Séance du
vendredi 12 novembre 2021 à
14h
2e
législature -
4e
année -
5e
session -
30e
séance
M 2741-A
Débat
Le président. L'ordre du jour appelle la M 2741-A. La parole est demandée par Mme la députée Christina Meissner. C'est à vous, Madame.
Mme Christina Meissner (PDC). Merci, Monsieur le président. Je me permets de prendre la parole, parce que je trouve que la réponse apportée par le Conseil d'Etat est insuffisante. Il reconnaît, comme les motionnaires l'avaient fait, les impacts environnementaux que le centre Open va engendrer sur notre territoire, qu'il s'agisse de l'impact sur les milieux naturels, et notamment sur les ressources en eau, ou de celui sur la mobilité, qui ira croissant, et même sur le commerce de notre canton. Cela étant, il clôt le dossier technique, estime qu'il suffit de s'appuyer sur les instances transfrontalières existantes, qui malheureusement n'ont pas montré une grande activité jusqu'à présent, étant donné qu'elles se sont très peu réunies, et il espère néanmoins que quelque chose va les réveiller.
Pour nous, c'est insuffisant: nous demandions véritablement que quelque chose soit entrepris dans le but de régler les problèmes. Je vous rappelle qu'il y a vraiment un problème de ressources en eau qui va s'accroître dans notre région, que nos milieux naturels seront de plus en plus sous pression. Dès lors, cette réponse du Conseil d'Etat n'est pas satisfaisante. Nous avons l'espoir de réunions transfrontalières, mais surtout nous attendons qu'elles aient lieu et débouchent sur des actes et des actions. Ainsi, je souhaite, avec le PDC, que cette réponse soit renvoyée au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, au-delà de la question du cadre légal dans lequel on peut intervenir et de l'impossibilité pour le Conseil d'Etat d'agir juridiquement, il est fondamental que les contacts et les relations politiques ainsi que la pression des élus parlementaires genevois et français et des associations soient maintenus. Même s'il n'est pas prouvé d'un point de vue scientifique que le centre commercial Open aura un impact direct sur le côté suisse de l'Allondon, il aura de toute façon un impact sur l'environnement, sur la mobilité, sur le commerce local de toute la région. Nous parlons du Grand Genève, du territoire de l'agglomération genevoise. Nous parlons d'une région qui a suffisamment de centres commerciaux. L'emplacement de ce projet de centre commercial situé dans la commune de Saint-Genis-Pouilly, en pleine nature, sans aucun transport public, annonçant 9000 à 12 000 véhicules par jour, dont 90% en provenance de la Suisse, est à moins de 3000 mètres seulement de la commune de Meyrin. Ce centre commercial proposerait presque autant de surfaces commerciales que Balexert, mais sur quatre fois la surface au sol de Balexert, c'est-à-dire 14 hectares. Il y aurait aussi d'immenses parkings pour les surfaces commerciales et donc une incitation à la surconsommation.
Pour toutes ces raisons, il faut tout faire pour empêcher ce projet dont les travaux, malgré des recours pendants, semblent déjà commencer. Alors que la conférence de Glasgow, la COP 26, touche à sa fin, alors que Genève est en situation d'urgence climatique depuis deux ans, il n'est pas tolérable d'envisager un tourisme d'achat démesuré, polluant et impliquant une augmentation du trafic, alors qu'on vise, via le plan climat cantonal de deuxième génération, une diminution de 40% du trafic des véhicules individuels motorisés.
Ce projet est incohérent face à l'urgence climatique. Il propose un modèle de surconsommation, de tourisme d'achat au détriment des petits commerces locaux, et surtout une augmentation du trafic et, de surcroît, de la pollution de rivières chères à nos coeurs, telles que l'Allondon. Je souhaite donc que ce rapport soit renvoyé au Conseil d'Etat pour que celui-ci continue à discuter avec les autorités françaises, suisses et de la région de Saint-Genis et que la collaboration transfrontalière soit renforcée, notamment sur les questions de la gestion des eaux. Merci.
Le président. Merci, Madame la députée. Je vous avertis juste qu'il ne faut pas taper contre votre bureau pendant votre prise de parole: cela s'entend au micro et cela nuit à la compréhension de votre intervention. Monsieur le député Rémy Pagani, c'est à vous.
M. Rémy Pagani (EAG). Merci, Monsieur le président. C'est à se demander qui nous roule dans la farine sur ces dossiers ! Il y en a trois exactement: le dossier, effectivement, du centre Open, qui met en jeu l'Allondon - mais pas seulement, comme cela a été rappelé dans la précédente intervention, car il y a également la pollution de la Versoix; ensuite, le dossier du centre à Ferney, qui est encore plus grand que l'Open. Cela fait trois ans qu'on en entend parler et que les autorités... D'ailleurs, les autorités cantonales, tout comme celles de la région française, sont opposées à ce centre; malheureusement, personne parmi les autorités n'a fait recours contre cette aberration, qui va en effet amener encore un déséquilibre, un «maldéveloppement» dans notre région.
