Séance du vendredi 14 octobre 2022 à 14h
2e législature - 5e année - 5e session - 30e séance

P 2048-B
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la pétition pour des balcons rapportés à l'AUREA (ancienne « Cité Familia »)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 13 et 14 octobre 2022.

Débat

Le président. Nous traitons maintenant la P 2048-B et je passe la parole à Mme la députée Jocelyne Haller.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe Ensemble à Gauche prendra acte de ce rapport du Conseil d'Etat, mais il tient tout de même à souligner quelques aspects.

Ce rapport consacre l'aboutissement favorable de la mobilisation et de la lutte des locataires de l'AUREA, ancienne Cité Familia. Mais quel gâchis ! Quel gâchis ! Des immeubles récemment construits se caractérisant par l'absence de balcons, pas par pur hasard, pas par omission, mais par volonté d'économies. C'est ce qui nous est dit par le Conseil d'Etat, qui indique que ce projet, développé à la suite d'un concours international d'architecture, avait pour ambition de diminuer les coûts de construction de ce type de logements, selon les voeux du conseiller d'Etat chargé à l'époque du département des constructions et des technologies de l'information, qui souhaitait réaliser un projet test. Eh bien, vous verrez à quoi a abouti ce test !

Cette volonté d'économies en matière de coûts de construction s'est traduite par la suppression des loggias et des balcons prévus, la surélévation d'un étage sur tous les immeubles et la mutualisation des places de parking. De fait, la mobilisation et la lutte des locataires ont abouti finalement à une démarche de la fondation Emma Kammacher, qui a accepté de rajouter ces 335 balcons qui faisaient défaut, nous dit-on, pour 9,5 millions, et ce sans augmentation de loyer, ce qui, vous en conviendrez, est la moindre des choses.

Tout cela est bien beau, mais il aurait quand même fallu commencer par là ! Et quand les recherches d'économies aboutissent à ce genre d'aberrations, qui non seulement coûtent plus cher, mais qui ont aussi un coût humain et dégradent la qualité de vie des locataires, il serait quand même plus approprié de s'interroger avant de se résoudre à de telles extrémités.

Nous espérons qu'il ne sera plus nécessaire que les locataires se mobilisent pour voir satisfaits simplement les plus élémentaires et légitimes besoins qui sont les leurs et nous vous appelons à prendre acte de ce rapport du Conseil d'Etat, mais à garder toutefois en mémoire une tentative qui a avorté, qui allait à l'encontre des intérêts des locataires et qui n'avait aucun sens. Je vous remercie de votre attention.

M. Jacques Béné (PLR). C'est une plaisanterie, Madame Haller ! C'est une plaisanterie ! L'association dont vous avez parlé... Il y a 335 logements à la Fontenette et il y a 621 signataires. Je m'excuse, mais ça fait déjà beaucoup plus que le nombre d'habitants, donc j'imagine que cette pétition émane d'autres habitants de Carouge plutôt qu'uniquement des habitants de la Fontenette. Je m'étonne donc que cette pétition commence par «Nous, habitants de l'AUREA», avec 621 signatures. (Commentaires.) Mais je m'étonne aussi que le Conseil d'Etat donne si facilement suite à de telles démarches - bien évidemment, avec de l'argent qu'il n'a pas à sortir ! Mme Haller l'a dit, il n'y aura pas d'augmentation de loyer. Je pense que c'est assez sympathique d'informer les employés des TPG qui ont fait une grève pendant un jour et demi qu'on va donner un cadeau de plus de 30 000 francs - ou pas loin de 30 000 francs en tout cas - à chaque locataire sans qu'ils aient rien demandé ! Ils n'ont même pas eu besoin de faire grève, ils ont fait une pétition... (Commentaires.) ...grâce à l'aide d'une association domiciliée à la rue Daniel-Gevril, ce n'est donc pas l'adresse dont nous sommes en train de parler.

