Séance du jeudi 2 juin 2022 à 20h30
2e législature - 5e année - 1re session - 7e séance

PL 12523-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Romain de Sainte Marie, Youniss Mussa, Sylvain Thévoz, Salima Moyard, Emmanuel Deonna, Thomas Wenger, Léna Strasser, Christian Dandrès, Jocelyne Haller modifiant la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement (LRDBHD) (I 2 22) (Pour obliger les cafés et restaurants à disposer de tables à langer accessibles aux hommes comme aux femmes)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VII des 27 et 28 janvier 2022.
Rapport de majorité de M. Jacques Béné (PLR)
Rapport de minorité de M. Romain de Sainte Marie (S)

Premier débat

Le président. Nous poursuivons avec le PL 12523-A dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes... (Brouhaha.) S'il vous plaît, un peu de silence, on ne s'entend plus ! Monsieur Jacques Béné, vous avez la parole.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Décidément, pendant ces deux jours, on ne traite que des objets très urgents qui vont révolutionner la vie de la population, on l'a bien compris; c'est d'ailleurs peut-être pour ça qu'ils figurent depuis si longtemps à l'ordre du jour. Est-ce que vous voulez immédiatement demander un renvoi en commission, Mesdames et Messieurs, puisqu'il s'agit d'un sujet capital ? Je ne sais pas, si quelqu'un veut soumettre cette requête, je peux tout de suite lui céder la parole...

C'est tout de même surprenant que des gens aient du temps à perdre pour proposer constamment des obligations, des contraintes, comme si, dans la vie de tous les jours, il n'y en avait pas suffisamment et qu'il en fallait encore plus. Là, avec ce projet de loi, on atteint des sommets: il s'agit d'obliger tous les cafetiers et restaurateurs à disposer d'une table à langer dans leur établissement. On nous a dit que cette mesure était parfaitement possible partout; oui, j'imagine déjà des tenanciers de bars à bière, par exemple, lesquels ne sont pas accessibles aux enfants ou, du moins, où je vois mal les enfants se rendre, installer des plans à langer. Certains cafés-restaurants font aussi discothèques le soir, donc il va falloir en aménager dans les boîtes de nuit. (Rires.)

En ce qui me concerne, j'ai demandé - mais ça a été refusé - qu'on auditionne Ikea afin de savoir ce qu'il en est de ses tables à langer, qui sont à des prix tout à fait intéressants mais qui, malheureusement, ne pourront pas être utilisées dans les cafés-restaurants, parce qu'il faut des structures qui résistent au feu, sans échardes, bien entretenues avec des produits chimiques pour surtout éviter toutes les infections possibles. Hélas, la commission n'a pas voulu qu'on entende Ikea.

Mesdames et Messieurs, soyons un tout petit peu sérieux. La problématique des tables à langer n'est pas essentielle, il s'agit encore d'une contrainte administrative et technique. Dans ce contexte, on peut invoquer la liberté du commerce: si un établissement offre des tables à langer, il est clair que des familles vont le fréquenter; quant à celui qui n'en met pas, eh bien il n'aura pas de jeunes parents, voilà tout, il ne fera pas de chiffre d'affaires grâce à eux, mais son concept est peut-être différent, et je pense qu'il faut laisser aux entrepreneurs la liberté de faire comme ils l'entendent. Sinon, on pourrait en arriver à ce que certains restaurants interdisent l'accès aux familles sous prétexte qu'ils ne souhaitent pas installer de table à langer, ne serait-ce que parce qu'ils n'ont pas assez de place.

Par ailleurs, le texte ne prévoit aucune sanction, ce qui signifie que celui qui n'en veut pas, eh bien il n'en met pas, c'est un dispositif inutile. Enfin, je ne sais pas vous, mais moi, j'ai changé les couches de mes enfants dans des espaces qui étaient peu ou pas appropriés: dans la salle d'attente d'une gare, sur le siège d'une voiture, sur une banquette de bistrot... (Commentaires.) On a sans doute tous vécu cela, même dans son enfance, et je n'ai pas l'impression que mes enfants ont gardé un traumatisme d'avoir été langés dans des conditions qui n'étaient peut-être pas celles que les initiants de cet objet visent.

