Séance du vendredi 27 novembre 2020 à 18h
2e législature - 3e année - 7e session - 39e séance

R 937
Proposition de résolution de Mmes et MM. Daniel Sormanni, Ana Roch, Thierry Cerutti, Florian Gander, André Python, Francisco Valentin, Christian Flury, Jean-Marie Voumard, Françoise Sapin pour une augmentation de l'aide fédérale aux cantons suisses
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VII des 25, 26, 27 novembre, 3 et 4 décembre 2020.

Débat

Le président. Nous passons à l'urgence suivante, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à l'auteur de ce texte, M. Daniel Sormanni.

M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, on a abondamment parlé hier de ces aides pour les entreprises. Je crois que la Confédération doit faire un effort supplémentaire. Vous vous rappelez la proposition qu'elle a mise sur la table pour les cas de rigueur, 200 millions, revisés depuis à 1 milliard, qui revient en réalité à 600 millions, les 400 autres millions devant être assumés par les cantons. C'est notoirement insuffisant, eu égard à ce qu'il a été nécessaire d'entreprendre vu l'intensité de cette deuxième vague et les fermetures d'entreprises. Je vous rappelle que lors de la première vague, la Confédération avait débloqué des aides pour une enveloppe globale d'environ 60 milliards, dont seule une trentaine a été utilisée. Aujourd'hui, il ne suffit plus de se contenter de prêts remboursables - encore que je doute qu'ils soient remboursés un jour - il faut des aides directes. Les RHT ne sont pas non plus suffisantes. Il faut donc demander à la Confédération d'augmenter fortement sa contribution - je sais que les cantons s'y emploient et que ça va encore prendre un certain temps.

La Confédération est endettée de manière extrêmement faible: fin 2019, la dette s'élevait à 97 milliards, c'est-à-dire à peine 13% du produit intérieur brut. Ça doit donner le tournis à nos pays voisins, eux qui sont à 180%, voire 200%, voire plus, de leur PIB. La Confédération a les moyens de sauver les entreprises, donc de sauver les emplois et d'éviter une crise sociale majeure dans notre pays. Elle doit par conséquent faire l'effort d'augmenter fortement sa contribution.

J'ai vu les amendements déposés par Ensemble à Gauche. Je peux accepter le premier. Effectivement, j'ai cité hier l'article du chroniqueur économique de la «Tribune de Genève», M. Stepczynski, mini solution à maxi problème, paru le 17 novembre 2020, qui a calculé qu'il faudrait environ 1 milliard par mois pour toute la Suisse; si l'on compte une dizaine de mois avant d'être complètement débarrassé de ce virus, ce sont au moins 10 milliards qu'il faut que la Confédération mette sur la table. Elle peut le faire, elle en a les moyens ! Nous accepterons donc ce premier amendement et refuserons les autres, qui mélangent les choses: ce n'est pas à la Confédération de donner des aides directes aux citoyens de ce pays.

Le président. Vous parlez sur le temps du groupe.

M. Daniel Sormanni. Il faut se concentrer maintenant sur le soutien à l'économie, qui évitera une crise sociale dans notre pays. Je vous remercie d'accepter cette résolution avec le premier amendement d'Ensemble à Gauche.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Mesdames les députées, Messieurs les députés, je crois que M. Sormanni, l'auteur de cet objet, a bien exposé la situation; je ne reviendrai pas sur ce qu'il a dit, mais je souhaite faire un rappel. La population de notre pays a accepté massivement la réforme de l'imposition des entreprises, sachant toutefois les pertes qu'allaient subir les cantons - je passe sur celles que vont subir les communes - à court et à moyen terme en tout cas, la situation se rétablissant peut-être ou s'améliorant du moins, on l'espère, les prochaines années et à plus long terme. Dans ce cadre, je regrette - d'ailleurs avec l'auteur de ce texte - la pingrerie de la Confédération, qui a largement les moyens d'investir et dont le taux d'endettement est tout à fait modeste, comme il vient d'être rappelé, et pourrait largement être augmenté. Dans ce cadre, le groupe démocrate-chrétien vous recommande d'accepter cette résolution et le premier amendement d'Ensemble à Gauche, malgré sa réticence ordinaire à renvoyer des résolutions à l'Assemblée fédérale, quand on sait le sort qui leur est réservé. Je vous remercie. (Remarque.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Jean Burgermeister, mais j'aimerais lui poser la question suivante: vous avez présenté cet amendement comme un amendement général qui remplace les deux invites. Est-ce que vous accepteriez qu'il soit divisé en trois ?

