Séance du
jeudi 7 octobre 2021 à
20h30
2e
législature -
4e
année -
4e
session -
24e
séance
PL 12773-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
Le président. Nous passons à l'urgence suivante, à savoir les PL 12773-A et PL 12774-A, que nous traiterons en catégorie II, soixante minutes. Je cède d'emblée la parole à M. le rapporteur de majorité Alexandre de Senarclens.
M. Alexandre de Senarclens (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. D'abord, quelques mots sur la genèse de cette loi: contrairement aux Ecritures, au commencement n'était pas le Verbe. Au commencement étaient le déficit chronique, la dette, l'incapacité de la majorité du Conseil d'Etat à juguler la hausse des charges, son incapacité à faire des choix courageux et des réformes structurelles, et la facilité que choisit la majorité du Conseil d'Etat en augmentant la ponction fiscale au lieu de procéder à de vraies réformes de l'Etat.
Si l'Etat prenait exemple ne serait-ce que sur un seul des autres cantons suisses, nous ne serions pas dans cette situation. Si l'exécutif et sa majorité prenaient exemple sur la Confédération, nous ne serions pas dans cette situation. Si l'exécutif suivait les recommandations du BAK, un institut universitaire qu'il a lui-même mandaté, nous ne serions pas dans cette situation. Si nous avions un Etat plus svelte, il n'y aurait pas de LEFI, pas de nécessité de passer par une augmentation d'impôts.
La majorité s'oppose à ce projet de loi car le gouvernement - la majorité du gouvernement - ne prend justement pas ses responsabilités s'agissant de la gestion de nos deniers. La majorité ne veut pas, pour les propriétaires, d'un matraquage fiscal de 90 millions dès la première année et de plus de 220 millions à l'issue d'une période de quinze ans. Elle ne veut pas du matraquage de ceux qui ont été qualifiés dans ce projet de loi de «petits propriétaires», ceux qui ont eu la chance, dans les années 70 et au début des années 80, lorsque les biens immobiliers avaient des prix certes élevés mais encore raisonnables, d'acheter et de devenir propriétaires. Tant mieux pour eux ! Tant mieux pour eux !
Ces petits propriétaires, ces propriétaires des années 70, qui sont souvent retraités, ne sont pas dans une logique de spéculation: ils demandent juste à continuer à vivre dans leur maison avec leur famille, à y recevoir leurs petits-enfants, à y constituer des souvenirs. Ils ne veulent pas vendre; ils veulent juste continuer à habiter dans leur maison alors que, si cette loi devait passer, le risque que ces petits propriétaires doivent quitter leur maison, vendre leur bien pour payer leurs impôts est important, même avec les mesures d'accompagnement prévues.
Cela est d'autant plus choquant que l'on sait qu'il y a un tournus tous les dix ans environ - lors de décès, de donations, de ventes -, ce qui fait que ces biens sont régulièrement, tous les dix ans, réévalués. C'est également choquant quand on sait que la capacité financière du canton de Genève va augmenter avec un tel projet et, du fait du calcul de la péréquation intercantonale, que Genève devra mettre 21 millions de plus dans le pot commun dès la première année. C'est évidemment absurde; nous faisons le plaisir des Valaisans, qui s'amusent de cette Genferei supplémentaire. Voilà pourquoi la majorité refuse ces projets de lois.
Maintenant, comme vous le savez, le PL 13030, qui porte également sur la LEFI, vient d'être déposé; il me semble important de renvoyer les PL 12773-A et PL 12774-A à la commission fiscale pour qu'ils puissent être traités en parallèle à ce nouveau projet de loi. Raison pour laquelle je vous demande le renvoi en commission de ces deux objets. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la commission fiscale; vous avez la parole sur le renvoi, Madame la rapporteure de première minorité Caroline Marti.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la LHID exige que les biens immobiliers soient fiscalisés sur leur valeur vénale. Or à Genève, les biens immobiliers ont été évalués à la valeur vénale en 1964 puis ont subi une réévaluation périodique tous les dix ans - une réévaluation forfaitaire, mais qui estime aujourd'hui ces biens très en deçà de leur valeur vénale. Je remets un tout petit peu les choses dans leur contexte, Monsieur le président, pour vous dire que la LHID a été adoptée par les Chambres fédérales en 1990 et est entrée en vigueur en 1993. Les Chambres fédérales ont donné aux cantons...
Le président. Sur le renvoi en commission, Madame la rapporteure de minorité. (Commentaires.)
Mme Caroline Marti. Monsieur le président, est-ce que vous savez pour quelle raison je vais m'opposer au renvoi en commission ? (Commentaires. Rires. Applaudissements.) Il faut tout de même que je vous l'explique, ainsi qu'au reste de la salle !
Le président. Je suis sûr que ça m'intéresse, mais comme vous le savez, il est là question du renvoi en commission. S'il est refusé, vous pourrez vous exprimer plus librement.
Mme Caroline Marti. Oui, eh bien je vous explique pourquoi je vais inviter cette assemblée à refuser le renvoi. Les Chambres fédérales avaient laissé aux cantons un délai de huit ans pour se mettre en conformité avec le droit fédéral, ce qui porte la mise en conformité au plus tard...
Le président. Je vous donne quinze secondes, Madame la rapporteure de minorité.