Aucun intérêt public ne justifie cette proposition. Malheureusement, Mesdames et Messieurs, on vit dans une dictature des minorités, certains l'expérimentent même au sein de leur propre organisation; ces minorités finissent par noyauter la société et risquent de la perdre. Pour moi, la plus grande qualité d'une minorité, c'est d'avoir la capacité d'adaptation, c'est à mon sens le seul moyen qu'elle grandisse. Je vous remercie.

Une voix. Bravo, Jacques ! (Applaudissements.)

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Ce qui est magnifique, en prenant la parole juste après le rapporteur de majorité, c'est que je n'ai même pas à préparer mon intervention, il m'a donné absolument tous les arguments. D'abord, on peut constater, que l'on parle d'une ou de plusieurs minorités, toute l'importance que l'enjeu d'égalité revêt à ses yeux, puisqu'il vient de terminer son propos en indiquant qu'il ne fallait surtout pas entendre parler des minorités, que celles-ci n'avaient pas à dicter la loi. En réalité... (Remarque.) C'est exactement ce que vous avez soutenu, Monsieur le rapporteur de majorité.

En réalité, la notion d'égalité est essentielle; écouter les minorités l'est aussi, et ce projet de loi, même s'il paraît anecdotique à vos yeux, est un texte en faveur de l'égalité. En effet, il s'agit de faire en sorte, via la problématique qui vous semble secondaire du change des enfants, que cette tâche ne soit pas réservée aux seules femmes dans les lieux publics, qu'elle soit accessible aux hommes comme aux femmes. Aujourd'hui, bien trop souvent, les tables à langer, pour autant qu'il y en ait seulement dans les établissements - pas dans les discothèques, il n'est pas question de boîtes de nuit dans ce texte, mais de cafés-restaurants -, sont généralement situées dans les toilettes pour femmes.

Cet objet, en plus de constituer une mesure pour l'égalité, intervient également sur l'aspect de la famille - mais je sais que le PLR n'est pas le parti de la famille; peut-être Le Centre l'était autrefois, quand il s'appelait encore le PDC. (Commentaires.) Il s'agit ici de l'accès des familles aux cafés et restaurants.

C'est intéressant, parce que M. le rapporteur de majorité évoquait le fait d'avoir changé ses enfants dans des lieux improbables, ce qui est mon cas également. Or quand on fait de la politique dans ce parlement, a priori, c'est pour essayer d'améliorer le fonctionnement de la société. S'il vous est arrivé de changer des couches dans des endroits peu appropriés ou encore à même le sol dans des toilettes, vous savez qu'il n'est pas forcément facile de changer son enfant sans rien pour le poser - j'aurais pu faire une démonstration ici, ç'aurait été plus parlant -, ce n'est pas du tout pratique.

Eh bien ce projet de loi vise précisément à rendre la chose beaucoup plus pratique. En plus, le canton de Genève ne serait même pas pionnier en la matière. Pourquoi ? Parce que l'idée vient des Etats-Unis: la ville de New York a adopté un décret allant dans ce sens et demandant aux nouveaux établissements de prévoir des espaces à langer accessibles aux hommes comme aux femmes.

Après, il y a la question du prix. Alors c'est fabuleux, parce que le rapporteur de majorité a tout de suite énoncé le faible coût d'un plan à langer. Je ne veux même pas entendre dire qu'il s'agirait d'un investissement douloureux pour un café ou un restaurant que d'installer une table à langer. On a vu les prix dans de grandes chaînes de mobilier telles qu'Ikea, je pense qu'il peut même y avoir des solutions artisanales encore plus simples.

Ensuite, on a entendu l'argument de la place. C'est très intéressant ! Mesdames et Messieurs les députés, mentionnez-moi une toilette plus petite que celle d'un avion; il n'y en a pas. Il n'y en a pas, et pourtant, dans chaque toilette d'avion, vous trouvez une table à langer. Est-il difficile d'installer cela dans les toilettes d'avion ? La réponse est non. Est-ce que les tables à langer dans les toilettes d'avion, de simples petites tablettes qui se déplient, sont coûteuses ? Encore une fois, non.

