Séance du
jeudi 2 juin 2022 à
20h30
2e
législature -
5e
année -
1re
session -
7e
séance
PL 12443-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
Le président. Nous passons au point suivant de notre ordre du jour. Il s'agit de deux projets de lois liés. Nous les traitons en catégorie II, quarante minutes. La rapporteuse de deuxième minorité, Mme Alessandra Oriolo, est remplacée par M. Didier Bonny. (Brouhaha.) S'il pouvait y avoir un peu moins de bruit du côté droit de la salle, ce serait absolument parfait ! Je passe la parole à Mme Véronique Kämpfen, rapporteure de majorité.
Mme Véronique Kämpfen (PLR), rapporteuse de majorité. Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le PL 12443 vise à augmenter l'allocation fédérale de formation, abrégée AFO, au niveau cantonal, de 500 francs par mois, donc à la faire monter à 4000 francs au lieu de 3500 francs, et à atteindre un nombre de demandeurs d'emploi - et non de chômeurs, ce qui est une distinction importante - au bénéfice de cette allocation de 2%. Actuellement, l'AFO concerne un profil particulier de chômeurs: il s'agit des personnes d'au moins 30 ans qui justifient d'une durée de cotisation de minimum douze mois et n'ont pas achevé de formation professionnelle, ou dont la formation ne répond plus aux besoins du marché du travail. L'AFO débouche sur une attestation fédérale de formation professionnelle - AFP - ou sur un CFC. Les candidats à une AFO doivent satisfaire aux prérequis scolaires nécessaires à la formation, notamment en mathématiques et en français, et le CFC ou l'AFP doit s'effectuer dans une profession où il existe de réelles perspectives d'emploi.
Le PL 12444, quant à lui, vise à abaisser la limite d'âge et à étendre les formations possibles au-delà du cercle des AFP ou des CFC. Au niveau financier, le PL 12444 va plus loin que le PL 12443. Le montant de l'allocation cantonale de formation est calculé afin que les bénéficiaires disposent, compte tenu d'un éventuel salaire touché dans le cadre de la formation, d'un revenu équivalent à 80% de leur gain assuré selon la loi fédérale et au minimum à 4000 francs par mois. L'allocation cantonale ne serait pas soumise aux charges sociales. Une convention de formation serait établie.
Les raisons qui ont décidé la majorité de la commission des affaires sociales à refuser l'entrée en matière sur ces deux projets de lois sont les suivantes. Premièrement, l'augmentation de l'allocation à 4000 francs par mois: selon les chiffres fournis à la commission, qui datent de 2018, l'allocation de formation à 3500 francs améliore la situation financière de 90% des bénéficiaires. Seuls 10% d'entre eux avaient un gain assuré entraînant un impact négatif de l'AFO sur leur situation financière, mais cela n'a pas été un critère de renonciation à une AFO. Le montant actuel de 3500 francs est donc pertinent dans 90% des cas.
Deuxièmement, l'introduction d'un objectif de 2% de personnes au bénéfice d'une AFO: il faut savoir qu'aujourd'hui, ce taux est de 0,47%. Dans les faits, il y a peu de demandes pour des AFO, notamment à cause de la base volontaire des intéressés, des prérequis scolaires exigés et de la durée de la formation, entre deux et trois ans. De plus, la formation de type CFC ou AFP répond à un calendrier scolaire, avec une seule rentrée par année fin août, ce qui peut signifier de longs mois d'attente et donc un frein supplémentaire. En outre, pour certains adultes, être en classe avec des jeunes de 15 ou 16 ans peut s'avérer peu motivant.
Troisièmement, l'abaissement de l'âge à 22 ans: l'allocation de formation au sens de la loi sur le chômage impose au bénéficiaire d'avoir au moins 30 ans, mais il est d'usage, à Genève, d'accepter des dérogations à partir de 25 ans. Si le demandeur est plus jeune, l'office cantonal de l'emploi est attentif à ne pas se substituer aux autres dispositifs, notamment à la formation initiale traditionnelle: pour les plus jeunes, la voie traditionnelle de la formation doit être suivie, sans passer par le chômage pour obtenir une allocation de formation.
