Séance du vendredi 17 novembre 2023 à 16h10
3e législature - 1re année - 6e session - 33e séance

R 1025
Proposition de résolution de Pierre Conne, Romain de Sainte Marie, Michael Andersen, Cyril Mizrahi, Francine de Planta, Thomas Wenger, Louise Trottet, Yvan Zweifel, Patricia Bidaux, Pierre Eckert, Jacques Blondin, Laurent Seydoux, Sébastien Desfayes, Masha Alimi, Pierre Nicollier, Thierry Oppikofer, Murat-Julian Alder, Natacha Buffet-Desfayes, Jean-Pierre Pasquier, Fabienne Monbaron, Cyril Aellen, Jacklean Kalibala, Céline Zuber-Roy, Alexis Barbey, Nicole Valiquer Grecuccio, Grégoire Carasso, Jean-Charles Rielle, Alexandre de Senarclens, Jean-Pierre Tombola, Jacques Béné, Cédric Jeanneret, Julien Nicolet-dit-Félix, Sophie Demaurex, Marjorie de Chastonay, Leonard Ferati, Caroline Marti, Oriana Brücker, Charles Selleger, Léna Strasser, Christian Flury, Thomas Bruchez, Caroline Renold, Dilara Bayrak, Christina Meissner : L'Etat applique et fait respecter la tolérance zéro face à l'antisémitisme
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VI des 16, 17, 23 et 24 novembre 2023.

Débat

La présidente. Nous reprenons les urgences, puisque nous n'avons pas fini de les traiter hier soir, avec la R 1025. Le débat se tient en catégorie II, trente minutes. Monsieur Pierre Conne, vous avez la parole.

M. Pierre Conne (PLR). Merci, Madame la présidente. Chers collègues, nous ne voulons pas détourner la tête et prétendre que nous n'avons pas vu, nous voulons voir et nommer ce qui se passe aujourd'hui à Genève: des actes, des paroles, des manifestations antisémites. Nous voulons que nous tous, en solidarité, assurions nos concitoyens de religion juive de notre volonté de les protéger à l'instar de chaque citoyen et citoyenne ! Le but de cette proposition de résolution est que nous tous, parlement et Conseil d'Etat, affirmions une tolérance zéro face à l'antisémitisme. Nous voulons que cette tolérance zéro soit affirmée ! Nous voulons également que les actes et propos antisémites soient signalés et sanctionnés ! Nous voulons évidemment poursuivre ce qui doit l'être.

Depuis des siècles, nous vivons de manière récurrente des périodes d'accalmie pendant lesquelles le travail de mémoire est possible et des moments de crise où, malheureusement, l'antisémitisme reprend le dessus et le Juif redevient le bouc émissaire de nos maux. Il est important pour nous de faire en sorte que ces actes soient nommés et combattus et que, s'ils existent, ils soient sanctionnés. Voyez-vous, Mesdames et Messieurs, aujourd'hui, nos concitoyens de religion juive qui subissent des menaces ou des actes violents doivent pouvoir trouver une réponse de l'Etat, plus précisément une réponse proportionnée prévue par notre Etat de droit - j'entends par réponse la protection de l'Etat par le biais des mécanismes policiers et judiciaires. Mesdames et Messieurs, ces trois axes, soit la dénonciation, le refus des actes et les travaux de prévention, doivent être maintenus. Nous vous invitons donc à voter cette résolution, et à la voter comme elle est présentée, sans accepter les amendements qui seront proposés. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

M. Guy Mettan (UDC). Chers collègues, je parlerai au nom de l'UDC sur les deux objets qui nous sont soumis, c'est-à-dire celui-ci et le suivant. Je prendrai une seule fois la parole. Tout d'abord, j'aimerais exprimer au nom de mon groupe une sincère compassion pour toutes les victimes de ce conflit, qu'elles soient israéliennes ou palestiniennes. J'aimerais aussi adresser nos sincères condoléances à toutes les familles, qu'elles soient israéliennes ou palestiniennes, qui ont été affectées par ce drame. Il est également évident que nous éprouvons autant de compassion pour les victimes d'antisémitisme que pour les victimes de «palestinophobie» ou d'islamophobie; nous ne devons pas faire de distinction entre les victimes des différentes formes de racisme, quelles que soient les formes de racisme.