En réalité, tout est extrêmement simple. Le coût pour les entreprises, c'est-à-dire les cafés-restaurants, est négligeable, tandis que les bénéfices pour la société, eux, sont très importants. Ce projet paraît peut-être anecdotique, mais dans les faits, il s'agit d'un grand pas en avant en matière d'égalité dans les moeurs. C'est la raison pour laquelle je vous invite à l'accepter. (Applaudissements.)

M. François Lefort (Ve). Je ne dirai pas trop de mal de ce projet de loi pro domo, surtout par affection pour l'auteur. Cela étant, Mesdames et Messieurs, ce texte qui vise à imposer des tables à langer dans tous les restaurants est basé sur des prémisses fausses, on a pu le constater aussi bien dans l'exposé des motifs que lors de sa présentation en commission.

La proposition se justifie, comme il l'a indiqué, par le fait que la ville de New York, par règlement municipal, a imposé des tables à langer dans les toilettes publiques des restaurants et cinémas, mais c'est malheureusement faux; en réalité, le célèbre maire démocrate Bill de Blasio a promulgué en 2019 un texte rendant obligatoire l'installation de tables à langer dans toutes les toilettes des bâtiments publics ou ouverts au public, neufs ou rénovés, qu'il s'agisse de WC pour femmes ou pour hommes. Vous voyez que ce n'est pas la même chose, la mesure ne concerne pas uniquement les restaurants.

Le projet socialiste serait d'ailleurs tout à fait acceptable s'il reprenait les mêmes buts. En effet, on ne comprend pas pourquoi seuls les cafés-restaurants seraient touchés à Genève alors qu'il y manque des toilettes publiques confortables et en suffisance pour la population, comme c'était le cas à New York, ce qui a motivé le règlement américain. Voilà un message - je fais une petite incise - adressé d'abord à la Ville de Genève et la promesse d'un chantier municipal urgent pour celle-ci.

Revenons-en au projet de loi. Il est aussi question ici du principe de proportionnalité, qui nécessiterait pour nous d'étendre la proposition socialiste consistant à installer des tables à langer dans les restaurants à l'ensemble des bâtiments publics ou ouverts au public, en commençant bien sûr par les premiers, par souci d'exemplarité.

Une voix. Au Grand Conseil, par exemple !

M. François Lefort. Là, nous serions d'accord. Sur la base du principe de proportionnalité, cet objet qui est en infraction à la loi sera malheureusement combattu - certainement avec succès, d'ailleurs - s'il est voté aujourd'hui.

Par ailleurs, le texte est uniquement déclaratif, voire décoratif, puisque aucune sanction ni modalité de sanction n'est prévue à l'endroit des restaurateurs qui refuseraient de mettre en place des tables à langer. Sans sanction, il n'aura aucun effet. Je suis malheureusement obligé de rappeler en quoi consiste la nature humaine: sans punition à la clé, il n'y a pas de motivation à obéir à la loi.

Cet objet aura au moins eu le mérite de mettre en évidence l'indigence en toilettes publiques dans une ville internationale comme celle de Genève, qui n'en fournit pas suffisamment, qui n'offre pas non plus de prestations confortables à la population et aux jeunes parents, aussi bien dans les toilettes publiques que dans les bâtiments publics ou ouverts au public. Je suis donc d'accord avec le député Romain de Sainte Marie sur la proposition américaine, qu'il convient de resoumettre sous la forme d'un autre projet de loi, car le texte actuel, qui ne concerne que les restaurants, en est très éloigné. Pour toutes ces raisons, le groupe Vert s'abstiendra ou votera oui à cet objet, chacun et chacune selon son humeur. Merci.

M. Jean Burgermeister (EAG). Ecoutez, Mesdames et Messieurs, ce projet de loi aurait certainement pu être amélioré en commission, cela ne fait aucun doute. Romain de Sainte Marie lui-même, l'auteur, ne l'a jamais nié. Simplement, voyez-vous, la majorité de droite s'est catégoriquement opposée à considérer l'objectif du texte, c'est-à-dire faire en sorte qu'il y ait des tables à langer dans les toilettes des bars et restaurants. Au fond, malgré ce qu'on a pu entendre en commission, la contrainte pour les cafetiers-restaurateurs est raisonnable, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un aménagement insurmontable.