Quatrièmement, l'ouverture à d'autres formations que l'AFP ou le CFC: le PL 12444 prévoit une allocation cantonale de formation d'une durée maximale de quatre ans pour les personnes inscrites au chômage si elles entreprennent une formation qualifiante et certifiante afin de faciliter leur réinsertion sur le marché de l'emploi, contre deux ou trois ans actuellement. Le fait d'ouvrir l'allocation à tout type de formation est l'un des plus grands problèmes de ce projet de loi, tout jeune commençant une formation longue pouvant désormais avoir droit à une allocation de 4000 francs par mois, pour autant qu'il se soit inscrit au chômage ou qu'il soit demandeur d'emploi, ce point n'étant pas clair dans le projet de loi.
Cinquièmement, l'introduction de la notion de demandeurs d'emploi au lieu de chômeurs: ce point n'a été que peu abordé pendant les auditions, et pourtant, passer de la notion de chômeurs dûment inscrits à celle de demandeurs d'emploi laisse supposer un élargissement du cercle de bénéficiaires et un assouplissement des règles d'octroi, ce qui n'est pas sans poser de nombreux problèmes tant pratiques que financiers. Il faut noter que le PL 12443 ne parle que de demandeurs d'emploi, alors que le PL 12444 mélange les deux notions.
Enfin, sixièmement, la question des coûts: le montant de l'allocation cantonale de formation est calculé afin que les bénéficiaires disposent, compte tenu d'un éventuel salaire touché dans le cadre de la formation, d'un revenu équivalent à 80% de leur gain assuré et au minimum - c'est important - à 4000 francs par mois. C'est une différence de taille avec un maximum de 3500 francs actuellement. Augmenter l'allocation tout en transformant un maximum en un minimum entraînera des coûts financiers substantiels, ce d'autant plus que les projets de lois ouvrent la mesure à davantage de candidats par le biais de l'abaissement de la limite d'âge, de l'élargissement à tout type de formation qualifiante, du rallongement de la durée de formation jusqu'à quatre ans et de l'octroi de la prestation aux demandeurs d'emploi au lieu de chômeurs.
Les discussions au cours des séances de commission ont montré que les auteurs souhaitaient avant tout que les personnes dans des situations de précarité, qui seraient le public visé par ces textes, puissent avoir un meilleur accès à une formation certifiante. Malheureusement, ce public cible n'a pas été défini clairement dans les projets de lois, qui englobent au contraire un public bien plus large.
Pour l'ensemble de ces raisons, la majorité de la commission des affaires sociales vous propose le rejet de ces deux projets de lois.
Mme Léna Strasser (S), rapporteuse de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, ces deux projets de lois visent à renforcer le recours aux allocations de formation prévues par la loi fédérale pour des formations duales permettant à des adultes un accès à une AFP ou à un CFC, en ouvrant leur champ d'action.
La minorité regrette fortement que lors des débats en commission, la question du revenu des apprentis adultes ait été débattue à plusieurs reprises. Le fait qu'il s'agisse d'adultes ayant souvent des charges familiales a été balayé: on parle apprentissage, on pense donc «jeunes», donc «sans charge familiale». Pourtant, la moyenne d'âge des personnes ayant bénéficié d'une AFO ces dernières années est de 32 ans, pour un gain assuré de 3000 francs en moyenne. Le complément de revenu proposé par le premier projet de loi fait donc sens et répond à un réel besoin des personnes en recherche d'emploi qui se lancent dans le défi de reprendre une formation longue en tant qu'adultes. C'est un investissement personnel fort qui à notre sens doit être accompagné, soutenu et encouragé.
En tant qu'adulte, tout le monde ne se lance pas dans un projet de formation. Cela demande un engagement conséquent et une motivation sur une durée souvent longue. Depuis le vote sur ce projet de loi, qui a eu lieu, Mesdames et Messieurs les députés, le 25 février 2020, une pandémie - souvenez-vous - est venue changer les perspectives, et la problématique climatique tout comme la question de la digitalisation, dont on parlait tout à l'heure, questionnent fortement les métiers de demain. De nombreux textes ont été déposés par quasiment tous les bords politiques de cette enceinte pour soutenir la reconversion et la formation qualifiante. Car, on le sait, la précarité de l'emploi renforce la dégringolade et amène un cercle vicieux: case «travail précaire», case «chômage», case «travail précaire», case «chômage».