M. Jean Burgermeister (EAG). J'accepte, bien sûr, Monsieur le président, vous connaissez ma nature conciliante. (Exclamations. Rires.)

Le MCG propose de porter la dépense de la Confédération à 2 milliards, ce qui est largement insuffisant. J'ai proposé de l'augmenter modestement à 10 milliards. Ce n'est pas une exagération d'Ensemble à Gauche: la Confédération a largement les moyens de dépenser ces 10 milliards. M. Sormanni l'a dit, l'endettement est d'environ 13% du PIB si on ne prend que la Confédération en compte, de 27% si l'on prend en compte l'ensemble des collectivités publiques de Suisse, selon les chiffres d'economiesuisse pour 2019, alors que la France, par exemple, a un taux d'endettement de 121% et l'Allemagne, considérée comme un bon pays de l'OCDE et de l'Europe, de 60%. Et puis, si on se penche sur les réserves gouvernementales, selon les chiffres de l'OCDE - soit des actifs à disposition immédiate et sous contrôle des autorités monétaires pour leur permettre de financer directement des déséquilibres de paiements - la Suisse a des réserves gouvernementales de 350 milliards de droits de tirage spéciaux, dont la valeur est déterminée par un panier des principales monnaies internationales, alors que l'ensemble de la zone euro ne bénéficie de réserves qu'à hauteur de 238 milliards. Pour l'Allemagne, ce sont 46 milliards. Mesdames et Messieurs, la Suisse a des réserves gouvernementales supérieures à l'ensemble de la zone euro, qui dépense d'ailleurs beaucoup plus dans son plan de sortie de la crise. En Suisse, les administrations publiques ont accumulé de 2006 à 2018 des excédents - pas seulement la Confédération, aussi les cantons, les assurances sociales, les communes - à hauteur de 79 milliards.

Et puis, Mesdames et Messieurs, je ne résiste pas au plaisir de vous citer un article publié par economiesuisse le 2 avril 2020, qui dit que pour financer les mesures d'urgence adoptées en lien avec la crise du coronavirus, la Confédération doit s'endetter davantage ! L'article d'economiesuisse précise, je le répète, que 30 milliards d'endettement supplémentaire de la Confédération seraient largement supportables par la Suisse. 30 milliards, Mesdames et Messieurs ! Je sais bien, le PLR va me dire qu'economiesuisse, ce sont de dangereux bolcheviks; c'est pour ça qu'Ensemble à Gauche, qui est bien plus raisonnable, a modestement proposé un montant trois fois inférieur à celui exigé par economiesuisse.

Dans les autres amendements, j'ai proposé d'étendre l'aide non seulement aux entreprises - on en a beaucoup parlé - mais aussi... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...aux personnes en difficulté, en particulier aux petites entreprises et aux indépendants, ainsi qu'aux hôpitaux publics, parce que c'est un scandale, Mesdames et Messieurs, que la Confédération ait refusé a priori de financer les coûts et les pertes financières de ces hôpitaux, alors même que c'est le Conseil fédéral...

Le président. Merci.

M. Jean Burgermeister. ...qui, dirigeant par décrets, a refusé de changer une virgule de la LAMal et a fait en sorte que les assurances-maladie s'en foutent plein les poches en pleine pandémie mondiale. (Applaudissements.)