Il est évident que notre parti ne s'opposera à aucune de ces deux résolutions, parce que nous condamnons fermement tous les actes d'antisémitisme ou tous les actes de racisme et que nous sommes favorables à une cessation des hostilités, comme le demande la deuxième résolution. Il est donc exclu pour nous de voter contre ces textes.

En même temps, nous ne pouvons pas les voter, ce pour deux raisons. Premièrement, nous avons à présent assez de recul pour voir ce qui se passe sur le front, pour constater que des exactions ont été commises par les deux camps. D'abord, des atrocités énormes ont été commises à l'égard des Israéliens, des familles, des jeunes horriblement massacrés par le raid du Hamas. Il s'avère aussi que depuis quelques semaines, et cela est désormais documenté par des rapports des Nations Unies, par des enquêtes sur le terrain, par des journalistes et d'autres personnes, par exemple notre collègue et compatriote suisse M. Lazzarini, qui est le responsable de l'UNRWA...

La présidente. Je me permets de rappeler que les deux résolutions ne sont pas liées. Nous traitons celle portant sur l'antisémitisme.

M. Guy Mettan. En effet, mais je ne prendrai la parole qu'une fois. Nous constatons que des exactions sont commises de part et d'autre... (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...si bien que pour nous, il est essentiel, comme on l'a dit hier soir, de rester neutre dans ce conflit et de ne pas donner l'impression que si l'une des deux résolutions devait être acceptée mais pas l'autre, on prendrait parti pour un camp contre un autre.

La présidente. Il vous faut conclure.

M. Guy Mettan. Et nous, nous insistons sur le fait que la neutralité, comme le Conseil d'Etat l'a rappelé, est un choix qui ne peut pas se discuter. (Le micro de l'orateur est coupé. L'orateur continue de s'exprimer hors micro.)

La présidente. Merci, vous n'avez plus de temps de parole. Monsieur Marc Saudan, c'est à vous.

M. Marc Saudan (LJS). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe Libertés et Justice sociale, comme son nom l'indique, est particulièrement sensible au respect, à la défense des minorités. Nous pensons qu'il est important de faire respecter la tolérance zéro dans notre canton face à l'antisémitisme et face au racisme envers d'autres minorités ou d'autres religions. Nous soutenons aussi le fait que l'Etat mette à disposition des moyens de prévention pour protéger ces groupes lorsque surviennent des événements géopolitiques suscitant des tensions.

Je suis cependant un peu embarrassé par la deuxième invite, que je vous demande de relire, notamment par l'expression «exiger la dénonciation», ceci pour deux raisons. Premièrement, je pense que notre police effectue correctement sa mission et que quand elle constate une infraction à la loi, elle la déclare et la sanctionne. Deuxièmement, ça me rappelle un passé pas si lointain, peu glorieux pour l'humanité, sous certains régimes. Nous ne sommes pas dans un Etat qui encourage la délation. Aussi le groupe Libertés et Justice sociale demande-t-il le retrait de la deuxième invite de cette résolution. Merci.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je dois dire que c'est avec une certaine émotion que je prends la parole: aujourd'hui, nous avons toutes et tous été témoins ou du moins informés de la recrudescence des actes antisémites dans notre république ces derniers jours, et il est évident que nous partageons le souci, l'effroi même, de la communauté juive de Genève. Il faut le dire: ces actes sont absolument inadmissibles ! Nous voulons que Genève demeure une république, un lieu où chacun peut vivre sereinement sans se sentir menacé par des manifestations de rejet, de haine ou de violence. Visiblement, et quelques-uns l'ont sous-entendu, certains auteurs de ces manifestations prennent appui, prennent prétexte du conflit qui a repris au Moyen-Orient pour justifier l'expression de cette haine. Cette haine doit être condamnée sans équivoque, qu'il s'agisse d'antisémitisme ou d'islamophobie.

Nous souhaitons que l'Etat prenne des dispositions fermes, comme le demande ce texte, pour lutter contre toutes ces formes de discrimination et de haine. Chacun et chacune doit pouvoir vivre sereinement dans notre république, quelles que soient ses croyances, ses origines, et surtout se sentir en sécurité à Genève. Il est important que ce parlement dise et redise, chaque fois que l'occasion se présente, que la république protège chacune et chacun d'entre nous. Voilà pourquoi nous soutiendrons cette résolution. Je vous remercie.

Mme Patricia Bidaux (LC). De nombreux éléments ont été soulignés, je me focaliserai donc sur un point un petit peu différent, si vous me le permettez. Marcher vers l'avenir doit se faire en osant regarder notre passé. Combien de fois avons-nous dit «plus jamais ça» ? Que nous raconte l'histoire de notre canton ?