Dès lors, ces projets de lois peuvent réellement amener des avancées pour un soutien accru à la formation professionnelle des adultes. L'OFPC a mentionné d'ailleurs lors des auditions que la demande de formation pour accéder à des diplômes de type AFP ou CFC est en hausse constante dans la population adulte: 700 adultes ont obtenu un CFC ou une AFP en 2018, l'objectif pour l'office étant de doubler ce chiffre en 2023. Un recours plus important aux AFO serait l'un des moyens pour y parvenir. La minorité regrette donc que ces projets appuyant la formation continue de nos concitoyens aient été simplement balayés.
M. Didier Bonny (Ve), rapporteur de deuxième minorité ad interim. Mesdames les députées, Messieurs les députés, pour la seconde minorité, les arguments en faveur de ces deux projets de lois sont au nombre de cinq: premièrement, ils permettent de prévenir la précarité; deuxièmement, ils vont dans le sens de l'égalité des chances; troisièmement, ils sont le gage d'une vision durable de la réinsertion professionnelle; quatrièmement, ils prennent en compte la nécessité de s'adapter au monde du travail; cinquièmement, ils cassent un cercle pernicieux.
En ce qui concerne la prévention de la précarité, selon les chiffres de l'OFPC, 84% de la population active bénéficierait d'un titre d'étude. La Confédération a annoncé qu'elle vise les 95%. Le fait de ne pas posséder un titre entraîne un risque quatre fois plus élevé de se trouver dans une situation de non-emploi, et donc de précarisation.
Pour ce qui est de l'égalité des chances, les constats tirés en 2011 par la CGAS sont toujours d'actualité, à savoir que l'accès à la formation continue reste inégal. En effet, ce sont toujours les personnes qui en ont le plus besoin qui en bénéficient le moins: bas revenus, personnes peu ou pas qualifiées ou au chômage. La complexité du dispositif de formation continue est une entrave à l'égalité des chances et à un accès aux aides et aux formations. Le dispositif évolue lentement vers une meilleure prise en compte de la formation continue, mais il nécessiterait également une plus grande lisibilité.
Concernant à présent la vision durable de la réinsertion professionnelle, et en se basant sur les statistiques, on peut constater que la formation n'est pas une priorité dans les mesures du marché du travail pour la Suisse, et Genève ne fait pas exception. Dans tous les cantons, le nombre de formations est bas. Or, avec une bonne formation, il est plus facile de trouver du travail sur le marché de l'emploi. A Genève, le risque de chômage est plus élevé que dans le reste du pays, d'où l'importance du projet de loi qui vise à mieux former les personnes au chômage. Ainsi, sur le long terme, ces projets de lois amèneront un gain financier car ils éviteront un retour à l'aide sociale des bénéficiaires et permettront de mieux lutter contre la précarité.
Quant à l'adaptation indispensable à un monde du travail toujours plus exigeant, compétitif et en évolution, personne ne la nie. C'est pourquoi il est nécessaire de pouvoir effectuer des reconversions professionnelles, y compris pour les personnes déjà au bénéfice d'une formation. La plupart des dispositifs visent en effet un premier accès à une certification et il faudrait les élargir pour permettre à l'ensemble de la population de s'adapter à l'évolution du marché du travail.
Enfin, la problématique de la réinsertion professionnelle telle que prise en charge aujourd'hui par l'OCE est comparable à un cercle pernicieux où les moins formés sont toujours moins formés et deviennent une sorte de prolétariat qui est réinjecté sur le marché de l'emploi pour en être éjecté rapidement. Ces projets de lois permettent de casser ce cercle en donnant une vraie chance à tout le monde de trouver une profession qui lui convienne.
En conclusion, il y a un véritable changement de paradigme à opérer dans nos lois. Il faut sortir de la logique «coûts à court terme» et arrêter de penser que nous n'avons pas les moyens pour faire en sorte que 2% des demandeurs d'emploi inscrits en moyenne par année civile bénéficient d'une allocation cantonale complémentaire de formation, car le coût, qu'il soit social ou économique, est largement amorti à long terme.