M. Stéphane Florey (UDC). Tout d'abord, la formulation de cette proposition de résolution pose un problème: elle parle d'«augmenter son aide aux cantons». Mais ce n'est pas à nous de nous occuper de la politique des autres cantons suisses ! C'est déjà un problème, parce qu'on fait de l'ingérence vis-à-vis des autres cantons. Je vous rappelle que ceux-ci n'ont pas connu la moitié des problèmes économiques que nous avons à Genève: si vous allez à Lucerne, à Zurich ou dans d'autres grandes villes, vous aurez même de la peine à trouver une place pour manger dans un restaurant, tellement il y a de Genevois qui profitent d'y aller le week-end. Ça, c'est un premier problème.

Je crois qu'il ne faut pas se leurrer, Ueli Maurer a été clair: une rallonge a déjà été allouée - on peut d'ailleurs, pour une fois, féliciter quand même le Conseil d'Etat, puisque lui-même a demandé cette rallonge qu'il a obtenue. Le fonds destiné aux cantons a donc été augmenté. Mais M. Maurer a été clair, il n'y aura pas un franc de plus ! Cette résolution ne sert donc strictement à rien.

Par contre, oui, on peut encourager le Conseil d'Etat à continuer ses demandes. C'est la seule chose à faire, somme toute. Déjà que le Conseil d'Etat a de la peine à se faire entendre sur ces questions, ce n'est pas nous, Grand Conseil, qui allons sauter une étape en discutant directement avec la Confédération. Ce n'est pas notre rôle de présenter ce type de demande, et de plus, nous ne serons clairement pas entendus, il faut garder ça en tête. Pour cette raison, l'UDC n'est pas favorable à cette résolution et la refusera, malheureusement. Je vous remercie.

M. Serge Hiltpold (PLR). Cette proposition de résolution est assez large, je n'ai pas bien compris si elle concerne seulement les cas de rigueur ou les autres secteurs aussi. Concernant les cas de rigueur, on a vu que durant la période de consultation de l'ordonnance covid, l'enveloppe était passée de 200 millions à 1 milliard; la consultation n'est d'ailleurs pas terminée.

Je rappellerai ensuite - mais j'aurais pu le faire en introduction - que c'est le rôle des Chambres fédérales de s'occuper de ce genre de choses, et qu'à ce jour, les commissions de l'économie de chacune des deux chambres ne sont pas encore d'accord sur les seuils d'octroi des RHT ni sur les aides au sport. C'est très bien de faire une résolution cantonale, mais pour le moment, il faut déjà que les deux Chambres fédérales se mettent d'accord.

La piste sur laquelle il faut réfléchir, hormis l'enveloppe, c'est principalement la clé de répartition. On nous a annoncé qu'on passait à 1 milliard, c'était une bonne surprise, mais on s'est aperçu que dans ce milliard, la part de la Confédération n'était finalement pas très élevée. L'enjeu se situe plus au niveau des Chambres fédérales et consiste à essayer de changer cette clé de répartition. Ça me semble beaucoup plus juste que de changer le montant. Le montant, on peut l'augmenter, oui, mais il va évoluer, parce que la situation économique ne va probablement pas s'améliorer. Or, la clé de répartition ne sera pas forcément la même selon les cantons, car certains sont plus touchés que d'autres.

S'agissant des prêts covid, j'ai un souhait fondamental: que les prêts covid soient remboursés dans tous les secteurs qui ne sont pas des cas de rigueur. S'ils ne sont pas remboursés, ça voudra dire que les entreprises se seront effondrées, qu'elles auront fait faillite ! C'est ça, l'enjeu: espérer que ces prêts puissent être remboursés et que ce ne soit pas une aide à fonds perdu. Je ne parle pas des cas de rigueur, mais de toutes les autres entreprises, parce que ce serait une véritable catastrophe.

Le PLR est assez peu convaincu par cette proposition de résolution, vous savez que renvoyer ce type d'objet à la Confédération n'est pas forcément efficace. Mais dans un esprit de compromis, et afin d'appuyer les efforts du Conseil d'Etat pour porter la bonne parole à Berne, nous soutiendrons ce texte, tout en soulignant que le lobbyisme doit se faire aussi fortement avec nos amis zurichois qui, je le rappelle assez souvent à cette assemblée, ont 35 conseillers nationaux. Nous devons nous rendre compte qu'à Genève, nous avons une position de nain, nous envoyons généralement à la Confédération des résolutions de très piètre qualité et nous sommes assez peu crédibles. Merci, Monsieur le président.