Au XVe siècle, en 1428 plus précisément, le premier ghetto européen a été créé; il l'a été à Genève, pas très loin d'ici, près de la cathédrale, entre la place du Grand-Mézel et l'ancienne rue de l'Ecorcherie. Le nom qu'il portait était le «Cancel», un terme signifiant barreaux, balustrade. Trois siècles plus tard, les Juifs pourront revenir dans les environs de Genève, et cinq cents ans plus tard environ, nous avons dit «plus jamais ça». Une vieille histoire ? Vraiment ?

En 1816, la citoyenneté genevoise est retirée aux personnes de confession juive installées à Genève. Le combat politique des Juifs pour récupérer leur pleine citoyenneté durera plus d'un demi-siècle. Après la Deuxième Guerre mondiale, nous avons dit «plus jamais ça». Une autre histoire ? Vraiment ?

Toutes les manifestations antisémites des années 20-30... A peine cinq ans plus tard s'installait un régime mortifère, et ce n'est qu'après la Deuxième Guerre mondiale que nous avons dit «plus jamais ça». Le «plus jamais ça» de l'après-guerre était bien tardif.

En 2023, nous voyons remonter les mêmes craintes et des appels au «plus jamais ça». Qui est plus légitime pour dire fermement «plus jamais ça» que notre parlement ? L'actualité démontre que si nous laissons à nouveau le silence s'installer, alors nos valeurs sont en danger ! Lorsqu'on renonce au courage, la honte s'installe, et la honte est une puissance qui nous muselle et nous rend passifs !

Il n'y a pas de petits leviers d'actions. Il n'y a pas de propos plus ou moins antisémites: soit ils le sont, soit ils ne le sont pas. C'est à nous de nous mobiliser pour les dénoncer. Le seul moyen pour briser la chape du silence est d'oser faire retentir nos voix, et dans nos engagements politiques, chaque voix compte ! Adoptons cette résolution et n'en restons pas à l'indignation, mais engageons-nous contre l'antisémitisme ! Je vous remercie.

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, cette résolution intervient localement. J'ai entendu parler de principe de neutralité concernant le conflit israélo-palestinien, mais cette résolution n'aborde pas le conflit israélo-palestinien. Elle intervient pour faire face à un problème, celui des actes antisémites; on constate malheureusement qu'ils sont plus nombreux dans notre canton. Ces actes antisémites ne peuvent être tolérés, ils ne peuvent être banalisés. Si nous n'agissons pas aujourd'hui, nous permettons la banalisation de l'antisémitisme, le fait de laisser libres la discrimination et la stigmatisation à l'égard d'une appartenance religieuse. Nous ne pouvons tolérer la discrimination, quelle que soit l'appartenance religieuse.

Aujourd'hui à Genève, nous constatons malheureusement que dans des écoles - l'exemple a été relevé -, le terme «juif» devient une insulte. Ça, c'est la banalisation. On ne peut pas tolérer que l'appartenance à une religion soit une insulte dans les préaux d'école. Ne pas agir, c'est laisser les choses se banaliser, laisser ce terme devenir une insulte.

Aujourd'hui à Genève, on découvre tous les jours des croix gammées taguées dans les rues. Ces croix gammées, qu'est-ce qu'elles rappellent ? Elles rappellent les heures les plus sombres de notre histoire européenne. Là encore, on ne peut pas laisser faire. Je prends connaissance de l'amendement du groupe LJS, mais ne pas dénoncer les faits revient à les légitimer, à les banaliser, et c'est la pire des choses.

Aujourd'hui, cette résolution est nécessaire, car elle demande de faire face à l'antisémitisme. Notre parlement doit envoyer un signal d'unité pour faire face à l'antisémitisme et doit surtout demander à notre canton, aux autorités de s'y opposer en dénonçant pénalement tous ces actes antisémites. Nous ne pouvons pas laisser faire, nous devons agir, je vous invite donc à refuser l'amendement et à accepter cette résolution.