Là derrière, il y a l'aspiration d'une nouvelle génération de parents, qui cherchent peut-être à vivre d'une autre manière que M. Béné l'a fait lui-même, M. Béné qui nous dit: «Il n'y a pas de raison de changer, puisque j'ai toujours fait comme ça.» Enfin, Mesdames et Messieurs, ce Grand Conseil ne peut pas décemment souhaiter que toute la république fasse comme a toujours fait M. Béné... (Rires.) Le simple fait de l'imaginer est d'ailleurs assez effroyable. En réalité, c'est l'ambition de nouvelles générations... (Commentaires.)

Le président. S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs, cessez vos conversations, laissez l'orateur s'exprimer.

M. Jean Burgermeister. Je suis d'accord avec vous, Monsieur le président, ils sont très dissipés ! (Commentaires.)

Le président. Un peu de silence, s'il vous plaît !

Une voix. Oui, mais il attaque M. Béné !

Une autre voix. Oh !

Le président. S'il vous plaît !

M. Jean Burgermeister. Je n'attaque pas M. Béné, je dis qu'un seul, ça suffit, n'en faisons pas plusieurs ! (Rires.) Sinon, ça devient invivable.

Le président. Silence dans la salle ! Poursuivez, Monsieur Burgermeister.

M. Jean Burgermeister. Je vous remercie, Monsieur le président. Vous avez décompté mon temps quand il y a eu les vociférations de M. Romain ?

Le président. Oui, évidemment.

M. Jean Burgermeister. Bon. Il est ici question de jeunes parents qui aspirent à vivre différemment, à partager davantage les tâches domestiques entre le père et la mère - aujourd'hui encore, bien trop souvent, seules les toilettes des femmes sont pourvues de tables à langer -, à mieux concilier vie familiale, vie professionnelle et aussi vie sociale, donc à pouvoir sortir avec leur enfant dans les bars et les restaurants. C'est à ce mouvement, je pense, que nous devons répondre d'une manière ou d'une autre.

Si on avait voulu amender ce texte, on aurait eu tout le loisir de le faire en commission; la droite ne l'a pas voulu, prétextant que c'était une contrainte bien trop importante pour les cafetiers-restaurateurs. Le groupe Ensemble à Gauche, quant à lui, votera en faveur de ce projet de loi. Sans doute mériterait-il d'être amélioré, mais enfin, il a l'avantage de tracer un objectif raisonnable, très minimal en réalité, et je m'étonne qu'une majorité de ce parlement y soit aussi hostile. Il s'agit d'un tout petit pas de fourmi en direction de l'égalité.

Quelle que soit l'issue du vote, j'aimerais le souligner et je m'arrêterai là ensuite, les travaux sur ce texte ont révélé un aspect très positif: en commission, un député PLR - cela figure dans le rapport, il faudra s'en souvenir - a indiqué qu'il était estomaqué qu'on évoque de tels sujets, parce qu'ils n'ont aucune importance, et qu'il voulait, lui, se battre pour les conditions de travail dans la restauration, mais pas pour des tables à langer; il voulait se battre, a-t-il dit, avec les syndicats pour de meilleures conditions de travail ! Eh bien nous le prenons au mot, Mesdames et Messieurs: puisque le PLR décide de refuser ce projet de loi, nous l'attendons avec des propositions sur les conditions de travail ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Je laisse la parole à M. Vincent Subilia pour une minute cinquante-sept.

M. Vincent Subilia (PLR). Merci, Monsieur le président. Je serai bref, pour souligner que le PLR est naturellement le parti de la famille. J'en ai le meilleur exemple derrière moi avec notre excellent collègue député, père de sept enfants... (Exclamations.) Tous du même lit, je précise ! C'est dire si nous contribuons à stimuler l'AVS ! Ledit collègue, au demeurant, exploite des lieux non pas d'aisance, mais de restauration.

Mesdames et Messieurs, c'est un petit pas pour l'hygiène, mais un grand pas pour l'humanité, si j'en crois le député de Sainte Marie. Par conséquent, je vais immédiatement solliciter le renvoi en commission, parce que cinq séances d'étude n'ont naturellement pas été suffisantes pour aller jusqu'au fond de la table à langer et nous interroger sur les bienfaits de ce projet de loi !