Mme Caroline Marti. Non, Monsieur le président, j'ai le droit de m'exprimer sur le renvoi en commission et c'est ce que je fais ! Ce qui donnait donc aux cantons la possibilité...
Le président. Trois minutes !
Mme Caroline Marti. Il leur fallait mettre en conformité leurs législations avant le 31 décembre 2000, dernier délai. Aujourd'hui, nous sommes en 2021 ! Nous sommes par conséquent dans l'illégalité, au regard du droit fédéral, depuis vingt et un ans ! Vous me direz, Mesdames et Messieurs de la droite, qu'on a attendu vingt et un ans et qu'on n'est plus à six mois près, qu'on peut bien prendre le temps de renvoyer ces textes en commission. C'est absolument faux, et ce pour deux raisons.
La première, c'est que le fait de ne pas être en conformité avec le droit fédéral, le fait que nos biens immobiliers ne sont pas évalués à la valeur vénale, nous fait perdre pas moins de 220 millions de francs de recettes fiscales par année. Si vous faites le calcul sur vingt et un ans, vous voyez aisément que nous avons perdu des milliards de recettes fiscales de cette façon-là - tout simplement du fait que nous ne sommes pas en conformité avec le droit fédéral. Un récent arrêt de la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice, paru en 2019, indique par ailleurs très clairement que cette majoration forfaitaire de 7% ou 20%... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...est non conforme au droit fédéral; cet arrêt somme le Grand Conseil de nous mettre en conformité le plus rapidement possible ! Un renvoi en commission va donc totalement à l'encontre du droit et du principe d'égalité de traitement des justiciables et des contribuables.
Le président. Merci.
Mme Caroline Marti. Raison pour laquelle je vous invite à refuser ce renvoi en commission. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci. J'ai beau avoir la LRGC comme lecture de chevet, je remercie le sautier de me rappeler l'article 78A, alinéa 2, de notre règlement qui permet des interventions n'excédant pas trois minutes sur le renvoi en commission. Sur cette base, Monsieur le rapporteur de deuxième minorité Sébastien Desfayes, à vous la parole.
M. Sébastien Desfayes (PDC), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. La base légale et réglementaire est bien notée. Je dois dire l'immense - l'immense ! - satisfaction du PDC devant le revirement du rapporteur de majorité, M. Alexandre de Senarclens. En commission, lors du vote sur l'entrée en matière, il nous avait expliqué qu'il fallait absolument cesser nos travaux, que ça ne servait à rien, et il a rendu un rapport de septante pages pour nous dire de ne pas entrer en matière sur ces objets. Nous sommes heureux qu'il rejoigne aujourd'hui la position du PDC, qui est celle de la raison, à savoir que les députés fassent leur travail ! C'est-à-dire que quand il y a un projet de loi et qu'ils disposent des instruments leur permettant de procéder à des amendements, eh bien tout simplement qu'ils les votent ! Et qu'ils les discutent, aussi.
Ce renvoi en commission est important pour plusieurs raisons; j'ai parlé de notre travail de parlementaires, mais il n'y a pas que ça. A Genève, nous avons un système - il est peut-être légal ou peut-être pas, bien que j'aie plutôt l'impression qu'il est encore conforme au droit fédéral - qui est constitutif d'une inégalité de traitement entre anciens et nouveaux propriétaires. Il faut donc tout simplement changer ce système-là; il faut viser à instaurer un système équitable. Toutefois, ce n'est pas parce qu'on doit rendre le système équitable qu'il faut nécessairement matraquer les contribuables, et le but réel du Conseil d'Etat n'est pas de rendre la loi fiscale conforme au droit fédéral mais simplement de matraquer les propriétaires immobiliers. Et pas uniquement les anciens: tous les propriétaires immobiliers sont concernés, parce que je rappelle qu'une des grandes modifications - si ce n'est la plus grande - introduites ici, c'est la suppression de l'abattement, qui peut aller jusqu'à 40%. Je vous laisse imaginer le matraquage fiscal, puisque cela engendrera, rien que de ce fait, une hausse d'impôts de 100 millions.
Et puis il y a aussi un deuxième risque: c'est le risque de la gauche ! Vous avez vu M. Dandrès et ses amis mettre la pression sur le Conseil d'Etat et lui demander de procéder par voie réglementaire, c'est-à-dire de prononcer un arrêté qui augmenterait unilatéralement, de manière linéaire, sans compensations et sans période transitoire, l'évaluation des immeubles ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Il y aurait donc une augmentation de 100 à 200 millions et c'est évidemment ce que nous voulons éviter, même si nous considérons par ailleurs qu'un tel arrêté serait anticonstitutionnel et, partant, illégal.
Le président. Merci.
M. Sébastien Desfayes. Pour toutes ces raisons, faisons notre travail de parlementaires, votons une loi neutre fiscalement et renvoyons par conséquent ces objets en commission ! Merci.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de deuxième minorité. Madame la conseillère d'Etat, souhaitez-vous intervenir sur la demande de renvoi en commission ? (Remarque.) Vous avez la parole.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président. Le Conseil d'Etat est satisfait de ce renvoi en commission. Merci beaucoup.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à vous prononcer sur le renvoi en commission de ces deux objets.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur les projets de lois 12773 et 12774 à la commission fiscale est adopté par 52 oui contre 36 non et 1 abstention.