Ces deux projets de lois visent à mettre la formation au centre du débat et à travailler en amont de l'aide sociale en soutenant la jeunesse qui veut se former. Aujourd'hui, l'accès à la formation est loin d'être égal pour tout le monde en fonction des conditions financières, sociales et familiales. Ces textes permettent de donner un coup de pouce à des jeunes qui souhaitent travailler et s'investir au sein de notre société. Offrons-leur un futur. La politique actuelle visant à réinsérer le plus rapidement possible a montré ses limites et ses failles. Osons repenser le système et voir à long terme.
Pour toutes ces raisons, la seconde minorité - et donc la députation Verte - vous invite à accepter ces deux projets de lois.
M. André Pfeffer (UDC). Ces deux projets de lois sont louables, mais leur étude en commission et les auditions ont montré que les résultats espérés par les signataires ne seraient pas atteints. Personne ne conteste que la formation soit le meilleur rempart contre le chômage et qu'à Genève, 22,3% de la population - soit presque une personne sur quatre - n'a fait que l'école obligatoire. Mais aucun de ces deux textes ne représente une solution.
L'amélioration proposée pour l'allocation fédérale de formation consiste premièrement à la porter à 4000 francs au minimum par mois, ce qui n'apporterait strictement rien. Actuellement, la moyenne des revenus des personnes au bénéfice de ces prestations est de 3888 francs. Le deuxième point, introduire un pourcentage minimum pour des bénéficiaires de formations, n'apporterait rien non plus. Troisièmement, baisser l'âge des bénéficiaires à 22 ans - aujourd'hui, l'âge minimal est de 30 ans, avec dérogation à partir de 25 ans - est jugé non déterminant par les responsables de l'OCE. Quatrième point: l'ouverture des AFO à tout type de formation, à des personnes inscrites à l'OCE ou non, pour une formation pouvant durer jusqu'à quatre ans, ne représenterait rien d'autre, selon les responsables de l'OCE, qu'un encouragement et une promotion à l'inscription au chômage.
Il faut également rappeler les autres prestations existantes. Les AIT, allocations d'initiation au travail, offrent six à douze mois de prestations de salaire payées par l'Etat. Il existe également les ARE, allocations de retour en emploi, qui offrent une aide de l'Etat de 50% du salaire pour une durée déterminée.
Bref, ces deux projets de lois sont excessivement coûteux. Ils rajoutent une couche à une prestation fédérale qui fonctionne et donne satisfaction. Selon pratiquement toutes les auditions que nous avons menées, selon l'étude que nous avons faite en commission, ils n'amélioreraient absolument pas la situation. Le groupe UDC les refusera donc. Merci de votre attention.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, de solution miracle il n'y a pas; de baguette magique pour régler globalement et définitivement le problème du chômage dans notre canton il n'y a pas non plus. En revanche, des mesures permettant d'en traiter certains aspects sont possibles. Mais pour cela, il faut faire montre de la volonté politique correspondante.
La formation continue en cours de carrière était nécessaire, bienvenue; elle est aujourd'hui - et même depuis un certain nombre d'années - devenue indispensable. Les compléments de formation, les reclassements professionnels sont souvent incontournables pour les chômeurs et les chômeuses ou les demandeurs et les demandeuses d'emploi pour espérer retrouver un travail. A Genève, canton où le taux de chômage est parmi les plus élevés de Suisse - sans même prendre en considération les personnes en demande d'emploi -, l'exclusion du monde du travail et la pauvreté croissent de manière alarmante. Divers facteurs dont nous avons souvent eu l'occasion de débattre ici y concourent. Il ne s'agit pas de les énumérer maintenant, mais plutôt de parler de la thématique abordée par les deux projets de lois que nous traitons, celle du soutien à la formation et de l'aide à la réinsertion professionnelle.
Le premier d'entre eux, le PL 12443, vise à améliorer sur le plan cantonal une disposition prévue par la loi fédérale, l'allocation de formation, AFO, malheureusement encore trop peu utilisée. Il augmenterait de 500 francs le montant alloué aux personnes bénéficiant de cette mesure pour leur permettre de mieux couvrir leurs besoins et surtout tenir compte du niveau de vie élevé à Genève. Il permettrait aussi à des demandeurs et demandeuses d'emploi d'entrer dans le cercle des bénéficiaires de cette mesure en visant un taux de 2% de personnes touchant cette allocation cantonale complémentaire de formation - un objectif bien modeste au regard de la faible utilisation de cette mesure à Genève, à savoir, comme cela a déjà été dit, 0,47%; ce sont les chiffres de 2018.