On se trouve véritablement ici, sur ce sujet totalement emblématique, à la croisée des chemins entre deux visions de société qui s'affrontent. Je n'ai pas pour habitude de donner une coloration personnelle à mes interventions dans ce Grand Conseil, mais le fait est que j'ai, moi aussi, la chance d'être l'heureux père de trois jeunes têtes blondes et que contre toute attente, Mesdames et Messieurs de la gauche de l'hémicycle, il m'est arrivé, même assez fréquemment, de devoir m'occuper d'eux et donc de les langer, y compris dans des lieux publics, comme mon excellent collègue Jacques Béné. Et c'est là que la créativité, parfois l'innovation, a pris le dessus, et qu'il a fallu improviser: sur un coin de table, sur un siège...

Une voix. Bravo !

M. Vincent Subilia. Ont-ils été traumatisés ? Vous leur poserez la question le moment venu, je ne le crois pas.

En revanche, ce que je crois profondément, c'est que je ne veux pas d'une société intrusive... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...qui s'insinue jusque dans les lieux d'aisance, dans les couches de nos enfants, pour s'assurer que nous prenions soin d'eux. Ce n'est pas ma vision du monde, vous l'aurez compris, j'ai la fibre entrepreneuriale, je revendique mon ADN libéral. Si un restaurateur, Monsieur de Sainte Marie - excusez-moi, Monsieur le président - souhaite doter son établissement d'un plan à langer - de deux, de trois ! -, qu'il entend en installer partout à la place des tables, grand bien lui fasse ! Et tant mieux ! Ce sera...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. Vincent Subilia. J'en ai encore pour quinze minutes. (Rires.) Ce sera un argument concurrentiel, il gagnera des parts de marché, et tant mieux pour lui. Voilà l'important.

Le président. C'est terminé...

M. Vincent Subilia. Mais imposer aujourd'hui à des restaurateurs qui ont été sévèrement affectés par la pandémie...

Le président. C'est terminé, Monsieur le député !

M. Vincent Subilia. ...une contrainte supplémentaire, c'est tout simplement inadmissible ! (Le micro de l'orateur est coupé.)

Des voix. Bravo ! (Commentaires. Applaudissements.)

Le président. Nous sommes saisis d'une proposition de renvoi à la commission de l'économie. La parole va donc aux rapporteurs ainsi qu'au Conseil d'Etat. Monsieur Romain de Sainte Marie ?

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Pas de renvoi en commission, non, le texte a été largement étudié. Dommage qu'il n'y ait pas eu plus de propositions d'amendements, notamment de la part de la droite ou de M. Lefort.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Je suis désolé pour mon collègue de parti, mais je ne vais pas accepter le renvoi en commission. Qu'on arrête de faire perdre du temps à ce parlement ! Face à des projets de lois comme celui-ci, dont l'élan est certes sympathique, mais qui font preuve d'une telle vacuité intellectuelle... En fait, ce texte n'a qu'une seule qualité: il est drôle ! Il est drôle ! Alors cessons les débats sur ce sujet, on a d'autres points à examiner qui sont peut-être encore plus amusants, parce que ça fait pour certains cinq ans qu'ils figurent à l'ordre du jour, d'où l'urgence de les traiter. S'il vous plaît, non, pas de retour en commission, même si j'aurais beaucoup aimé entendre Ikea, puisque la chaîne ne propose pas de tables rabattables: il aurait été intéressant de savoir pourquoi.

Le président. Je vous remercie. Madame la conseillère d'Etat, un mot sur le renvoi en commission ? (Remarque.) Non, très bien, alors nous passons au scrutin... (Commentaires.)

Une voix. Attendez, on demande une suspension ! (Rires.)

Le président. Je viens de sonner, Monsieur le député.

Une voix. Article 24, il y a trop de pères ici !

Une autre voix. Surtout à droite !

Le président. Je lance la procédure de vote.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12523 à la commission de l'économie est rejeté par 60 non contre 10 oui et 4 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote.)

Le président. Nous continuons la discussion. La parole revient à M. André Pfeffer.