Ce type de démarche de la part du Conseil d'Etat est la porte ouverte à toutes les dérives: on pourra avoir des pétitions demandant une place de stationnement pour les habitants de tel ou tel immeuble, éventuellement la construction d'un ascenseur pour un bâtiment en Vieille-Ville qui n'en aurait pas, ou encore un arrêt de bus ou de tram à proximité immédiate d'un immeuble pour des habitants qui auraient à parcourir quelques dizaines de mètres pour se rendre à cet arrêt de tram ou de bus.

Bref, c'est la dictature des minorités... (Rire. Commentaires.) ...comme pour beaucoup de choses dans la société actuelle. Rien n'est trop beau et peu importe le coût, et encore moins qui paie ! «Mais en tout cas pas nous !», diront les pétitionnaires. «Nous non plus !», surenchériront les locataires, puisqu'ils n'ont en majorité rien demandé.

On passe sous silence cependant le fait que les loggias dont vous parlez, Madame Haller, ont effectivement fait l'objet d'un concours d'architecture avec soixante participants, que le lauréat a été choisi par l'unanimité du jury de l'époque et que s'il y avait eu des loggias, cela aurait concerné un appartement sur quatre. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Un appartement sur quatre ! Et ça n'a rien à voir avec les coûts de construction !

Alors oui, si on veut critiquer l'architecture, on peut, mais ça, c'est un jugement de valeur libre à chacun. Nous souhaitons le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport et lui demandons de réfléchir, si sa position ne change pas, à déposer un projet de loi pour rendre obligatoires les balcons pour tous les logements construits ou existants dans le canton...

Le président. C'est terminé, Monsieur le député.

M. Jacques Béné. ...et de réfléchir également à interdire les concours SIA...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Jacques Béné. ...et à dissoudre toutes les commissions du canton qui s'occupent d'architecture...

Le président. Merci, Monsieur le député.

M. Jacques Béné. ...ou d'urbanisme. Je vous remercie.

Une voix. Bravo !

M. Bertrand Buchs (PDC). Je n'ai pas la même appréciation des choses, en tant que Carougeois et ayant siégé au Conseil municipal de Carouge pendant qu'on discutait de la construction de ces logements. En effet, ce qu'on nous a vendu, ce n'est pas du tout ce qui a été construit. Je m'intéresse toujours à l'écart existant entre ce qu'on propose aux communes, ce qu'on leur montre sur des plans, sur des vidéos - magnifiques, extraordinaires - et le résultat. L'entier des Carougeois et des Carougeoises ont été horrifiés par le résultat, et cela n'a rien à voir avec le revenu des gens qui y vivent. Tout le monde a été horrifié du résultat de ce concours, qui n'était pas du tout prévu comme cela, et M. Béné est bien placé pour le savoir, puisqu'il était à la fondation Emma Kammacher à ce moment-là.

Une voix. Le Conseil administratif était membre du jury !

M. Bertrand Buchs. Oui, ben d'accord ! Mais ce n'est pas du tout ce qu'on nous a vendu lors des séances du Conseil municipal. Il faudrait donc peut-être, au moment où on demande l'avis des gens et des élus, qu'on montre la vérité sur les plans de construction.

Maintenant, on se retrouve à dire que c'est une horreur, tout le monde le dit; on va donc essayer de pallier cette horreur en installant des balcons. Je rejoins Mme Haller: on aurait pu le faire dès le début. Je vous remercie. (Remarque.)

Une voix. Bravo !

M. Stéphane Florey (UDC). Une chose est sûre: entre 2015 et 2019, les immeubles qui ont été construits sont une honte pour notre canton. Construire ce type de logements, qui ressemblent plus à des cages à lapins qu'à autre chose, c'est vraiment la honte pour notre canton, et on espère bien que c'est la dernière fois qu'on voit ce genre d'horreur ! (Commentaires.)