Le PL 12444, quant à lui, vise à abaisser la limite d'âge à 22 ans plutôt que 30 ans et à étendre les formations possibles au-delà du cercle des attestations fédérales de formation professionnelle, les AFP, ou des certificats fédéraux de capacité, les CFC. A titre indicatif ou d'alerte - comme vous voudrez -, rappelons quand même que près de 50% des personnes au bénéfice de prestations d'aide sociale en 2020 n'avaient pas de formation primaire ou aboutie. Dès lors, la promotion et la facilitation de la formation ou des reclassements professionnels doivent être des objectifs prioritaires dans la politique sociale et économique, voire dans la politique de la santé, car rien n'abîme plus une personne que son exclusion professionnelle et sociale.
Selon le professeur Ferro-Luzzi, auditionné par la commission, il apparaît qu'il y a un lien évident entre le niveau de formation et le risque de chômage. Ainsi, relève-t-il, «plus la formation est faible, plus le taux de chômage est élevé. A Genève, le risque de chômage est donc plus élevé que dans le reste du pays». Il concluait qu'«il est donc important de mieux former les chômeurs». Le taux de chômage à Genève se situait en avril 2022 à 4,1%, pour un taux de 2,3% au niveau suisse: cela démontre que notre canton doit se montrer particulièrement sensible à cette question de la formation et de l'aide à la réinsertion, et qu'il doit, comme le suggèrent ces deux projets de lois, fournir un effort supplémentaire.
Le refus d'entrée en matière sur ces textes de la part de la majorité est peu compréhensible au regard de la réalité alarmante que nous connaissons à Genève. Dès lors, nous ne pouvons que vous inviter, Mesdames et Messieurs les députés, à revoir cette position et à adopter ces deux projets de lois.
M. Bertrand Buchs (PDC). Je remercie la rapporteuse de majorité et les deux rapporteurs de minorité pour la clarté de leur exposé. La question est centrale: il s'agit de la formation, de l'accès à la formation, de la meilleure formation possible pour nos jeunes et nos adultes jeunes. Mais ces deux projets de lois n'apportent pas de réponse. Les AFO existent et ne sont pas utilisées à Genève ! Il n'y a pas de limitation vers le haut: la Confédération paie; on peut en demander dix mille, vingt mille, cent mille, la Confédération paie. Mais si seulement 0,47% des gens utilisent les AFO, c'est que leur structure est beaucoup trop complexe et qu'elles sont compliquées à demander. Ce n'est donc pas avec les AFO qu'on va régler le problème de la formation des jeunes, ce n'est pas avec les AFO qu'on va permettre aux jeunes et aux moins jeunes de se réinsérer dans le monde du travail, mais par d'autres moyens. On laisse penser que ces deux textes offrent la solution du problème, mais on n'a pas la solution du problème !
Et puis, prévoir, dans le deuxième projet de loi, qu'on descende à 22 ans, qu'on passe par le chômage et touche 4000 francs, ça veut dire qu'on ira d'abord au chômage parce qu'on touchera alors 4000 francs ! On ne passera donc pas par d'autres structures de formation professionnelle.
C'est toute la formation professionnelle qu'il faut revoir, mais pas avec ces deux textes, qui n'apportent pas de solution. L'AFO est beaucoup trop précise, met trop de limites pour qu'on puisse former les gens qu'on veut former. Le Centre ne votera donc pas ces projets de lois. Je vous remercie.
M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai du mal à comprendre - vous transmettrez - les propos de M. Buchs, qui ne voit pas en quoi ces projets de lois aident à la reconversion professionnelle et dit qu'il y aurait d'autres solutions. Je le rejoins là-dessus - il y a toujours d'autres solutions -, mais ces deux textes contribuent quand même de façon importante, je pense, à la reconversion professionnelle.