M. Pierre Conne (PLR). Je m'exprime relativement à la proposition d'amendement déposée par le groupe LJS pour vous inviter à la refuser. Mesdames et Messieurs, aujourd'hui, nos concitoyens de religion juive vivent dans la peur, mais la peur doit changer de camp. Aujourd'hui, si rien n'est fait, si on n'utilise pas les moyens légaux de notre Etat de droit, si on ne signale pas ces actes aux autorités judiciaires et pénales, nous les légitimerons, comme on vient de le dire. La peur doit changer de camp, Mesdames et Messieurs ! Manifestons-le avec les moyens que notre Etat de droit nous offre. C'est aussi une protection contre la barbarie qui peut nous menacer: si la police et la justice ne sont pas activées, c'est la porte ouverte à l'autodéfense, aux vengeances. Non, je ne dramatise pas ! C'est notre Etat de droit qui nous protège, non une main invisible. Cet Etat de droit est précieux ! Utilisons-le, sauvegardons-le ! Nous en avons besoin. Je vous remercie de votre attention.

M. Patrick Dimier (MCG). C'est le lieu pour rappeler que cette république est laïque et qu'aucune discrimination n'a sa place, quelle que soit la communauté qui pourrait être visée. Si nous sommes tous des républicains, nous devons nous unir contre toute forme de discrimination. Merci.

Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Le Conseil d'Etat accueille très favorablement ce texte. D'abord parce que nous vivons dans un Etat de droit, on l'a relevé. Personne, et je dis bien personne, sur notre territoire, dans le canton, ne doit à un moment donné ne pas se sentir en sécurité en raison de sa religion, de sa nationalité, etc. Or aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, c'est devenu le cas. Oui, cela nous rappelle des souvenirs d'une époque effrayante où l'on mettait des étoiles jaunes sur les personnes de confession juive; aujourd'hui, on trace des étoiles de David sur leur mur, sur leur porte, et on en a partout en ville. Ces étoiles qui fleurissent, elles sont inacceptables ! On assiste à des tentatives d'agression: des personnes postées dans leur voiture agressent une femme et deux enfants de confession juive qu'elles voient sortir de la synagogue, important chez nous un conflit qui n'y existe pas.

Mesdames et Messieurs, ce texte n'a rien à voir avec le conflit qui se déroule actuellement au Proche-Orient. Nous y rappelons nos valeurs: l'antisémitisme n'a pas sa place dans notre canton ! Que celles et ceux qui se réfugient derrière la neutralité de la Suisse soient informés qu'ils se trompent: ce n'est pas être neutre que de ne pas condamner l'antisémitisme, que de ne pas condamner l'islamophobie, que de ne pas condamner le racisme. C'est être lâche, Mesdames et Messieurs ! Nous avons des valeurs que nous respectons dans notre canton, et nous devons continuer à les respecter. Chacun et chacune doit se sentir en sécurité dans nos rues !

J'ajoute un autre élément. Il est fait mention de dénonciation. Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat s'est réuni à réitérées reprises pour faire face à cette montée des actes antisémites dans le canton, et nous avons pu constater qu'il n'y avait pas de plainte déposée, car les personnes avaient peur. La seule plainte qui a été déposée à un moment donné était celle de la Ville de Genève: elle a déposé plainte contre ces tags qu'elle avait immédiatement fait effacer. Je pense que c'est bien d'encourager les personnes à aller dénoncer les faits, pour que la police puisse faire son travail ! Vous avez raison: elle le fait, elle le fait très bien, mais encore faut-il qu'elle soit saisie des dénonciations, respectivement des dépôts de plainte par celles et ceux qui sont confrontés à ces actes, à ces attaques, ou qui voient tout simplement des graffitis immondes fleurir sur les murs de nos rues. Il ne s'agit pas de contraindre à la délation; il s'agit de faire en sorte que celles et ceux qui en sont victimes sachent qu'ils sont en sécurité dans notre canton, qu'ils peuvent en toute sérénité aller à la police et dénoncer ces actes. Voilà la position du Conseil d'Etat.

Nous soutenons donc cette résolution et nous nous réjouissons de son acceptation par une très large majorité de votre parlement. (Applaudissements.)

La présidente. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, nous allons procéder au vote, en commençant par l'amendement de LJS qui demande de biffer la deuxième invite. (Remarque.) Monsieur Saudan, si c'est pour retirer l'amendement, je vous laisse vous exprimer après la conseillère d'Etat. (Remarque.) Vous retirez l'amendement ? (Remarque.) Très bien, je vous remercie. Mesdames et Messieurs, nous n'avons donc plus d'amendement et allons voter sur la proposition de résolution.

Mise aux voix, la résolution 1025 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 87 oui et 3 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Résolution 1025 Vote nominal