Pour ce qui est du deuxième dossier, j'ai discuté avec l'hydrogéologue qui, lui, connaît très bien la décharge utilisée en ce moment en dessous de Cessy et qui a effectué les investigations. Les autorités françaises ont répondu au gouvernement cantonal: «Circulez, il n'y a pas de PCB !» Or ils ont fait des investigations ailleurs que là où l'hydrogéologue les a menées.
En troisième lieu, en ce qui concerne le centre de Ferney, il y a, en prévision... Parce que les promoteurs ont vu l'intérêt que représentait l'arrivée du tram à Ferney pour la construction d'un nouveau centre commercial ! Là, encore personne - personne, je le dis bien ! - n'a fait recours au niveau cantonal contre cette nouvelle aberration qui nous est proposée.
Par conséquent, Mesdames et Messieurs, nous soutiendrons le renvoi au Conseil d'Etat, parce qu'il est temps, pour le Conseil d'Etat, de mettre ses juristes à l'oeuvre, comme la Ville l'a d'ailleurs fait dans d'autres circonstances. Il est possible de mettre de bons avocats sur ces affaires pour empêcher que continue ce «maldéveloppement». Je vous remercie de votre attention.
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, ce rapport n'est effectivement pas suffisant et le MCG le renverra également au Conseil d'Etat. Pour nous, il n'y a pas seulement la problématique de l'atteinte à l'environnement, mais il y a aussi celle du tourisme d'achat, du départ des citoyens de Genève pour acheter en France. Et plus on ouvre de nouveaux supermarchés, plus cette tendance va s'accélérer. On a pu constater pendant la pandémie, quand il y avait vraiment des restrictions de déplacement, un engouement pour le commerce local, l'économie circulaire, que nous soutenons - parce qu'en ce qui nous concerne, on est à Genève, on consomme à Genève et on travaille à Genève, c'est le credo du MCG ! Malheureusement, depuis qu'il n'y a plus de restriction de circulation, les Genevois ont repris le chemin des supermarchés autour du canton, à savoir en France ! Et cette belle vertu dont certains se vantaient s'est vite envolée ! Mais si elle s'est envolée, c'est aussi pour un certain nombre de raisons: Genève est extrêmement chère pour les citoyennes et les citoyens du canton qui sont en difficulté et qui ont de petits revenus; évidemment, ils essaient de trouver ce qu'il y a de meilleur marché. C'est le moment de redire un mot pour favoriser le commerce genevois: je vous invite toutes et tous à voter la nouvelle loi sur les horaires des magasins, parce que je pense qu'elle est tout à fait de nature à fidéliser les citoyens... (Huées.)
Une voix. Bravo !
M. Daniel Sormanni. ...à soutenir le commerce et à encourager à dépenser à Genève ! J'ai dit !
Une voix. Bravo ! (Commentaires.)
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat partage largement les propos tenus dans cette salle quant à l'aberration de construire un nouveau centre commercial aux abords de Genève. Il se trouve que la France voisine est la partie qui connaît la plus grande concentration de centres commerciaux de tout l'Hexagone - quand même ! Nous avons la plus haute densité de centres commerciaux de France à nos portes, et cela n'est pas anodin. C'est ce qui a poussé récemment le président Emmanuel Macron à décréter un moratoire sur les centres commerciaux, tant ce modèle des années 1950 et 1960 - qui est surtout un modèle français - consistant à étaler et à offrir le commerce en périphérie des villes est un facteur d'anéantissement du petit commerce et des détaillants dans les centres-villes, ainsi qu'un facteur d'appauvrissement urbanistique dans bon nombre de villes françaises. La France est la première victime de ce modèle qu'elle a pourtant largement encouragé.
Croyez donc bien, s'agissant de la Suisse, qu'eu égard à sa tradition de commerces de proximité - et cela inclut les grandes enseignes traditionnelles que sont la Coop et la Migros, qui ont toujours su s'installer dans les quartiers, y compris sur de petites surfaces -, ces centres commerciaux représentent, qu'ils se situent en Suisse ou en France, et le Conseil d'Etat en est totalement persuadé, un modèle totalement néfaste et dépassé, pour autant qu'ils aient jamais eu une pertinence. Ils ont un très fort impact sur l'environnement et fournissent aux consommateurs des produits extrêmement standardisés, que le commerce local permet, à l'inverse, de compenser à travers une certaine diversité de produits.
Cela a été dit, ce centre commercial contribue aussi à imperméabiliser le sol - aujourd'hui, un espace naturel -, à l'«artificialiser», comme disent nos voisins français, et l'étalement urbain augmenté par ce centre commercial qui vient s'ajouter à d'autres voisins est inadmissible dans la logique de la préservation des ressources naturelles, de la pleine terre.