On l'a déjà mentionné ce soir, la formation continue, liée à la reconversion professionnelle, est un enjeu essentiel de notre époque. On sort d'une crise majeure pour notre société, la crise du covid, qui chamboule plusieurs secteurs professionnels, l'organisation du travail aussi, qui peut affecter le chômage - pas trop, on espère; pour l'instant, heureusement, ce n'est pas encore le cas. Force est de constater en tout cas que notre canton se situe toujours parmi ceux qui connaissent le plus grand nombre de demandeuses et demandeurs d'emploi, que ce soit avant la crise ou à la sortie de celle-ci.
L'un des deux projets de lois vise à ce que les allocations de formation soient davantage utilisées, davantage promues aussi par l'Etat, l'OCE, puisque suivant les chiffres de 2018 - les derniers que nous ayons - elles sont sous-utilisées: 71 allocations de formation ont alors pu être octroyées, ce qui correspond à un pourcentage de 0,47% des demandeuses et demandeurs d'emploi. L'un des deux objets mentionne l'objectif d'au moins 2%. Pourquoi ? Pour se donner les moyens d'un véritable investissement. Cet investissement représente finalement une économie d'échelle, car, au moyen de reconversions professionnelles ou de formations nouvelles, il permet d'éviter plus tard le passage à l'aide sociale, aide sociale qui engendre des frais à la charge du canton. Pour Genève, ce serait donc un investissement très profitable par la suite.
On peut avoir un autre questionnement en matière de politique de l'emploi, par rapport à la sous-utilisation actuelle des moyens liés à la formation continue et à la reconversion professionnelle: on observe une sous-utilisation de la formation continue, notamment à travers les chèques formation, puisqu'on n'a pas utilisé l'entier des fonds à disposition pour la formation professionnelle et continue ces deux dernières années.
Après, on a entendu que l'indemnité telle que proposée, avec une augmentation à 4000 francs grâce au supplément payé par le canton, formerait une incitation - un oreiller de paresse, pourrait-on comprendre: je crois que c'est surtout un moyen de se rapprocher du salaire minimum adopté par le peuple, afin qu'on puisse vivre dignement dans le canton de Genève et aussi suivre une formation permettant une reconversion professionnelle. En plus, on le sait, les personnes qui nécessitent ces formations complémentaires n'ont souvent pas suivi une formation élevée; elles sont par conséquent déjà selon toute probabilité dans une situation sociale relativement précaire et n'ont absolument aucunes économies pour suivre une formation supplémentaire ni assez d'économies pour s'assurer un train de vie décent sans les indemnités suffisantes.
Mesdames et Messieurs, nous étudions à la commission de l'économie plusieurs projets de lois qui ont trait à la reconversion professionnelle, liés à la sortie de crise: le groupe socialiste vous invite à renvoyer ces deux objets dans cette commission afin qu'ils y soient traités avec les autres textes concernant ce thème. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi. Je cède la parole sur ce point aux rapporteurs, en commençant par le rapporteur de deuxième minorité.
M. Didier Bonny (Ve), rapporteur de deuxième minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Nous suivons la demande de renvoi en commission.
Mme Léna Strasser (S), rapporteuse de première minorité. Nous sommes bien entendu en faveur du renvoi en commission.
Mme Véronique Kämpfen (PLR), rapporteuse de majorité. La majorité propose de ne pas renvoyer ces deux projets de lois en commission. Celle-ci les a traités durant six séances, de manière très intensive. Je ne vois donc pas vraiment l'utilité de les renvoyer aujourd'hui.
Mme Fabienne Fischer, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, souvent, je ne suis pas favorable au renvoi en commission. Dans ce cas particulier, j'aimerais pourtant relever les événements qui se sont passés entre le dépôt de ces projets de lois et leur traitement en commission et aujourd'hui. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts; en particulier, les conséquences de la crise du covid et les difficultés que l'on connaît à Genève quant aux licenciements et au chômage, qui vont en s'amenuisant mais sont loin d'être résolues, posent un certain nombre de défis en matière de résorption du chômage, qui avait beaucoup augmenté quand même au cours des deux dernières années. Elles nous obligent à nous reposer un certain nombre de questions sur, d'une part, l'adéquation des compétences des chômeurs avec les besoins du marché du travail et, d'autre part, la facilitation de la mise à profit de la période de chômage comme un moment où utiliser la formation tel un tremplin pour rebondir sur le marché de l'emploi.