M. François Baertschi (MCG). On pourrait en effet préférer ne pas déposer cette résolution. Si les élus genevois aux Chambres fédérales faisaient leur travail, s'ils défendaient véritablement Genève, nous ne déposerions pas ce texte. Ce serait idéal ! Malheureusement, la triste réalité est que nos élus aux Chambres fédérales ne font pas leur travail. Nous lançons donc une sorte d'appel au secours, d'appel au secours à la Confédération pour dire: arrêtez de jouer au grippe-sou, Monsieur Ueli Maurer ! Vous êtes bien gentil, mais vous profitez de Genève ! Genève vous verse des milliards à travers l'impôt fédéral direct et la TVA. Vous bénéficiez de rentrées gigantesques et vous avez encore le culot, Monsieur Maurer, de traiter les Genevois comme si c'étaient des moins que rien ! Eh bien au MCG, nous n'acceptons pas ça. Nous demandons que la Confédération fasse véritablement son travail, qu'elle fasse preuve du minimum non pas de solidarité, mais d'esprit de justice, qu'elle arrête de nous escroquer, qu'elle arrête de garder pour elle le pactole de la Banque nationale, dont elle ne nous laisse que les miettes, comme l'a bien dit le député Hiltpold - parce que nous n'aurons même pas droit à l'entier du milliard qu'on nous accorde généreusement. Il faut arrêter avec cette façon de faire de la Confédération. Arrêtons de nous faire escroquer par cette Confédération, votons cette résolution !

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est maintenant à M. le député Daniel Sormanni pour une minute quinze.

M. Daniel Sormanni (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, on peut évidemment tergiverser et dire que nous ne serons pas entendus à Berne. Oui, peut-être ! Il n'empêche que nous devons quand même dire, et le parlement ici réuni vient soutenir le Conseil d'Etat pour bien dire à Berne qu'il est nécessaire d'augmenter ces aides parce qu'il en va de la santé économique et sociale de notre pays. Face à une situation telle que celle de la Confédération - on aura peut-être aussi l'occasion de parler de celle de la Banque nationale, qui a fait 15 milliards de bonis en neuf mois - on est en droit de demander un certain nombre de soutiens. Genève participe largement à la prospérité de la Suisse. Par conséquent, il est clair que si on ne parvient pas à augmenter ces aides, qui sont encore... Déjà, elles ne concernent que les cas de rigueur - c'est ce qui est annoncé - et puis ce milliard, c'est en fait 600 millions, puisque la répartition annoncée est de 60% pour la Confédération et 40% pour les cantons. Dès lors, même si c'est difficile, il est tout de même utile de voter cette résolution de manière à montrer la détermination du canton de Genève.

Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, nous allons voter tout d'abord sur les amendements d'Ensemble à Gauche. Je vous rappelle que M. Burgermeister a accepté que l'amendement général qu'il a déposé soit divisé en trois. Voici le premier amendement:

«1re invite (nouvelle teneur)

- à augmenter son aide aux cantons et à la porter à 10 milliards;»

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 51 oui contre 35 non.

Le président. Le deuxième amendement modifie ainsi la seconde invite: «à élargir l'aide aux travailleurs en difficulté, ainsi qu'à l'ensemble des petites entreprises et des indépendants en difficulté;»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 53 non contre 33 oui et 1 abstention.

Le président. La deuxième invite initiale subsiste donc dans la résolution. Voici enfin le troisième amendement:

«3e invite (nouvelle)

- à venir en aide aux cantons pour les dépenses de santé et les pertes financières des hôpitaux publics.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 45 oui contre 44 non et 1 abstention.

Mise aux voix, la résolution 937 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil fédéral par 56 oui contre 34 non et 1 abstention. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Résolution 937