révision autrement plus déchirante que celle proposée aujourd'hui. Par conséquent, c'est une question de respect du contribuable qui, en tant que tel, ne mérite absolument pas de sarcasmes.

2. Une analyse très claire de la situation a été faite. Comme elle a déjà été présentée plusieurs fois, je ne la referai pas. Notre courbe d'impôts est extrêmement élevée. Etant dissuasive, elle provoque le départ de nombreux contribuables. Et ces contribuables perdus ne sont, en principe, pas ceux qui n'ont pas les moyens de s'en aller ou ceux qui ne profiteraient pas de la baisse des impôts. Ce sont des contribuables qui ont la possibilité de choisir. Je ne disconviens pas - nous ne l'avons d'ailleurs jamais nié - que certains quittent Genève pour d'autres raisons que fiscales, ou pour des raisons combinées, fiscales et autres. Par conséquent, notre responsabilité politique collective est de créer à Genève des raisons suffisantes pour que, parmi d'autres, l'imposition fasse qu'on ait envie d'y rester.

3. Vous appelez de vos voeux le maintien d'une solidarité qui a déployé des effets importants. Or, s'il est vrai que nous perdons des centaines de millions du fait de trop d'actifs ne résidant pas à Genève, il faut quand même se demander à qui cela finit par ne pas profiter. Et cela finit par ne pas profiter aux milieux que vous dites vouloir défendre, bien que je pense que c'est l'ensemble de ce parlement qui tient à les soutenir. Il l'a démontré tout au cours de la dernière législature, parce que si nous avons parfois freiné votre goût pour les dépenses, nous en avons quand même voté d'importantes au niveau social. Si la fuite continue, si les déficits se prolongent et s'aggravent, ce sont les petits, qui bénéficient des efforts des plus riches, qui vont trinquer, pour reprendre votre expression. Nous voulons l'éviter, parce que nous tenons à ce que Genève continue à offrir un niveau élevé de solidarité, avec des prestations sociales de qualité. Encore faut-il pouvoir se le permettre ! Vous êtes en train de nous expliquer qu'une baisse d'impôts en trois paliers, comme celle que nous proposons, et dont les deux derniers sont liés à l'évolution de la situation de nos finances, représente un effort que nous ne pouvons pas nous permettre sans porter préjudice à certains droits sociaux primordiaux. Mais c'est en ne fournissant pas cet effort que nous porterons atteinte aux droits sociaux primordiaux, parce que la continuité du déficit sera assurée. Cette baisse d'impôts est le seul moyen d'envoyer le signal clair que Genève a décidé de prendre son destin fiscal en main et de faire en sorte que les conditions de sa compétitivité intercantonale, voire internationale, soient réalisées.

4. On ne peut pas dire, comme je viens de l'entendre, que les travaux de la commission n'ont pas démontré que le taux de la fiscalité sur l'impôt des personnes physiques n'était pas un élément déterminant pour les entreprises qui s'installent, mais qu'il l'était pour leurs cadres qui sont également appelés à s'installer.

En d'autres termes, la diminution immédiate de recettes qui n'aurait pas de contrepartie est de 90 millions seulement. C'est un montant important, certes, mais nous sommes convaincus que sa contre-valeur pourrait se retrouver, sans difficulté, dans l'application de mesures qui ne toucheraient pas le domaine social, dont celles préconisées par l'audit qui, à lui seul, permet, si on l'en croit, des économies de 150 à 200 millions par an.

Sans être victimes d'un excès d'optimisme sur notre aptitude à réaliser de telles économies, je suis persuadé que nous pouvons épargner 90 millions. Même si nous pouvions économiser 60 ou 70 millions seulement, je suis prêt à considérer que les 20 ou 30 millions de différence seraient un investissement pour l'avenir de Genève. Il y a de la dépense d'investissement à conserver à Genève les ressources qui lui sont nécessaires.