Quand on parle de manière générale, tout le monde s'accorde à dire que la formation est un élément déterminant dans la capacité à se réinsérer sur le marché de l'emploi. Aujourd'hui, c'est précisément la manière d'articuler la possibilité de se former avec la période où l'on est chômeur, c'est-à-dire au bénéfice d'indemnités de chômage, celle d'utiliser cette période-là pour se former, qui est en jeu. Que constate-t-on actuellement avec l'application stricte que l'on connaît de la loi sur le chômage ? Si vous êtes au bénéfice d'indemnités de chômage, vous pouvez décider d'entreprendre une formation qu'on peut vous imposer de cesser du jour au lendemain au motif que vous recevez une proposition d'emploi; même si vous avez suivi deux ans de formation et que vous êtes à quinze jours de vos examens finaux, il faut tout arrêter quand une offre d'emploi se présente. Ou alors, vous décidez de poursuivre votre formation: ce faisant, vous perdez votre droit aux indemnités chômage. Qu'est-ce que ça veut dire ? Bien entendu, il faut appliquer la loi sur le chômage, mais on doit réfléchir à ce qu'on peut faire au niveau cantonal - on sait que Genève fait face à un problème particulier en matière de chômage, soit la réintégration de personnes qui ont des difficultés qu'elles cumulent quand elles n'ont pas d'emploi. Comment arriver à vraiment dynamiser la possibilité pour ces personnes de se réinsérer, notamment au moyen de processus de formation ?
On sait que les barrières à l'accès à la formation sont nombreuses pour les personnes adultes. Il en existe bien entendu de nature économique, liées aux revenus, mais d'autres sont liées à l'investissement que cela représente. C'est bien sûr extrêmement démotivant pour quelqu'un de commencer une formation en se disant qu'il peut être appelé à l'arrêter à tout moment. En outre, l'offre de formation professionnelle pour adultes est globalement peu adaptée à leur situation: des classes où ils sont mélangés avec les très jeunes apprenants, des classes qui parfois ne s'ouvrent pas parce qu'un nombre insuffisant de personnes sont inscrites, des horaires ou une durée de formation inadaptés. Ce sont là des champs de réflexion qu'il me semble nécessaire d'approfondir.
Enfin, comment développer des programmes de formation accessibles aux chômeurs et qui correspondent à des secteurs dans lesquels on observe déjà maintenant une pénurie ? Je pense au domaine des techniciens, notamment dans les IT, mais aussi aux soins à la personne, au domaine de l'énergie, du chauffage, mais pas seulement. Il existe là la possibilité de former des personnes au chômage avec le moyen ensuite de décrocher un emploi. L'intérêt serait d'insister en particulier sur des formations en cours d'emploi, c'est-à-dire des formations qui n'éloignent pas les personnes formées du marché du travail. Tout cela, ce sont des réflexions qu'il me semblerait utile que la commission de l'économie traite de manière approfondie.
J'ajouterai que le départ à la retraite de la fin de la cohorte des baby-boomers ne va faire qu'accentuer dans les prochaines années les difficultés que nous connaissons déjà et qu'une politique pour de véritables mesures destinées à la formation du public adulte nous permettra de trouver des solutions.
Je partage avec un certain nombre d'entre vous le constat qu'en l'état, les deux lois proposées ne permettent pas vraiment d'entrer dans les détails, dans une réflexion approfondie sur un certain nombre de questions que plusieurs parmi vous ont soulevées. C'est pourquoi je serais vraiment favorable à ce que votre Grand Conseil poursuive la réflexion et l'examen de différentes possibilités de favoriser l'utilisation de la période de chômage pour une formation, une formation en cours d'emploi qui donne aux personnes qui la suivent aussi bien une expérience professionnelle qu'une qualification et permette de répondre aux besoins du marché de l'emploi que l'on connaît déjà et que l'on connaîtra dans les prochaines années. Ainsi, le Conseil d'Etat soutient la proposition de renvoi à la commission de l'économie.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je lance le vote sur le renvoi de ces projets de lois à la commission de l'économie.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12443 à la commission de l'économie est adopté par 50 oui contre 41 non.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12444 à la commission de l'économie est adopté par 48 oui contre 44 non.