Maintenant, je relève quand même trois éléments par rapport à ça. Premièrement, soit, il y a les habitants, mais on ne les a jamais obligés à signer pour entrer dans ces appartements. (Commentaires.) Et ils auraient peut-être dû y réfléchir à deux fois avant de signer les baux ! Ça, c'est clair ! (Commentaires.)

Deuxièmement, on voit que le financement n'est pas assuré. On se demande donc bien comment à la fin les millions manquants vont être payés. On peut largement imaginer que la fondation, par manque de moyens, ira pleurnicher auprès du Conseil d'Etat, qui finalement lâchera quelques millions manquants, ni vu ni connu, aux frais - malheureusement, une fois de plus - du contribuable.

La dernière chose, c'est... (L'orateur s'interrompt.) Euh, non, j'en resterai là, parce que finalement...

Une voix. Ah ben non, on veut savoir ! La dernière chose, c'est quoi ?! (Commentaires.)

M. Stéphane Florey. ...nous accepterons le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport pour toutes les raisons qui ont été évoquées. Je vous remercie.

M. François Baertschi (MCG). Je suis un peu touché que l'on traite ce sujet-là, parce que je suis né dans les anciens immeubles Familia... (Exclamations.) ...qui étaient très agréables... (Commentaires.) ...qui étaient très agréables à vivre, avec beaucoup de verdure, beaucoup d'arbres, un espace très large, d'ailleurs je crois que... (Remarque. Rires.) ...le député Wicky habitait lui-même à la rue Daniel-Gevril, pas bien loin, dans des années qui étaient relativement proches ! (Commentaires.)

Toujours est-il que construire ces cages à lapins, tout à fait inhumaines, où il n'y avait pas de balcons, a été une grave erreur. On a véritablement parqué des personnes de condition modeste dans ces immeubles. Je pense que ça a été une grande erreur, une sorte d'indécence du canton de Genève de se dire: «Il y a des gens pauvres, donc on va essayer de parquer des gens pauvres !» Ce qui n'était pas le cas du quartier de Familia à l'époque: il s'agissait de gens modestes, mais de gens ordinaires. Mais là, on a voulu créer un ghetto de pauvres, c'est ce qu'on a voulu faire à une certaine époque. La république ne s'est pas honorée en faisant ça. On essaie de rectifier la chose.

Il est tout à fait louable que la fondation aille trouver des solutions et qu'on se dirige vers une architecture de plus en plus humaine, plutôt que d'essayer de calculer des plans de financement qui, au final, se font contre les habitants de ces immeubles et contre la société en général. Je pense que chacun a dû - enfin, j'ose l'espérer ! - tirer les leçons de ces erreurs historiques. Il faudra faire mieux les prochaines fois. C'est le seul souhait que j'exprime ce soir. Merci.

Une voix. Bravo !

M. Mauro Poggia, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il est vrai qu'on aurait dû le faire tout de suite. Il est vrai aussi que laisser construire un immeuble qui a l'apparence de containers empilés, ce n'est évidemment pas une bonne chose. Est-ce que cela veut dire qu'il faut se satisfaire de cette situation ? Certainement pas. Vous l'avez vu, le Conseil d'Etat est entré en matière sur la demande de la pétition.

S'agissant des locataires, je ne peux pas laisser dire: «Vous n'aviez qu'à ne pas y aller si ça ne vous plaisait pas !» On reconnaît la pénurie de logements à Genève, d'autant plus pour des logements à loyers abordables. Par conséquent, reprocher à des locataires d'être allés dans un appartement sans balcon et de se plaindre de l'aspect déplorable de l'esthétique du bâtiment, je pense que cela n'a pas lieu d'être ici. Le Conseil d'Etat vous prie donc de prendre acte du rapport qu'il a déposé et qui va dans le sens des pétitionnaires. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote et je vous prie de vous prononcer sur la demande de renvoi au Conseil d'Etat.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la pétition 2048 est rejeté par 43 non contre 29 oui.

Le Grand Conseil prend donc acte du rapport du Conseil d'Etat sur la pétition 2048.