5. Je crois que vous ne réalisez pas que deux ou trois cents des plus gros contribuables représentent à peu près l'équivalent des quatre-vingt mille contribuables les moins favorisés. Il faut savoir ce que nous voulons. Nous ne pouvons pas, à la fois, prétendre faire un débat sur l'avenir de Genève en termes de technique et de compétition, c'est-à-dire en termes d'économie, et chevaucher l'idéologie qui consiste à dire que l'impôt est un moyen de redistribuer la richesse de façon à supprimer les inégalités de revenu. Or c'est ce que nous entendons à travers vos propos.

6. Quand M. Clerc et d'autres proposent de faire rentrer des impôts en taxant les gains en capital, ils parlent de choses qu'ils ne connaissent pas, qu'ils n'ont pas mesurées et pas encore appréciées. Par ailleurs, il est absurde de prétendre que des contrôles fiscaux plus sévères pallieraient les difficultés que nous connaissons. On prétend aussi que cette baisse des impôts est injuste, parce qu'elle profiterait davantage aux gros contribuables qu'aux petits. C'est vrai, à l'évidence, puisque ceux qui ne paient pas d'impôts du tout ne recevront rien en retour, ce qui me paraît être la moindre des choses.

Mme Micheline Calmy-Rey (S), rapporteuse de deuxième minorité. J'ai un commentaire à faire à la suite de l'intervention de M. Halpérin.

Toute votre argumentation, Monsieur Halpérin, part de l'hypothèse que la baisse d'impôts que vous proposez aura un effet positif sur la relance. Or c'est une pure supposition et, très probablement, l'effet ne sera pas positif. Sur ce point, je partage entièrement l'avis de Mme Brunschwig Graf, conseillère d'Etat.

Vous supposez qu'un franc donné en pouvoir d'achat supplémentaire au contribuable sera consommé. Dans la situation actuelle, il sera certainement épargné et l'effet le plus prévisible, à court terme, de votre projet sera l'augmentation du déficit, à moins que vous ne proposiez des coupures dans les dépenses, ce que vous ne faites pas ce soir.

En réalité, votre proposition tend à creuser le déficit de l'Etat de Genève, et je ne vois pas comment vous vous sortirez de ce paradoxe.

M. Albert Rodrik (S). M. Halpérin ayant parlé sur un ton et avec des arguments qui tranchent heureusement avec ce qui a été dit avant, il a le droit et mérite qu'on lui réponde sur le même ton.

Il n'y a pas d'exercice fiscal aisé, car il faut conjuguer le social en bas et ne pas être dissuasif en haut au point d'empêcher d'investir et de créer des emplois. Cette conjugaison, d'ordinaire difficile, l'est encore plus aujourd'hui. Nous devons donc envoyer un message de stabilité et non de coups et de désordres. En effet, je considère que ce projet de loi et l'initiative qui suit sont des messages de désordre.

Nous devons dire que nous devons veiller à ce que les principaux impôts restent, grosso modo, ce qu'ils sont, et que nous devons explorer de nouvelles formes de fiscalité qui ne taxent pas exclusivement le travail. Nous en avons besoin et nous devons veiller à ce qu'entre le bas social et le haut pas trop dissuasif, il y ait aussi des classes moyennes pas trop taxées. C'est l'exercice à faire et on ne saurait lui répondre par ce que j'appellerai, vous m'en excuserez, une foucade !

M. Pierre Meyll (AdG). Je suis surpris de la tournure de ce débat. La dialectique de M. Halpérin est absolument remarquable et nous savons qu'il peut retourner l'assemblée avec une présentation parfois fallacieuse. C'est ce que me disait un spécialiste de la fiscalité qui, ne saisissant pas certaines démonstrations de M. Halpérin, était prêt à le suivre. Fort heureusement, il s'est rendu compte, avec le recul, que manifestement - et c'était un hommage qu'il lui rendait - il y avait quelque chose de faux dans sa présentation.

C'est dire et les qualités de M. Halpérin et le danger qu'il représente en exposant les projets du parti libéral.

