Séance du vendredi 25 novembre 2022 à 14h
2e législature - 5e année - 7e session - 40e séance

M 2489-D
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Delphine Klopfenstein Broggini, Frédérique Perler, Pierre Eckert, Jean Rossiaud, Yves de Matteis, Marjorie de Chastonay, Alessandra Oriolo, Yvan Rochat, Philippe Poget, Isabelle Pasquier, François Lefort, Paloma Tschudi, Adrienne Sordet, Mathias Buschbeck, Jocelyne Haller, Jean Batou, David Martin, Olivier Baud, Nicole Valiquer Grecuccio, Caroline Marti, Jean-Charles Rielle, Grégoire Carasso, Léna Strasser, Salima Moyard, Diego Esteban, Sylvain Thévoz, Xhevrie Osmani, Marion Sobanek, Cyril Mizrahi, Pierre Bayenet : Pas de centre fédéral d'attente et de départ à Genève !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VII des 24 et 25 novembre 2022.

Débat

Le président. Nous continuons avec la M 2489-D. La parole va à M. le député Pierre Eckert.

M. Pierre Eckert (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, cette motion, déposée en juin 2018 et acceptée par ce Conseil en mars 2019, demandait explicitement «à renoncer à la construction d'un centre fédéral d'attente et de départ CFA à Genève». Evidemment, après deux réponses évasives de l'exécutif attribuant le bébé à la Confédération, le projet a fini par se réaliser. Le bâtiment est construit et son exploitation - c'est le mot: on ne peut pas parler d'autre chose que d'exploitation dans ce cas-là - devrait commencer en 2024. A quelques mètres de la piste de l'aéroport, il ne sera pas possible de transformer ce bâtiment, qui est maintenant construit, en bureaux, en hôtel ou en bucolique duplex. C'est donc bien un CFA qui s'ouvrira misérablement en ces lieux insalubres. Cela représente un scandale en soi, indigne de la Genève internationale, qui plus est cité d'accueil. Mais cela marque aussi l'échec de la motion, malgré un soutien majoritaire de ce parlement; nous devons malheureusement en prendre acte.

Nous surveillerons toutefois de près la mise en oeuvre des engagements du Conseil d'Etat et de la commune du Grand-Saconnex en matière de liberté de mouvement, de conditions de vie, de scolarisation, de socialisation. La réponse du gouvernement mentionne une convention qui, d'après ce rapport, vient d'être signée entre la Confédération, le canton de Genève et la commune du Grand-Saconnex concernant les modalités de gestion et d'occupation du CFA. Nous en demanderons la publication et en surveillerons de près la mise en oeuvre. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Aude Martenot (EAG), députée suppléante. Cette motion date en effet de 2018. En 2018, la révision du système de l'asile débutait et les centres fédéraux d'asile - les CFA - étaient en préparation, mais déjà nous présagions le grave problème qu'ils allaient représenter. Et depuis 2018, de nombreux scandales ont éclaté autour de ces CFA, qui démontrent le bien-fondé de nos craintes.

En 2020, des associations de terrain ont relayé la parole de personnes enfermées dans le CFA de Giffers, à Fribourg, ayant subi des maltraitances physiques de la part du personnel chargé de la sécurité. De telles violences ont aussi été constatées dans d'autres CFA en Suisse allemande, à Bâle notamment. En 2021, une enquête de la RTS a dévoilé l'usage abusif de la force sur des migrants et migrantes par des Securitas et des Protectas dans le CFA de Boudry, à Neuchâtel; un migrant est tombé en hypothermie après avoir été jeté dans un container sans chauffage.

Amnesty International publie alors un rapport sur ces violences, parlant de maltraitances physiques et psychiques, dont certaines pourraient être assimilables à de la torture. L'organisation souligne la responsabilité du système lui-même, défaillant. On enferme de fait des personnes vulnérables dans un espace semi-carcéral - oui, j'utilise ici le terme «enfermer», parce qu'exiger que la carte d'identité soit remise à l'entrée, fixer des horaires stricts pour les allées et venues et sanctionner tout retard, c'est une forme d'enfermement. Empêcher la société civile d'accéder aux centres, externaliser les tâches de sécurité à des sociétés privées avec un personnel très peu formé, c'est un cocktail explosif qui aboutira au dysfonctionnement du système.