M. André Pfeffer (UDC). Merci, Monsieur le président. Je vais revenir sur le sujet. Ce projet de loi entend obliger tous les cafés et restaurants à mettre à disposition une table à langer accessible aux hommes et aux femmes. Outre qu'il s'agirait là d'une première suisse, cette proposition est totalement déplacée, car tant que nos restaurateurs respectent les lois et les règles, ils sont libres de viser telle ou telle clientèle ainsi que d'aménager et de décorer leur commerce comme ils le souhaitent. Les commerçants accueillant des familles n'ont pas besoin de nos amis socialistes pour savoir ce qu'il faut faire afin de fidéliser leurs clients et de les servir au mieux. Les signataires de ce texte feraient mieux d'aller travailler une ou deux semaines dans un restaurant avant de donner des leçons et de dire aux professionnels ce qu'ils doivent faire. Evidemment, le groupe UDC refusera cet objet. Merci de votre attention.

Une voix. Bravo !

Mme Danièle Magnin (MCG). Chères et chers collègues, je dois dire que j'ai été touchée par les propos de certains et j'ai trouvé vraiment très mignon que nombre de pères ici expliquent comment ils s'occupent de leurs enfants. Voilà, c'est la première chose que je voulais souligner.

Ensuite, il faut mentionner l'atteinte inadmissible à la liberté des commerçants, des restaurateurs en particulier, que constitue ce projet de loi en voulant les contraindre à installer des tables à langer dans leur établissement. A cet égard, je vous signale qu'on peut tout à fait se passer d'un plan à langer pour changer son bébé - je ne vais pas vous confier comment je faisais parce que cela n'intéresse personne, cela n'a vraiment aucun intérêt.

J'aimerais par ailleurs revenir sur les affirmations de certains selon lesquelles aucune sanction n'est prévue. Ce sont des paresseux ! Des paresseux qui n'ont pas lu la LRDBHD jusqu'au bout, notamment ses articles 63 et 65. D'une part, l'article 63 stipule: «En cas d'infraction à la présente loi et à ses dispositions d'exécution, ainsi qu'aux conditions de l'autorisation, le département prononce, en tenant compte de la gravité [...]», etc. Il peut prononcer des mesures de suspension de l'autorisation d'exploiter pour une durée allant jusqu'à six mois ! Alors si vous n'aménagez pas d'espace à langer, vous risquez de vous retrouver interdit d'exploiter.

D'autre part, l'article 65 prévoit des amendes administratives de 300 à 60 000 francs. Mesdames et Messieurs, il n'est pas question que nous votions une telle atteinte à la liberté en croyant qu'il n'y aura pas d'effets négatifs. C'est tout faux ! Ce projet ne sert pas à faire poser des plans à langer, puisqu'on peut changer son enfant ailleurs que sur une table, mais à enrichir l'Etat au détriment des parents ! Et ça, nous ne le voulons pas, raison pour laquelle nous dirons non à ce texte. Merci beaucoup.

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. Souheil Sayegh (PDC). Chers collègues, il vous paraîtra peut-être étrange que Le Centre - futur ex-PDC - s'oppose à ce projet de loi pavé, il faut le reconnaître, de bonnes intentions. (Commentaires.) Le Centre est attaché à la famille, ce n'est un scoop pour personne; il l'est autant que l'enfant à sa lolette ou le poupon à sa couche. Nous y sommes tellement attachés que nous avons hésité à invoquer l'article 24, étant parents ici d'une vingtaine d'enfants à notre seul groupe réuni.

Néanmoins, l'ingérence dans le fonctionnement de nos établissements semble inadaptée et disproportionnée. La directrice de l'OCIRT elle-même estime - je cite ses dires - «que la prise en charge des soins aux enfants est encore relativement et fortement genrée et, dans ce sens, elle n'est pas convaincue que le fait d'imposer des tables à langer dans les bistrots permette une grande avancée dans les droits des femmes». La majorité du temps, les toilettes des restaurants sont exiguës et ne permettent pas l'alignement des WC les uns à côté des autres pour y accueillir plusieurs personnes en même temps.

Si le répondant légal de genre masculin, que ce soit le père biologique ou adoptif - je crois avoir intégré tous les hommes dans ce qualificatif -, souhaite changer les couches de son enfant, il n'est pas rare qu'il se retrouve dans des toilettes féminines, généralement sous le regard conciliant de la gent féminine, qui attend patiemment son tour et comprend l'urgence de la situation.