Je n'allongerai pas, car j'estime nécessaire de délivrer M. Vodoz de cette torture pour qu'il puisse enfin s'exprimer. Néanmoins, je suis contraint de demander à M. Unger pourquoi il se permet de dire que trop de gens ne paient pas d'impôts. Vous avez raison, Monsieur Unger, nombreux sont ceux qui ne paient pas d'impôts ou trop peu, mais ce ne sont pas les plus pauvres. D'où la nécessité d'engager des contrôleurs fiscaux qui, eux, rapportent à la communauté beaucoup plus qu'ils ne lui coûtent. Restent les vrais pauvres. Faudra-t-il les assister pour qu'ils puissent payer des impôts ? Certains ne le peuvent tout simplement pas, ils sont assistés et sont redevables de leur état au régime néolibéral, je n'hésite pas à le dire !

Monsieur Unger, vos propos ont certainement dépassé votre pensée que j'aimerais connaître dans d'autres circonstances. En tout cas pas ce soir, car nous avons suffisamment discuté. Nous devons passer au vote pour que M. Vodoz, comme je viens de le dire, puisse s'exprimer et dîner tranquillement.

M. René Ecuyer (AdG), rapporteur de première minorité ad interim. Nous devons voter, certes, mais nous ne pouvons pas passer sous silence les propos du député Halpérin.

Vous parlez de débat technique ou idéologique, tout en sachant que votre projet aboutira à des diminutions de prestations et personne n'a dit, ici, qui en fera les frais. Est-ce technique ou idéologique de supprimer des milliers d'emplois dans la fonction publique, comme cela a été le cas ces dernières années ? Est-ce technique ou idéologique d'avoir rendu plus difficile l'accès à l'allocation logement ? C'est un peu gros ! Vous êtes des technocrates, vous vous expliquez brillamment, mais derrière tout ça il y a des humains.

Vous me faites vraiment mal en disant que ce sont les petits qui profitent de l'effort des riches. Cela signifie qu'il y aurait des générations successives qui profiteraient de vous, les riches ! Mais comment avez-vous fait fortune dans ce canton ? En exploitant des milliers et des milliers de petites gens pendant des générations ! (Contestations.) C'est exactement cela ! C'est un comble de dire que les petites gens, qui ne paient pas d'impôts, profitent de vos largesses ! Je vous promets que cela cessera un jour !

Ce projet de loi est détestable, vous le savez, et je n'ai toujours pas eu de réponses à mes questions.

M. Michel Halpérin (L). Comme vous avez choisi de ne pas renvoyer ce projet en commission, nous en débattons ici. Tant pis pour nous, même si, à vous entendre, un certain nombre de vos voix est déjà comptabilisé.

M. Ecuyer vient de démontrer ce que je disais tout à l'heure : il nous annonce le grand soir, l'égorgement des capitalistes, la mort de leur capital et la répartition des restes aux pauvres. Bref, vous continuerez sans nous.

Ses propos, bien que plus hargneux que ceux de M. Meyll, qui est d'une amabilité absolument délicieuse à mon égard, ne me font ni chaud ni froid.

J'aimerais que nous raisonnions en termes de responsables politiques des comptes que nous avons à rendre. Ce ne sont pas seulement ceux du budget de l'exercice en cours, mais aussi ceux de la prochaine décennie pour le moins.

Nous avons des comptes à rendre à la génération montante et nous devons simplement savoir si nous voulons créer des conditions qui feront ce que Genève a été durant les trente ou quarante dernières années : un lieu hautement privilégié pour tous, c'est-à-dire pour ceux qui, ayant pu y développer d'intéressantes activités lucratives, en ont fait profiter la collectivité par une imposition largement redistributrice qui a permis à cet Etat de venir à la rencontre de ceux dont la situation était moins facile.

C'était cela que je disais, Monsieur Ecuyer, et vous l'avez parfaitement compris.

Madame Calmy-Rey, on ne peut pas dire, comme vous l'avez fait, que notre projet est construit sur l'idée de la relance. Il est vrai que l'exposé des motifs initial insistait sur cet aspect, mais il est également vrai que les avis des différents économistes qui se sont exprimés en commission - j'ai appris, à cette occasion, que l'économie n'est pas vraiment une science, car les spécialistes, selon leurs tendances, nous tiennent un discours de gauche ou un discours de droite, de sorte que les mieux intentionnés ont de la peine à s'y retrouver - n'ont pas été suffisamment déterminants pour prouver que l'argent épargné des contribuables, par le biais d'une baisse d'impôts, irait nécessairement dans la consommation. Il y a une possibilité que ce soit le cas. Certains pensent que cet argent irait à l'épargne. Je vous ai dit que l'argent qui va à l'épargne a des effets bénéfiques, parce qu'il contribue à maintenir des taux d'intérêts bas et favorise, par conséquent, l'activité économique.