Voilà quelles sont les atteintes aux droits humains que nous pourrions rencontrer dans notre canton si le CFA du Grand-Saconnex ouvrait ses portes - il n'est pas encore ouvert, le projet n'est pas encore sur pied ! Or, dans sa réponse à la motion, le Conseil d'Etat annonce à nouveau qu'il ne peut rien faire, sauf réfléchir à quelques aménagements de la vie quotidienne à l'intérieur de ce centre de renvoi. Face aux violations des droits humains, à l'enfermement d'enfants et d'adultes, aux violences, cette réponse n'est pas acceptable.

Aujourd'hui, avec l'arrivée de dizaines de milliers de personnes d'Ukraine, ce système des CFA ne tient pas ! Une fois de plus, on le constate: on en revient à un accueil direct dans les cantons, sans passer par la case CFA. Alors, vraiment, on ne peut rien faire pour refuser la construction du CFA du Grand-Saconnex ? Vraiment, il ne serait pas temps de mettre tous nos efforts dans des lieux d'accueil dignes de ce nom plutôt que dans la construction de prisons faites pour renvoyer ? Nous appelons donc à renvoyer à nouveau son rapport au Conseil d'Etat pour obtenir une réponse enfin satisfaisante. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Je ferai voter tout à l'heure sur le renvoi au Conseil d'Etat. La parole va maintenant à M. le député Emmanuel Deonna.

M. Emmanuel Deonna (S). Merci, Monsieur le président. Le parti socialiste s'associe aux critiques et partage les craintes exprimées par nos collègues Vert et d'Ensemble à Gauche. Nous avons malheureusement voté un crédit de 77 millions en vue d'un nouveau bâtiment pour la police internationale et d'un nouveau centre d'hébergement au Grand-Saconnex, à côté de l'aéroport, ce qui pourrait non seulement permettre de détenir illégalement des migrants mineurs, mais également de procéder à des expulsions massives de migrants avec des statuts qui ne correspondent pas aux exigences de la Confédération.

A l'heure actuelle, les associations nous alertent, jour après jour, des pratiques violentes et inadmissibles des Protectas et des Securitas. Nous demandons que les CFA soient ouverts aux organisations et personnes de la société civile pour pouvoir rompre leur isolement, et que cesse ce qui s'apparente de plus en plus, dans différents centres en Suisse, à des zones de non-droit. Nous demandons aussi l'engagement de travailleurs sociaux et de soignants en nombre suffisant et ayant la capacité de soutenir réellement les requérants d'asile et de répondre à leurs besoins, ainsi que l'arrêt de toute collaboration avec des entreprises de sécurité privées dans le cadre de ces CFA et autres foyers. Je vous remercie.

M. Mauro Poggia, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, les propos que j'ai entendus sont tout simplement inadmissibles ! (Remarque.) Lieux insalubres, expulsions massives, détention illégale de mineurs - c'est malheureusement symptomatique du manque d'attention que portent certains députés à l'examen des textes sur lesquels ils s'expriment, avant de venir à la tribune. Je pense qu'il faudrait connaître son dossier au lieu de dire véritablement n'importe quoi. C'est de surcroît la démonstration de l'hypocrisie de certains milieux, puisqu'on préfère dire: nous ne voulons pas que ça se passe ici, mais nous acceptons parfaitement que ça se passe ailleurs. Pire encore: alors que nous pourrions faire ici mieux qu'ailleurs, nous nous abstenons et nous laissons cela se faire ailleurs, avec les dysfonctionnements que l'on a signalés - qui sont une réalité et que tout le monde déplore.

La politique d'asile est une politique fédérale dans laquelle chacun doit faire son travail; le fait que Genève ait un aéroport lui impose des tâches que d'autres cantons ne peuvent pas accomplir. Dire que ce sont des lieux de détention, c'est faux ! Dire qu'il n'y aura pas de contrôle, c'est faux ! C'est faire fi du travail que nous avons réalisé depuis maintenant deux ans avec la Confédération, la commune du Grand-Saconnex, les associations du quartier, mais aussi avec le département de l'instruction publique pour nous assurer que les enfants attribués à Genève soient scolarisés; et cette convention va naturellement être surveillée et appliquée. Je ne peux donc pas laisser dire ici qu'on va entasser des gens dans des lieux insalubres, prétendument pour les expulser en masse, alors que ce n'est évidemment pas le but de ce centre fédéral d'asile ! Je vous remercie par conséquent de donner à ce texte la suite qu'il mérite. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à vous prononcer sur la demande de renvoi au Conseil d'Etat de son rapport.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2489 est rejeté par 34 non contre 24 oui et 13 abstentions.

Le Grand Conseil prend donc acte du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2489.