Aujourd'hui, de nombreux établissements ont adopté le système des WC unisexes, tout comme dans les avions ou même ici au Grand Conseil, la lunette faisant la différenciation des genres, ce qui rend de fait ce projet de loi dépassé. Si nous imposons des tables à manger... (Rires.) ...à langer - les tables à manger y sont déjà - dans les établissements... (L'orateur rit.) ...pourquoi ne pas exiger des places pour les poussettes, lesquelles permettent d'ailleurs d'y changer les petits...

Une voix. Ah, renvoi en commission ! (Rires.)

M. Souheil Sayegh. Attention ! Attention, amendement possible ! ...des espaces de jeux pour les enfants ou même un clown pour les occuper ? Le Centre a longuement hésité quant au dépôt de ces amendements. (Commentaires.) Si nos amis restaurateurs entendent ces suggestions, les familles en seront ravies. Au final, même si cet objet est plein de bonnes intentions, son application sera extrêmement difficile. Pour ces raisons et de nombreuses autres encore, le futur ex-PDC, Le Centre vous recommande de rejeter ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Eric Leyvraz (UDC). J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt l'intervention de M. Burgermeister qui, visiblement, est père de nombreux enfants. (Rires.) Je n'en ai eu que quatre, et évidemment, comme il y avait très peu de tables à langer à l'époque, ils déambulaient dans des langes sales, puants, avec le derrière tout irrité... C'était une horreur !

En ce qui me concerne, je serais prêt à proposer un amendement à ce magnifique projet de loi: il faudrait des tables à langer pour les filles et d'autres pour les garçons... (Rires. Applaudissements.) Oui, il faudrait déposer un amendement sur ce point.

Une voix. Et d'autres encore pour les non-genrés !

M. Eric Leyvraz. Enfin, Mesdames et Messieurs, je suis atterré de voir à quel niveau nous descendons dans ce parlement.

Une voix. Absolument, c'est grave !

M. Eric Leyvraz. Nous avons des sujets extrêmement importants à traiter, une guerre se déroule en Europe et ici, on parle de langes. Je vous le dis franchement, j'ai un peu honte.

Une voix. Bravo, Eric ! (Applaudissements.)

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Tout d'abord, pour faire suite à l'évocation de toilettes non genrées, c'est précisément l'une des possibilités prévues par le projet de loi, puisqu'il ne spécifie pas dans quelles toilettes installer les tables, mais juste que celles-ci doivent être accessibles à tous. Par conséquent, en effet, des WC non genrés constitueraient la meilleure solution - ce serait d'ailleurs une option pour tout type d'établissement à l'avenir.

Après, j'entends bien l'argument de la liberté du commerce, c'est vrai. L'ennui, c'est qu'aujourd'hui, pour atteindre une certaine égalité, eh bien il faut imposer des contraintes. Parfois, l'égalité ne s'instaure pas naturellement, on l'obtient par des projets de lois, par des mesures en faveur des minorités, des groupes stéréotypés. Ici, en l'occurrence, il s'agit des femmes à qui on assigne la tâche de changer les enfants, car lorsque des tables à langer sont à disposition - pour autant qu'il y en ait - dans les établissements, elles se trouvent dans les toilettes des dames. Dès lors, ce n'est que par des dispositifs qui peuvent paraître contraignants, qui le sont en réalité extrêmement peu, qu'on pourra casser les stéréotypes et atteindre un peu plus d'égalité.

Une voix. Nous, on est pour les stéréotypes !

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Mon chef de groupe m'a soufflé que je pouvais en rajouter une couche, mais je crois que ce n'est pas nécessaire ! (Rires.) Je vous remercie.

Le président.  Ça tombe bien, parce que vous n'avez plus de temps. Pour conclure, la parole échoit à Mme la conseillère d'Etat Fabienne Fischer.

Mme Fabienne Fischer, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés, pour le joyeux moment que vous nous avez fait passer. J'ai dit «Mesdames et Messieurs les députés» par habitude, mais en réalité, ce serait plutôt «Messieurs les députés». Allez m'expliquer par quel mystère, sur le sujet des tables à langer, nous n'avons entendu, à la notable exception de Mme Magnin, que des hommes. Que des pères ! C'est absolument extraordinaire ! (Commentaires.) Parce que comme chacun le sait, et un peu comme sur le thème... (Commentaires.)

Des voix. Chut !