Madame Calmy-Rey, même si vous voulez oublier cet effet d'une baisse d'impôts, l'aspect essentiel révélé par les travaux de commission et par l'audition de certains experts, c'est que cette baisse fera de Genève ce qu'elle n'est plus aujourd'hui, à savoir un canton compétitif lorsqu'il s'agit de décider si on y vient, si on s'y installe et si on est prêt à y payer des impôts.

Je vous rappelle que les catégories de la population concernée ne comptent pas que des millionnaires, mais également ceux qui gagnent un peu plus de 80 000 F par an, c'est-à-dire des couples moyens.

Ou nous transformons lentement Genève en un régime qui favorise essentiellement les dépenses, ou nous faisons maintenant ce qu'il faut pour favoriser les recettes. Nous vous proposons un remède efficace. Si vous le refusez, vous aurez la suite du déficit. Vous ne vous en remettrez pas, nous non plus, parce que nous ne serons plus en mesure de redresser le cap. Nous pouvons agir aujourd'hui encore, après il sera trop tard. Vous avez la majorité, prenez vos responsabilités. De toute manière, le peuple tranchera en prenant les siennes.

M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat n'a pas changé de position depuis l'annonce du dépôt du projet de loi et de l'initiative : il s'oppose en l'état à toute baisse de la fiscalité. De même il a considéré, à la suite des deux échecs sous la précédente législature, qu'il n'était pas raisonnable d'imaginer des hausses de la fiscalité, hormis la problématique, il est vrai, de la suppression temporaire de la progression à froid.

Comme je l'ai souvent dit à l'occasion des débats budgétaires et des comptes, nous avons, en comparaison nationale, la fiscalité la plus sociale du pays pour les bas revenus et la plus élevée pour ceux dépassant 80 000 F brut. Cette progressivité a été voulue par les majorités parlementaires qui l'ont votée au cours des précédentes législatures. Nous n'avons ni augmenté ni diminué la fiscalité des personnes physiques. Même lors de la dernière réforme - suite aux propositions de correction au niveau des bas revenus - nous avons décidé, avec le parlement, d'une double neutralité de l'impôt au niveau de l'Etat et au niveau du contribuable. Cette double neutralité a été votée à une forte majorité.

Tout excès dans un sens ou dans un autre exerce, à terme, des effets pervers sur l'équilibre et la stabilité des rentrées fiscales.

Il est vrai que la fiscalité des personnes physiques devra être revue à moyen terme, sur le plan national comme sur le plan cantonal, et si possible en étroite collaboration, parce qu'elle est essentiellement fondée sur le revenu du travail. Elle a fait ses preuves pendant de nombreuses décennies, mais, aujourd'hui, il faut tenir compte de l'évolution technologique, extrêmement importante, et imaginer, comme je l'ai souvent dit, de nouvelles formes de fiscalité pour remplacer les anciennes et non les amplifier. D'où l'importance de l'assiette fiscale. Elle peut être élargie par rapport à ce qui a été décidé. Vous vous souviendrez d'ailleurs de nos débats sur la contribution sociale généralisée qui avait pour but d'étendre l'assiette fiscale aux retraités sur certains gains.

Cette fiscalité doit être vue dans sa globalité, et c'est pourquoi nous sommes contraints dans ce pays, à cause des pressions européennes, de revoir un certain nombre de choses.

En ce qui concerne le projet de loi, le Conseil d'Etat a arrêté sa position pour quatre raisons que je résume brièvement.