Mesdames et Messieurs, ce dossier, peut-être le savez-vous, a été porté à la connaissance du Conseil d'Etat et de l'administration cantonale de manière quelque peu fortuite. Il se trouve que dans les logiques institutionnelles françaises, le maire d'une commune, aussi petite soit-elle, sans consulter sa communauté de communes, sans consulter l'agglomération, sans consulter le département, sans consulter la région, peut, en accord avec les autorités de Paris, valider la création d'un centre commercial de cette taille. C'est ce qu'il s'est passé ! Le maire de Saint-Genis a lancé une démarche directement avec un promoteur et l'a fait valider aux plus hautes instances parisiennes, au grand dam non seulement, bien sûr, des autorités genevoises, mais aussi de la communauté de communes et de tous les magistrats des communes françaises qui l'entourent, qui sont, comme nous, outrés de voir un nouveau centre commercial s'installer dans leur région. Nous avons tenu une conférence de presse avec le président du Genevois français, Christian Dupessey, qui montre que presque l'ensemble des autorités françaises sont tout aussi critiques envers ce centre commercial que nous le sommes. Donc croyez bien qu'il ne s'agit pas d'une affaire Suisse contre France, mais bien de la décision d'un magistrat dans sa commune, sur son territoire, qui, dans le modèle français, peut obtenir l'absolution de Paris et par là même imposer cette décision à l'ensemble du Grand Genève.
Par conséquent, contrairement à ce qui a été dit par la députée Meissner, ce sujet a fait l'objet de moult discussions, non seulement au sein des instances du Grand Genève qui se sont formellement opposées à Open - les autorités françaises locales ont pris position contre -, mais également au niveau préfectoral. La préfète de l'Ain a confirmé la décision du Conseil d'Etat parisien, en disant: «L'Etat français a décidé d'autoriser ce centre commercial; Mesdames et Messieurs les Suisses et Genevois, comprenez que nous sommes encore souverains dans notre pays !» Ce qui, juridiquement, est totalement vrai.
Voilà donc où nous en sommes. Nous avons mené un bras de fer... (Commentaires.) ...nous avons eu des mots, je dois vous le dire, assez durs pour les habituelles bonnes relations que nous entretenons avec les autorités françaises, notamment au niveau préfectoral. Il faut savoir que ce projet a fait l'objet d'un article dans «Le Monde» ainsi que dans «Le Canard enchaîné» suite à nos interventions au niveau parisien et que l'affaire a été politisée aussi au Sénat français. On ne peut donc pas dire que les autorités genevoises ont laissé faire comme si de rien n'était.
Après ces années d'insistance, nous avons enfin pu obtenir les fameuses études d'impact ! Or il se trouve que les études d'impact présentées par la partie française démontraient que, d'un point de vue scientifique, oui, il y a un impact sur l'environnement - comment pourrait-il en être autrement ? -, il y a un impact sur les eaux, mais que cet impact n'avait pas d'effet sur le côté suisse. Voilà ce que disent les études. Elles ont été vérifiées par les offices... (Remarque.) ...cantonaux d'études d'impact, qui ont confirmé cette réalité scientifique. Mesdames et Messieurs, je crois que par les temps qui courent, il faut que le politique sache aussi respecter le scientifique, même quand cela ne va pas dans son sens; à partir de là, nous avons, au niveau cantonal, perdu la qualité d'agir - nous avions en effet entamé des démarches juridiques, mais encore fallait-il prouver, comme c'est le cas pour le nucléaire français, que telle autorisation de construire de l'autre côté de la frontière avait un impact sur notre sol.
Pas de recours d'un point de vue juridique, mais un positionnement politique constant du Conseil d'Etat genevois à l'encontre de ce centre. Mesdames et Messieurs, vous pouvez nous renvoyer ce rapport, nous n'avons aucun problème sur le fond. Il faut juste comprendre que nous sommes deux pays différents, que la collaboration est globalement bonne avec nos voisins, mais qu'au bout d'un moment, les actes de souveraineté s'imposent à un territoire comme à un autre et que dans cette affaire, malheureusement, le Conseil d'Etat français - qui, comme vous le savez, est une des plus hautes instances juridictionnelles de notre grande république voisine - a d'ores et déjà autorisé la construction de ce centre. Des recours sont pendants, mais il se trouve également - le droit français a cela de bizarre - que ces recours n'ont pas d'effet suspensif et que, par conséquent, le projet va de l'avant. Si vous avez d'autres mesures à proposer au Conseil d'Etat genevois pour permettre de le ralentir, voire de le stopper ou de faire en sorte que la partie française y renonce, nous les appliquerons volontiers ! En tout état de cause, nous continuons, notamment avec mon collègue Dal Busco, à signifier à l'Etat français - parce que c'est là que se situe le problème - toute notre opposition à ce centre, et le Conseil d'Etat restera droit dans ses bottes à ce sujet.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Monsieur Burgermeister, je vous rappelle que non seulement l'usage veut qu'on ne prenne pas la parole après le Conseil d'Etat, mais qu'en plus nous sommes aux extraits et que votre groupe a déjà pris la parole. Monsieur Subilia, l'usage est qu'on ne prenne pas la parole après le Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous fais voter sur la proposition de renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat.
Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2741 est adopté par 76 oui contre 1 non.
Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2741 est donc refusé.