Le président. S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs, s'il vous plaît ! Merci de demander la parole si vous avez quelque chose à dire.

Mme Fabienne Fischer. Et encore... (Commentaires.)

Le président. Silence, s'il vous plaît, on laisse le Conseil d'Etat intervenir ! Monsieur l'ancien président du Grand Conseil, s'il vous plaît ! (Remarque.)

Une voix. Laissez-la déballer ses arguments, enfin !

Le président. S'il vous plaît, laissez la conseillère d'Etat s'exprimer. Un peu de calme, je vous prie ! Madame la conseillère d'Etat, vous pouvez poursuivre.

Une voix. C'est insultant ! (Exclamations.)

Le président. S'il vous plaît !

Mme Fabienne Fischer. Il y a des députés qui confondent le lieu des couches avec le dessous de la ceinture, d'autres qui se croient encore dans les salles d'école que nous avons tous eu l'occasion de fréquenter et enfin il y en a d'autres, et c'était le cas jusqu'à maintenant, qui adoptent simplement un ton bon enfant, et je vais résolument m'en tenir à cela malgré des remarques parfaitement déplacées.

Je disais donc, et cela me fait revenir à l'école, qu'on se trouve avec le sujet des tables à langer un peu comme quand on aborde le thème de l'école: de la même façon que tout le monde ou presque y a été, tout le monde ou presque a eu des enfants ou a eu à tout le moins l'occasion de changer un enfant et, partant, sait toujours très bien de quoi il parle. Ce soir, en écoutant ces messieurs nous raconter leurs expériences en matière de change d'enfants, j'en ai plus appris sur la vie d'un certain nombre de députés qu'en de très nombreuses autres sessions du Grand Conseil, et décidément, je vous remercie pour toutes ces anecdotes amusantes.

Cela étant, ce projet de loi soulève une question qui n'est pas totalement anodine, même si elle se cache sous des abords légers. Cette question, c'est celle de la place des familles dans l'espace public: comment faciliter la vie des gens qui ne veulent pas forcément rester enfermés chez eux ? Bien souvent, en effet, les jeunes parents demeurent à journée faite à la maison alors qu'ils auraient, eux aussi, envie d'accéder aux lieux publics. Dans cette optique, je pense que le problème abordé par ce texte n'est ni anecdotique ni anodin. Parfois, les inégalités se dissimulent jusque dans les langes.

Quoi qu'il en soit, il ne serait pas inutile de donner un signal à cet égard, mais le projet de loi qui nous est soumis ici me paraît toutefois un peu trop restrictif dans son champ d'application. Pourquoi ? J'évoquais plus tôt l'accès des familles à l'espace public; eh bien la portée du projet de loi se limite aux cafés et restaurants. Or les lieux publics, ce sont les administrations, les écoles, les espaces ouverts à la population, pas seulement les cafés-restaurants, qui sont des endroits privés. De plus, il y a de nombreux lieux dans lesquels on est obligé de se rendre et qui ne sont pas des établissements destinés à la consommation, où il faut parfois patienter longtemps - nous les connaissons.

Sur le principe, cet objet pose une question qui a toute sa raison d'être, qui n'est en aucun cas ridicule, il s'agit d'une vraie question; en revanche, concernant la définition du champ d'application, il ne me semble pas répondre à la problématique qu'il veut régler. Dans l'exemple, cité par le député Lefort, de la ville de New York, le sujet a été abordé non pas sous l'angle de la législation sur le débit de boissons, la restauration et l'hôtellerie, mais sous celui des normes constructives; je suis résolument convaincue que c'est selon cet aspect-là qu'il conviendrait de traiter le sujet, et non en ajoutant une contrainte supplémentaire aux multiples et lourdes obligations - je crois que c'est le député Subilia qui les évoquait - que les cafetiers-restaurateurs ont déjà eu à subir au cours des dernières années, les années de covid. Aussi, si ce projet de loi soulève une question relative à l'égalité et à l'accès des familles à l'espace public, il faudrait trouver une autre manière de la résoudre. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat ne soutient pas ce texte en l'état.

Une voix. Merci !

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Je soumets maintenant le texte aux votes de l'assemblée.

Mis aux voix, le projet de loi 12523 est rejeté en premier débat par 52 non contre 33 oui et 5 abstentions.