La première est essentielle pour moi, qui suis responsable des finances. C'est une question de cohérence par rapport à un combat que nous avons mené pendant près de sept ans pour tenter, en dépit des difficultés, de redresser les finances. Tant que nous nous trouverons dans cette grave crise budgétaire, il est impensable, pour moi et le Conseil d'Etat, d'imaginer une baisse substantielle des recettes fiscales. On ne peut pas modifier, d'un seul coup, l'objectif du redressement. Je vous mets au défi d'imaginer le redressement des finances sans toucher aux prestations - comme j'ai pu le lire - sans toucher à la fiscalité et en misant exclusivement sur la réorganisation de l'Etat. L'audit montre les limites de cet exercice, car il faut admettre que notre structure étatique - ceci vaut pour l'ensemble du pays - est principalement axée sur les prestations. La majeure partie du déficit du compte de fonctionnement de l'Etat de Genève ne l'est pas au sens strict du terme. C'est un déficit dû aux prestations que nous avons le devoir de verser en raison de la présente situation économique. C'est pourquoi derrière ce débat se profile celui du rôle de l'Etat.

Le poids de la dette est important, 10% de notre budget lui sont consacrés : 470 millions ! Il s'agit d'un devoir de solidarité entre les générations. Nous avons des devoirs à l'égard de nos aînés qui ont très peu, voire pas du tout bénéficié de la prospérité, alors que nous en avons profité. Nous avons des devoirs à l'égard de nos jeunes qui connaissent aujourd'hui des difficultés à trouver un emploi, difficultés que nous-mêmes n'avons pas connues il y a trente ans. Nous avons des responsabilités vis-à-vis de nos parents qui se sont sacrifiés pour nous donner non seulement les institutions que nous avons mais celles qui ont fait l'honneur de la Suisse, de même que nous en avons vis-à-vis des jeunes. Par rapport au poids de la dette, nous devons assumer nos responsabilités dès maintenant.

Le Conseil d'Etat aurait été heureux de pouvoir annoncer, avec sérieux et sérénité, une baisse d'impôts à la population. Malheureusement, il ne peut pas le faire dans la situation présente et ce jusqu'à la réduction partielle de la dette, car il est des bons et des mauvais déficits, les derniers devant être comblés.

La fiscalité est enfin affaire d'équilibre et de justice sur lesquels repose la stabilité de nos concitoyens et de nos entreprises. Tous ont horreur des modifications, même si on leur promet de baisser les impôts. Ils les craignent d'autant plus que la société est devenue vulnérable en l'absence de balises et de valeurs.

La deuxième raison est que toute diminution de recettes, en période de difficultés budgétaires et de fort déficit, impose d'annoncer les priorités concomitantes en matière de réduction des dépenses. Or, l'essentiel du déficit du compte de fonctionnement, comme je viens de le dire, est dû à la redistribution de solidarité. Notre gouvernement et ceux qui l'ont précédé ont eu, pour priorités, la formation et le maintien des prestations sociales, voire leur développement en raison de la crise que nous traversons. C'est pourquoi il est si difficile - que n'ai-je entendu à propos de mes efforts apparemment vains aux yeux de certains ! - de rétablir les finances dans une telle période. Il faut trouver un équilibre entre les mesures à prendre en matière de redressement et les mesures d'économie qui touchent les uns et les autres tout en développant, elles aussi, des effets pervers concomitants sur le plan économique.

La troisième raison est la fuite des contribuables. Nous avons un problème de voisinage - je m'y étais attelé - avec le canton de Vaud. Dix-huit mille navetteurs vaudois viennent travailler à Genève. Personnellement, j'en suis heureux. Je suis fier que notre économie puisse les attirer, eux et les frontaliers, et je rends hommage aux entrepreneurs qui croient en Genève et espèrent pouvoir y développer leur outil de travail.

Il est vrai que la concurrence fiscale entre les cantons, notamment dans une région aussi imbriquée que la région lémanique, entrave stupidement la mobilité des personnes; mais il est vrai aussi que bon nombre de contribuables se sont installés dans le canton de Vaud pour des raisons tout autres que fiscales : logement et volonté de vivre dans un cadre rural plutôt qu'urbain. C'est une raison qui compte, car nous constatons cette tendance sociologique du retour à la campagne, cette volonté de vivre différemment, avec moins de prestations. Entre 1995 et 1996, aucun des cent six contribuables «personnes physiques» qui paient plus d'un million d'impôts par an - la moyenne est d'environ 2,5 millions - n'a quitté le canton pour s'installer ailleurs. Deux sont décédés entre-temps. Je n'ai pas encore les statistiques pour 1997.

Je ne conteste pas que des contribuables soient partis. Certains m'en ont informé, un peu gênés par la problématique qu'ils m'exposaient. Mais en compensation, nous avons ceux qui s'installent dans notre canton, et pas seulement à cause de l'extrême modicité des impôts successoraux, sinon ils iraient en Valais, mais parce que notre fiscalité est plus attractive que celle de certains de nos voisins sur le plan du revenu de la fortune et même sur celui du travail.

Actuellement, nous devons tenir compte de ces éléments. Ils sont probablement malsains à terme, mais, à teneur de nos lois nationales, nous devons prendre ces flux migratoires en considération : des citoyens suisses quittent notre canton et des étrangers y viennent. Nous devons surtout être extrêmement attentifs à notre pyramide fiscale et prendre, en temps utile, des mesures permettant le maintien d'un équilibre entre les gros contribuables et ceux qui le sont moins. C'est à partir de cet équilibre que nous pourrons créer un Etat social, où il fait bon vivre et où on peut entreprendre.

Quatrième raison : en commission, nous avons entendu plusieurs économistes de gauche et de droite, comme relevé par M. Halpérin. Nous ne croyons pas à une relance de l'économie et de la consommation, en tout cas à moyen terme, par le biais d'une baisse d'impôts. Les économistes ont été très clairs sur ce point.

Je ferai encore trois commentaires en rapport aux questions et affirmations que je viens d'entendre.

Monsieur Ecuyer, vous parlez d'un déficit de 700 millions probablement calculé d'après les propositions que vous ferez dans le cadre du budget 1998. (Rires.) Pour l'heure, il est encore trop élevé. Il est de 448 millions et, à la suite des amendements de la commission des finances, de 453 millions. Peut-être atteindra-t-il 700 millions, mais ce n'est pas le cas maintenant.

En matière de contrôles et de contrôleurs fiscaux, j'en reviens à l'antienne que je n'ai cessé de répéter. Nous avons considérablement augmenté le nombre des contrôleurs fiscaux en modifiant complètement le système. Ce sont des gens extrêmement pointus. L'on ne saurait donc me faire le grief de n'avoir pas pris toute une série de mesures dans ce domaine. Il en va de même pour les indépendants. Nous avons doublé le nombre de taxateurs au cours des trois ans écoulés pour obtenir une imposition correspondant le plus possible aux résultats des inspections.

Il est tout à fait inexact de dire que les recettes fiscales ont diminué deux fois plus vite que les dépenses. Non, Mesdames et Messieurs les députés ! Les recettes fiscales n'ont plus progressé et n'ont diminué, cas échéant, que d'une trentaine de millions sur 3 milliards 800 millions. Il n'y a donc pas une diminution double de celle des dépenses.

En revanche, une différence importante a été relevée au niveau des estimations fiscales faites lors de l'établissement, en 1995, du budget 1996, car nous comptions sur la légère reprise annoncée par les économistes. La réalité, elle, ressort des chiffres publiés, et la commission des finances l'a reconnu : les rentrées fiscales, notamment au niveau des personnes physiques, stagnent depuis 1994. Cela est dû à l'augmentation des déductions et, surtout, aux effets de la crise économique sur les salaires.

Durant ces quatre années, le Conseil d'Etat a essayé de réduire les déficits et maîtrisé les dépenses. La crise des recettes qui touche Genève, comme elle touche les autres cantons et la Confédération, pose des problèmes que nous devrons résoudre. C'est pourquoi nous considérons qu'il est prioritaire de tout faire pour réduire les déficits. Par conséquent, aujourd'hui et en l'état, un projet de réduction de la fiscalité ne peut pas être accepté par ce gouvernement. (Applaudissements.)

Le président. La parole n'étant plus demandée, nous procédons au vote d'entrée en matière.

M. Chaïm Nissim (Ve), rapporteur de troisième minorité. Monsieur le président, je demande l'appel nominal sur le vote final. (Appuyé.)

M. Christian Grobet (AdG). Je constate que M. Nissim n'a pas encore pris l'habitude de saisir la majorité. Nous demandons l'appel nominal sur le vote d'entrée en matière, car nous partons de l'idée que celle-ci sera refusée et qu'il n'y aura pas de vote final.

Le président. L'appel nominal ayant été demandé, nous allons y procéder.

Celles et ceux qui acceptent l'entrée en matière répondent oui, et celles et ceux qui la refusent répondent non.

Mis aux voix, ce projet est rejeté en premier débat par 66 non contre 15 oui et 2 abstentions.

Ont voté non (66) :

Esther Alder (Ve)

Charles Beer (S)

Roger Beer (R)

Madeleine Bernasconi (R)

Claude Blanc (DC)

Fabienne Blanc-Kühn (S)

Marie-Paule Blanchard-Queloz (AG)

Dolorès Loly Bolay (AG)

Anne Briol (Ve)

Christian Brunier (S)

Fabienne Bugnon (Ve)

Micheline Calmy-Rey (S)

Pierre-Alain Champod (S)

Liliane Charrière Urben (S)

Bernard Clerc (AG)

Jean-François Courvoisier (S)

Robert Cramer (Ve)

Anita Cuénod (AG)

Régis de Battista (S)

Jeannine de Haller (AG)

Marie-Françoise de Tassigny (R)

Hubert Dethurens (DC)

Erica Deuber-Pauli (AG)

Daniel Ducommun (R)

John Dupraz (R)

Henri Duvillard (DC)

René Ecuyer (AG)

Marie-Thérèse Engelberts (DC)

Alain Etienne (S)

Laurence Fehlmann Rielle (S)

Christian Ferrazino (AG)

Magdalena Filipowski (AG)

Pierre Froidevaux (R)

Luc Gilly (AG)

Gilles Godinat (AG)

Mireille Gossauer-Zurcher (S)

Marianne Grobet-Wellner (S)

Christian Grobet (AG)

Nelly Guichard (DC)

Dominique Hausser (S)

David Hiler (Ve)

Antonio Hodgers (Ve)

Carlo Lamprecht (DC)

Bernard Lescaze (R)

René Longet (S)

Pierre Meyll (AG)

Jean-Louis Mory (R)

Louiza Mottaz (Ve)

Laurent Moutinot (S)

Chaïm Nissim (Ve)

Jean-Marc Odier (R)

Danielle Oppliger (AG)

Rémy Pagani (AG)

Véronique Pürro (S)

Jean-Pierre Restellini (Ve)

Elisabeth Reusse-Decrey (S)

Albert Rodrik (S)

Martine Ruchat (AG)

Christine Sayegh (S)

Françoise Schenk-Gottret (S)

Louis Serex (R)

Jean Spielmann (AG)

Pierre-François Unger (DC)

Pierre Vanek (AG)

Alberto Velasco (S)

Salika Wenger (AG)

Ont voté oui (15) :

Bernard Annen (L)

Florian Barro (L)

Jacques Béné (L)

Janine Berberat (L)

Nicolas Brunschwig (L)

Juliette Buffat (L)

Jean-Claude Dessuet (L)

Pierre Ducrest (L)

Janine Hagmann (L)

Michel Halpérin (L)

Yvonne Humbert (L)

Geneviève Mottet-Durand (L)

Barbara Polla (L)

Micheline Spoerri (L)

Olivier Vaucher (L)

Se sont abstenus (3) :

Luc Barthassat (DC)

Bénédict Fontanet (DC)

Jean-Pierre Gardiol (L)

Etaient excusés à la séance (7) :

Michel Balestra (L)

Christian de Saussure (L)

Hervé Dessimoz (R)

Alexandra Gobet (S)

Armand Lombard (L)

Pierre Marti (DC)

Alain Vaissade (Ve)

Etaient absents au moment du vote (4) :

Thomas Büchi (R)

Alain-Dominique Mauris (L)

Jean Opériol (DC)

Jean-Claude Vaudroz (DC)

Présidence :

M. René Koechlin, président.